Dans le monde de l’art, certaines découvertes ne passent pas inaperçues et soulèvent même, derrière l’enthousiasme, de vives polémiques. L’an dernier, celle, annoncée comme une vérité révélée par un magazine, du visage présumé de L’Origine du monde, la célèbre toile de Gustave Courbet, fit long feu. J’eus l’occasion, dans plusieurs interviews radiodiffusées et deux articles de ces colonnes de dire ce que cette hypothèse avait de saugrenu, ne serait-ce que pour des raisons purement anatomiques.
Une autre découverte fit grand bruit en 2010 ; deux libraires, Jacques Desse et Alban Caussé, venaient d’exhumer une photographie inédite présumée d’Arthur Rimbaud qui le représentait entouré d’un groupe de personnages (cinq hommes et une femme), sur le perron de l’hôtel de l’Univers, à Aden. En dépit d’un article très étayé de Jean-Jacques Lefrère (spécialiste reconnu du poète et de Lautréamont) et de Jacques Desse, publié dans la très sérieuse revue Histoires littéraires qui fait généralement référence, les doutes se multiplièrent, souvent légitimes (comme toutes les fois où une preuve matérielle indiscutable manque), parfois irrationnels. Dans un papier plutôt musclé, mis en ligne sur son blog « Suivez Moix », hébergé par le site La Règle du jeu - l’organe, si l’on peut dire, de l’inénarrable BHL -, l’écrivain Yann Moix n’avait ainsi pas hésité à parler de « mascarade ».
Aujourd’hui, la science, mise au service de l’Histoire, apporte un nouvel éclairage, de nature à nous convaincre du bien-fondé de l’attribution avancée dans l’article d’Histoires Littéraires. Brice Poreau, chercheur enseignant associé au laboratoire d’anthropologie anatomique et de paléopathologie de l’université Claude Bernard de Lyon, vient en effet de publier un rapport solidement documenté dans lequel il rend compte de ses travaux d’expertise par « biométrique de similarité » de la photographie en question. Cette méthode, généralement utilisée dans les affaires judicaires, consiste à établir des comparaisons entre de nombreux points de référence pris sur les visages de suspects et ceux issus, par exemple, des enregistrements de vidéosurveillance. L’histoire de l’art eut déjà recours à cette nouvelle technologie.
Or, il résulte des recherches du scientifique, fondés sur l’analyse de la photo d’Aden et des portraits connus de Rimbaud (deux photographies de Carjat, une de la communion du poète, une prise au Yémen et une toile de Fantin-Latour), que les similitudes relevées s’élèvent, selon le document d’origine pris en compte, à 84, 85, 88, 90 et 92%. Le taux le moins élevé, sans surprise, se rapporte au tableau qui suppose une part d’interprétation laissée au peintre, mais il atteint 90% avec la plus célèbre photo d’Etienne Carjat (1870) et 92% avec celle prise à Sheik-Othman. La rigueur scientifique de M. Poreau l’invite à la prudence ; il n’affirme donc pas que la photo d’Aden représente en toute certitude Arthur Rimbaud ; il n’en conclut pas moins à une « très forte probabilité », laquelle renforce le faisceau d’indices déjà dévoilé par les historiens. Une probabilité d’autant plus vraisemblable lorsque l’on sait que le taux de similitude entre les deux photos de Carjat, parfaitement authentifiées, est de 98% et non, comme on aurait pu le penser, de 100%.
Illustration : Photo prise à l'hôtel de l'Univers, © Libraires associés (Rimbaud serait assis à droite de la photo, près de la femme.