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Chems Eddine Chitour, la footballisation des esprits

Par Alaindependant

« Du pain et des jeux proclamait Jules César pour calmer la plèbe, nous rappelle Chems Eddine Chitour. Deux mille ans après J.-C., les jeux sont planétaires et la malnutrition frappe plus d’un milliard d’êtres humains. Les jeux sont devenus hyper-médiatisés et utilisés pour détourner l’attention des peuples et l’endormissement généralisé des masses, le sport de haut niveau devient l’opium du pauvre…….Phénomène sociologique majeur qui cristallise les passions des plus vils aux plus nobles, libérateur de pressions et de frustrations multiples. Il exacerbe le nationalisme du spectateur avec son petit drapeau qu’il agite, qu’il porte en maillot ou qu’il s’est peint sur la figure. Ces joueurs, gamins impolis et immatures, élevés comme du bétail, avec des salaires indécents, accrocs aux jeux vidéo, aux portables. Et, pour finir, comble de l’ironie, ces chômeurs et ces smicards qui, n’arrivant pas à boucler leurs fins de mois, applaudissent avec frénésie cette farce qu’ils alimentent. La footballisation des esprits, cet engouement planétaire fait partie, l’écrivions-nous dans une contribution précédente, de la stratégie du néolibéralisme qui crée des besoins chez l’individu qui devient de ce fait esclave du divin marché... »

Entrons dans cette footballisation des esprits.

Michel Peyret


Pour en finir avec l’instrumentalisation des foules: Le tragique canular du football business

Par Chems Eddine Chitour

Mondialisation.ca, 27 novembre 2013

«Avant de demander à ton pays ce qu’il peut faire pour toi, demande-toi, ce que tu peux faire pour le pays»

John Fitzgerald Kennedy, 32e président des Etats-Unis


Il y a 50 ans disparaissait le plus jeune président des Etats-Unis, justement le 22 novembre 1963. Cet exemple est pris à dessein pour faire l’apologie d’un président fasciné par le destin de son pays, qui a promis deux choses aux Américains. D’abord, la Lune: «Dans moins de dix ans, nous irons sur la Lune, déclara- t-il en 1960. Nous abolirons la ségrégation.» Ces deux choses se réalisèrent après sa mort. La commémoration de l’événement tragique de sa mort a correspondu a trois jours près avec un autre non-événement celui de la footballisation des esprits dans le monde et particulièrement dans les pays du Sud où le formatage pluridimensionnel des foules fait d’eux des automates qui tombent dans une douce euphorie sous l’effet ce cette drogue éphémère qui leur permet d’oublier, l’espace de quelques heures, le tragique de leur condition.

Qu’en est-il réellement de cette nouvelle religion?

A l’instar des religions classiques et dans le sillage du money-théisme, le football, représenté par la Fifa, a ses prêtres, ses règles, ses dieux que l’on doit adorer ou haïr selon une mercuriale bien huilée avec des vassaux consentants mais qui y trouvent leur compte en définitive, il s’agit des médias dont le rôle est d’empêcher par tous les moyens le citoyen ou ce qu’il en reste, car il est surtout un consommateur, de réfléchir, son rôle n’est pas de penser mais de dépenser et de prendre au quotidien sa drogue en se shootant au foot. Il n’est que de voir comment les médias de droite, de gauche, du Nord, du Sud, des idéologues rétrogrades de ceux qui se piquent d’être modernes et éclairés sacrifient au veau d’or de la planète foot.

Le foot business entretenu par les sponsors et tous ceux qui puisent dans la manne pétrolière à des degrés divers, cela va de l’entreprise pétrolière qui puise dans le viatique des générations futures en faisant le «bon prince», aux concessionnaires de voitures, aux vendeurs de béton, de pâtes, aux vendeurs de bavardages par portables interposés qui, avec la complicité des médias, fabriquent ou démolissent des joueurs dont on cache pudiquement les «exigences en terme de cachet» pour amuser les foules. Les sponsors voient leur chiffre d’affaires augmenter et les joueurs de l’Equipe nationale leur servent d’appât pour faire vendre.

En France par exemple, l’enjeu est considérable pour la presse sportive. Pour L’Équipe, par exemple, le Mondial fait gagner sur l’année 1% à 2% de chiffre d’affaires et 5% de publicité. La Fédération FFF devait donc essuyer une baisse comprise entre 1,5 et 2,5 millions de ses recettes sponsoring en cas de non-qualification de l’équipe de France.

Quand un joueur gagne en un match le gain de toute une vie pour un besogneux- il ne faut pas s’étonner de l’échec des sociétés sous développés qui déifient des soporifiques éphémères qui leur donnent l’illusion que ce sont des sociétés évoluées où il fait bon vivre. Quand on voit un joueur adulé par les médias, notamment lourds, quand des officiels tiennent à montrer leur proximité sans en relativiser l’impact social, nous sommes convaincus que nous allons plus que jamais à l’échec. Nous sommes en droit de nous interroger si nous ne sommes pas effectivement une République bananière avec les bananes en moins.

Corruption à la Fifa

Et pourtant, ce veau d’or que l’on adore, le football, son clergé: la Fifa, qui est tout sauf un modèle de vertu, d’honnêteté. La Fifa, gardienne du temple du football, fondée en 1904, a pour leitmotiv la défense des valeurs du sport et la promotion des valeurs humanistes (comme les innombrables campagnes contre le racisme semblent l’indiquer). Mais elle a rarement fait appel à la morale pour gérer son business. Nous allons rapporter en honnêtes courtiers deux évènements qui ont défrayé la chronique.

Comme l’explique ´´Cash investigation´´, pour être assaini, le football mondial aurait besoin d’un exemple venu de l’échelon supérieur: la Fifa. Sauf que l’instance dirigeante est loin, très loin même d’être irréprochable. Rapport de la justice suisse à la main, Jérôme Valcke, n° 2 de la Fifa est bien embêté lorsqu’il doit justifier la présence dans l’organigramme de certains de ses collègues mis en cause dans une vaste affaire de corruption: ISL (Sports and Leisure), une société de marketing, avait obtenu l’exclusivité des droits pendant plusieurs Coupes du monde avant les années 2000 grâce aux pots-de-vin. Joao Havelange (président de la Fifa entre 1974 et 1998) a notamment touché 1,2 million d’euros, tout comme Nicolas Leoz du comité exécutif, qui a reçu 590.000 euros de la part d’ISL. Profitant d’un vide juridique, l’instance internationale a pu éviter le procès à ses dirigeants grâce à un gros chèque de compensation. Ce qui n’a pas empêché la justice helvète de préciser que Sepp Blatter, président de la Fifa, ne pouvait ignorer ces agissements.» (1)

Dans le même ordre, le 29 janvier 2013 le journal France Football s’attaque violemment à un événement qui avait soulevé nombre de réactions: l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022. En cause, les deux principaux intéressés, le Qatar, pays hôte désigné, et la Fifa, l’instance décisionnaire. Les faits avancés par le journal sont lourds, graves, moralement abjects et certainement répréhensibles pénalement. Au programme, achats de votes, interceptions de mails, conflits d’intérêts etc. Les millions en jeu dépassent l’entendement et le nom des personnalités impliquées fait froid dans le dos. Notamment celles participant à cette réunion secrète du 23 novembre 2010 au… palais de l’Élysée!» (2)

«Ce jour-là, poursuivent les auteurs, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy convie Michel Platini, président de l’Uefa, Tamim bin Hamad al-Thani, prince du Qatar, et Sébastien Bazin, président du Paris-SG de l’époque. Et là, la teneur des propos tenus – s’ils sont avérés – témoigne d’une stratégie qatarie parfaitement huilée. Le prince du Qatar veut une chose: le vote de Michel Platini. Et pour cela, il se serait dit prêt à – accrochez-vous! – racheter le PSG, augmenter sa présence dans l’actionnariat du groupe Lagardère et créer une chaîne de sport pour concurrencer Canal+. Le tout évidemment en faisant la part belle aux entreprises françaises de BTP au moment de la future construction de la dizaine de stades qui accueilleront le Mondial 2022… Connivence, conflits d’intérêts, collusion font partie de l’ADN de cette institution dont l’histoire est rythmée par les scandales. (…) La Fifa sort impunie de ces scandales. Pourquoi changer ses habitudes?…» (2)

S’agissant du Mondial 2022 au Qatar, Amnesty International s’est justement inquiétée, le 17 novembre, des conditions de travail ´´alarmantes´´ des ouvriers immigrés au Qatar. Les conclusions de son rapport, fruit montrent ´´un niveau alarmant d’exploitation dans le secteur de la construction´´, et soulignent que l’emploi des ouvriers ´´s’apparente dans certains cas à du travail forcé´´, a déclaré le secrétaire général d’Amnesty, Salil Shetty. ´´Il est simplement inexcusable que tant de travailleurs immigrés soient impitoyablement exploités et privés de leur salaire dans l’un des pays les plus riches du monde´´, a-t-il ajouté. (3)

Le Qatar tente de minimiser l’affaire des conditions de travail auxquelles sont soumis les ouvriers étrangers sur les chantiers du Mondial 2022. Le président de la Fifa, Blatter, avait indiqué que les responsables du Qatar avaient promis que ´´les lois sur le travail seront amendées ou sont déjà en cours d’amendement´´. Nul doute que le problème sera enterré.

La footballisation des esprits

 « Par quelle étrange raison, lit-on sur le site Agoravox, ce sport fait-il vibrer maintenant la planète entière? Comment n’a-t-on pas su plus tôt que la Terre n’était qu’un gigantesque ballon, envoyé dans l’espace par un dieu farceur? La question fondamentale qu’on se pose bien sûr est celle ci: tout cela a-t-il un sens? Et surtout: le football plaît jusqu’à la démesure car tout le monde s’y retrouve! N’importe quel gosse peut rêver de faire partie de l’équipe de France et pallier à cette angoisse existentielle liée à l’absence d’un job, C’est le reflet de la société disent les sociologues. (…)Le foot encourage et récompense les comportements déviants, en leur donnant une prime. Les gamins d’Afrique, d’Asie, ou du Brésil, peuvent faire du foot pieds nus, entre les flaques, avec une boîte de conserves… (…)D’autres grands esprits se sont passionnés pour le football, quoique, comme Umberto Eco l’a fait dans «la guerre du faux», de façon plus froide et critique: «…. Le discours sur le football demande une compétence certainement pas vague, mais assez limitée, bien centrée: Il permet de prendre position, d’exprimer des opinions, de souhaiter des solutions sans risquer l’arrestation, ou le soupçon. Il n’impose pas de s’exposer personnellement, parce qu’on parle de quelque chose qui se joue à l’extérieur de la zone du pouvoir du sujet parlant. Il permet en somme de parer à la gestion de la chose publique sans toutes les angoisses, les interrogations, et les devoirs de la discussion politique…» (4)

Du pain et des jeux proclamait Jules César pour calmer la plèbe. Deux mille ans après J.-C., les jeux sont planétaires et la malnutrition frappe plus d’un milliard d’êtres humains. Les jeux sont devenus hyper-médiatisés et utilisés pour détourner l’attention des peuples et l’endormissement généralisé des masses, le sport de haut niveau devient l’opium du pauvre…….Phénomène sociologique majeur qui cristallise les passions des plus vils aux plus nobles, libérateur de pressions et de frustrations multiples. Il exacerbe le nationalisme du spectateur avec son petit drapeau qu’il agite, qu’il porte en maillot ou qu’il s’est peint sur la figure. Ces joueurs, gamins impolis et immatures, élevés comme du bétail, avec des salaires indécents, accrocs aux jeux vidéo, aux portables. Et, pour finir, comble de l’ironie, ces chômeurs et ces smicards qui, n’arrivant pas à boucler leurs fins de mois, applaudissent avec frénésie cette farce qu’ils alimentent.

La footballisation des esprits, cet engouement planétaire fait partie, l’écrivions-nous dans une contribution précédente, de la stratégie du néolibéralisme qui crée des besoins chez l’individu qui devient de ce fait esclave du divin marché, pour reprendre l’expression du philosophe Dany Robert Dufour. Cependant, les dégâts du néolibéralisme ne sont pas les mêmes selon que l’on soit au Nord comme au Sud. Examinons pour commencer le phénomène de société dans les pays du Sud.

Le philosophe Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grand-messe planétaire orchestrée par «la toute-puissante multinationale privée de la Fifa». «Il suffit, écrit-il, de se plonger dans l’histoire des Coupes du Monde pour en extraire la longue infamie politique et la stratégie d’aliénation planétaire.(…) L’expression du capital le plus prédateur est à l’oeuvre: (…).(…) Trop d’intellectuels ont succombé aux «passions vibratoires» et aux «extases» sportives; ce sont eux qui légitiment à présent, l’horreur sportive généralisée: violences, dopage, magouilles, crétinisme des supporters, etc. (…) Cela tient à sa structure même: le football est organisé en logique de compétition et d’affrontement. Jouer ce spectacle par des acteurs surpayés devant des smicards et des chômeurs est aussi une forme de violence. (…)La symbolisation de la guerre n’existe pas dans les stades, la guerre est présente. Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d’un vulgaire et d’une absurdité éclatants. (…)» (5)

Justement, pour parler de l’indécence des sommes colossales perçues, il faut savoir par exemple, que dix joueurs les mieux payés dont David Beckam, Ronaldinho Gaucho, Whyne Rooney ont reçu en une année 135 millions d’euros en salaires, primes, droits de sponsoring… soit en moyenne 20 millions de dollars par individu (55.000 $/jour, contre 2$/jour en moyenne pour un Africain). On rapporte que le mathématicien russe, Grigori Perelman, a ignoré le prix d’un million de dollars. qui lui était attribué par l’Institut mathématique de Clay pour avoir prouvé l’hypothèse de Poincaré, Perelman dit et veut dire qu’il ne veut pas travailler pour le fric ni pour les récompenses.» (5)

Qu’en est-il de l’opium du football en Algérie?

Le foot n’est plus un jeu sportif, mais plutôt un enjeu politique et financier. Ainsi, nous pouvons dire qu’il y a, dans le cas de l’Algérie, un véritable conflit entre le stade et la mosquée. En Algérie, l’Ecole ne fait plus rêver. Elle ne joue plus son rôle d’ascenseur social et ne discrimine plus entre «ceux qui jaillissent du néant» et les laborieux et les sans-grade qui cumulent en une carrière ce que perçoit un joueur en une saison.

De ce fait, certains parents l’ont bien compris, ils cherchent pour leurs enfants la rampe de lancement la plus juteuse en termes de fortune rapide, ils ne cherchent pas la meilleure école pour leurs enfants, mais le meilleur club pour inscrire leurs enfants. Quelle est la valeur ajoutée pour le pays d’un joueur par rapport à un universitaire besogneux qui doit se réincarner plusieurs fois pour atteindre la prime donnée en une fois à un joueur lors de cette Coupe du Monde?

On sait que le néolibéralisme investit l’industrie du plaisir fugace et ne s’installe pas dans la durée, il vole d’opium en opium en «extrayant de la valeur» au passage, laissant l’individu sujet consommateur sous influence en pleine errance avec des réveils amers, où il retrouve la précarité, la mal-vie en attendant un autre hypothétique soporifique. Dans ces conditions et pour être franc, les sans-voix en ont ras-le-bol; envahis, les besogneux invisibles en ont marre de ce cirque qui coûte des milliards aux contribuables et par le pompage frénétique d’une ressource qui appartient aux générations futures.

Cette invasion des médias nous rapporte d’une façon obséquieuse les phrases pauvres de ces nouveaux dieux. Nous sommes fatigués par les interviews au vocabulaire pauvre et insipide, nous sommes saturés par les cérémoniaux qui comme pour bien faire, en imitant les médias européens. Nous sommes écoeurés par les faux semblants de ceux qui se forcent à aimer le foot en attendant un retour sur investissement.

Nous sommes surtout inquiets pour ce pays quand des universitaires prestigieux, qui ont consacré leur carrière, ont été reçus et récompensés d’une façon clandestine, en l’absence des plus hautes autorités, devant l’indifférence des foules et le mépris des médias. Ce n’est pas demain que l’on verra le directeur d’un média lourd se faire tirer le portrait avec un chercheur qui, on l’aura compris, ne pèse rien ou si peu dans l’échelle actuelle des valeurs.

Quand John Fitzgerald Kennedy, s’est adressé à la jeunesse de son pays, c’était pour l’inviter à tout faire pour conquérir la lune. Mutatis mutandis, adressons nous à cette jeunesse pour lui demander de penser à l’Algérie de demain, celle de l’effort, du travail bien fait qui nous donnera une satisfaction dans la durée au lieu et place du soporifique sans lendemain qui est à bien des égards l’antithèse de toutes les valeurs que l’Ecole tente d’inculquer en vain.

Plus largement et au risque de contredire Eric Zemmour et sa croisade contre les mélanodermes et autres caillasses, lui-même ayant la mémoire courte étant un émigré comme  les autres, les victoires des équipes algériennes et françaises sur les Champs Elysées sont, si on sait y faire des moments de concorde qu’il faut multiplier à l’infini pour aller justement à ce désir d’être ensemble, si cher à Renan et que les Zemmour Finkielkraut font tout pour briser. Soyons vigilants, si le libéralisme sauvage est déjà notre adversaire car responsable de cette extasy de l’éphémère, il ne faut pas oublier  aussi de combattre tous les briseurs de convivialité qui par  procuration -sans qu’il soient eux mêmes concernés, limitent l’être français aux assiégés d’Alésia mais ceci est aussi un autre débat.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

http://www.metronews.fr/sport/cash-investigation-sur-le-football-business-quand-la-fff-et-la-fifa-laissent-faire/mmil!94h8RqDOMVNU/

2.  A.Bordet A. Ferret: la Fifa soupçonnée de délit de favoritisme Le Point 30/01/2013

3. Amnesty dénonce l’exploitation des ouvriers immigrés au Qatar, Le Monde.fr 18.11.2013

4. http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/du-foot-autres-balivernes-et-144033

5. C.E. Chitour http://www.legrandsoir. info/La-footballisation-des-esprits-Que-reste-t-il-des-valeurs-fondamentales.html


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