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Billy Bat : une semaine avec la chauve-souris d’Urasawa…

Publié le 02 février 2014 par Paoru

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Après Pluto et Happy! et une interview de leur auteur, Naoki Urasawa, je me suis plongé dans la lecture de Billy Bat cette semaine. Comme Urasawa et son partenaire-scénariste Takashi Nagasaki aiment réaliser des séries d’une certaine complexité – et que j’ai une mémoire des noms pitoyable – j’ai préféré attendre que l’histoire se développe substantiellement avant de m’y plonger. Plutôt ça que de relire tous les tomes à chaque sortie pour tout comprendre. C’est donc d’une traite que j’ai dévoré le nouveau thriller du duo.

En mars 2012 cette série a débuté dans l’hexagone, chez Pika Editions, et le 10e tome est attendu le 19 mars prochain. Au Japon il en parait environ 3 tomes par an, depuis fin 2008 dans les pages de l’hebdomadaire Morning de la Kodansha, aux cotés de quelques pépites comme Cesare, Chi, Vagabond, Les Gouttes de Dieu, Space Brothers.

Après avoir lu les premiers chapitres en 2012, j’ai passé quelques jours avec la chauve-souris prophétique et son thriller mettant en scène son dessinateur, pour un voyage entre le Japon et les États-Unis à différentes époques, du début de l’ère chrétienne aux années 60. Cette semaine fut passionnante, en voici le récit !

Lundi : mais c’est quoi cette chauve-souris ?

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Afin de me remettre dans le bain j’ai relu les deux premiers volumes de Billy Bat. Nous sommes dans la période de l’après-guerre aux États-Unis, en 1949 plus précisément. Un jeune auteur de bande-dessinée américano-japonais du nom de Kevin Yamagata apprend que son personnage principal, Billy Bat, existe depuis bien des années au Japon, mais sous une autre plume. Kevin ne s’en est jamais inspiré et il décide de se rendre sur place, pour rencontrer l’auteur « original ». Il comprend alors que « sa » chauve-souris ne vient pas uniquement de son imagination mais que le scénario lui est dicté par la chauve-souris elle-même, qui a insufflé ses histoires à d’autres avant lui, depuis des temps très reculés.

Le plus intriguant est encore qu’elle lui inspire des évènements ayant la fâcheuse tendance à se produire quelques temps plus tard, où s’étant déjà produits dans le passé, dans une vision quelque peu différente des livres d’histoires. Billy Bat est un mystérieux voyageur du temps que beaucoup d’hommes célèbres essayent de contrôler, à travers un rouleau pour lequel des clans et des organisations s’entretuent à travers les âges. De Juda à Lee Harvey Oswald en passant par les clan Iga et Koga, tous sont liés à la chauve-souris et à ses histoires. Cette dernière semble se manifester uniquement à certaines personnes et tire des ficelles dans l’ombre, pour que l’humanité survive, soit-disant.

Mais qui est donc cette chauve-souris, pourquoi en existe-t-il deux versions, dans quel but harcèle-t-elle sans relâche des dessinateurs et des personnages historiques très controversés ? Est-ce réellement pour le bien de l’humanité ou pour un projet beaucoup plus personnel ? Que veux-tu vraiment… Billy Bat ?

Mardi : this is history ?

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Dans ces trois premiers volumes, Urasawa et Nagasaki déploient les ailes de leur chauve-souris et donnent à leur histoire une amplitude scénaristique assez vertigineuse : on commence dans les États-Unis et le Japon d’après-guerre, on plonge ensuite au début de la chrétienté avec la trahison de Judas, puis on en vient à Mitsuhide Akechi l’homme qui va trahir et piéger Nobunaga Oda (l’un des trois unificateurs du Japon, on en a déjà parlé ici). Le scénario tisse donc de nombreux fils rouges à travers les âges, sur lesquels voyage la chauve-souris. Pour le lecteur, cela reste encore assez obscur et l’on s’inquiète même de la suite : comment tout ceci va pouvoir garder du sens sur le long terme ? Au début du 4e tome, un nouveau bout d’histoire moderne est ajouté à la frise : la vie de Lee Harvey Oswald et l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Encore un fil de plus dans cette toile qui vient nous embrouiller ? Pas forcément.

Après avoir balancé plusieurs taches de peintures sur une une toile vierge, voici que les mangakas commencent à peindre leur tableau. Oswald est lié à la chauve-souris, va se lier à Kevin Yamagata mais aussi à une descendante d’un clan de ninja lui-même impliqué dans la lutte pour le rouleau dans le Japon féodal. Éléments essentiels du thriller captivant, les méchants prennent eux aussi leur place. Derrière quelques assassins énigmatiques on retrouve Walt Disney et son célèbre Mickey Mouse. Le scénario s’inspire du blackout culturel qui a eu lieu dans les années 60-70 durant lesquelles les studios Disney ont vu l’œuvre de Tezuka comme une menace pour leur industrie. Quand on sait à quel point Urasawa est attaché à Osamu Tezuka (rappelez-vous Pluto), le règlement de compte est évident, d’autant que l’auteur japonais que Kevin retrouve au Japon porte très bien le béret et la paire de lunettes, célèbres artefacts du père du manga moderne. Ici c’est Billy Bat qui est parodié pour devenir un succès colossal aux États-Unis, au point que s’ouvre un parc d’attraction du nom de Billyland. Derrière tout ça se cache un certain Chuck Culkin, qui ressemble très fortement à Walt Disney… Jugez par vous-même :

Walt-Culkin

Mercredi : complots et contre-vérités

Bref, après avoir étendu leur scénario aux quatre coins des deux derniers millénaires, Urasawa et Nagasaki commencent à assembler les pièces du puzzle et proposent, au passage, une alternative aux récits des livres d’Histoire. Celle de Disney n’est qu’une pièce du puzzle parmi d’autres et on retrouve l’ensemble des ingrédients d’un bon thriller : des complots et une recherche du pouvoir, des trahisons et des manipulations, des hommes de l’ombre et des théories alternatives derrière les récits officiels.

Il faut dire que les années 60 ont de quoi alimenter nombre de récits : le voyage sur la Lune, l’assassinat de Kennedy et les missiles de Cuba, le Ku Klux Klan, la main mise des États-Unis sur la reprise économique du Japon et les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964… Billy Bat s’appuie très fortement sur des faits réels pour construire son scénario et en emprunte quelques uns pour souligner des injustices (le racisme anti-noir en Nouvelle-Orléans) ou faire douter le lecteur un peu curieux… Par exemple, dans ses récits, Kevin Yamagata dessine Oswald comme un lapin. Or « Oswald le lapin chanceux » n’est autre qu’un des premiers succès des studios Disney dans les années 20. Et du côté de l’assassinat de Kennedy, Lee Harvey Oswald correspond bien au portrait que l’on connait tous mais il s’avère, in fine, un héros… Je vous laisse découvrir de quelle façon. Billy Bat pousse donc à la curiosité et aux doutes. Même s’il prend des raccourcis ou altère (peut-être ?) des faits réels, il offre un regard inédit sur notre passé…

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Jeudi : les sauveurs de l’humanité… Et les autres

J’en arrive aux tomes 5 à 7. L’ombre et la lumière s’inversent donc, et ceux qui ont marqué leur époque apparaissent alors sous un nouveau jour. Cela dit, cette saga ne se contente pas d’offrir sa vision de l’Histoire, elle en créé une autre, parallèle et anonyme, où se joue le vrai destin de notre monde. Comme dans 20th Century Boys où les héros étaient finalement les méchants de l’Histoire et les véritables héros étaient des anonymes, ce manga créé une galerie de personnages qui côtoient les figures historiques. On retrouve donc trois types de protagonistes : des célébrités qui sont fidèles à l’idée générale que l’on s’en fait, comme Kennedy, Martin Luter King, Mitsuki Adechi, les ninjas d’Iga ou Einstein, à côté de protagonistes illustres mais, pour le coup, totalement réincarnés, comme Oswald et Chuck Culkin-Walt Disney. Enfin, il y a les inédits, les créations originales de Billy Bat qui sont en contact avec la chauve-souris ou qui la pourchassent pour le compte de gens puissants.

Connus ou inconnus, dessinateurs de BD, hommes du gouvernement ou tueurs à gages, tous s’avèrent réussis et s’imbriquent parfaitement dans un récit qui les met alternativement sous les projecteurs. Au bout de ces 5-6 volumes, on en sait beaucoup sur « les gentils » de l’histoire, notamment qu’ils ne maitrisent pas leur destin et subissent le harcèlement de la chauve-souris, mais « les méchants » gardent encore tout leur mystère. Et pourtant, on a l’impression qu’ils sont partout, comme dans toute bonne théorie du complot de toute façon ! Entre les deux, on déplore la crédulité de l’espèce humaine qui se fait manipuler assez facilement. Accessoirement, cela nous arrive à tous, mais c’est justement l’un des buts de ce titre : nous pousser à la réflexion et au doute. Comme le dirait Billy Bat lui-même : « il faut que tu dessines les choses pour éviter qu’elles se produisent« … Si personne ne recherche la vérité, comment éviter que le mensonge ne devienne la version officielle ?

Jacky Momochi
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Vendredi : voyages dans le temps

Après l’arc consacré à Lee Harvey Oswald qui s’achève dans le 7e tome, j’en entame ce vendredi un nouveau, toujours en cours dans la VF : la chasse au rouleau qui permet de commander la chauve-souris. Changement de décor et nouvelle quête, qui devrait nous mener dans un Japon à l’espoir renaissant après la misère de l’après-guerre. La tenue des Jeux Olympiques et la construction du Shinkansen doivent prouver au monde le rétablissement du pays, mais les enjeux économiques colossaux que tout ceci suggère ne sont certainement pas sans zones d’ombre. D’autant que la gérance du Japon par les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale a certainement entrainé des luttes internes pour le pouvoir. Un pouvoir qui pourrait aussi s’exercer en mettant la main sur le fameux rouleau… Bref, un excellent terreau pour de nouvelles intrigues.

Comme toujours, la chauve-souris se tient en marge de l’histoire officielle mais son action et ses manigances auront forcément un impact sur le fil des évènement. La temporalité, justement, est plus que jamais à l’honneur, avec Albert Einstein en guest-star. Il  introduit sa théorie de la relativité qui lie le temps, cette 4e dimension, aux 3 autres, entrouvrant les pistes des univers parallèles et du voyage temporel. C’est le dessinateur japonais maître Zofu, qui a précédé Kevin comme messager de la chauve-souris, qui rencontre le célèbre Prix Nobel et nous en dévoile un peu plus sur les pouvoirs de Billy Bat. Ajoutez à tout ceci que Walt Disney est mort officiellement en décembre 1966 alors que ce cycle débute en 1964 et que la course vers la Lune est plus que jamais au programme en pleine Guerre Froide… L’époque promet d’être passionnante, donc vivement la suite !

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Fiche descriptive

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Titre : Billy Bat
Auteur : Naoki Urasawa & Tagashi Nagasaki
Date de parution du dernier tome : 4 décembre 2013
Éditeurs fr/jp : Pika / Kodansha
Nombre de pages : 208 n&b et couleur
Prix de vente : 7.50 €
Nombre de volumes : 9/13

Visuels : © 2009 NAOKI URASAWA/Studio Nuts, TAKASHI NAGASAKI/KODANSHA


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