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La Joconde : de l'originale au générique

Publié le 17 septembre 2014 par Lifeproof @CcilLifeproof

Mona lisa Vinci

Léonard de Vinci, Mona Lisa (La Joconde), c. 1503-5, Huile sur toile, 77 x 53 cm, Musée du Louvre, Paris.

Tout le monde connaît la Joconde : ce tableau devenu icône, puis image. Aujourd'hui, la référence à des œuvres du passé est devenue une composante essentielle et récurrente de la création. Les artistes puisent dans de multiples éléments et en font la force de leur travail. Ils s'en saisissent parfois jusqu'à l'irrévérence et la transgression. À l'époque de Léonard de Vinci, la Joconde est une œuvre considérée comme scandaleuse, inadmissible. Que représente ce tableau ? Pourquoi est-il devenu un chef d’œuvre universel ? Quelles sont ses particularités plastiques ? L'impression d'étrangeté, de mystère n'a fait que s'accroître au fil des siècles. La Joconde vue aujourd'hui par des millions de visiteurs n'est plus du tout la même que celle peinte par Léonard de Vinci au temps de la Renaissance. Les couleurs ont perdu de leur éclat. Le vernis a jauni par oxydation, assombrissant cruellement le portrait. Malgré les multiples craquelures, personne ne souhaite se lancer dans une quelconque restauration au risque de dénaturer le tableau. Restaurer le sourire de dame Lise susciterait-il un émoi planétaire ? L'aventure tournerait-elle au vinaigre ?

En tout cas, si l’œuvre est novatrice, elle est avant tout incomprise. Une femme sourit, ce qui est incorrect, elle est proche de nous, située dans le même espace et épilée des sourcils (alors qu'à cette époque seules les prostituées s'épilaient). De plus, le peintre lui fait prendre la pose devant un paysage énigmatique, terrible et effrayant avec une lumière vaporeuse, bien loin des prairies et de la nature verdoyante que l'on trouve en fond des portraits des contemporains de Léonard de Vinci. Cette œuvre aujourd'hui devenue icône planétaire était trop inventive et impliquait un trop gros bouleversement des pratiques du portrait. Est-ce la raison pour laquelle nous n'avons retrouvé aucune trace de commande et de paiement ? Le commanditaire a t-il refusé l’œuvre ? L'a t-il seulement vue ? 

Personne ne me contredira si je dis que la Joconde est le tableau le plus célèbre de tous. Malheureusement, nous le regardons à travers des lentilles déformantes. L’œuvre est détachée de toute réalité historique. Un premier détournement de la Joconde provient de l'un des disciples de Léonard. Il s'agit d'Andrea Salaï qui a réalisé un tableau intitulé la Monna Vanna. L'inspiration est évidente, l'influence aussi. Notons par ailleurs, que selon des recherches extrêmement sérieuses, le modèle de la Joconde serait Andrea Salaï lui-même (Gian Giacomo Caprotti de son vrai nom). Il était l'assistant de Léonard de Vinci mais aurait également été son amant. Le président du comité national pour la valorisation des biens affirme avoir trouvé le L de Léonard et le S de Salaï dans les yeux du portrait. N'oublions pas que le vieillissement et les craquelures de la peinture contribuent à la création de nombreuses hypothèses parfois très saugrenues. Il est probable qu'Andrea Salaï fut le modèle de la Joconde. Cette idée viendrait corroborer l'hypothèse de l'hermaphrodisme de Mona Lisa.

Andréa Salai

Andrea SALAI (Salaino, Gian Giacomo Caprotti), Mona Vanna (Joconde nue, Mona Lisa nue), Hermitage, St Petersburg, huile sur toile, dimensions inconnues.

Suite au vol du tableau le 21 août 1911 une obsession est née autour de cette figure. Elle est apparue au premier plan de la culture commune. D'abord dans la presse, puis elle est devenue l’apanage des artistes. Pendant près de trois semaines l’œuvre et son vol firent les gros titres. La culture populaire exploita l'affaire à outrance et l'on vit apparaître une floraison de cartes postales satiriques, humoristiques et parodiques. Mona Lisa était ridiculisée, traitée de façon outrancière. Le vol avait soulevé un tel émoi que le tableau était désormais connu par l'ensemble de la société partout en Europe.

Face à cet excès de culte, une volonté de désacralisation et de démythification de l’œuvre apparaît dans les créations artistiques. C'est le cas de Marcel Duchamp avec son irrévérencieuse L.H.O.O.Q.
Qu'a fait Duchamp avec la Joconde? Il a choisi un objet fortement connoté et a créé une parodie. Il affuble la Joconde d'une moustache et d'un bouc. Il ne détourne pas uniquement pour faire rire. Il s'attaque à une œuvre « sacrée » et dénonce ce sentiment d'emprisonnement face aux canons et règles artistiques considérés par l'artiste comme étant passéistes. Il invente un nouveau code artistique. Mais la Joconde de Duchamp n'est pas seulement une caricature. Elle vient questionner le statut même d’œuvre d'art. Elle pose la question du chef-d’œuvre. L.H.O.O.Q. n'est pas une simple reproduction de la Joconde originale. Sous ses talents de provocateur, l'artiste veut nous faire voir une nouvelle œuvre. La Joconde est devenue un produit. Cette profanation subtile mais légèrement grossière fait aussi allusion à l’ambiguïté sexuelle de l'artiste. Duchamp transforme Mona Lisa en hermaphrodite et fait écho à tous ces écrits qui voulaient parler de l'homosexualité de Léonard de Vinci. Quant au titre il est loin d'être une innocente suite de lettres. La phrase prononcée à haute voix paraît, selon Duchamp, comme révélatrice du sourire si énigmatique de Mona Lisa.

LHOOQ Duchamp

DUCHAMP Marcel , L.H.O.O.Q. (recto), 1919, Reproduction présentée dans La Boîte-en-Valise, 1936 /1966, série F, assemblée par Jacqueline Matisse-Monnier. Boîte en carton recouverte de cuir rouge, répliques miniatures d’œuvres, 69 photographies en fac-similés, 40,7 x 38,1 x 10,2 cm , Centre Pompidou, Musée National d'Art moderne de Paris.

La Joconde est une superstar. Les artistes occidentaux ne sont plus les seuls à démythifier le chef-d’œuvre. En effet, les asiatiques ne sont pas en reste. En 1970, la Joconde prit la voie des airs pour se faire exposer au Japon. Cette escapade fit les gros titres de la presse. Plus de 18 000 personnes défilèrent chaque jour, pendant une semaine juste pour l'admirer.
Morimura Yasumasa représente la Joconde enceinte, avec un visage asiatique. La légende des œuvres dit « self-portrait ». Cet élément rejoint le problème de l'identité sexuelle de la véritable Joconde. La Mona Lisa de Léonard de Vinci avait les cheveux recouverts d'un fin voile transparent. Cet attribut était le propre des femmes enceintes ou de celles qui venaient d'accoucher. Le sourire mystérieux serait-il donc celui de la maternité ? Andrea del Giocondo, son second fils, est né en 1502. Un an après, Vinci débutait le portrait de Lisa Gherardini. La symbolique maternelle ne semble donc pas avoir échappé à cet artiste japonais. En observant l'image j'ai remarqué que celle-ci révèle un détail intriguant. Le bras de cette femme ressemble étrangement à celui d'un homme c'est-à-dire un bras velu, plus musclé, plus fort. Étonnant raccourci puisqu'il s'agit d'une femme enceinte. Est-ce là une manière pour l'artiste de montrer sa frustration de ne pas pouvoir donner la vie ? En tout cas, l'artiste semble connaître les discussions d'une maternité possible, et d'une identité sexuelle floue qui gravitent autour du tableau originel.

Morimura yasumasa mona lisa origin

YASUMASA Morimura , Mona Lisa in its origin, 1998 from self portrait as art history, 77 x 53 cm, Technique inconnue.

Morimura Mona lisa pregnancy

YASUMASA Morimura , Mona Lisa in pregnancy 1998, 77 x 53 cm, technique inconnue.

Morimura mona lisa third place

YASUMASA Morimura , Mona Lisa in the third place, 1998, 77 x 53 cm, Technique inconnue.

Banksy s'est lui aussi illustré en détournant le fameux portrait de Mona Lisa. Si la posture a changé, on reconnaît le visage du modèle. Le street artiste se démarque par la façon dont il réalise ses sujets. Sa tendance à l'irrévérence et à la subversion le démarque de ses contemporains. Sur une des images, la Joconde nous montre ses fesses. Elle a littéralement chaud au cul.

Banksy fi3

BANKSY, Mona Lisa avec un Bazooka, années 2000, peinture aérosol, pochoir, dimensions inconnues.

Banksy  fig1

Mona Lisa, attribuée à BANKSY, peinture aérosol, pochoir, dimensions inconnues. 

Phil Hansen a quant à lui décidé de reproduire la Joconde en utilisant des Hamburgers comme pinceaux. Si le résultat ne se mange pas, on ne peut pas enlever à l'action sa qualité de divertissement. L'art devient gras. Mais je me demande bien quel est l'intérêt d'utiliser de la graisse de steak pour représenter la Joconde. J'ai tendance à penser que son geste est gratuit, en tout cas l'auteur est intéressé simplement par distraire, se faire connaître et faire le « buzz » sur internet. Je ne peux pas parler de tous les détournements de la Joconde, tellement il y en a. D'ailleurs, les artistes ne sont pas les seuls à s'être distingués dans l'art du détournement. En effet, les créatifs de la publicité et les amateurs sur internet s'en donnent aussi à cœur joie.

Phil Hansen

HANSEN Phil, « Burger Grease art », 2009, (capture d'écran) visible sur Youtube

L'œuvre d'art n'est qu'un simulacre, un fantôme ou vestige du passé dans la publicité qui l'utilise. Certains annonceurs sont plus créatifs que d'autres. Si certaines publicités sont osées, choquantes, provocatrices, d'autres sont drôles, irrévérencieuses et ironiques. Elles sont parfois même de très mauvais goût, et réellement discutables. Les parodies à l'ère du numérique, des réseaux sociaux et d'internet sont nombreuses. C'est à se demander pour certaines, si Léonard de Vinci ne va pas se retourner dans sa tombe. Les détournements sur internet sont des pratiques beaucoup moins élaborées que dans la publicité ; peut-être même moins réfléchies. A priori, les jeux de détournement n'ont rien à vendre, sinon de dire que l'être humain est libre d'interpréter et de mélanger les images du monde. L'Homme désire partager ses moqueries sociales. Le détournement est une pratique de récupération et de recyclage qui s'est démocratisée. Tout n'est pas intéressant, et il faut tenter de faire le tri entre les multiples interventions. La Joconde est absolument partout. Les sites multiplient les listes « top 10 ou top 100 de la Joconde revisitée ». Mais souvent, ils sont de mauvais goût, jouent sur l'insolite, le provoquant et le connu alors quelle sera la suite de l'histoire de la Joconde ?

Mona lisa culturiste

Anonyme, La Joconde culturiste, sans date.

Joconde extraterrestre

Anonyme, La Joconde en extraterrestre sans date.

Anaïs


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Par Fanny Traum
posté le 17 septembre à 08:30

Le secret de La Joconde, révélé en direct à la radio : www.youtube.com/watch?v=XzqIlC5y040

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