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Enquête : Comment la France cherche-t-elle à valoriser les développeurs ?

Publié le 07 juillet 2014 par Pnordey @latelier

Le regain d'intérêt pour le métier de développeur va de pair avec la pénétration croissante des nouvelles technologies dans notre quotidien. Or, il est nécessaire d’équilibrer l’équation entre les besoins et les compétences. En France, entrepreneurs, écoles, concours ou bien encore les entreprises y remédient.

Gérer un monde de données

Il suffit d’utiliser son ordinateur, un logiciel, une application mobile ou un objet connecté…pour exploiter une série de codes informatiques... lesquels codes sont programmés par des développeurs. C’est mathématique. Plus on a recours à ces usages numériques, plus les besoins en développeurs sont grands et leur niveau d’intervention grandit à différents niveaux de la chaîne numérique.

L’autre enjeu majeur est certainement le flux exponentiel de données sur le web qui n’est pas sans lever des problématiques d'exploitation. Les ressources que constituent le Big Data sont immenses et l'utilisation de ce potentiel dépend là aussi des développeurs. En effet, ces professionnels des langages informatiques peuvent construire des programmes capables d'exploiter ces masses de données. Une responsabilité qui contribue à valoriser ces compétences et à leur apporter un nouveau positionnement sur l’échelle du Web; eux qui récemment encore étaient simplement perçus comme la main d'oeuvre technique d'un projet. Le développeur sort de l’ombre.

Mieux communiquer sur leur rôle

Pour ce faire, plusieurs événements les font monter sur scène et les contraignent à mieux communiquer sur leur rôle. "Le Meilleur Dev de France" par exemple vise à déceler des talents capables de répondre très rapidement à de nombreuses questions classées par ordre de complexité. Celui qui parvient à résoudre les exercices avec le meilleur temps gagne le concours. Des challenges à plus long terme existent également. Ils abordent une problématique non résolue et sur laquelle les développeurs travaillent à leur rythme, sur une période définie, et le plus souvent depuis chez eux. Les participants peuvent faire plusieurs soumissions en ligne et à la fin du temps imparti, le gagnant est celui ayant proposé la solution la plus optimale, la plus performante.

L'Etat Français s’empare également de ce phénomène en faveur des développeurs. A la demande de Bercy, l'entrepreneur Tariq Krim a rédigé en mars dernier un rapport intitulé "Les développeurs, un atout pour la France". "Inconnus du public comme des décideurs, ils sont à l’origine des outils que nous utilisons tous et des plus belles entreprises internationales", lit-on dans ce document. Convaincu du talent des développeurs français et de leur rôle moteur dans l’écosystème numérique, Tariq Krim y souligne les "success stories" françaises initiées par des "ingénieurs formés dans nos meilleures écoles, mais souvent aussi d'autodidactes".

Tariq Krim : "De nombreux pionniers de l'informatique sont français mais, à l'instar de ses scientifiques, la France n'a jamais su ni les valoriser, ni les médiatiser.".

L’Etat prône un « visa développeur »

Dans son rapport, Tariq Krim estime que "les administrations gagneraient ainsi à promouvoir des développeurs aux postes de responsabilité pour la conduite de projets numériques". Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat chargée du Numérique au gouvernement prévoit de mettre les développeurs au coeur des attentions dans les réformes qu'elle parviendra à mener à terme. Le Ministère de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique soutient d’ailleurs le groupe "Hack4France". Ce hackathon met à disposition des développeurs des APIs (interfaces de programmation) françaises comme celles de Total, Bouygues, ou de jeunes startups. Ici, l'aspect en ligne du challenge est présenté comme le moyen d'être un "événement national" qui permette "à tous de participer". Mais la mise en valeur des talents français ne suffit pas, c’est pourquoi Axelle Lemaire a approuvé l'idée d'un "visa développeur" proposée par Tariq Krim. Un tel "visa" permettrait à des étrangers de séjourner sur le territoire français pour une durée de 4 ans, un bon moyen d'attirer des développeurs susceptibles de pouvoir "aider l'économie française à se tourner vers l'avenir numérique", selon la secrétaire d’Etat. Selon Romain Paillard, co-fondateur du Wagon, un centre de formation intensive au code, "le visa développeur est une idée très intéressante car on manque de développeurs".

Du code dès l’école?

Mais il faut augmenter le nombre de formations continues au développement. En effet, le besoin patent de développeurs conduit à s’interroger sur l’intérêt d’enseigner le code à l'école. "Le code à l'école serait déjà une bonne direction, car ses logiques servent bien au delà des problématiques de programmation. Oblige à raisonner, à éviter de répéter des tâches..." répond Romain Paillard. "Se centrer sur l'Education Nationale, c'est rater la plupart du problème" estime pour sa part Frédéric Bardeau, co-fondateur de Simplon, une autre formation au code en 6 mois. Selon lui, il ne faut pas focaliser artificiellement la question autour d’un débat sur l’enseignement à l’école.  Gare à ne pas s'emparer du sujet de l'apprentissage du code à mauvais escient sous l’effet de mode: "Maîtriser la technologie ne veut pas forcément dire programmer. Le fait de savoir faire quelque chose grâce à sa compréhension de la machine est ce qui prime. Le débat devrait aller bien plus loin, il s'agit d'une question de citoyenneté, d'une reprise de pouvoir sur la technologie, d’être maître de sa pensée.".

"La nécessité d'apprendre à coder est à mettre en corrélation avec le nombre de gens qui veulent entreprendre" estime le co-fondateur du Wagon. Or, "apprendre à coder, poursuit ce dernier, c'est élargir le champ des possibles" et connaître ces "outils propres à la culture du développement est très utiles au quotidien". Frédéric Bardeau renchérit: "L'initiation proposée à Simplon, c'est bien plus que découvrir le code, c’est un éveil sur le monde, ça offre un regard différent et apprend à être créatif... Pour ne pas être un simple consommateur, et devenir acteur du numérique, il faut maîtriser les technologies et connaître la langue des machines.".

Selon Frédéric Bardeau, de Simplon, "Dans le contexte général de l’explosion du numérique, coder, c’est bien plus qu’un 'truc' de geek, c’est être au coeur des enjeux de la société".

Un effort progressif de formation

Bien conscient des enjeux de la programmation et des opportunités économiques qu’elle offre, notamment pour l’emploi, le célèbre entrepreneur Xavier Niel a créé l'Ecole 42. Inaugurée en 2013, cette école est destinée à dénicher de jeunes talents. Ce lieu de formation atypique dispense à l'issue d'un cursus de 3 ans, des compétences en programmation, et des capacités à innover dans le domaine de l'informatique. Dans les grandes écoles traditionnelles, une prise de conscience a également lieu. L’entrepreneur "in residence" à HEC, Margaux Pelen témoigne de son expérience avec l’école de commerce : "On s'est aperçu que le manque de connaissance des étudiants en code était source de frustrations. On a donc mis en place des partenariats avec Simplon et l'Ecole 42. Il s'agit de familiariser les étudiants aux problématiques de code, dans l'espoir que la tendance atteigne le monde de l'entreprise ". "Avec HEC, on forme des managers qui doivent être au courant de ces problématiques, il faut qu'ils aient des clés de remise en question des entreprises dans lesquelles ils seront amenés à travailler.".

Avoir une conception transversale

"Aux Etats-Unis ou en Angleterre, lorsqu'on s'empare d'un tel sujet, cela a des répercussions dans le monde associatif, des loisirs, de l'industrie... Alors qu'en France on se focalise sur l'école et l'Education Nationale.", constate Frédéric Bardeau. Du coup, les initiatives comme Simplon et le Wagon se sont inspirés des "boot camp" américains, ces camps d'entraînement militaires particulièrement intensifs et immersifs. Mais les formations peuvent aussi prendre la forme de cours en ligne. Récemment importée des Etats-Unis, une version française de Codecademy a été lancée à la bibliothèque de Montreuil par Zachary Sims. Le choix du lieu témoigne bien de la volonté de démocratiser un tel programme d'inclusion numérique, dans la mesure où les bibliothèques sont souvent ouvertes et gratuites. Mais le code peut aussi n'être qu'un prétexte poursuit Frédéric Bardeau, car il ne faut "pas forcément être ingénieur pour coder, et l'apprentissage du code peut être un levier d'insertion, d'autant plus qu'il donne du pouvoir aux gens.". C'est d'ailleurs dans le but de "démocratiser l'apprentissage du code auprès de publics fragiles, éloignés du numérique ou des entrepreneurs sociaux du numérique" que Simplon a été créé. Margaux Pelen confirme, "Ce n'est pas seulement une question de développeurs qui se pose mais plus généralement une question numérique. Si on se focalise sur le développeur, on adopte une vision verticale alors qu'il faudrait plutôt privilégier une conception transversale. (...) Le numérique redistribue complètement les cartes sur des économies qui étaient bloquées jusqu'au développement du numérique.".

"Aux Etats-Unis, les développeurs sont des stars. Or, en France, ils sont encore loin d’être considérés comme tels. Le code doit devenir grand public avec la possibilité de s’y former plus facilement", estime Margaux Pelen.

Les entreprises, le code et la transition numérique

"Moteurs de l'écosystème numérique" selon Tariq Krim, les développeurs vont peu à peu s'imposer dans tous les secteurs : "il y en a maintenant dans les directions de la communication, dans les directions marketings, dans les RH", constate Frédéric Bardeau. Mais la pénurie de développeurs de formation pour alimenter tous ces secteurs est ce qui pousse les entreprises à offrir à leurs salariés des cours de code. Romain Paillard détaille les avantages de ces formations "Faire comprendre à ses salariés les problématiques de code pour une grosse entreprise, fluidifie la communication entre équipes techniques et non techniques. Cela permet de gagner du temps dans le relationnel et améliore le travail global. Et pour un entrepreneur, cela lui permet de faire la part des choses quand il voudra recruter un développeur et in fine, il aura davantage la main sur son travail.". Souvent, lors des cours destinés aux dirigeants d'entreprises, "on est dans l'acculturation, dans la sensibilisation au digital, dans l'idée d'être plus en accord avec son temps", complète encore Frédéric Bardeau.

MOOC’s et hackathons

D'ailleurs, l'intérêt des entreprises pour le code se constate non seulement à travers leur recours à des MOOC, des cours en ligne pour former leur personnel mais aussi via leur lien avec le monde des concours. En vue de résoudre une problématique donnée, les entreprises peuvent organiser un hackathon. Mais ces concours peuvent être également l’occasion de piocher un projet judicieux auquel ils ne pensaient pas. C'est le cas de L'Oréal qui a co-organisé en mars dernier un hackaton, en partenariat avec le groupe "Meetup" BeMyApp. Ce challenge espérait faire naître des applications numériques aptes à révolutionner les expériences en salon de coiffure. Il a d'ailleurs engendré deux projets : une application de formation des coiffeurs, pour la marque Kérastase, et une application de suivi des consommatrices, pour L'Oréal Professionnel. Mais selon Laurence Kerjean, digital manager de L'Oréal Professionnel, le concept va plus loin : "Ce hackathon est un bon moyen d'inscrire nos démarches d'innovation dans le digital, même si cela n'est qu'une initiative parmi d'autres.". De fait, Lubomira Rochet a été récemment nommée Chief Digital Officer de L'Oréal, montrant ainsi l'importance de la stratégie digitale au sein du groupe.

Interview d’Emmanuel Gueidan, concepteur, développeur, ergonome et designer chez FocusMatic : "On a tous déjà utilisé une application à propos de laquelle on s'est dit : "les mecs qui ont inventé cela, ils sont vraiment très très forts; cette application est géniale !". Mais de là à comprendre l’art du code, ce n’est pas si évident. Pour beaucoup de gens, le développement reste un peu abscons, quelque chose qui se passe sur des ordinateurs et un peu difficile à appréhender.".

Retrouvez l’intégralité de l’interview


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