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Nous existons pour ne plus exister… un jour.

Publié le 31 octobre 2013 par Donquichotte

Notre production est une production de déchets ; pourquoi alors s’alarmer du fait que les choses produites ne durent pas ?

Souvent, quand je lis tôt le matin - encore au lit -, je m’attarde sur des propos assez variables, et souventes fois, incongrus. C’était le cas ce matin avec PM no 70. Voyons ce que cela donne.

Nous existons pour ne plus exister… un jour.

Elles sont nées  pour mourir, ces choses que nous produisons, ces déchets ; comme nous aussi d’ailleurs, qui ne vivons qu’en attendant. Nous existons pour ne plus exister... un jour. Tous, hommes, machines, choses... sommes en sursis. Il n’y a rien d’étonnant là-dedans.

Mais il y a une logique derrière tout ça, que sans doute l’homme a empruntée à la nature. Oui, l’homme intelligent, l’homme sapiens. Tout ce qui est, a été, et adviendra ; rien ne se perd, rien ne se crée, a dit Lavoisier, il y a, oui, derrière tout cela, une logique « totale » de désamour, de fol amour, d’obsolescence programmée (et oui !), de naïveté, de mort lente mais inéluctable. La nature l’avait-elle voulue et prédite ainsi ? Rien n’est plus moral-normal que de croire que oui ; la nature est naturellement vouée à être, à être créée, à évoluer, et à disparaître. L’homme, dans sa grande intelligence (commerciale, et systématiquement à la recherche du profit), l’a bien compris qui systématiquement, sous prétexte (motifs transparents) d’incompatibilité, de fonctionnalité, d’esthétisme (la mode), de psychologisme... et même d’écologisme, va sciemment dégrader-ralentir-mal-produire ses « productions », quelles qu’elles soient.

C’est drôle, mais dans l’Art, on a l’air d’aller à contre courant de tout cela ; un Picasso ou un Monnet se vendent toujours un peu plus cher, et surtout, ne se dégradent pas. Pas d’obsolescence en art, à moins que l’auteur-artiste ne se soit contredit-discrédité-avachi, pour une raison quelconque. Mais je me trompe peut-être ?... Qu’en est-il ? Bien sûr que je me trompe. Un Degas ou un Van Gogh, vendus à 30 millions d’euros, n’ont plus de valeur. Mais oui. Objet de convoitise pour les riches, le tableau, l’objet, devient sans valeur aux yeux de tous. Oui, qu’est-ce que j’en ai à foutre que le tableau valant des millions aille dans une collection privée (il meurt alors à mes yeux ; il meurt aussi parce qu’il ne vaut alors rien de plus que le prix de sa reproduction dans un « beau livre » (c’est ainsi qu’on appelle les livres d’art). Le tableau a disparu, nous ne le reverrons plus, à moins d’être l’ami du riche qui l’a acquis.

Mais, personnellement, j’ai acquis un livre des « écrits et tableaux », tous reproductions d’originaux, de Van Gogh, pour 350 euros.  Prix dérisoire... s’il en est, ou, si l’on veut, mais je me délecte à les lire et voir, ces « écrits, ces lettres à son frère, ces tableaux », de temps en temps, quand je prends le temps... Mais dans notre monde de « production » d’objets d’art, ils ne valent que le prix du papier, ou, à peine un peu plus... ainsi, un livre d’art pouvant aussi être un objet d’art (mon ami Santiago a l’intention de créer de telles pièces). La logique marchande a fait son œuvre. Les tableaux ainsi « consommés » par les riches tombent dans l’obsolescence totale, puisqu’ils n’existent plus, puisque nous ne pouvons plus les voir.

D’où me vient cette idée que j’aime l’art d’un Van Gogh, même si je ne contemple que des reproductions ? Pour la même raison, je crois, que celle donnée par A. Lacroix dans son introduction-éditorial de PM no 70, quand il écrit que « il faut que la Forme artistique soit mêlée à l’Informe – l’informe de nos existences quotidiennes, de nos émotions transitoires – pour que sa puissance ressorte, par incarnation et contraste ». Sa phrase a l’air savant. Mais c’est tout simple. Quand il comprend que des fragments de mélodie entendus de la rue, à travers une fenêtre ouverte, des fragments pas bien interprétés ajoute-t-il, ont plus de valeur à ses yeux (à ses oreilles) qu’un morceau de musique parfaitement joué à la salle Pleyel ; quand il comprend également qu’un morceau de musique, joué à la vitesse 45 tours, au lieu de 33 tours (comme enregistré), et qui lui avait tant plu, n’avait, « au fond, jamais existé », même s’il lui avait tant plu. Drôle, non ?

Lacroix cite Gombrowicz pour s’expliquer quand ce dernier écrit que « la poésie m’apparaît, non pas dans les poèmes, mais mêlée à des éléments d’un autre ordre et plus prosaïques ».

Lacroix n’est pas un Béotien. Je ne le suis sans doute pas plus que lui, quand j’entends ma compagne jouer au piano – elle a repris après des années de renoncement – des notes discordantes (ce qu’elle me dit), oui, jouer une joute sur le clavier noir et blanc, une joute que je confonds avec du grand piano, du grand exercice musical. Mais voilà, je n’ai pas l’oreille musicale... et ce que j’entends est de la poésie (même quand elle fait ses gammes), et cela devient de la « musique sublime » quand elle joue un morceau, quel qu’il soit, parce que mes oreilles l’entendent ainsi, parce que mes « sens », ces « émotions transitoires qui s’éveillent », me la disent telle.

Je ressens aussi de cette façon mes propres productions en construction (oui, j’ai toujours ce vieux Mas que je restaure amoureusement depuis maintenant 12 ans) quand je les regarde. Certaines « productions » sont si simples, certains diraient « kitches », mais cela m’amuse, je regarde l’ensemble, et, si cela me plaît, si une certaine harmonie apparaît, je me sens bien, je me sens à l’aise avec ce que j’ai « fait ». C’est ma poésie.

Autre question : mais pourquoi, dans certain cas, ce que je ressens-sens-vis, peut-il être mal perçu ?

Ainsi, quand je suis généreux, quand je donne gratuitement, quand j’ose parler d’amour fusion (quel mot absurde pour certaine personne), oui, quand « je veux être ainsi » (mais le suis-je ?), car il ne faut pas se mêler les cordes sensibles, ni se mêler de réalités - l’intuitive et la raisonnée et raisonnable -, ni s‘enfarger dans les fleurs du tapis, comme on dit chez nous.

Oui, voilà, je veux simplement exprimer cette réalité : je crois donner, je crois que je donne, oui, je crois bien que je donne... mais tout est mal perçu, c’est « bullshit » comme on me l’a dit parfois. Alors dois-je m’arrêter là, et renoncer à donner, à être, en amour, un « petit soldat » qui aime, sert, protège, aide et donne ?

Mais quand même ?

Oui, quand même, qu’en est-il de cette réalité, questionnée ainsi par Marc Duchemin, 49 ans, Issoudun, dans PM no 70, et qui a un problème avec la générosité: « À chaque fois que j’aide,... écrit-il, cela se retourne contre moi ». Et C. Pépin de lui répondre : « Et s’il n’y avait jamais de don pur » ? Je ne prendrai pas l’exemple trivial d’un président des Etats-Unis qui avait déclaré, un jour, « que les Américains n’avaient pas d’amis, quand on parlait de Coopération Internationale (sorte de don d’État), mais que des intérêts ». Non, voyons cela autrement. Disons qu’il y a rarement de la gratuité dans le don, et cela, même quand j’exprime mon point de vue de la façon qui suit:

« Donner, je le crois, peut être innervant, joyalement narcissique peut-être quand, au moment où le « don » devient viscéralement ressenti comme une part de soi abandonnée à l’autre... cela devient jouissif de donner ainsi en amour, si je puis le dire ainsi ».

Rarement gratuit, le don ? Qu’attends-je d’un tel don ?

Je reviens à C. Pépin, quand il se demande-et-soutient que le « don » ne peut sans doute pas échapper à la « logique de l’échange » ? Voilà pourquoi il conseille à M. Duchemin de « bien montrer » à l’autre comme son don est quelque chose, dans « l’échange » que cela implique, qui le valorise lui aussi, et que cela lui fait beaucoup plaisir et même lui apporte un grand bonheur... sans quoi l’autre le percevra différemment et ne lui rendra « qu’irritation et mauvaise humeur, une mauvaise humeur furieuse parfois », (le don est alors mal perçu si l’autre croit que vous prenez ainsi du « pouvoir » sur lui) quand l’autre ne verra le don que comme une preuve de la hauteur prétentieuse de celui qui donne, de sa ferveur grandiloquente et narcissique d’être si bon, si gentil, si aidant, (et oui, ce don si gratuit, cela ne peut être, cela ne peut exister aux yeux de l’autre), et que la seule réponse à autant de prétention ne peut être que du « rejet » de l’un par l’autre.

En tout état de cause, je crois ceci : donner, c’est ma liberté, on ne peut me l’enlever, je ne pourrais m’y résoudre. Et cette liberté n’est pas une marchandise. Cela aurait-il pu être une réponse à M. Duchemin ?

Récemment, un peuple indien de l’Arizona aurait voulu interdire une vente publique de masques hopis, au prétexte que ces objets sont d’un intérêt vital pour eux, ou parce qu’il est dans la tradition culturelle de cette tribu de les garder avec eux, et que cela est essentiel si l’on veut garder intacte la « mémoire » de leur peuple. Cette nouvelle m’a fait penser à cet exemple d’un couple belge qui a récemment acheté et restauré un château en France et qui s’est vu reconnaître le « droit » de s’opposer à l’implantation d’éoliennes dans son immédiat territoire (3 km quand même), au prétexte que cela était inesthétique et que ces satanées éoliennes se trouvaient « au beau milieu de la perspective qui s'ouvre depuis le porche d'entrée » du château. Les châtelains soutiennent que de telles implantations sont « une dénaturation totale d'un paysage bucolique et champêtre ».

Marx se retournerait-il dans sa tombe ?

NON, ces deux exemples – dans l’un, on vend un objet culturel important, au mépris des droits de mémoire d’un peuple qui existe, et au profit d’un droit commercial privé, celui d’un acheteur éventuel de ces masques ; dans l’autre, on reconnaît à un propriétaire de château un droit commercial privé sur un territoire qui ne lui appartient pas, au prétexte d’un droit de regard « esthétique et mémoriel » sur son environnement -, montrent tout simplement que « tout objet, de même que tout droit, sont marchandisables », et que les intérêts privés prévalent souvent sur tout intérêt public. Même si dans ce deuxième cas, des implantations d’éoliennes, ou encore de barrages hydro électriques, ou de chemins de fer pour TGV, peuvent être « écologiquement dommageables » quand toutes les précautions n’ont pas été prises.

Je peux maintenant prendre mon petit déjeuner.


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