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Dans la nuit froide de Labrang

Publié le 28 mars 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

De toutes les histoires de voyages que j’ai lues, il y en bien une que je pourrais emmener avec moi pour tout viatique, à fourrer dans ma besace avant tout départ, comme on pense à emmener avec soi un objet fétiche, précieux, sans qui la vie n’aurait pas cette teinte et cette épaisseur ; une lumière dans la nuit froide. C’est un petit livre que j’ai découvert au hasard. Je dis petit car il est au format poche, il est en fait extrêmement dense. Je l’avais emmené avec moi en Turquie dans l’espoir de le terminer, mais je n’ai pu m’y résoudre, il fallait que je prenne mon temps. J’ai mis plus d’un an à venir à bout des 546 pages de ce bel ouvrage.

Labrang - Xiahe

Photo © Adam Nowek

Colin Thubron, un bel anglais ténébreux dont on peut imaginer les pattes d’oie au coin des yeux, s’est perdu sur les routes de l’Asie, de la Russie au Kailash, des routes dangereuses d’Afghanistan aux chemins qu’a tracé Alexandre le Grand. Il en a ramené un livre solaire, une ode parfaite en tout point, le genre de livre qu’on pourrait consacrer livre d’une vieL’ombre de la route de la soie (Shadow of the Silk Road, 2006) entre dans mon panthéon personnel des plus beaux livres, pas très loin de Bouvier.
Arrêt à Xiahe, au monastère de Labrang (Labrang Tashi Khyil, བླ་བྲང་བཀྲ་ཤིས་འཁྱིལ་), un des six plus grands monastères du bouddhisme tibétain.

Labrang - Xiahe

Photo © Adam Nowek

Je débarque dans la nuit et le froid de Labrang. Je suis encore à près de cinq cents kilomètres de la frontière tibétaine. Les éclairages s’estompent à mesure que j’avance dans la rue, où des Hui et des Chinois tiennent boutique aux abords de la ville monastique. La neige crisse sous mes pieds, poudreuse et solitaire et, dans l’obscurité, quelque part devant moi, éclate le braiment d’une trompe : on croirait un vieux dieu qui se racle la gorge. Une allégresse familière monte en moi : le sentiment enfantin d’être sur le point de pénétrer dans l’inconnu, dans une altérité parfaite. Le corps devient léger, vibrant. La nuit s’emplit de constructions à demi sorties de l’imagination, de voix incompréhensibles. Une expérience indissociables de la solitude et d’une crainte vestigiale : on ignore où mène la route et qui on va trouver là.

Colin Thubron, L’ombre de la route de la soie
Gallimard, 2010

Photo d’en-tête ©  Evgeni Zotov


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