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Instant vécu chez un cocu

Publié le 30 avril 2015 par Dubruel

~~d'après LE COLPORTEUR de Maupassant

À Argenteuil, le dimanche, j'allais canoter. Le soir, je partais dîner à grands coups d'aviron À Chatou, Epinay ou Bezons. Après le dessert, ma yole remisée, Je rentrais à pied à Paris. C'était tout le bonheur de ma vie.

Au retour, presque à chaque fois, Un colporteur, un de ces voyageurs de la nuit, Rentrait chez lui, En faisant route avec moi. Ce dimanche-là, l'un d'eux s'arrêta Et me cria : -" Hé ! Bonsoir, monsieur. " Je répondis : -" Bonsoir. " Il reprit : -" Vous allez loin comme ça ? " -" Je rentre chez moi, Rue d'Iéna. " " Moi, j'habite à Asnières. " Lui et moi. Nous marchâmes de concert.

Il me confie :-" J'aurais déjà dû rentrer hier Pour me réapprovisionner À la boutique que tient Simone, Ma femme, car la vente a été bonne. Mais j'ai été retardé Par une ultime livraison. "

Les premières maisons D'Asnières apparaissaient. -" Me voilà presqu'arrivé. Voulez-vous monter boire un vin chaud Avec ma femme, si elle se réveille ? Oh ! Elle n'aime pas que j' la réveille !

J'habite au sixième ; c'est un peu haut Après une dure journée. " Il chercha sa clef et nous sommes entrés. -" Je vais réveiller ma femme. " Il l'appela : -" Femme !...Femme !... " Elle ne répondait point. Il frappa à sa porte à coups de poing, Pas de réponse. Il attendit un moment. Puis calmé, il reprit : -" Bah !... Enfin... En attendant, je vais chercher le vin. Attendez-moi un instant. "

Comment cette femme ne s'était-elle pas réveillée Au bruit des coups frappés ? Soudain j'ai entendu parler Dans la chambre. Puis on a remué. J'ai vu tourner la clef. Mon cœur battait. La porte s'entrouvrit. Je reculai. Une main la tint entrebâillée, Et je vis deux yeux qui me regardaient. Un grand gars, vêtu à la hâte, Nu pieds, sans cravate, Ses souliers à la main, bondit Vers la sortie Et disparut dans l'escalier.

Je m'assis Et attendis le mari. Il est remonté Portant deux bouteilles, et m'a demandé : -" Elle dort toujours, ma femme ? " Il l'appela de nouveau :-" Femme, femme !... " Comme elle ne répondait toujours pas Et ne remuait pas, Le colporteur m'expliqua : -" Voyez-vous, c'est qu'elle n'aime pas ça Quand je reviens dans la nuit Pour boire un coup avec un ami. " -" Alors, vous croyez qu'elle ne dort pas ? " -" Pour sûr qu'elle dort pas. "

Il semblait mécontent : -" Tant pis, trinquons maintenant ! " Je bus un verre, puis me levai. Lui, regardait la porte d'un air fâché : -" Faudra bien, la chérie Qu'elle ouvre quand vous serez parti. " Ce poltron furieux, je le contemplais Sans trop savoir pourquoi. Il m'avait parlé d'elle avec tendresse, ...Et il allait la battre avec rudesse !

Il cria encore une fois : -" Simone, réponds-moi. " -" Hein, quoi ? " -" Tu ne m'as pas entendu rentrer ? " -" Non, je dormais, fiche-moi la paix. " -" Ouvre, Simone. " -" Quand il sera parti ! J'aime pas que tu amènes des hommes Chez nous pour boire la nuit. "

Je me remis en route vers Paris Et songeant que je venais de voir ici Une scène de l'éternel drame Qui se joue partout entre mari et femme.


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