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Night Call, plongée nocturne au cœur du cynisme médiatique

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Night Call, plongée nocturne au cœur du cynisme médiatique

Dan Gilroy frappe un grand coup en forçant la petite porte de la série B. Avec Night Call, il signe une satire sans équivoque la spectacularisation à outrance, de l’exploitation putassière des faits divers. Jake Gyllenhaal habite le film comme une ombre, comme le reflet malsain de nos médias poubelles. À ses côtés, Rene Russo est parfaite en cynique assumée et Riz Ahmed en jeune proie facile.

Lou Bloom (Jake Gyllenhaal), chômeur à Los Angeles, vit de petites magouilles et de vol de métaux qu’il revend. Après avoir assisté à un accident de la route, il décide de monter une entreprise de reportage sur les faits divers sordides. Pour ce faire, il embauche un jeune sans qualification, Rick (Riz Ahmed). Ils écument la ville la nuit, écoutant la radio de la police pour arriver au plus tôt sur les lieux des accidents et des crimes et filme au plus près les drames sanglants. Ils revendent leurs films à une présentatrice de télé locale, prête à tout pour faire de l’audience, Nina (Rene Russo).

Night Call, plongée nocturne au cœur du cynisme médiatique

Lou Bloom (Jake Gyllenhaal) et Rick (Riz Ahmed)

Lou Bloom est un homme froid, cynique, cherchant constamment à se vendre, et n’hésitant pas à acheter ses congénères. Il a totalement intégré ce qu’est devenu le monde du travail dans notre société capitaliste. Il sait que les valeurs de fraternité, de liberté et d’égalité ont été travesti par d’autres valeurs. Il sait que le principe du client-roi est devenu une valeur. Il sait que l’on peut agiter la valeur travail pour exiger n’importe quoi de ses salariés. Il sait que nous vivons dans un monde de chantage et qu’il vaut mieux faire miroiter un futur radieux que de le permettre réellement. Ainsi, il n’augmente pas Rick mais le promeut vice-président. Profitant de l’inexpérience du jeune homme dans cette jungle qu’est devenu le marché, il le laisse croire qu’une ascension sociale est possible s’il fait preuve de suffisamment d’abnégation. En un mot, un seul, il l’exploite. Dévoré par son incroyable ambition, le personnage de Lou Bloom semble voué à sa perte. Mais Night Call tient davantage du miroir à peine déformé que de la fable. Ici, on ne donnera pas une fin éthique au jeu macabre de Lou Bloom parce que Dan Gilroy ne veut pas nous faire croire à des chimères. Lou Bloom est proche du psychopathe, il est manipulateur, vénal et sans éthique justement. Tout ce qu’il faut pour réussir dans son métier. Il n’hésitera à aucune concession avec sa conscience. Dans la vraie vie, comme dans Night Call, les types bien, il meurt à la fin, et les salauds, ils présentent le journal télévisé.

Night Call, plongée nocturne au cœur du cynisme médiatique

Lou Bloom (Jake Gyllenhaal) et Nina (Rene Russo)

Dans Night Call, ce ne sont pas seulement les errements d’un seul homme se perdant dans sa propre nuit que l’on suit, ce sont les errements d’une société tout entière dévouée et adoratrice d’un spectacle continuel et morbide. Si Lou Bloom peut exister, c’est parce que des chaînes de télés achètent chère des images choquantes et voyeuriste. Des chaînes dirigées par des personnages à peine moins mégalomane que Nina. Mais si Nina existe, ne nous mentons pas, c’est parce qu’il y a un public, mal éduqué, crédule certes, mais un public en recherche de sensations fortes et se confortant dans la détresse d’autrui. On aimerait que Night Call ne soit qu’une fable, un conte moraliste. C’est malheureusement, une métaphore assez proche de la réalité. Il n’y a qu’à voir les audiences de COPS aux états-unis et celles de nos télé-réalités franchouillardes pour s’en convaincre. Nina n’a pas d’autre ambition que celle de faire peur à ces auditeurs, distiller une inquiétude diffuse sur une insécurité grandissante, si possible en stigmatisant des minorités. La plupart du temps, l’insécurité est un fantasme, une perception faussée de la réalité. À en croire nos médias nationaux, on ne pourrait plus sortir sans se faire trancher la gorge. Pernaut le dit si bien, entre deux reportages beaujolais/saucisson. Pourtant, nos villes n’ont jamais été si quadrillée par la police, si surveillées par les caméras de sécurité. Cherchez l’erreur. Il n’y a pas d’erreur, avec plus ou moins de complaisance, les médias jouent le jeu de politiques en manque de solution pour l’avenir qui remettent au goût du jour les bons vieux boucs émissaires…

Night Call, plongée nocturne au cœur du cynisme médiatique

Lou Bloom (Jake Gyllenhaal)

Night Call bénéficie du jeu radical de Jake Gyllenhaal passant du calme plat à la colère impromptu avec virtuosité. Le premier film de Dan Gilroy , aussi cynique que son sujet, met les pieds dans le plat et fait du réalisateur, un nouveau venu à suivre avec intérêt.

Boeringer Rémy

Pour voir la bande-annonce :


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