: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
… Dernier repas en forme d’hommage à l’immense Christian Le Squer …
Donc, il s’en va. Cris et chuchotements, bruits et rumeurs bruissaient dans le petit cercle de la haute gastronomie parisienne depuis que Yannick Alléno avait lancé la bombe au Figaro. Puis, recul, déclaration contradictoire, démenti mou, bref de quoi alimenter des pages à défaut de nos palais. Puis vint la confirmation officielle du départ du chef Christian Le Squer de Ledoyen dont il occupe le poste depuis plus de dix ans sans coup férir, sans peur et parfois avec des reproches.Christian Le Squer, chez les triple étoilés Michelin, c’est le discret, presque le taiseux comme on dirait dans sa Bretagne natale. Un chef énorme par le talent mais petit par le discours et finalement pourquoi pas car c’est souvent le cas contraire : grande gueule et petites assiettes. En apparence, car sa vie privée ne nous regarde pas, il est un homme de travail, de perfection, de solides connaissances et d’idées novatrices, de respect de la tradition française mais avec soudain des éclats de génie. Pourtant, peu de gens le citent spontanément dans leur chef préféré. Il est respecté mais en retrait sur le plan de la notoriété. En souffre t-il ? Sûrement. Mais il ne sera jamais le genre à se montrer à Top Chef ou autre pantalonnade, pas le genre playboy à faire la une des magazines, pas le style de grandes déclarations péremptoires sur l’avenir de la cuisine française, pas l’envie de travailler la chimie moléculaire pour en faire un livre. Il bosse, tous les jours ou presque, change sa carte à chaque saison avec des idées toujours jeunes, des plats magiques, des produits d’exception, des saveurs de folie, bref, un trois étoiles comme on les aime.
Ce fils de menuisier découvre le bonheur de faire à manger sur un bateau où il est mousse pendant les vacances. Il a douze ans. Au lieu d’aider les marins pécheurs, il aide le cuistot. Et il adore l’ambiance, voir les marins manger et gourmand lui aussi il en fera son métier, donc sa vie. Parcours classique, étapes incontournables, apprentissage, commis, puis inévitablement Paris comme tous les bretons ou presque.
Il arrive chez Le Divellec, passe au Lucas Carton, chez Taillevent, puis sa première place de chef au Grand Hôtel Intercontinental, dans le Restaurant Opéra. Les étoiles commencent à tomber : première en 1996, deuxième en 1998. C’est dire si le talent de l’homme explose. C’est à ce moment que le groupe Vivendi lui propose de remplacer Ghislaine Arabian chez Ledoyen. Il fait bien d’accepter car quatre ans plus tard, en 2002, il reçoit sa troisième étoile Michelin qui ne l’a plus quitté depuis.
Quatorze ans après, Christian Le Squer demeure au sommet de son talent et demeure d’une régularité dans l’excellence proprement ébouriffante. Un déjeuner pris il y a quelques semaines le prouve, l’illustre, le définit à l’évidence. Un festival de saveurs, de goûts, de variétés dans les différents plats mais toujours avec la signature du chef qui trace une ligne limpide, franche, claire, dans le sublime de ses assiettes.
Gratinée d’oignons à la Parisienne contemporaine : du jamais vu, goûté, dans la reconstruction d’un plat archi conventionnel.
Asperges vertes truffées, mousseline au vin d’Arbois : produits remarquables, mousseline comme on n’en fait nulle part, et le vin jaune avec les asperges, je ne vous dit que ça !
Homard bleu rôti, pamplemousse, beurre blanc : tout est dit. Homard à la cuisson exceptionnelle, la pointe acide de l’agrume, et un beurre blanc d’anthologie.
Bar, caviar, asperges au lait ribot de mon enfance : plat d’une beauté pure, saveurs en harmonie, un chef d’œuvre.
Suprême de volaille en croûte de pain rassie : léger croquant qui enveloppe un suprême enfin tendre, moelleux et goûteux.
Cochon de lait épicé cuisiné aux petits oignons : rusticité retrouvée et assumée, et là aussi le chef est à l’aise comme un breton dans l’eau.
Blanc-manger d’œuf à la levure du boulanger : d’un blanc immaculé, d’une conception diabolique, et d’une texture aérienne. Divin.
Croquant de pamplemousse cuit et cru : il suffit de le voir pour tout comprendre. Magnifique !
Une cuisine très recherchée, très pensée. Une exigence dans l’harmonie et dans des alliances qui se tirent ensemble vers le haut. De plus, Christian Le Squer est un saucier remarquable dont les sauces riches et goûteuses, légères et subtiles, sont servies généreusement sans altérer le produit central.Une approche d’une modernité mesurée sur des bases classiques. Pas d’aventures sans lendemains, pas de chemins de traverse, pas de voies sans issue, pas d’esbroufes ni de provocations stériles. De la précision, des saveurs marquées, un savoir faire hors pair de la part de cet homme de l’ombre qui illumine ses assiettes.
Ledoyen perd un grand homme pour recevoir une « star » qui se cherche depuis un moment et qui va trouver dans cette maison centenaire le moyen de se retrouver et de reprendre une cuisine qui lui ressemble.
Quant à Christian Le Squer… où va t-il ? Pour l’instant, silence. On le sait très ami avec la famille Gardinier, et Taillevent n’a que deux étoiles… Quoiqu’il arrive, les gourmets et autres gourmands seront toujours avec lui, à sa table pour tout bêtement… se régaler ! Merci Chef !
Carré des Champs-Elysées
75008 Paris
Tél : 01 53 05 10 01