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À Chantilly, la crème ne prend qu'à moitié

Publié le 05 octobre 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone

Giovanni di Paolo (Sienne, 1398 - id., 1482) Cinq anges dansant au pied d’un trône , c. 1430 - 1435 Bois (Tempera sur panneau de peuplier) Chantilly, musée Condé © RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / Harry Bréjat

Le Domaine de Chantilly présente, du 8 septembre 2014 au 4 janvier 2015, dans la salle du Jeu de Paume, une exposition intitulée « Fra Angelico, Botticelli… Chefs-d’œuvre retrouvés », l’occasion pour quelques chercheurs de faire le point sur certaines peintures italiennes phares du musée Condé, ancienne collection du duc d’Aumale léguée à l’Institut de France en 1886. Cette manifestation s’inscrit dans un intérêt plus vaste pour la peinture italienne du XVe siècle, à l’honneur depuis quelques années comme l’ont montré quelques expositions : « Fra Angelico et les maîtres de la lumière » au musée Jacquemart-André en 2011, « le Printemps de la Renaissance » au musée du Louvre en 2013, mais aussi, en ce début d’année, « Pérugin, maître de Raphaël », une fois de plus organisée par le musée Jacquemart-André, propriété de l’Institut de France comme le Domaine de Chantilly.

L’exposition « Fra Angelico, Botticelli… Chefs-d’œuvre retrouvés » est née du souhait de réunir certaines œuvres que les aléas de l’histoire avaient dispersées. En effet, de nombreux polyptyques peints – des tableaux composés de plusieurs panneaux de bois assemblés – ont été démembrés afin d’intégrer le marché de l’art pour être plus facilement vendus. C’est pour cela que plusieurs éléments d’une même œuvre se retrouvent éparpillés à travers le monde, et la quasi-totalité des visiteurs des musées n’ont pas conscience de ne regarder que des fragments de pièces plus importantes, qui faisaient sens dans leur totalité et semblaient indivisibles à l’époque de leur élaboration. Les conditions du legs du duc d’Aumale empêchant les œuvres du musée Condé de quitter le Domaine de Chantilly, il était donc nécessaire pour les organisateurs de l’exposition – Michel Laclotte, Nicole Garnier et Nathalie Volle – de faire venir quelques-unes des pièces manquantes afin de compléter certains ensembles.

Guido di Pietro dit Fra Angelico (v. 1395, Vicchio di Mugello - 1455, Rome) et son atelier Scène de la Thébaïde : Saint Benoit en extase au désert Chantilly, musée Condé © RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / René - Gabriel Ojéda

Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi dit Sandro Botticelli (Florence, 1445 - Florence, 1510) et Filippino Lippi (Prato, v. 1457 - Florence, 1504) Scène de l’histoire d'Esther : Le choix d’Esther par Assuérus Chantilly, musée Condé © RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / René - Gabriel Ojéda

Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi dit Sandro Botticelli (Florence, 1445 - Florence, 1510) et Filippino Lippi (Prato, v. 1457 - Florence, 1504) Scène de l’histoire d'Esther : Le choix d’Esther par Assuérus Chantilly, musée Condé © RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / René - Gabriel Ojéda

L’exposition s’organise en plusieurs temps : après une première évocation de la peinture florentine du XIVe siècle, une partie importante est consacrée à l’œuvre de Fra Angelico. Ensuite, quelques œuvres siennoises sont présentées au public, mais le propos se recentre sur Florence pour envisager la production d’un autre grand artiste, Filippo Lippi, et terminer sur les quelques innovations marquantes qui ont émergé de ce foyer artistique à la fin du XVe siècle. On ne peut que constater l’effort fourni par les organisateurs pour présenter des œuvres de qualité – parfois restaurées –, et de réunir des pièces qui jamais n’avaient pu être réunies. Les deux temps forts de l’exposition sont en effet la Thébaïde de Fra Angelico (dispersée entre Chantilly, Anvers, Cherbourg et Philadelphie) et deux panneaux de cassoni sur l’histoire d’Esther par Filippo Lippi et Botticelli (Chantilly et Louvre). Tout au long du parcours, des écrans proposent des reconstitutions complètes des œuvres.

Mais outre ces deux points forts – qui, soyons honnêtes, ne raviront que les initiés –, l’exposition « Fra Angelico, Botticelli… Chefs-d’œuvre retrouvés » est dans l’ensemble assez rapide, imprécise, et manque souvent son but initial qui était, rappelons-le, le mettre l’accent sur le côté fragmentaire des œuvres exposées, au profit d’une présentation linéaire. Une sorte de « best-of » des collections du duc d’Aumale, agrémenté çà et là de prêts prestigieux et saupoudré d’équipements multimédias à la mode. Tout d’abord, les textes sont obscurs pour celui qui ne sait pas qui est Donatello ou Luca della Robbia : eût-il été trop compliqué de préciser qu’il s’agit de deux grands sculpteurs ? Trop de noms sont accumulés et peu expliqués au grand public. Il en va de même pour les cartes, assez pauvres dans certains cas et qui ne mettent pas suffisamment en relief les caractéristiques propres à chaque œuvre (disponibles, il est vrai, dans le catalogue – mais qui de nos jours visite une exposition après avoir acheté un catalogue à plus de 20 € ?).

Atelier de Léonard de Vinci ? Femme nue, dite La Joconde nue ou Monna Vanna Chantilly, musée Condé © RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / Gérard Blot. Oeuvre restaurée

Atelier de Léonard de Vinci ? Femme nue, dite La Joconde nue ou Monna Vanna Chantilly, musée Condé © RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / Gérard Blot. Oeuvre restaurée

Piero di Lorenzo dit Piero di Cosimo (Florence, v. 1461 - id., 1522) Portrait de Simonetta Vespucci Chantilly, musée Condé

Piero di Lorenzo dit Piero di Cosimo (Florence, v. 1461 - id., 1522) Portrait de Simonetta Vespucci Chantilly, musée Condé

Mais le véritable défaut de cette manifestation est la présence écrasante des écrans présentant les œuvres reconstituées dans leur totalité. Les différents panneaux sont balayés par des gros plans, et il faut attendre un certain temps avant de saisir le polyptyque dans sa totalité ; de plus, sur la reconstitution présentée, il n’y a aucun indice qui nous permette d’identifier rapidement quels sont les panneaux présents dans l’exposition. Ces écrans font en quelque-sorte illusion en comblant des vides importants sur les cimaises, qui auraient pu être évités si d’autres prêts avaient été obtenus. Ils dégagent une lumière, appellent l’œil du visiteur et le détourne des œuvres, qui sont pourtant les éléments principaux de l’exposition. Il est fort à parier que le public, dans cette exposition, passe plus de temps devant les écrans que devant les peintures, ce qui est dramatique. Il faut utiliser ce genre de dispositifs pédagogiques, mais sans en abuser.

Ainsi, cette exposition reste difficilement accessible à tous malgré certains équipements. Les œuvres présentées, pour certaines formidables rappelons-le, intègrent parfois des séquences clairement destinées à combler des vides, comme dans le dernier couloir où sont présentés de nombreux dessins sans aucun lien direct avec le propos central (mais que fait cette « Joconde nue » ici ?). Une sorte de conclusion bâclée une exposition qui aurait considérablement gagné en intérêt si le rapport entre les œuvres, les textes et les écrans avait été mieux calculé.

Exposition « Fra Angelico, Botticelli… Chefs-d’œuvre retrouvés »

du 8 septembre 2014 au 4 janvier 2015

Plein tarif : 10 euros

Salle du Jeu de Paume, Domaine de Chantilly

- du 30 mars au 2 novembre

10h00 - 18h00, fermeture du parc à 20h00

- à partir du 3 novembre

10h30- 17h00, fermeture du parc à 18h00

ouvert tous les jours


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