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Euterpê kai Thanatos

Publié le 31 octobre 2014 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

ankouDepuis qu’Halloween est à la mode en France, je me suis juré de ne jamais la fêter. D’une part, en tant que croyante, je respecte trop la Toussaint et le jour des morts (qui est le 2 novembre) pour rigoler de ces choses-là. D’autre part, la descente de sève a frappé tant de personnes dans ma famille que j’ai l’impression de porter un deuil permanent durant cette période. Bref, je ne suis pas dans le délire des zombies, des films d’horreur et de tous ces trucs comme ça. Si je veux me déguiser, Carnaval et Mardi-Gras me suffisent bien comme ça.

Malgré tout, pourquoi pas parler de l’inspiration que la mort et les esprits ont insufflée à la musique ? Cette inspiration est d’ailleurs tout aussi ancienne dans les chants humains que l’amour ou le rapport au sacré.

C’est d’ailleurs en des termes religieux que les premières évocations musicales de la mort sont avérées. Pour le monde occidental, outre les antiques psaumes dont les musiques semblent avoir été conservées par le bouche à oreille dans la culture juive, les premiers chants mortuaires du monde chrétien qui nous sont parvenus sont les requiem, dont les évocations les plus anciennes datent du VIIIe siècle et dont les compositeurs de style classique nous font parvenir des interprétations jusqu’à l’époque contemporaine. Outre l’ordinaire de la messe (Kyrie, Gloria, Agnus Dei, Sanctus), se retrouvent des occurrences telles que le In paradisium, Requiem aeternat ou, le plus évocateur, le Dies Irae :

qui a été repris, sous cette forme, pour la bande originale de Shining (1980).

Ce poème, datant du XIe siècle, évoque l’Apocalypse et la parousie de Jésus à la fin des temps, au moment du Jugement Dernier (d’où le Jour de Colère). Si la forme grégorienne (voir ci-dessus) parait morne et sans aspérités (normal, quand on connaît la propension du monde monastique à l’absence de sentimentalisme), son interprétation dans la musique classique se doit d’être plus flamboyante pour insuffler l’esprit de colère du poème. Nous voyons ceci avec cette composition de Wolfgang Amadeus Mozart :

Mais c’est encore plus frappant avec l’interprétation de Guiseppe Verdi :

(Truc chelou en direct live : au moment où je consulte la vidéo, juste avant le lancement sur YT, un oiseau passe un peu trop près de la fenêtre et se cogne. Flippant…)

A partir du XVIe siècle, on assiste à la popularisation de la composition profane et à la fin de l’anonymat, tant pour les compositeurs que les destinataires. Et les évocations de la mort dans la musique suivent le même chemin : c’est pour pleurer les puissants que l’on compose d’abord à la sortie du Moyen-Âge. En témoigne le poème non signé Si mort a mors, en l’honneur de la duchesse Anne de Bretagne, et mis en musique par le groupe nantais Tri Yann en 1981 :

En témoigne également Music for the Funeral of Queen Mary (1695), composée pour les funérailles de Marie II d’Angleterre par Henry Purcell, musique qui servira du fait à son propre enterrement quelques mois plus tard. Preuve que Stanley Kubrick était inspiré par les atmosphères morbides, la marche issue de cette œuvre a été intégrée à la bande originale de Orange Mécanique (1971) :

Mais on ne fait pas que pleurer les morts dans la musique et dans l’art. Il arrive aussi qu’on représente la mort à travers des danses. C’était tout le propos des représentations de danses macabres dans les représentations picturales de la fin du Moyen-Âge, où l’on figurait la Mort qui entraîne riche comme pauvre dans une farandole menant vers la pourriture et l’examen de conscience. Resituons le contexte : la Peste noire, la Guerre de Cent Ans, etc. Donc autant vous dire que le contexte global, c’était la fête du slip. Comme la mort en était venue à ce point de normalité à la fin du Moyen-Âge, autant la représenter de manière un peu fun… C’est également le propos de Camille Saint-Saëns qui, en 1874, imagine un bal où Satan et la Mort se croisent et dansent ensemble, le temps d’une nuit :

La musique populaire contemporaine n’est pas en reste. Outre les multiples chansons que l’on évoque lorsqu’on veut se souvenir de quelqu’un de proche (cela va de Angel de Robbie Williams à My Heart Will Go On de Céline Dion, en passant par Someone Like You d’Adele et On se retrouvera de Francis Lalanne – perso, pour évoquer mon père, ce serait davantage Bittersweet Symphony de The Verve et Let It Be des Beatles), les artistes contemporains se sont interrogés sur la mort et le deuil. On peut citer à ce titre Le paradis blanc de Michel Berger (1990) :

et Tears in Heaven d’Eric Clapton (1992) :

Enfin, ce que vous attendez tous, petits malins : le moment creepy du papier (puisqu’on le rappelle, c’est Halloween) : la musique contemporaine, notamment tout ce qui se rapproche du metal, est régulièrement accusée de tous les maux. Ca va de l’incitation au meurtre/suicide à tout ce qui peut être associé à la magie noire et à la nécromancie, en passant par des théories du complot un peu weird. C’est ainsi qu’Internet recueille régulièrement des rumeurs disant que la mort de tel artiste était prévisible lorsqu’on écoute son œuvre (le fameux Shoot Me de Lennon dans Come Together). Plus grave encore, certains sont persuadés que tel ou tel artiste est encore en vie (Elvis Prestley, Michael Jackson) ou déjà mort, et que la réponse vient de certaines œuvres musicales écoutées en backmash (à l’envers, quoi). A titre d’exemple, le très flippant Revolution 9 qui, écouté à l’envers, outre diverses incantations à Satan (c’est d’un banal), accréditerait la thèse que Paul McCartney serait mort en décembre 1966 dans un accident de voiture :

Encore plus creepy : les deux Beatles responsables de cette mauvaise descente de LSD qu’est ce morceau – à savoir John Lennon et George Harrison – sont déjà effectivement morts à l’heure où je vous parle. Comme quoi, à force de faires des conneries, on attire le mauvais œil.

La musique et l’art en général n’ont donc pas attendu les représentations de l’horreur et du surnaturel pour s’intéresser à la finitude de toute vie humaine. Mais ne peut-on pas voir Halloween, au même titre que la Toussaint, comme une résurgence de l’interrogation ancienne et légitime de la vie après la mort dont il faudrait fixer le passage d’un état à un autre par l’art ?



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