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Le fil du rasoir, roman de William Somerset Maugham

Par Mpbernet

08 novembre 2013

Un monument de la littérature européenne : une histoire pleine de tiroirs, de personnages attachants ou agaçants, qui dresse un tableau complexe de la société de l’entre-deux-guerres d’une grande fidélité.

filrasoir

Le titre est tiré d’un verset du Katha- Upanishad : « Il est difficile de passer sur le fil d’un rasoir. Aussi difficile, disent les sages, est le chemin qui mène au salut. » Car une grande partie du roman traite de la recherche de l’Absolu, de la sérénité, par un jeune homme que la Grande guerre, où il pilotait un avion de chasse, a profondément traumatisé.

Le fil du rasoir est un roman de maturité puisque l’auteur, au moment où il l’écrit en 1943, a 70 ans. Il se met lui-même en scène comme narrateur, avec son état-civil réel, son métier d’écrivain à succès, sa maison du Cap-Ferrat. Toute cette vérité – révélée à moi à la lecture du roman graphique de Floc’h et Rivière – mêlée à une intrigue multiforme, se déroulant sur toute une époque : celle des industriels de la région de Chicago, des réceptions du faubourg Saint Germain, des rapins de Montparnasse et des bouges de la rue de Lappe et de Montmartre, des réceptions mondaines qui animent les villas de la Côte d’Azur.

Au cœur de l’histoire, une histoire d’amour contrariée. Isabel est amoureuse de son camarade d’enfance, Larry. Mais Larry refuse de s’établir, rêve uniquement de voyages et d’étude, de philosophie, de connaissance, de spiritualité. Il se contente d’un faible revenu et n’est pas intéressé par l’argent. Isabel, mondaine, ambitieuse, conformiste n’imagine même pas vivre de si peu. Elle renonce à son amour pour Larry et épouse Gray, qui l’adore et lui offre une vie de plaisir … jusqu’à la grande dépression de 1929. Il y a aussi l’oncle d’Isabel, Elliott, riche marchand d’art, snob et mondain jusqu’à son dernier souffle.

Maugham
livredepoche

Et autour, une série de personnages secondaires dont le destin interfère plus ou moins avec les principaux protagonistes, avec leurs manières, leur silhouette, leurs faiblesses ou leur bon sens.

Une coïncidence troublante : une scène où les grands bourgeois viennent s'encanailler dans un bastrinque sordide du quartier de la Bastille, et le nom d'un personnage fugace : Adrienne de Troye, deux éléments qui semblent tout droit sortis du dernier roman d'Arturo Perez-Reverte. Hommage à Maugham, pour ceux qui savent lire ....

Une histoire dépeinte avec un tel talent qu’on ne peut laisser le livre tant qu’on n’en a pas tourné la dernière page. Une fin plutôt heureuse, malgré le vertige du renoncement qui en fait le cœur, d’un style fluide et clair, plus cartésien que la manière proustienne, tramé d’ironie mordante mais sans méchanceté. Une peinture réaliste et tout à fait actuelle de la haute bourgeoisie américaine résidant en France, observée comme sous le microscope par un britannique amoureux de la France. Un délice de lecture …

Le fil du rasoir, roman par W. Somerset Maugham, préface de Pierre Assouline, traduit de l’anglais par Renée L. Oungre. Collection « Points - Signature » - 416 p. 10€

NB : une réédition récente en format poche, mais je trouve scandaleux d’avoir à déplorer des « cuirs » monstrueux (p. 58, 182, 188 …) qui montrent que l’éditeur a négligé la relecture du texte à imprimer !


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