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"Kaïken" de Jean-Christophe Grangé

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Cela fait bien longtemps que mes longs doigts de virtuose arthritique n’avaient tapé pour vous. Entre un été qui n’a pas eu lieu, et un hiver qu’on n’attend déjà plus, Septembre est un bâtard que l’on aime détester.  Le mois du spleen et des romances sans paroles que l’ennuyeux cirque Goncourt ne saurait embraser. J’aurais dû vous parler du « Pain nu » de Mohamed Choukri, court récit autobiographique incisif et saignant. De la belle découverte d’ « Isaac le pirate », par Christophe Blain, ou de mon rendez-vous manqué avec Thierry Jonquet.  « Ecrire, c’est mettre en ordre ses obsessions » disait Jean Grenier, sans avoir lu 2000 pages de Jean-Christophe Grangé. En attendant que "Le masque et la plume"m’appelle, parlons meurtre, tueur en série et policier alcoolique, bref parlons polar. Ma récente critique de « L’homme chauve-souris » par Jo Nesbø avait tourné au massacre. Il aura fallu un Relay en gare pour me faire rechuter. Choisir un ouvrage potentiellement illisible à 3 minutes de 3 heures de joie ferroviaire requiert un courage que je n’ai pas. Face au train, je suis d’une lâcheté sans limite. Peu de François Simon en moi, pas question de prendre le risque de regarder trop longtemps l’hypnotique paysage défilant à 90km/h. Un café à écoulement par dosette (le seul endroit au monde où ce système est utilisé), un siège en moleskine orange, une clim’ absente ou frigorifiante. Il ne manque que le chef d’œuvre littéraire pour continuer à soupirer amoureusement.
L’avis de JB

Glaives et katanas
Nous sommes en 2000, et mes derniers francs passent dans Gladiator. Aucun doute, je vis un grand moment de cinéma, persuadé que Maximus est le Scarface annonçant le bug de cette fin de siècle. Caché dans mon absence de grenier, je guette un dragon blanc à moustache, alcoolisé, qui m’emmènerait enfin voir la tour d’ivoire. Gueule de champomy et magie du cinéma en province, Grangé et moi faisons indiscrètement connaissance grâce à Mathieu Kassovitz et ses moines yamakazi. Il nous aura fallu 14 ans, et beaucoup de coïncidences, pour nous retrouver en vacances, par hasard, sur une plage du bout du monde.
Quand j’ouvre un polar à la couverture flashy, je ne m’attends pas à ce que la qualité de l’écriture me fasse frissonner de satisfaction.  Si l’enquêteur et le tueur sont un peu rusés, et que le décor ne s’effondre pas, Carthage peut tomber : mon enthousiasme tient bon.
« Kaiken »  a été une bonne surprise, son policier japonophile vs l’accoucheur hermaphrodite du 9-3 a plus que tenu sa maigre promesse. Tout de suite plongé dans le récit par la qualité de sa première scène, je n’ai que très peu desserré la mâchoire pendant les 479 pages restantes. Le style est brut et sans fioriture, l’auteur tourne très peu en rond, et maximise ses effets par des phrases très courtes et incisives.
« Elle se gara sur le parking puis sortit du coffre sa valise, qu'elle fit rouler jusqu'au bâtiment. Une Rimowa. Les plus légères, les plus souples, les plus mobiles de toutes. Naoko avait testé chaque modèle. Elle était une championne du pragmatisme domestique. Si elle avait été originaire de Paris ou de Florence, elle aurait sans doute été plus sensible à la peinture, la sculpture, à l'art en général. Mais elle venait de Tokyo : ses priorités étaient l'adaptation, l'efficacité, la technologie. Elle était née d'un clic de souris, pas d'un coup de pinceau. »

Passant, notre enquêteur, est un peu caricatural, avec son ascétisme japonisant et ses méthodes de flic à l’ancienne ,mais le contexte un peu Mad Max du Paris contemporain s’y prête bien. Les deux ou trois twists sont bien sentis, et le travail documentaire sur le Japon semble avoir été fait avec plaisir voire sérieux.
Du miel et des apnéistes
Le journaliste parisien  vs apnéiste hématophile du sud-est asiatique aka  « La ligne noire » a, par contre, vu un peu trop gros.  Parce qu’à la différence de « Kaiken », il y a des longueurs, dans les descriptions notamment. Et puis il y a notre enquêteur, un journaliste sur le retour, autant ballotté par le tueur que par le récit. Transparent, notre Casper en quête d’exotisme joue les faire valoir plus que les concurrents de notre tueur apnéiste. Plus mise à mort que combat, le duel parait être joué d’avance, et se termine sur pirouette aussi prévisible qu’un titre de Marc Lévy. Deuxième rencontre et déjà un constat : il y a quelque chose avec la discipline, la rigueur et le contrôle de soi . Après le flic buveur de thé vert et amoureux de musique classique japonaise, un tueur qui aime se surpasser, prendre soin de son corps et dont l’aura repeint une prison thaïlandaise en quelques heures.
« ll était 11 heures. La forêt frémissait d'ombres et de lumière. Les feuilles, les lianes murmuraient des confidences d'eau et de sève, à travers les taches du soleil. De temps à autre, Marc apercevait la mer en contrebas. A chaque crique, la couleur des flots changeait. Infusions légères de turquoise et de jade. Profondeurs mentholées ou blocs de lavande à l'épaisseur de gouache. »

Je passe sur la romance entre le journaliste bedonnant et la mannequin maghrébine revancharde, ces choses-là n’arrivent pas dans la vraie vie.
Quand le diable vendange
Le flic ex-séminariste vs le diable, c’est un feu d’artifice le 15 juillet. Trop de promesses, trop de clichés et trop de passif Da Vinci code. Le choix du titre déjà, qui fait office de deuxième “quatrième de couverture” racoleur. Son poids pas franchement mannequin, de plus de 600 pages, qui, avant de savoir si ça va être bien, nous indique que ça va être long. L’histoire de Rox et Rouky maléfiques entre les deux potes ex-séminaristes policiers, l’un trop gentil, l’autre trop méchant , c’est juste pas possible. Toute la documentation religieuse, bien généraliste, entre aperçue 12 fois dans les 154 romans du même genre, c’est encore moins possible. La jeune adolescente traumatisée, peut être maléfique, cachée par des moines combattants intégristes, c’est le haut le cœur. Après plusieurs centaines de pages comme ça, ce n’est plus le moment des profiteroles. Pas grave, la fin de l’ouvrage, c’est profiteroles avec nougat glacé :
« Le diable ne donne rien pour rien. Au moment où le sujet meurt, Satan propose son marché. La vie sauve contre une totale soumission. La promesse de faire le mal. On appelle cette "transaction" le Serment des Limbes...."Lex est quod facimus". Le possédé écrira la loi nouvelle par ses crimes. »

Je lis à l’instant sur Babélio que « Grangé nous fait voyager, Paris, Besançon, la Suisse, l'Italie, La Pologne, immergeant à chaque fois le lecteur dans ces lieux insolites, c'est aussi la grande force de l'écrivain ». Je vais à mon tour vous donner un conseil : Si vous croisez « Le Serment des limbes » dans un rayonnage, sortez le crucifix, le diable a, pour sûr,  laissé un peu de lui dedans.
A lire ou pas ?
« Kaiken » mérite d’être lu, « La ligne noire » d’être feuilleté et « Le Serment des limbes » d’être oublié.  Borgne inculte dans la jungle étouffante des polars, j’ai trouvé du bon dans Grangé. Pas de quoi convulser, mais un bon divertissement qui ne trompe pas son public. Un bémol généralisé à adresser au graphiste, les ouvrages font très Barbare Cartland ou Daniele Steel et les quatrièmes de couvertures, comment dire….

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