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Ecrire pour les petits choux mignons avec des dents qui manquent

Par Clementinebeauvais @blueclementine
Ces jours-ci j'ai un petit bouquin anglichois qui sort, du doux nom des Royal Babysitters (les babysitters royales au cas où vraiment t'es pas doué en traduction). Je vous ferai remarquer que la duchesse de Cambridge elle-même a salué l'arrivée de ce petit bouquin en ayant l'extrêmement bonne idée de tomber enceinte d'un deuxième royal baby. Je précise que je n'ai rien à voir avec la conception de ce monarchique enfant, d'ailleurs je sais même pas comment on fait des trucs genre enfants, il paraît que c'est beurk.

Ecrire pour les petits choux mignons avec des dents qui manquent

faire un livre par contre c'est pas beurk faut juste taper sur des touches d'ordinateur jusqu'à ce que ça fasse des mots qui veulent dire quelque chose, ensuite tu les attaches en phrases et voilà fini


Donc ce petit bouquin marque, après mes Sesame Seade et aussi mon Pépix qui sort l'année prochaine, Carambolanges: L'affaire Mamie Paulette (où il est question d'anges et angéliquement illustré par Eglantine Ceulemans), un moment de ma cârrière littérâire fortement intéressant puisqu'il s'agit du passage de 'rhô là là Clémentine elle est sombre et politique' à 'aaaah enfin c'est doux mou mignon et chou avec des trucs où on rigole'. Je ne démens pas qu'il s'agit là d'un changement assez radical qui me ramène avec nostalgie aux lectures de mon enfance, entre Fantômette, Fifi Brindacier, Tintin, le Petit Nicolas, Tom-Tom et Nana et autres Bennett et Astérix.

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ceci est un dessin mirifique d'Eglantine comme tous ses dessins d'ailleurs


Oh là tiens d'ailleurs! dis donc! je vous ai montré mon nouveau bracelet Fantômette? non? alors le voilà:

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on a le droit d'être jaloux

 Revenons à nos moutons. Donc, ce billet concerne l'écriture pour les petits choux mignons avec des dents qui manquent, autrement dit les charmants mouflets que certains d'entre vous, chers lecteurs et chères lectrices, avez eu la bonne idée de produire énergiquement (j'imagine) il y a de cela sept à onze ans.

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après bon il y en a certains qui sont un peu plus dérangés que d'autres, ex. ma soeur

Ce type de littérature s'appelle en Anglicheland 'middle grade fiction', et ce qui est intéressant c'est que ça décolle carrément en ce moment - non pas qu'on en écrive plus (il y en a toujours eu beaucoup) mais ce type de bouquin gagne enfin ses lettres de noblesse. Il faut dire que depuis des années, dans les pays anglo-saxons, les blogs spécialisés en littérature jeunesse et les grands prix se focalisent presque uniquement sur les albums ou les livres ados, avec un gouffre vertigineux entre les deux.
Mais il y a quelques mois, de nombreux auteurs ont commencé à faire valoir la 'middle grade fiction' ('MG' pour les intimes) comme une littérature essentielle, formatrice, pas seulement une littérature de transition. Les 'MG authors' du Royaume-Uni comme moi se regroupent désormais dans une antichambre de Twitter signalisée par son propre hashtag (#ukmg, #ukmgchat) et on a des rendez-vous secrets, par exemple à Londres ce samedi, avec notre propre poignée de main maçonnique.
En France, heureusement, il ne me semble pas que la situation de la fiction pour enfants de primaire soit aussi lamentable que dans les pays anglo-saxons. La plupart des blogs jeunesse chroniquent beaucoup de petits romans et de romans illustrés qui ciblent ces âges-là, vous ne trouvez pas? C'est mon impression en tous cas.
Puisqu'on est sur le sujet, voilà certaines choses top-secrètes que j'ai découvertes en commençant à écrire pour les enfants taille école primaire - et qui forment les joies et les contraintes de l'écriture pour les moyens-petits.
  • Comment ne pas se retrouver avec un bouquin 'pour les filles' ou 'pour les garçons'
Ca, c'est pour moi LE problème de la littérature pour cette tranche d'âge-là. Les livres pour les 7-11 ans, encore plus que pour les tout-petits ou les très grands, sont hyper divisés. Le truc classique:
- J'ai un petit neveu mais il va pas aimer vos histoires, là.
- Ben pourquoi pas? C'est des histoires de détective.
- Oui mais c'est une fille la détective, il va pas pouvoir s'identif-...raahhhhhgghhh-
- Oups pardon je vous ai arraché la tête par accident.
Le problème étant que même quand on dit et répète qu'on NE VEUT PAS UN LIVRE GENRé et qu'on écrit une histoire qu'on considère parfaitement dégenrée, l'éditeur dit oui oui bien sûr et au final on se retrouve quand même avec une couverture rose à paillettes ou bleu marine métallisé, et les chroniques se succèdent qui annoncent 'une histoire qui devrait plaire à toutes les petites filles' ou 'qui va enfin faire lire les petits garçons'.

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alors que moi je veux des livres pour toutes les petites billes et tous les petits glaçons

Ca m'hallucine toujours que les éditeurs coupent volontairement 50% de leur lectorat potentiel de cette manière, mais cibler l'un ou l'autre genre est apparemment toujours une stratégie gagnante. 
Alors comment faire? Franchement, à part envoyer dix mille emails au moment de la couverture en disant retire le rose, enlève les fleurs, change la typo et bon Dieu mais ARRETE de dire aux journalistes que c'est pour les filles!!! , y a pas grand-chose à faire. Cela dit, j'ai été plus ferme avec les Royal Babysitters qu'avec Sesame, et ça a payé. Naïvement, j'avais cru que Sesame, étant une série de détective à 0% de girlytude, n'allait pas être classé en lectures pour filles. J'avais tort: une ligne de rose en haut de la couv et un personnage central féminin ont suffi à l'estampiller 'fille'. Avec les Royal Babysitters, j'ai demandé à ce qu'on centre le personnage masculin, à alterner bébés et monstres marins, et à ne mettre ABSOLUMENT PAS DE ROSE. La couv est bien plus neutre et le 'pitch' aussi.
  • On évite de commencer une histoire avec une fillette morte d'une attaque de bête sauvage
Dans la première version de Carambolanges, Nel, l'ange pilote de taxi qui fait la liaison entre terre et ciel pour accompagner les âmes défuntes jusqu'au Paradis (ou alors jusqu'à l'Enfer si c'est par exemple un criminel de guerre, une tueuse en série ou l'éditeur de Valérie Trierweiler), Nel, donc, allait chercher une petite fille de dix ans qui venait de se faire tuer par une bête sauvage dans les bois. Les deux s'engageaient ensuite dans une grande enquête pour savoir exactement ce qui s'était passé.
Or, il est apparu lors de ma première conversation téléphonique avec Tibo de Sarbacane (c'est bien, ça fait noble 'Tibo de Sarbacane' enfin il faudrait l'écrire 'Thibault' quand même) que ledit T. de S.  n'était pas à 100% chaud pour qu'on ait une héroïne de 10 ans qui s'était fait déchiqueter la moitié du cou. Malgré le fait que le bouquin préféré de T. de S. est American Psycho, c'était pas le bon contexte pour ce personnage.

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pas pépixable en tant que tel

Alors qu'est-ce qu'on a fait? Tibo a suggéré de transformer la gamine de 10 ans en vieille dame de 93 ans. Non seulement on contournait le petit problème de l'héroïne gamine toute morte, mais en plus on avait un personnage beaucoup plus comique dans l'aventure (une mamie en taxi volant, c'est mieux qu'une petite fille en taxi volant). J'ai donc réécrit l'histoire entière, et l'innocent flirt de Nel et de la fillette s'est changé en relation avec une sacrée grand-mère.
En Angleterre les prescripteurs sont hyper sévères sur ce qui est acceptable ou pas en termes de violence, de mort et de souffrance dans les bouquins pour primaire. En gros, la violence imagée ou grotesque à la Tex Avery, ça passe; la violence réaliste, non. Dans mon Royal Babysitters, le roi envahisseur veut maintenant transformer ses ennemis en boulettes de viande (OK pas de problème), alors que dans la première version du manuscrit il voulait les éventrer (ouh là non).
Un jour une libraire m'a dit, à propos du premier Sesame Seade, qu'un parent lui avait dit que quand même, elle est très violente cette phrase: 'Je me suis dit que quelqu'un l'avait peut-être coupée en tranches comme une aubergine pour une ratatouille'.
Les comparaisons à base d'agression envers les légumes sont donc à proscrire.
  • Parent qui rit, parent à moitié dans ton lit
Enfin bon, j'ai pas spécialement envie d'avoir des moitiés de parents dans mon lit, merci bien (sauf toi, là au fond, pourquoi pas) mais ceci est LA stratégie gagnante: faire rire l'heureux géniteur.
J'imagine (n'étant pas dotée d'une tripotée de mini-moi) que de devoir raconter des histoires à ton mouflet à huit heures et demie du soir alors que tu as envie 1) d'aller raconter à ta moitié que ce connard de Dulac a encore eu une augmentation et pas toi, 2) d'aller lire la liste de trucs Buzzfeed que t'as vu en diagonale postée sur le profil Facebook d'un pote, 3) de noyer ta crise de la quarantaine dans un verre de quelque chose, ça fait que tu n'es pas extraordinairement motivé pour lire un chapitre de plus de Choupinet Loulou, le lapin blanc qui avait une toute petite queue en forme de boule de coton.

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pensée secrète: "Si je trouve l'auteur je le tue"

Alors que si tu lis un truc où il y a des blagues juste pour toi, parent, hé ben t'es content et ensuite, à la sortie des classes, tu dis au père de Malo et à la mère de Lola que ce bouquin-là, il est rigolo alors allez-y prenez-le et cachez Choupinet Loulou sous un meuble. Donc oui, contrairement à pas mal de gens je pense qu'il n'y a pas de mal du tout à mettre des blagues d'adulte dans un bouquin pour enfants, surtout si le bouquin va probablement être lu par les deux à la fois (niveau CP/CE par exemple). Du moment que le parent n'est pas le seul à mourir de rire pendant que le gamin trouve ça puissamment ennuyeux, où est le problème?
  • De l'action, de l'action, de l'action
Quand on commence à écrire pour cette tranche d'âge, on s'aperçoit vite que de l'action, on peut en mettre partout: dans le corps du texte, évidemment, mais aussi dans les dialogues, dans les didascalies, dans les illustrations (les illustrations des Royal Babysitters par exemple font intégralement partie de la narration), dans les titres de chapitre, dans les onomatopées, même dans les descriptions des lieux et des personnages. On apprend à écrire 'en mouvement', avec élan, parce qu'il faut que l'aventure continue.
Au début, peut-être, on a quelques inhibitions parce que ce genre de récit ne semble pas assez 'psychologique' ou profond. Mais en fait, il peut tout à fait l'être, parce que même en étant constamment dans l'action on peut avoir...
  • ...des récits qui 'résonnent'
Vous vous souvenez de vos lectures à cet âge-là? Les relectures acharnées, pour la millième fois, dans le bain, dans un hamac, sous une table, dans la voiture? Pourquoi ça vous intéressait tellement, ces histoires de balades en forêt et de combat contre les méchants? Pas seulement parce que les scène d'action étaient bien décrites - mais parce qu'elles faisaient écho, symboliquement, à vos préoccupations enfantines.

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L'arbre sans fin, Claude Ponti


Les bouquins pour cette tranche d'âge, même quand ils sont en apparence seulement pleins d'action et d'aventure, peuvent 'résonner' extraordinairement parce que ces péripéties symbolisent des processus de développement tout ce qu'il y a de plus psychologique. Les voyages, les monstres et les royaumes lointains, les forêts profondes et les combats d'épées remplacent en littérature pour les petits le discours indirect libre de la littérature pour les plus grands.
  • Des histoires 'totales'
Dans les livres pour enfants de primaire, il y a souvent, je trouve, une sorte de totalité narrative où la caractérisation des personnages est entièrement en phase avec l'histoire, qui elle-même est entièrement en phase avec le style, etc. Le livre fonctionne comme un microcosme où tout se tient: Fantômette est 'avec' Framboisy et 'avec' le style de Chaulet, il y a une espèce d'indivisibilité de ce genre de récits, très proche du conte même si le livre est résolument contemporain.

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pas de Framboisy sans Fantômette, ni de Ficelle sans Boulotte

Alors évidemment, on a peut-être moins d'interstices, de désagréments, de disjonctions dans ce genre de livres que dans la littérature ado par exemple où rien ne se tient - où le protagoniste est rarement en phase avec son environnement, et le langage 'cassé' trahit les incertitudes de cette tranche d'âge-là. Mais pour les plus jeunes, c'est cette totalité que je trouve grisante et charmante, la totalité d'un monde qui se tient encore et où on explore et on joue avec des questions importantes, sans briser tout à fait encore la bulle qui le contient.
Bon j'en reste là, mais je compte sur vous, chers auteurs 'middle-grade', pour me dire en commentaire ce qui vous attire dans ce type d'écriture.

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