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J’en ai contre la volonté de vouloir à tout prix… je veux vouloir non.

Publié le 03 novembre 2013 par Donquichotte

Inspiré par le numéro 70 de Philosophie Magazine.

« Pour comprendre quelque chose avec profondeur et certitude, il faut te coller à la bête comme une mouche à merde ». (Liao Yiwu)

Et si cette bête était ma vie, cette vie que je ne sais voir, pas celle que je veux voir, ni même celle que je vis (aliénée, ou hallucinée), mais bien celle que je saurais voir si je la laissais seulement, simplement, (sans-fioritures-contraintes-désirs-volontés) venir à moi, en moi, tel que je saurais la « laisser être ». Voilà le mot que je cherchais : « laisser-être ».

Mais voilà, la laisse-je être ? Non, je vois plutôt ma vie comme un rituel d’humiliation (le mot est un peu fort, disons plus simplement que ma vie est ritualisée de telle façon que je ne suis pas tout à fait moi-même, ou en contrôle de ce qui m’arrive) constant, entretenu, imposé, ou... même choisi et voulu quand je dis que je veux être celui-là qui... ou cet autre qui serait mieux... ou encore celui-ci que je ne saurais être puisque je n’en ai pas les qualités ni les capacités, ni l’intelligence ni la force... et encore moins celui-ci, très recherché, très étudié, très introspecté, très analysé que le psy s’imagine m’amener à être, à devenir, bref ce « moi-même retrouvé » et authentique, débarrassé des scories du passé, ce passé qui me poursuivrait, dit-on, jusque dans la tombe si je n’y prenais garde, si je ne l’annihilais pas avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’il ne m’empêche d’être ce que je suis. Oui, pourvu que je sois, avant que d’être mort. Ouf ! Difficile de me laisser être.

On cite souvent Nietzsche : « Deviens ce que tu es ». Et si devenir ce que je suis était « me laisser être », sans fourbis, sans autre préoccupation que d’être attentif à cette vie qui vit en moi et qui s’exprime à travers mes gestes, pensées, sensibilités. Y être attentif est important : il y a une part morale, une part rationnelle, et aussi une part sensuelle dans ce « laisser être ». Y être attentif, c’est être alerte, c’est me mettre en état de comprendre ce qui se passe, même si une bonne part m’échappe ; oui, je pense à toutes ces pulsions et ces peurs que je refoule, que je ne connais même pas, ou que je garde secrètes par crainte qu’elles ne me révèlent trop aux autres.

J’aime souvent ne pas comprendre : c’est le cas de beaucoup de gens, comme le rappelle Sylvester Engbrox (peintre). J’aime aussi ne pas trop réfléchir : c’est si dur, disons plutôt, c’est si embêtant trop souvent. Bref, j’aime me laisser être. Et, comme j’aime le dire: être et « laisser être », c’est ma « liberté ».

On m’opposera que, dans la vie, il faut oser, oser devenir autre, oser être différent, oser se transformer, oser agir, bref, oser « vouloir » être différent. Évoluer, diront certains. Mais pourquoi ? Tant de gens courent après leur queue ; cet impératif d’agir à tout prix, d’agir mieux qu’avant, d’agir vite surtout - chacun n’a plus le temps, ni même ne prend le temps de vivre, d’être et de laisser être -, est le premier frein à notre liberté. Et chacun prétend le faire au nom de cette liberté dont il se réclame dans notre société concurrentielle. Chacun veut agir à tout prix.

Et pour écrire tout cela, je ne me réclame d’aucuns critères, je ne pose aucune condition, je ne me mets pas en valeur, je ne me juge pas, ni ne juge les autres, je dis toutefois que je suis constamment à l’affût, j’entends par là que je suis conscient (une « conscience active ») d’être en devenir (je ne vis pas sur une autre planète, j’évolue et je subis les contingences de notre monde), et à la recherche d’une certaine harmonie interne. Mais je suis également à la recherche d’une harmonie avec l’extérieur, avec les autres (nature, hommes, choses). C’est très subjectif tout cela, et j’aime ça comme ça. Ça n’enlève pas que chacun ait en soi des parts d’ombre (pas malsaines nécessairement, mais différentes), des parts de lumière aussi, et qu’il aime bien les exprimer ; chacun est ce qu’il est et chacun a un parcours (Freud rappelle que cela remonte bien loin en arrière) qui le singularise et le montre, le rend, l’exprime, le projette en société... différent des autres, différent de moi. Je vois bien cela. Cette double harmonie est essentielle.

Mais j’aimerais exprimer cette « harmonie » d’une autre manière. Je postule que « ma vie est mon art », et je ne mets pas de différences entre les deux. Une harmonisation s’est produite il y a déjà longtemps entre les deux. Pourquoi est-ce que je parle d’art ? Je ne suis pas artiste, mais retraité (blague) ; mais aussi poète dans l’âme, donc artiste. Ainsi mon art (je crée chaque jour ; allusion à mes travaux de restauration d’une vieille maison en pierres. Mais pas que... ce peut aussi être chaque petit geste posé au quotidien, pas anodin, pas idiot... mais beau) est ma vie ; je me construis ainsi en me laissant être cet amoureux du beau, du bien, du plaisir.

Pas de dieu dans ma vie, pas de juge. Que mon « libre arbitre ».

Mais j’aime imaginer que je puisse, dans la vie, aller au-delà du « réel ». Ce n’est pas si simple, mais cela peut arriver. Carolyn Carson, dans PM no 70, cite Gaston Bachelard qui voit dans « l’imagination » une « faculté créatrice qui peut révéler des aspects inconnus du réel ». Et pourquoi pas ? J’aime penser que ce que j’imagine parfois est plus réel que le réel, et même l’inverse, que le réel imaginé est en deçà de tout réel révélé (au journal télévisé par exemple) quand je constate, pour une millionième fois, que le réel dépasse toutes les fictions que nos écrivains, journalistes, fabulistes, auteurs de « Fantasy », politiciens, ont pu inventer. Et pourquoi pas ?

Je raisonne et déraisonne sans doute, écrivant tout cela ; mais peu importe.

Je ne cherche pas à enlaidir la vie ni la rendre plus belle. Je cherche à associer art et vie. Il n’y a pas pour moi de grand art et de petit art. Je cherche à dire que ma vie est mon art, et vice et versa. Et cet art n’admet ni dieu ni aucune régulation, et par conséquent aucune raison, ou idées de la raison qui viendrait le « corseter ». Quand je dis qu’un paysage est beau, cela relève d’une évidence sensible ; quand je dis et je crois qu’une chose que je crée est achevée (complète, ou répondant à une sorte de minimum de beauté ressentie ; je ne recherche pas une hypothétique définition de l’achèvement ou de la beauté), c’est que je le sens dans mes os (encore une évidence sensible). Cela semble indéfinissable, donc non-universalisable ? Peut-être. Mais peut-être pas. Qu’en sais-je ?

Novalis aurait écrit (cité par Martin Legros, dans PM no 70) que « la poésie voit l’invisible, sent le non-sensible » quand le poète « ordonne, fusionne, invente sans comprendre lui-même pourquoi il fait ainsi et pas autrement ».

Schelling aurait écrit (idem Legros) que « l’œuvre d’art seul réfléchit ce qui ne saurait être réfléchi autrement ».

Mon idée là-dessus n’est pas complexe. Elle est même modeste. Je ne différencie pas l’art de la vie. L’art réfléchit ma vie, et vice et versa. Bien sûr, posé ainsi, cela paraît un peu simpliste. Mais cela me plaît de penser ma vie comme une poésie et de vivre ainsi. Comme ma vie ne peut se réduire à sa dimension matérielle (métro-boulot-dodo), cela semble si évident, j’aime croire qu’il peut en être ainsi quand je lis cet incroyable explication de Heidegger à propos d’un tableau de Van Gogh, intitulé « Vieux souliers aux lacets » (lire p . 63 dans PM no 70).

J’en ai contre la volonté de vouloir à tout prix… je veux vouloir non.

Je me permets de paraphraser cette explication (de ce qu’il voit dans ces souliers)... et j’ajoute ceci...

Ainsi, quand je me pose cette question : « Qu’y a-t-il à voir dans ma vie » ? Je réponds :  « c’est ce qui se trouve dans l’obscure intimité, dans la rude et solide pesanteur, dans l’appel silencieux, le secret, la muette inquiétude, la joie silencieuse, l’angoisse imminente, le frémissement... de mon labeur quotidien ». Cette réponse est inspirée, je ne peux définir mieux ma vie, et je crois bien que c’est ma vérité. Il n’y a ainsi aucun modèle extérieur qui définisse ma vie, ni aucun instrument de mesure, ni cadrage ni règles prédéfinis qui la montreraient. Elle est comme la nature, in-représentable, in-définissable... au-delà d’un discours philosophique ou poétique, si cela est même possible.

Maîtriser les codes et règles extérieures de la vie pour mieux les transgresser n’est pas « ma tasse de thé ». Je préfère vivre ma vie hors cadre et hors normes... et comme ces « vieux souliers aux lacets » me l’ont, par analogie, révélée.

J’en ai contre la volonté de vouloir à tout prix... je veux vouloir non.


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