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Deauville et le cinéma américain - 40 ans, d'une grande histoire

Par Redac Cinéstarsnews

Il y a eu les hauts, les bas, les moments de gloire, les accusations d'impérialisme. En 40 éditions, le festival de Deauville a changé notre vision du cinéma américain. Et la sienne. Il a ouvert ce vendredi 5 septembre 2014.

Peut-être le festival du cinéma américain de Deauville n’a-t-il, au fond, pas tellement changé : au programme de la première édition, dans les premiers jours de septembre 1975, on trouve le "nouveau" Woody Allen (d’alors), Guerre et amour, et un doc de Frederick Wiseman, Hospital. 39 ans plus tard, la quarantième édition s’ouvre ce vendredi 5 septembre par le "nouveau" Woody Allen (d’aujourd’hui), Magic in the moonlight. Et la section documentaire accueille le dernier film de Frederick Wiseman, National Gallery. Pas mal comme parrains par accident…

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Première édition du Festival du film américain de Deauville en septembre 1975

L'an 1
L’idée du festival a germé dans les cerveaux respectifs d’André Halimi, écrivain et producteur de télévision, disparu en 2013, et de Lionel Chouchan, écrivain et publicitaire. Les deux hommes se sont connus par hasard dans le groupe Filipacchi. Chouchan a déjà à son actif l’invention du festival d’Avoriaz : il a répondu à un appel d’offres, la station récemment créée cherchant un événement pour accroître sa renommée. Le festival a plu très vite. « C’est André, se souvient Chouchan, qui m’a dit : "Tu ne crois pas qu’on pourrait faire un festival du cinéma américain ? On ferait payer les Américains…" Je lui ai répondu : "L’idée est bonne, mais oublie de faire payer les Américains." Les deux hommes se mettent en chasse d’une ville-hôte, ne trouvent pas, puis, via un client de Chouchan, pensent à Deauville où le maire, Michel d’Ornano, et le principal hôtelier de luxe, Lucien Barrière, sont enthousiastes.

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"Les deux premières années, il n’y avait d’américain que… les films", précise Chouchan. Jacques Siclier, dans Le Monde du 9 septembre 1975, ne dit pas autre chose : "Sans doute n’a-t-on pas rencontré à Deauville les vedettes et réalisateurs d’Hollywood espérés, mais le cinéma français était largement représenté." Les organisateurs ont en effet pris soin d’installer un comité de parrainage dont fait partie le gratin de la profession. Pas d’Américains, mais "une réussite", dixit le critique du Monde, qui ne rouspète que contre "le grand nombre de films [présentés] en version originale non sous-titrée. Un Festival de cinéma ne peut se débarrasser, une bonne fois, de ce caractère élitaire ?" Pas sûr que l’adjectif "élitaire" ait été à nouveau accolé au Festival de Deauville…

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[1977] Sous le regard de Jacques Demy, Harrison Ford pour la première de Star Wars

Les Américains débarquent
En 1977, Lionel Chouchan part signaler l'existence du festival à Los Angeles. Dans les années qui suivront, il y retournera tous les ans, en juin, faire son marché de films, solliciter les acteurs et les réalisateurs. Il s'étonne :  "Je me suis rendu compte que les stars de l’âge d’or, qu’en France on adorait, étaient considérées comme des "has been" dans leur propre pays." Le premier groupe à traverser l’Atlantique, toujours en 1977, comprend Gregory Peck, Vincente Minnelli et un jeunot, Sydney Pollack. Dans les années qui suivent, Kirk Douglas sert d’ambassadeur actif. "Je passais prendre un verre chez lui, et il prenait son téléphone : "Allo Burt, il y a un festival formidable, tu devrais y aller : il y a la Normandie et les plages du débarquement ! Et Burt Lancaster disait oui."

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Liz Taylor au Festival 1985

Les stars défileront : une véritable encyclopédie de l’âge d’or hollywoodien. Lionel Chouchan se souvient de Liz Taylor, "arrivée en hélicoptère sur la plage, avec Roger Moore et des kilos et des kilos de bagage. Tout se passe bien, elle est charmante. A la fin de son séjour, on l’accompagne à l’hélico, qui décolle, tout le monde fait au revoir de la main, quand on voit l’appareil faire demi-tour : elle avait recompté ses valises, il en manquait…" Bette Davis fait forte impression, aussi, quand, à 75 ans, pendant le diner donné en son honneur à l’Hôtel Royal, elle salue chacune des tablées, prenant le temps à chaque fois d’allumer une cigarette et de bavarder. "Je pense qu’elle a fumé quarante-cinq clopes d’affilée…" Lionel Chouchan devient pensif : "Quand je pense qu’on a eu Mankiewicz, Hathaway, Wilder. On allait dans la salle du Casino – le Centre des Congrès n’existait pas encore – et c’était comme si on allait à Pleyel écouter du Mozart et du Beethoven et que sur la scène apparaissent tout à coup Mozart et Beethoven…"

La polémique
A l’époque, Deauville a le champ libre : les dates ont été choisies pour prolonger la saison deauvillaise, mais aussi parce que la Mostra de Venise traverse une mauvaise passe, ébranlée par l’héritage soixante-huitard. Elle ne redeviendra compétitive qu’en 1980. Les films américains ne sortent pas encore en été, et septembre est le moment idéal pour lancer les œuvres qui occuperont les écrans à l’automne et pendant l’hiver… Une "vitrine" du cinéma américain ? Oui, et pas seulement de majors puisque le festival a aussi son lot de "petits"  films, qu’on ne dit pas encore "indépendants". Un "porte-avions" du cinéma américain ? En 1981, ministre de la Culture emblématique des premiers gouvernements Mauroy, Jack Lang s’en prend au festival, décidant de ne pas s’y rendre : " Il y aurait là une anomalie de la part du gouvernement à venir apporter son soutien à une industrie déjà influente et puissante", explique le Ministre. Le mot "impérialisme" est lâché.

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[1990] Michael Douglas, Kiefer Sutherland, Joel Schumacher et la jeune Julia Roberts prennent la pose avant la première de FLATLINERS

Une broutille ? A l’époque (définitivement une autre), ça fait grand bruit, à l’image d’une tribune du réalisateur Gérard Blain dans Le Monde du 19 septembre 1981. Sous un titre subtil, "Le poison américain", il explique que "par quelque bout que l’on prenne la lorgnette, partout l’Amérique abaisse les mœurs de notre peuple." Il cite un grand démocrate, Maurice Thorez, qui disait en 1948 : "Le film américain qui envahit nos écrans grace à Léon Blum [les sociaux-traîtres, déjà, ont signé les accords Blum-Byrnes] ne prive pas seulement de leur gagne-pain nos artistes, nos musiciens, nos ouvriers et techniciens de studio. Il empoisonne littéralement l’âme de nos enfants, de nos jeunes gens, de nos jeunes filles, dont on veut faire des esclaves dociles des milliardaires américains…" Gérard Blain conclut en douceur : "Il y a actuellement, sur les murs de Paris, une affiche qui proclame : " Steven Spielberg et George Lucas frappent à nouveau". On se croirait à Nagasaki, au lendemain d’Hiroshima" Bravo l’artiste !
Curieusement, l’hebdo Newsweek fait quelques semaines plus tard sa "une" sur "Comment Hollywood règne sur le monde" – Les Aventuriers de l’arche perdue, le premier Indiana Jones, sort un peu partout dans le monde. Peut-être Gérard Blain a-t-il raison, en se trompant juste de vocabulaire… Le magazine américain lui répond : " Ce que les films américains inoculent à la France, ce sont dix-sept millions de dollars par an en taxes sur le prix des tickets." Lionel Chouchan se souvient que, à peine après avoir critiqué le festival, Jack Lang s’était empressé de recevoir au ministère quelques-uns de ses invités d’honneur. Le 6 octobre, il remet les insignes de commandeur des arts et des lettres à King Vidor, 87 ans, déjà honoré sur les planches. King Vidor, suppôt de l’impérialisme, vraiment ?

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[1989] Robert Mitchum

Le tournant
Il se souvient être venu en 1978, très jeune assistant d’attaché de presse, chargé d’être aux petits soins de… Gloria Swanson, immense vedette du muet. En 1995, plus aguerri, Bruno Barde reprend la direction des opérations. Longtemps attaché de presse, il sera bientôt à la tête du Public Système cinéma, une filiale de la boîte de pub et d’événementiel de Lionel Chouchan, qui co-organise encore aujourd’hui le festival de Deauville (ainsi que ceux de Marrakech, Gérardmer, etc.) " L’année d’avant, raconte-t-il, Lionel m’avait juste demandé d’assurer les relations presse du festival. Je lui avais livré mon constat : il n’y avait pas de ligne éditoriale, le festival était soumis aux majors, tout reposait sur les hommages aux stars. Or, on avait attendu Jack Nicholson toute la semaine, finalement il n’était pas venu… Lionel m’a pour ainsi dire confié les clés de sa maison avec la liberté de faire les travaux que je voulais..."
Premier acte fort : créer une compétition réservée aux films indépendants, qui sera jugée paru un jury 100% européen – " une manière de faire un pont entre les continents". Premier grand prix, l’excellent Ça tourne à Manhattan, de Tom diCillo. Suivront par exemple, alors que la compèt’, d’abord cantonnée aux jours de semaine, s’étend peu à peu aux week-ends : Hedwig and the angry inch, de John Cameron Mitchell, Long way home, de Peter Sollett, et, en 2006, année-phare, Little miss Sunshine, de Valerie Faris et Jonathan Dayton, qui montre que le cinéma indépendant peut toucher un large public.
Le festival s’enrichit petit à petit d’une section consacrée aux documentaires, qui dressent parfois un véritable portrait de l’Amérique, puis de " nuits américaines ", projections non-stop de classiques – ou, cette année, des films primés depuis quarante ans. Et même récemment, d’un rendez-vous consacré à l’écriture des séries. " J’ai voulu rééquilibrer entre cinéma indépendant et studios, explique Barde. Force est de constater que, depuis dix ans, les studios ne sont plus présents, comme à Cannes ou Venise, parce que leur logique est purement marketing. " Plus besoin de "vitrine", les blockbusters sont en accès libre de mai à août… Et les hommages se poursuivent, " en veillant à ne pas confondre talent et célébrité. "

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Sylvester Stallone en 1997 au Festival de Deauville

L’inauguration du CID, et son bel auditorium de 1500 places, a aussi un peu changé la donne : la qualité d’un festival se mesure aussi à celle de ses projections. " En 1995, quand Sean Penn est arrivé de Venise, en jet privé, pour montrer Crossing guard, explique Bruno Barde, il a voulu tout de suite, à minuit, faire une répétition technique. La projection vénitienne avait été une catastrophe. A son départ, il répétait qu’il n’avait jamais vu son film dans de meilleures conditions qu’à Deauville. "
Au petit jeu des moments les plus marquants, Burno Barde cite la projection de Sur la route de Madison : " Clint Eastwood était venu discrètement à la fin, dans la pénombre du promenoir, sur le côté du balcon. La salle était sous le choc de l’émotion, certains sanglotaient. Et puis quelqu’un a vu Eastwood, a commencé à l’applaudir, et tout le public s’est retourné pour le saluer. Un grand moment. "  Il garde des souvenirs de dialogues forts avec De Niro, et Clooney. Et sait à quoi on reconnaît une vraie star populaire : " Quand Stallone a foulé le tapis rouge, c’est la première fois que j’ai vu les concierges et les femmes de chambres des hôtels, les machinistes du CID, sortir pour le voir. " Le seul grand qui n’est jamais venu : Robert Redford. " On a essayé, on a rendu hommage au Sundance institute, mais il y a toujours eu un contretemps pour le retenir. "
L’édition 2014

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Comment faire un quarantième anniversaire particulièrement marquant ? Bruno Barde a très tôt pensé à inviter James Cameron, champion du box-office. Le réalisateur de Titanic, qui a produit le documentaire Deepsea Challenge 3D (sortie le 17 septembre en France et donc bonne occasion de venir en promo), a d’abord dit oui. Puis la mise en route des suites d’Avatar l’a obligé à décliner l’invitation. Entre-temps, le Festival a choisi ses hommages : Jessica Chastain, " la plus belle apparition depuis Nicole Kidman ", Ray Liotta, " l’un de ces grands acteurs que produisent les Etats-Unis, dans la veine d’un Robert Duvall ", Will Ferrel, qui n’est jamais venu en France. " Un des piliers de la programmation est tombé, déplore Bruno Barde, mais on ne remplace pas James Cameron ! " Côté stars, tout de même, il y aura Mick Jagger, producteur de Get on up, le biopic de James Brown, et Frank Miller, coréalisateur du film de clôture, la suite de Sin City.

Pour sa sélection, Bruno Barde a vu environ trois cent vingt-cinq films, parfois écouté ses collaborateurs, et toujours décidé seul : " Une sélection, ce n’est pas une démocratie, c’est l’affirmation d’un regard. " Retardé d’une semaine, Deauville se trouve cette année en concurrence frontale avec le festival de Toronto (Canada), qui a pris de plus en plus d’importance. Pas facile pour la disponibilté des auteurs… " Et les vendeurs refusent souvent de nous envoyer des films s’ils n’ont pas encore de distributeurs français. J’aurais bien aimé avoir les films de Ramin Bahrani ou de Peter Bogdanovich, qui étaient à Venise, rien à faire ! J’aurais pu aussi montrer la première réalisation de Ryan Gosling, que j’aime beaucoup. Mais c’est un film qu’il doit venir défendre, et, ce n’est pas un scoop, il va bientôt être papa. Parfois une sélection, c’est comme quand on veut faire une omelette aux moriilles. On va au marché, et il n’y a que des champignons de Paris..."
Malgré ces contretemps, " il y a largement de quoi faire un beau palmarès " affirme-t-il, sans donner, bien sûr, ses préférés. La compétition, jusque-là plutôt destinée à révéler des cinéastes, s’ouvre cette année à des auteurs déjà confirmés : Anton Corbijn, avec Un homme très recherché, Ira Sachs, avec Love is strange, Greg Araki, avec White bird, entre autres. " J’ai relevé le niveau, je veux que Deauville soit visible sur sa compétition et pas seulement sur ses invités d'honneur. " Pour juger les films, un jury très classe, présidé par Costa-Gavras (avec notamment Jean-Pierre Jeunet, Pierre Lescure, André Téchiné, Vincent Lindon, etc.) et aussi le Jury Révélations Cartier, plus jeune, présidé par Audrey Dana. Verdict(s) le samedi 13 septembre.

Deauville, 40 ans de cinéma américain, Michel Lafon, 34,95€
http://www.telerama.fr/cinema/deauville-et-le-cinema-americain-40-ans-toujours-maries


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