Un film de Arnaud Desplechin (2013 - France, USA) avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric
Grosse déception.
L'histoire : Jimmy P. vit avec sa soeur et son beau-frère dans leur ranch. Depuis quelques temps, il est victime de troubles handicapants, malaises, hallucinations, cécité et surdité temporaires, panique. Les médecins lui font tout un tas d'examens, rien, le bonhomme est en parfaite santé. Conclusion : c'est psychologique. On l'envoie en institut psychiatrique. Mais, ne pourrait-on faire appel au docteur Georges Devereux, qui professe une nouvelle spécialité de la pyschanalyse : l'ethnopsychiatrie qui tient compte du milieu culturel de la personne. Les rites, les traditions, l'histoire, la mémoire collective, autant de spécifités parfois très particulières, qui peuvent altérer le psychisme du patient d'une façon très différente s'il est d'origine africaine, ou amérindienne, comme Jimmy.
Mon avis : Ce film, dès sa promo, m'avait tapé dans les neurones. Tout ce que j'aime : les Amérindiens, la psychologie, mieux : l'ethnopsychiatrie et son inventeur, et... Benicio ! Y avait un hic : le metteur en scène, dont je n'ai aimé aucun film (mais je n'ai pas tout vu). Le genre d'intello français, dont tout le monde raffole, et qui m'insupporte. En plus, je n'aime pas beaucoup Amalric, qui se range dans la même famille, et bien que je l'ai trouvé super, pour la première fois de ma vie, dans La Vénus à la fourrure il y a quelques jours. Mais, les trois éléments de début de paragraphe me remplissaient d'espoir.
Diable.
Ce film est pire que du théâtre filmé... parce que ce n'est même pas du théâtre ! On s'interroge sur l'utilité d'adapter des pièces au cinéma, mais certains réalisateurs de génie (Polanski) parviennent à nous convaincre et à nous emporter. Donc, oui, c'est possible, avec du beau texte, de bons acteurs, une bonne histoire et un réalisateur qui a compris que la caméra devait se mettre entièrement au service des comédiens, sans fioriture ni tralala.
Mais ici, ce n'est pas du théâtre, pas de dialogues à se pâmer, pas de huis-clos intense ; du cinéma normal, mais qui tourne presque exclusivement sur les conversations du duo. Nous assistons à une psychanalyse. Benicio qui parle, Mathieu qui écoute. Quelques digressions pour faire genre, mais ne nous voilons pas la face, l'essentiel du film, c'est champ / contre-champ, Bebe et Mama, et quelques flash-blacks sur l'enfance et la jeunesse de Jimmy. Si encore le dialogue, ou l'histoire, était hautement intéressants ! Mais non. Cela aurait pu pourtant : l'ethnopsychiatrie est une discipline passionnante, qui se propose d'introduire dans l'analyse habituelle toute la culture dans laquelle a évolué le patient, et qui a forcément des effets. Ici, c'était parfait : un Amérindien.
Et bien, on n'apprend rien ou pas grand-chose sur cette magnifique idée géniale du Docteur Devereux. Si Jimmy avait été de Chicago, issu d'immigration suédoise et allemande, ou bien de Los Angeles, d'origine mexicaine, cela aurait été du pareil au même. Et on ne voit en rien l'influence de sa culture amérindienne sur le psychisme de l'homme ; les personnages de son entourage et de son enfance vivent quasiment comme vous et moi, et semblent même avoir renoncé depuis longtemps à leur histoire très particulière. Les traumatismes dont souffrent notre Indien des Plaines n'ont strictement rien à voir avec ses racines. Et puis... je ne les ai pas trouvés très effrayants par rapport aux malaises qu'ils provoquent. Maintenant... tout ça est personnel, certains réagissent violemment à des choses que d'autres vivraient sans aucun souci.
Reste donc Benicio qui raconte sa vie, et Mathieu qui écoute, avec un accent insupportable (étant français, il est censé avoir un accent, donc la VF lui a collé une sorte de phrasé et de roulement de R genre polonais) et un sourire idiot. Conversations dans un parc, conversations dans le cabinet, conversations dans la cour de l'hôpital...
C'est d'un barbant ! J'ai regardé jusqu'à la fin, parce que j'espèrais toujours que ça bouge, et puis Benicio, formidable, réussit à mettre une belle tendresse dans ce grand bonhomme, tout bouleversifié à l'intérieur... mais franchement, voilà un film que je revisionnerai jamais et que je ne conseille pas.
Et tout ça est bien dommage, car le docteur George Devereux a bel et bien "inventé" l'ethopsychiatrie et Jimmy P. fut l'un de ses patients. Et toute la force de ses découvertes semble complètement noyée dans des blablas stériles, qui à mon avis, ne convaincront ni n'apporteront quoi que ce soit à ceux qui ne connaissaient pas son existence.
Bon, ben, bizarre, tout le monde semble avoir adoré. La presse loue le film en grandes envolées lyriques, auxquelles je ne pige pas tout, tant elles sont clichés et convenues, voire vides de sens : théâtre analytique, ample et apaisé, dense, subtil, entre le huis-clos et le western, une sourde complexité, une minérale simplicité... je vous en passe et des meilleures.
Le bon docteur serait-il tombé amoureux de son patient ? Ah ah ah !
Allons plutôt voir ceux qui n'ont pas aimé (ils sont rares), peut-être seront-ils plus explicites : "Verbeux, flou : "Jimmy P." a de l'ambition mais Desplechin semble hors sujet." (Cinéma Teaser) ; "en dépit de la qualité des interprètes ces deux heures de divan sont une invitation au sommeil" (Le point) ; "Le sujet est assez génial, puissant. Le traitement, bizarrement tout petit, sans vraie ampleur sous couvert de faire intimiste. (...) Rien à faire : on s'ennuie ferme." (TF1 News). Beaucoup plus clair, non ?
Les spectateurs sont beaucoup plus partagés... et là, je comprends !