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A night at the opera

Publié le 18 octobre 2013 par Euphonies @euphoniesleblog

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ROVER - Le Carré Magique - Jeudi 17 octobre

Arrivé au bout d’une tournée-marathon de plus de 250 dates, c’est en Bretagne que Thimothée Régnier, alias Rover, décide de poser ses valises pour trois concerts : le vendredi 18 octobre au Manège de Lorient, le lendemain à Fouesnant au centre des Arts et Congrès, et ce jeudi 17 octobre donc, au Carré Magique de Lannion. Quand je dis poser ses valises, ce n’est pas qu’une métaphore : l’homme est un bourlingueur de première, mais il confesse aimer retrouver ce département des Côtes-,d’Armor qu’il connaît bien et qui lui a, en partie, inspiré l’écriture de ce premier album, dans l’hiver et les reliefs costarmoricains qu’il affectionne tout particulièrement. Alors forcément, le concert de ce soir est particulier, se déroulant à une dizaine de kilomètres du refuge inspirant. La boucle est bouclée en quelque sorte : l’enfant du pays revient présenter devant un Carré Magique bondé l’œuvre qu’il a composée dans la solitude du frimas gaulois et tenu à bout de bras pendant deux ans.

 Aqualast


20h40. Après Colin, la première partie du soir, il faut attendre encore quelques minutes pour que l’on révise, mesure, perfectionne l’acoustique du barde délicat. Et c’est sur Monologue for two que Rover fait son entrée.  Elégant et imposant, élégant et doucement charismatique.

Toute la première partie du set joue la corde fragile de l’album, dans une instrumentation minimale, simplement épaulée de l’impeccable Arnaud Gavini à la batterie. Jusqu’à Remember, voire Silver, on sent que Rover cherche un public qu’il aime, mais qui sans doute tout à son écoute, n’offre pas le retour chaleureux attendu, encore plongé dans les prémices d’une ambiance cotonneuse, familière. Le public breton : respectueux, attentif, mais peut-être lent au démarrage. Heureusement, la deuxième partie du set va lentement atteindre un état de communion sincère : dès le morceau Lou, Rover se lâche. Ou : dès le morceau Lou, le public se libère et Rover aussi. Et là, sans artifices ni effets de manche, tout le public entre en religion avec ce géant irradiant, généreux. Il est rare de sentir combien la réussite d’un concert tient à peu de choses, et surtout à une alchimie qui se distille lentement, comme un diesel.

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Un spectateur extraverti criera quelques minutes plus tard : « on est chaud ! ». Tout est dit. Rover est bien chez lui. Et c’est à un spectacle total auquel on va assister. Je découvre un artiste, déjà apprécié à Art Rock, sous une nouvelle facette. Un garçon subtil, prolixe,  maintenant libéré du concert symbolique, et qui s’étend sur des anecdotes certes hilarantes, mais dont le sel se goûte uniquement ce soir, dans la longueur, sur le fil : il me le confiera plus tard, il y a ce plaisir de se sentir chez soi, et de se sentir légitime d’en faire un peu plus. Cela dit, ce qui séduit, c’est qu’il semble toujours être sur la tangente : humain en somme. A quel moment en fait-il trop ? Ce soir là au Carré Magique, jamais.

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 L’osmose est là : le public comme Rover vit la dernière partie du concert en totale fusion.  Tout semble juste, d’un côté comme de l’autre. Pas de déclaration passionnelle, pas de « ROVER on t’aime ! ». Juste le sentiment partagé de vivre un beau moment de communion solennelle. Et de Aqualast à un terrible Queen of the fools épileptique, Rover prend véritablement possession des lieux, et transforme la fin de son concert en messe exaltée grâce au sublime Tonight.


Toujours de cette même voix aérienne, angélique, puis la seconde d’après chtonienne, terrassante. Quelle présence.

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Avez-vous déjà ressenti le besoin de vous lever spontanément lors d’un concert, parce que merde il se passe un truc ? Avez-vous déjà ressenti le besoin que tout le monde se lève en même temps que vous ? Sérieusement ?

C’est ce qu’il s’est passé ce soir. Parfois les Standing Ovation sont poussives, un peu obligées, elles sentent la naphtaline. Là, Rover a juste rencontré SON public. Et tout le Carré Magique, comme un seul homme, a voulu, debout, dire merci à cet immense artiste, pudique et magnétique.

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J’ai la chance ensuite, de poser quelques questions à Timothée, en fin de soirée. Et je confirme que l’artiste n’est pas grand que par la taille. Tant de gentillesse, et d’humilité non feinte est un cadeau réparateur pour tout chroniqueur qui attend d’interviewer l’artiste :

Euphonies : Depuis la sortie de l'album, tu n'as pas cessé de tourner. (L'album est sorti début 2012, puis entre autres : Art Rock, Francofolies, Vieilles Charrues... ) Que retiens-tu de ces 18 mois de tournée / promotion ?


ROVER : Une tournée très longue, plus de 250 dates. Mais un plaisir infini, une vraie rencontre avec le public, avec ses différences, la liesse du nord, un public incroyable quand j’ai joué à Tourcoing au Grand Mix avec Baxter Dury, et puis celui plus réservé, pudique comme celui de ce soir, le public breton.

E : Justement aujourd'hui tu reviens en Bretagne pour trois dates. Ce soir dans les Côtes d'Armor qui a vu naître en partie ton album. Quel est ton rapport à cette région ?


R : C’est toujours compliqué pour moi de parler de mon rapport à la Bretagne. J’aime énormément cette région, mais je ne sais pas si j’arrive à bien l’exprimer, par exemple en concert comme ce soir. Je viens ici depuis que je suis gamin, j’ai plein de souvenirs près de St Brieuc, j’ai écrit une partie de l’album à dix kilomètres d’ici… J’ai parfois dit que c’est l’endroit où je souhaiterais finir ma vie. Je me souviens d’une interview où on me posait cette question d’endroit idéal : j’avais répondu au sommet d’une montagne, avec plein d’enfants. Mais en fait non je crois que c’est ici.

E : il te reste les Monts d’Arrée…


R : Ah oui… Non mais vraiment, ici je me sens bien. C’est le seul endroit où je me dis que je peux couper mon portable, me sentir chez moi. Et c’est très précieux.  

E : Comment s’est passé le concert de ce soir pour toi ?


R : De l’appréhension au départ.  Ce public attentif mais qui ne réagit pas forcément. Pour moi ce concert était important pour le lieu, symbolique si près des terres où j’ai écrit. Il y avait de la famille dans la salle. Et puis après ça s’est décanté. Je me suis senti à ma place, et tout s’est très bien passé.

E : Depuis deux trois ans, de nombreux artistes osent à nouveau chanter en Français sur des rythmiques pop ou rock voire new wave (Aline, Lescop, Mustang, Granville...). Récemment une compil French Pop tente de cristalliser ce mouvement. Comment te positionnes-tu par rapport à cela, toi qui a fais le choix de chanter en anglais ? Ecoutes tu ces artistes ?


R : Ah oui. Je connais les Aline. Et j’aime bien ce mouvement. Mais chanter en anglais est pour moi une évidence. C’est une forme de pudeur. D’abord parce que c’est une langue que je parle naturellement, et qu’elle me permet d’aller plus loin dans ce que j’exprime. Et puis parce que je conçois la langue comme un instrument. Si tu joues de la guitare, tu vas préférer par exemple une demi-caisse. C’est pareil pour l’anglais qui s’adapte à ma musique. Phonétiquement.  Il y a des gens qui aiment ce que je dis dans mes textes sans comprendre les mots.

E : C’est assez paradoxal…


Oui mais tu vois, sur des structures comme Father I can’t explain ou Queen of the Fools, proches des ritournelles à la Dylan sans couplet ni refrain, les gens comprennent, l’ambiance, l’intention.  

E : En parlant de Dylan, on a dû beaucoup t’emmerder avec les influences sur l’album… Personnellement, j’y ai entendu du Bowie la première fois.


R : Oui on m’a beaucoup parlé au début de toutes ces influences.  J’aime beaucoup Hunky Dory de Bowie, ou Ziggy Stardust. Ca peut transparaître dans une suite d’accord ou une façon de poser la voix, inconsciemment. Après j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et d’assumer que c’était ma façon d’assimiler ces influences. Et oui j’écoute plein de classiques. Voire du classique, des cordes…

E : Prends-tu encore le temps d'écouter des nouveautés musicales ? Et si oui as tu eu un coup de coeur récemment ?


R : J’aime beaucoup le dernier Bertrand Belin. J’ai passé une soirée à discuter avec lui. J’aime sa façon de jouer avec les mots, de les poser sur la mélodie.


E : Le côté très ciselé ?


R : Oui tu as raison, c’est le terme. C’est ce que j’aimerais faire si je choisissais de chanter en français. Je ne pense pas qu’on qualifie ma musique d’intellectuelle. Si j’ai tenté des trucs en français, écrit anonymement pour d’autres je préfère chanter en anglais. Mais là c’est le travail sur le verbe, le jeu poétique qui m’attire chez Belin. Sinon, j’aime beaucoup le dernier MGMT. Parce qu’il m’a résisté au début, et que j’ai trouvé la réécoute intéressante.

E : Quels sont tes projets pour 2014 ?


R : Me reposer… Et puis me consacrer pleinement au deuxième album. Déjà entamé. Mais là vraiment m’y consacrer.

Je quitte Timothy Régnier avec l'impression d'avoir rencontré un bon copain avec qui j'aurais aimé parler musique des heures entières. N'en déplaise aux esprits chagrins : ce soir à Lannion, Rover a prouvé qu'on pouvait rester droit dans ses bottes de sept lieues tout en confirmant qu'on peut être un artiste médiatisé, inspiré, classieux. On attend vraiment le deuxième album et la tournée pour reconfirmer ce sentiment. Et nul doute qu'il viendra l'éprouver en Bretagne.

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© J.Bourgès


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