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A pied, de Moscou à Compostelle

Par Apollinee

téléchargement.jpg " La longue page de cet avant-Chemin se tourne. Voilà presque deux ans que je me prépare pour cet instant précis. Là, à cette seconde, je m'en vais pour au moins cinq mois, c'est maintenant que tout commence. C'est vers l'inconnu que je me dirige, celui que j'ai espéré depuis si longtemps. C'est tout droit, plein sud-ouest, non-stop pendant 4500 kilomètres. (...)

Une montée d'adrénaline m'envahit alors que je referme la porte de l'ambassade derrière moi. Dorénavant, c'est devant que cela se passe, plus derrière."

 Il faut une bonne dose de cran pour rompre l'existence citadine, douillette, chaleureuse et enviable de père de famille - de 6 enfants- époux comblé - d'Isabel,  remiser au dressing un complet veston de Private Banker  et entreprendre en solitaire, cinq mois durant, un périple pédestre de quelque 4500 kms, reliant la capitale russe au point de pélerinage mythique de Saint-Jacques de Compostelle.

Une dose de cran et surtout un besoin irrépressible de  contact charnel avec cette Nature qui nous est "prêtée", cette Terre, éminemment respectable,  dont nous sommes locataires.  Sac à dos (15 kg) , bottines aux pieds et bâton à la main, le Belge, Werner van Zuylen entreprend, mi-juillet 2013, un périple de 5 mois, largement solitaire, à travers sept pays - Russie, Biélorussie, Pologne, Tchéquie, Allemagne, France et Espagne - s'ouvrant en toute humilité à l'inconnu du trajet, aux inconnus croisés sur sa route.  S'il subit  de nombreuses restrictions alimentaires,  douleurs physiques et une sévère infection à l"infidèle",  un orteil récalcitrant, une grosse angoisse d'égarement géographique ( un jour qu'il se découvre encerclé d'un marais..), jamais Werner van Zuylen ne croisera l'insécurité dans ses rencontres humaines. Des rencontres qui, témoins d'ouvertures réciproques, de générosités spontanées  résonnent comme un magnifique acte de foi en l'humanité. 

Reçu parfois chez l'habitant, le pélerin passera soixante pour cent de ses nuits sous tente. Tente plantée au hasard d'une route, majoritairement forestière et rurale.

Alerte, factuel, fluide,  pimenté d'humour et de réflexions philosophiques, pragmatiques et mûries, le récit de Werner van Zuylen procède du vrai partage,: celui qui donne au lecteur l'impression de cheminer à ses côtés.

Une lecture..vitale !

Apolline Elter 

A  pied, de Moscou à Compostelle, Werner van Zuylen, récit, Ed. Racine, oct. 2014, 200 p    

Billet de faveur

AE : si votre démarche ne s’inscrit pas – a priori – dans une orientation religieuse, sorte de Chemin de Foi, elle résonne tout de même d’optmisme , d’une belle confiance dans la rencontre avec l’Autre, l’inconnu placé sur votre chemin :

Werner van Zuylen :Totalement. Il y a une chose que la mémoire ne peut effilocher, ce sont chacun de ces visages croisés sur mon Chemin. Aucun ne m'échappe, ils resteront toujours gravés. Toutes ces mains tendues d'Est en Ouest, que ce soient celle du paysan Russe dans son hameau isolé où le temps s'est arrêté dans "Les Ames Mortes" de Gogol,  celle du policier Biélorusse, celle du SDF Tchèque, jusqu'au bûcheron Allemand dans la Forêt Noire, ils ont tous été les aristocrates de mon Chemin, ce sont eux qui m'ont poussé jusqu'à Santiago. C'est la magie du Chemin: même avec le prochain, a priori le plus différent, une empathie suivie d'une fraternité s'installent naturellement. Je leur dois mon Chemin.

AE :  Le point de départ de Moscou, les territoires traversés, ont été souvent malmenés au XXe siècle. Ce trajet en 7 pays revêt-il une symbolique de paix ?

Werner van Zuylen : Ce parcours que j'avais tracé depuis Moscou à Compostelle est redevenu ouvert à l'Est depuis une quinzaine d'années. Plutôt que de jeter des ponts entre les hommes, on a érigé des murs entre eux pendant près d'un siècle: révolution russe, 1ère puis 2ème guerre mondiale, guerre civile espagnole, guerre froide. Tant de stigmates visibles des horreurs du passé ont longé mon parcours, reçus à chaque fois comme des gifles au visage. Cependant, lorsque j'arrivais à l'Ouest,  à Astorga en Espagne, de nouveaux bruits de bottes et de canons se sont réveillés à nouveau, là, dans le Donbass ukrainien, dans notre grande famille européenne. Ce couloir "libre" reliant les peuples est a nouveau malmené. Il faut que cela cesse, pacifiquement.

AE : Votre épouse Isabel fut un soutien inestimable pour votre expédition. Elle vous a rejoint l’espace de deux jours, à mi-parcours, avec Diego, votre plus jeune enfant.  Un intermède qui vous a boosté pour la suite :

Werner van Zuylen: Oui, cette transhumance de Moscou jusqu'à Nürnberg fut gérée en mode très "spartiate" à travers campagnes et forêts de jour comme de nuit. Dans ce contexte, la solitude, souvent riche compagne, peut aussi se muer en lourd fardeau.  Retrouver l'être cher à mi-parcours, et mon fiston, fut d'une douceur sentimentale et émotionnelle importante, d'autant que ma femme, quoique résignée, m'offrait son support inconditionnel.

Mais aussi, après ces deux jours vivifiants, j'avais déjà hâte d'aller retrouver l'espace et le silence de la nature, et cette ruralité où les gens se disent "bonjour" quand ils se croisent...


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