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This Is Not A Love Song Festival, du 29 au 31 mai 2015 à Nîmes – par Sonia Terhzaz
La surprenante programmation de l’année précédente m’avait hautement satisfaite, et avant même de consulter le line up 2015 du festival, je me décidai déjà à y retourner. J’avais apprécié, au-delà de la sélection musicale de qualité, le cadre champêtre et l’ambiance paisible et bucolique qui régnait sur le site. Le patio entre les deux salles de la SMAC, dont les alcôves suspendues au-dessus de nos têtes, nous abritaient de la chaleur harassante de la journée, devenait un espace de convivialité symbole d’unité et d’amitié retrouvée. Nous nous perdions de vue pendant le concert et célébrions nos retrouvailles autour d’un verre. Quant aux musiciens, non contents de regagner leurs loges, ils préféraient flâner dans cette cour aérée et nous observaient discrètement. Sans doute désiraient-il faire ami-ami mais nous n’étions pas là pour ça bien évidemment ! Ils n’étaient, à nos yeux, présents que pour nous offrir un spectacle de qualité et nous divertir. Nous n’en avions que faire, de leur amitié, voyons !
La programmation ne m’enthousiasmait pas autant cette année et je me suis rendue à Nîmes dans l’espoir de découvrir quelques nouvelles têtes, fraîchement labellisées, à l’énergie scénique vivifiante. Je mobilisai ma foi et mon optimisme, pour ne pas devenir un de ces retardataires grabataires, passant à côté des sensations musicales du moment. Malgré ma quête de jouvence, mes espoirs auront été déçus : Mikal Cronin, Teenanger, Morgan Delt,Bagarre, Wand, Drenge, et tous ces petits poulains ne seront hélas pas chroniqués, préférant ainsi m’inscrire dans le consensus musical et le réactionnisme primaire plutôt que de chroniquer des artistes nécrophiles. Le pire groupe de cette catégorie étant les Allah Las ! Starfullah !
J’ai fait, tout de même, preuve de bonne volonté, et me suis motivée pour assister au concert de Kevin Morby qui devait ouvrir les festivités, mais j’appris, en pénétrant dans l’enceinte du site, que le planning avait été modifié au dernier moment, soit la veille pour le lendemain, perturbant tous mes plans. Je passai ainsi mon temps collée devant le nouveau programme pour essayer (tant bien que mal) de mémoriser les ordres et lieux de passage des artistes que je ne souhaitais pas rater et appris avec stupéfaction que Swans jouait en toute fin d’après midi au lieu des 21h30 initialement affichées… Voyez-vous cela ! Pourtant, leurs fans n’en avaient que faire des petits rejetons surf pop néo-psyché qui devaient ouvrir le bal. Beaucoup ne se déplaçaient que pour assister au concert de Swans, mais mal leur en a pris d’arriver plus tard, d’autant qu’il s’agissait d’un événement rare ! L’horaire se prêtait si peu à l’atmosphère. Nous entrions alors, au vif de cette après-midi ensoleillée, dans une salle à l’ambiance mortifère. Le décalage était saisissant ! Ils ont commencé par Frankie M, un titre-fleuve d’une vingtaine de minutes, au son lancinant, répétitif et transcendantal, ponctué par les incantations mystiques de Michael Gira et les battements de gong et autres percussions occultes maniées par le multi-instrumentiste Thor Harris. Thor, dieu du tonnerre dans la mythologie nordique, héros wagnérien muni de son Mjollnir (marteau de guerre), charpenté comme un bourreau, arborant son torse à poil bâti dans le ciment, martelait sans répit un rideau de tiges métalliques, lorsqu’il ne jouait pas du Dulcimer ou du trombone. Nous contemplions avec amusement les trois figures de proue positionnées au premier plan, composées de Michael Gira, Christoph Hahn et du guitariste Norman Westberg, trois authentiques têtes de taulards au regard ombrageux et à l’allure impassible. Norman Westberg éveillait tout particulièrement ma curiosité car il déliait à peine ses doigts, enchaînant les titres avec un flegme et une morosité hilarantes, palpant très légèrement les cordes de sa guitare jusqu’à ce qu’on assiste, en plein milieu du titre Just a Little Boy, à son réveil tonitruant. Il s’emballait tout à coup, jouant ainsi frénétiquement pendant quelques minutes, et s’arrêtait aussi net, retrouvant son jeu désinvolte. C’était parfaitement étrange. Le concert s’est fini par Bring the Sun/Black Hole Man, un titre se rapprochant davantage de la première époque post-punk du groupe de par sa rythmique accélérée et la partition chantée (pour une fois). C’était le crépuscule des idoles incantatoires qui sévissait jusque-là et cette touche finale n’a pas manqué de provoquer un soubresaut revigorant, et me sortir de ma passivité, car je commençais quelque peu à me fatiguer de toutes ces diableries et adjurations solennelles ritualisées.
Je me précipitais alors dans la salle Club pour voir les Montréalais de Ought, les seuls petits poulains que je souhaitais ardemment voir concourir. Je tentais tant bien que mal de me frayer un chemin dans cette petite salle obstruée de toutes parts, contrainte de me caler tout au fond. Je regardai alors les ombres se dessiner sur les parois latérales de la salle et contemplai, non sans ravissement, la silhouette gracile mais démesurément agrandie de Tim Beeler. C’était beau à écouter et à regarder. Ought aurait bien mérité de jouer en plein air ou dans la grande salle, d’autant que la sortie de l’album More Than Any Other Day (sur Constellation Records) et la tournée qui s’en est ensuite, les avait propulsés et rapidement révélés. Je venais de les voir une semaine auparavant à la Villette Sonique et demeurais pourtant tout aussi enthousiasmée. J’affirme avec la plus grande conviction que Habit est un des plus beaux titres de l’année, sublimé par ce chant élégant et élancé, à la fois clair et vibrant, puissant mais tremblant, bref, aux infinies variations. Tim Beeler passait du chant à la déclamation, et par toutes sortes d’émotions en un si court instant, de l’ennui au vif engouement. Il y a des titres évidents, ceux qu’on aime dès la première écoute parce qu’ils contiennent en eux tous les ingrédients nécessaires à leur appréciation. On pense alors à cette balade « habitée » précédemment énoncée ou au titre Pleasant Heart, qui sonne d’ailleurs comme une intro des Battles et qui fait sens dès la première écoute (en revanche le clip est ca-tas-trophique, dans la lignée de tous ces clips aux nouvelles chorégraphies atypiques pathétiques). Puis il y a ces titres dont la beauté surgit à un instant précis, et c’était Clarity, qui ce soir a su m’élever au dessus des marées humaines compactes et engluées, rappelant de façon troublante les envolées urgentes et haletantes de Titus Andronicus.
Puis vint le temps de la déconne avec Dan Deacon. C’était d’ailleurs la toute première date de sa longue tournée européenne. Mais alors, quelle énergie solaire véhiculait-il alors même que le jour déclinait ! L’aspect performatif et participatif était hautement qualitatif. Nous tressaillions d’allégresse dès les premiers instants sur Sheathed Wings et nos corps se libéraient aussitôt en toute naïveté et spontanéité. Je restais, sans doute pour de mauvaises raisons, étrangère, voire quelque peu distante face aux instants de communion fraternels et interactifs qui venaient ponctuer ce spectacle immersif : nous devions, à un moment, nous écarter de part et d’autre de la fosse et suivre, de chaque côté, un leader déjanté, désigné par gourou Dan afin de l’imiter. La foule s’unissait dans un syncrétisme absolu mais je ne m’englobais pas dans cette pensée de la totalité. La machine à fumée, les draps tendus aux visuels édulcorés, les rythmes répétitifs entêtants, tout concourait finalement à nous fondre dans un spectacle global dans lequel Dan l’omniscient, le thérapeute (avec son titre Learning to Relax), ou encore le clown dément officiait généreusement et nous faisait passer par diverses émotions, de la mélancolie à l’hystérie, à travers des titres super-soniques construits comme des génériques emphatiques.
S’est ensuite ensuivi le Thurston Moore Band, composé de Debbie Googe (My Bloody Valentine), James Sedwards et Steve Shelley, en tournée pour la sortie de Best Day (Matador, 2014). Je me dis, à chaque fois, que plus jamais je ne reverrai mon Thurston adoré car la multiplication de ses prestations et collaborations ternit son inventivité (et même son aura à l’ère de sa reproductibilité) au fil du temps. Le sentiment que j’ai à l’égard de cet album est assez difficile à décrire. Je lui trouve tant de belles qualités mais ce langage musical qui a façonné l’identité de ce groupe mythique pendant autant d’années ne devrait peut-être plus être ravivé. Avec Speak to the Wild, on retrouve tous les ingrédients : les mélodies minimales et riffs entêtants tout en progression, les guitares électriques qui montent qui montent qui montent et qui… constituent le style absolu à la fois mélodique et noisy (dont l’incarnation absolue se trouve, à mon sens, dans le titre Rain on Tin issu de l’album Murray Head pourtant relativement tardif). Ils ont ensuite joué Forevermore et tous les morceaux qui se sont ensuivis me faisaient le même effet. Tout se ressemblait et se faisait écho. Les structures intrinsèques étaient les mêmes et se répétaient invariablement. Bien sûr que j’étais prise d’émotions pour ne pas dire de convulsions, comme un pincement aigu que l’on ressent lorsqu’on ravive subitement de vifs émois après tant d’années passées à aimer. Alors pour sortir de la mélancolie : on aimerait qu’il fasse autre chose mais, en dépit de ses expériences et de son érudition, il ne sait rien faire d’autre que ce qu’il sait et aime faire. Et du moment qu’il aime ce qu’il aime ! C’était vraiment bien mais… c’est fini tout ça pour moi !
Fallait que je me balade après ça. J’en avais le ventre noué, et quoi de mieux pour oublier sa morosité que d’aller voir Gaz Coombes se singer et s’auto-parodier. C’était tellement mauvais que ça a su me redonner tout l’enthousiasme dont j’avais besoin pour finir la soirée en beauté. Ne parlons pas de Caribou ! Bouh hou hou hou ! Qu’est-ce que c’était que cette musique de dancefloor pseudo-hédoniste ? Du coup, j’ai jeté mon sac à terre et dansé sur Our Love histoire de faire passer l’alcool qui commençait sérieusement à m’attaquer et me laisser aller. Allez quoi, je me disais ! Amuse-toi ! Laisse-toi aller ! Tu verras, ça va bien se passer. Et bien non non non ! Je me faisais VIOLER par la musique et il me fallait réagir et déguerpir au plus vite.
J’attendais finalement Thee Oh Sees sans y croire vraiment, sachant que le meilleur était passé en début de soirée. Comment se fait-ce que nous érigions, que nous portions aux nues un groupe qui contient si peu d’impulsion créatrice ? La puissance (oui oui il y avait deux batteurs ce soir-là et John Dwyer, le petit baigneur, imposait le respect, hell yeah) et la dextérité constituent des éléments importants, mais que faire quand on ne fait que traîner sa propre histoire sans jamais véritablement la raviver, surtout quand on est censé être « le meilleur groupe du monde » ou le « plus grand groupe de rock en activité » . Mais qui dit ça au fait (ok on sait) et pourquoi tout le monde s’évertue à le répéter ? Tout cela est très suspect, n’est ce pas, ou suis je complètement paranoïaque et à côté de la plaque ? Cela ne m’a absolument pas empêchée de slamer sur Carrion Crawler (album Carion Crawler/The Dream), de porter les gens autour de moi, de crier à tue-tête. J’avais mis mon cerveau et mes analyses prétentieuses de côté pour apprécier leur férocité (John a même dû s’arrêter de jouer et demander à des jeunes illuminés déchaînés de ne pas tout casser), réactivant dans mes souvenirs nîmois, le concert de Ty Segall de l’an dernier. Leur dernier album, Castle Face Record, était tout de même plus travaillé, hybridant quelque peu le garage avec des sonorités krautprog (il suffit d’écouter leur titre Lupine Ossuary pour en attester). J’ai l’impression également que cette tendance « Krautrage » émerge tout particulièrement (White Fence/Feeling of Love/Toy/Wooden Schjips). Certes les frontières sont perméables ! Ce ne sont pas quelques exemples qui justifieront mon argumentation ou mes élucubrations mais je note cependant que les titres des Oh Sees s’étirent progressivement vers des contrées plus psychédéliques. Digérons le passé pour mieux le régurgiter de manière compressée ! Faisons tous du GARAGE/ROCK/KRAUT/LO-FI/PSYCHE/JAMBON/BECHAMARSHMALLOW !
La nuit passe. Le jour se lève. Il fait soleil. Je nage, m’alimente et regarde Roland Garros. Puis je reprends les choses là ou je les ai laissées en regardant Aquaserge en tout début de soirée J’étais contente de les voir jouer. Un ami toulousain, qui les connaissait bien me disait :
– Aquaseergeuh ? Tu ne les as jamais vus ? C’est simple : est-ce que tu aimes le rock prog ?
– Ah ouais ouais !
– Alors tu vas aimer.
– Ah ok.
Effectivement, ça n’a pas manqué. J’ai aimé. J’ai toujours eu un petit penchant pour les longs développements instrumentaux qui partent à la dérive et se confondent en sonorités diverses nourries par un imaginaire poétique idéique. Les critiques ont pu déprécier une si vive esthétique en se basant spécifiquement sur les excès épiques et autres riffs pompeux au son sirupeux privilégiant les emphases musicales devenues surannées que se plairait tant à plagier un STSanders avec ses Shreds hilarants. Mais Il s’agit seulement d’un versant. L’autre flanc est plus doux plus imaginatif et s’engage dans les méandres du jazz rock. Jazz rock ? Aquaserge ? Pas du tout, ce n’est pas du tout mais alors PAS DU TOUT ce qu’ils font et pour preuve. Ils ont créé « la ligue anti jazz rock » en contrepoint et ont joué ce morceau manifeste dès l’introduction, rappelant, de manière complètement fortuite, bien évidemment, Soft Machine pour sa palette instrumentale, ses rythmiques atypiques et cette voix haute-contre presque dissonante. Mais alors que j’écoutais en rêvassant quelque peu, j’associais alors cette musique au lyrisme pop mélancolique moog music de Stereolab et, en cherchant, j’ai vu que Julien Gasc officiait au sein de cette dernière formation. Mais je l’ignorais complètement et je comprends TOUT maintenant ! Chaque partie musicale jouée était intelligible et déliée et c’est si bon de se laisser bercer par la fluidité d’autant que, bien souvent, tout n’est que bruit et saturation. J’écoutais avec délectation les plages instrumentales cinématographiques du titre Travelling, bandes sonores d’obscurs films d’animation sur les origines du monde. Tout cela s’est fini très sensuellement, avec Tout arrive, un titre rétro-gainsbourien, et au-delà des références qui fusent et ce petit côté « rock de collectionneurs de disques » (encore toi Simon Reynolds), je trouvais cela tout à fait et revigorant.
La prestation des Australiens de Twerps qui s’ensuivit me plongea en revanche dans l’ennui. Ils délivraient, sur la scène en plein air, une pop mignonne (ce qui dans mon jargon est tout à fait méprisable) et mollassonne, passablement inspirée, et si elle l’était, ce serait de par leurs influences réactivant la nostalgie 90’s à travers la nonchalance et l’insouciance des mélodies des Vaselines. Je ne pouvais m’empêcher de ricaner à l’écoute du titre Shoulders (sur Range Anxiety, 2015) tant le chant, la mélodie et l’indolence étaient scolairement régurgités. Bah en même temps, ils s’inscrivaient bien dans le paysage festivalier et les jeunes filles en fleur se dodelinaient gracieusement au rythme des ballades éthérées.
Je retrouvais ce cher Howe Gelb de Giant Sand et sa « Queencess » de choriste (pour reprendre ses termes chevaleresques) en tournée pour la sortie de son album Heartbreak Pass pour un concert introspectif hautement qualitatif. L’americana sudiste n’a jamais été une de mes spécialités mais je dois dire que Howe Gelb est un être d’exception si charismatique qu’on se délectait à l’écouter chanter mais surtout parler entre les morceaux. Il a cette capacité à captiver l’audience avec humour et élégance. J’entendais néanmoins quelques abrutis lui balancer des : « Allez joue, arrête de parler ! » Mais ces individus dénués d’esprit et d’humour, ignoraient tout de l’intérêt que revêtaient ces intervalles riches à maints égards. Howe a fini son concert au piano sur un air de Satie dénotant quelque peu avec ses titres country folk revenus en force sur son dernier album, et cet intermède évoquait, comme par le passé, ses diverses inspirations (on pense alors à sa reprise de classiques dans l’album Ogle Some Piano, 2004) qui ont jalonné ses trente ans de carrière. Mes respects.
C’était ensuite au tour d’Ariel Pink d’enflammer, d’électriser, de pulvériser, d’atomiser le public avec son groupe de déglingos psychédéliques. Les balances étaient prêtes, comme avant chaque représentation, mais le groupe, en bon dissident, a tenu à faire ses propres réglages, et nous avons assisté, pendant une vingtaine de minutes, à tous leurs ajustements comme pour une répétition et avons observé leurs va-et-vient incessants et leurs divers commentaires sur le son comme s’il s’agissait d’une véritable performance. C’était un moment parfaitement intéressant. En réalité, alors qu’ils feignaient de répéter, le concert était déjà commencé. Les ingés sons étaient les premiers étonnés et n’avaient d’autre choix que de se plier à leur exigence sonore et par conséquent… Que c’était fort ! La voix d’Ariel était fracassante et résonnait incroyablement. Apparemment les techniciens se plaignaient du son horrible qui émanait alors que le public jubilait complètement. Ce décalage était si drôle. Pour ces puristes du son, un concert d’Ariel Pink doit les pousser dans leurs retranchements. Comment assurer des réglages alors même que la qualité sonore s’en trouve être constamment chamboulée. Ariel Pink se plaît tant à travailler ce son « retrolicious » pour reprendre ses termes, bourré d’échos et d’ingénieuses salissures, reproduisant la qualité de vieux enregistrements 60’s. C’est une fois de plus cette nostalgie qui les pousse à imiter diverses sonorités allant de la pop sixties, du glam au hard rock. Je retrouvais, avec un plaisir intense, la virtuosité psychédélique aux variations incessantes et bordéliques d’un Frank Zappa. Autant réactiver cette nostalgie avec les meilleurs génies ! Ce n’était pas un plagiat, absolument pas, mais le plus bel hommage qu’il était possible d’adresser à ce génie de l’irrespect qui a su, de manière inégalée, mélanger divers genres et attitudes protéiformes, aussi bien dans sa carrière discographique qu’au sein même d’un album ou d’une chanson. Ariel Pink est à mon sens son plus digne héritier. Il suffisait d’écouter le titre Jell-o (sur Pom Pom), se présentant comme une musique de générique en plusieurs parties, bourrée d’onomatopées, de rythmes syncopés tantôt satyri-comiques tantôt faussement émouvants et sensationnalistes, pour s’en féliciter. C’était en tout état de fait LE MEILLEUR CONCERT EVER (du festival, faut pas déconner).
Je plaçais pourtant toutes mes envies du côté de la Divine Comedy. J’ai développé assez peu d’obsessions musicales mais, en y repensant, l’écoute des albums de Divine Comedy (jusqu’à Fin de Siècle) avait constitué une part si importante de mon errance adolescente. Je chéris d’ailleurs aujourd’hui ces belles années de néant absolu passées à tromper l’ennui en écoutant des disques et lire toutes sortes de littératures enrichissant mon imaginaire décadent. Je comblais si bien ce vide que je commençais alors à en éprouver un plaisir intense et Divine Comedy faisait partie de mes premiers véritables émois adolescents. J’appréciais tant ce savant mélange de mélodies bucoliques et raffinées ponctuées de références littéraires abondantes et de notes humoristiques franches ou sous-jacentes. Tout cet imaginaire me parlait, me plaisait, m’enthousiasmait et cette musique condensait à elle seule toutes mes aspirations. Quelle erreur pourtant que de penser 15 ans après retrouver ces mêmes émotions. La prestation que Neil Hannon nous a livrés, sur la scène en plein air, était totalement désincarnée. Il en aurait peut être été autrement s’il lui avait été donné de jouer dans l’intimité d’une salle. Il n’en avait que faire de nous distraire et ses musiciens livraient une piètre prestation. Un peu de nerf bon sang! Même Neil Hannon déplorait leur indolence. Il comptait peut être sur un soubresaut rythmique utopique pour retrouver son énergie. Il avouait publiquement sa faute et s’excusait presque de ne pas nous honorer comme nous l’aurions rêvé. Et même Daddy’s Car, un adorable titre si vivifiant, n’arrivait même pas à les ressusciter . Heureusement que nous retrouvions son flegme et son humour, si utiles dans ces moments. Il commentait néanmoins avec esprit le fait d’oublier les paroles d’un titre ou de se tromper sur des accords de guitare, ayant même le culot de nous demander combien de temps il lui restait à jouer ou de se demander quel serait son prochain titre à jouer. « Ah yes, Mutual friend ! Alright. I almost forgot this one. Right. Here we go. » Et pour ne pas pleurer devant mon idole du passé, je chantais alors à tue-tête, en bonne fan illuminée qui se soucie finalement si peu de la finesse d’une interprétation, et me rendais compte, par la même occasion, que je connaissais une bonne partie des paroles par cœur. Cela m’a pétrifiée. J’ai alors compris que j’avais été prise d’un amour idolâtre et irrésistible et, au moment même ou je m’en apercevais, le sortilège commençait à ne plus faire effet, enfin, presque, car le Tonight We Fly de fin n’a pourtant pas manqué de me faire replonger dans les affres de la passion née de cette nostalgie de l’ennui.
La soirée du lendemain a si bien débuté…. On était dimanche, le site s’était quelque peu vidé, et l’esprit de convivialité s’intensifiait. Les festivaliers commençaient à se reconnaître et le signifiaient par de petits gestes, des saluts timides mais spontanés ou même quelques amorces de discussion. Je revoyais, en arrivant sur le site, mes « neds » adorés de Sleaford Mods. Ils n’avaient rien perdu de leur verve et de leur insolence. Le chanteur Jason Williamson, que je retrouvais après l’avoir vu à la Dynamo (Pantin), quelque temps auparavant, s’appliquait encore davantage à parfaire ses imitations animalières : du singe mâle et femelle, au rhinocéros dans la plus pure tradition satirique. Il beuglait de profil, comme à chaque fois, lâchant avec véhémence des hordes de postillons se confondant dans l’espace, la tête penchée en avant pendant qu’il déchiquetait le micro, maintenant rigoureusement son bras en arrière tel un autiste. Je réitérais, une fois de plus ce soir là, mes vœux d’amour et de fidélité.
J’ai dû malheureusement quitter la salle pour aller à la rencontre et tomber à la renverse des non moins infects métalleux de Weedeater. J’étais plutôt étonnée de voir qu’ils avaient été programmés à TINALS. Leur style dénotait complètement avec le reste de la programmation. C’était tout à fait plaisant et assez PUISSANT. Ce groupe, né au milieu des années 90, commençait tout juste sa tournée européenne pour la sortie de Season of Mist, album de stoner sludge metal, produit par Steve Albini. Le batteur Travis Owen jouait lui aussi de profil, et au centre de la scène. Sa longue silhouette spectrale totalement désarticulée s’agitait de façon démente. Il effectuait un numéro de cirque tel une majorette sataniste avec ses baguettes. Elles tournoyaient dans l’espace et retombaient juste à temps pour gifler violemment les caissons. Les jambes de Travis frappaient également les cymbales et je distinguais enfin son profil et son sourire démoniaque, cachés sous sa longue chevelure et des frissons me « passaient au corps. » Cette musique sludge marécageuse aux riffs basiques, lents et lourds accompagnée d’une performance grand guignolesque m’emballait parfaitement. Dixie vociférait tout le long, en s’accompagnant d’une bouteille de bourbon qu’il avait descendue intégralement à la fin du set. Le chanteur de Vietcong, qui jouait juste après, se plaignait de l’odeur fétide qui émanait du micro et demandait à l’assistance qui avait bien pu jouer juste avant pour l’avoir autant pourri. Je criais alors « Weedeater Motherfucker! ».
Je dois reconnaître (oui oui, si si je reconnais) que je n’étais pas encore tout à fait convaincue par ce groupe de post-punk canadien (remarque anodine : les musiciens de Ought le sont également et leurs pochettes d’album se ressemblent étrangement) à l’écoute de l’album Continental Shelf, estimant, après quelques écoutes quelques peu passives, qu’il manquait globalement d’unité et partait dans diverses directions sans aboutir véritablement. J’attendais en revanche avec impatience de les voir en concert, pressentant que leurs recherches expérimentales, déjà explorées dans l’album, aboutiraient triomphalement sur scène. Sur ce point je ne m’étais pas trompée. En effet, le rendu live était si différent qu’on entrait alors en territoire inconnu. Les titres étaient comme réinventés de par l’incorporation de diverses strates et nappes sonores complexes, d’une rare intensité. Cet aspect étant, à mon sens, tout à fait déterminant pour l’appréciation d’un groupe et me permet d’expliquer le fait qu’il n’y ait que peu d’intérêt à assister à un concert d’Interpol (je les cite comme exemple car ils jouaient quelques heures après) étant donné les similitudes entre les versions live et studio. Il y a aussi des titres, au sein même d’un album, qui se prêtent plus ou moins bien à cet exercice. En effet, pour en revenir à Vietong, un titre comme Continental Shelf est tout à fait efficace mais ne présentait que peu d’intérêt en concert, alors que des titres tels que March of Progress ou Death étaient magistraux, ce soir là, car ils pouvaient s’étendre et s’étirer en toute liberté dans une nouvelle temporalité. Je remarquais en passant, le jeu ostentatoire mais ô combien pertinent du batteur performeur, Mike Wallace (arborant un tshirt « Tago Mago ») dans ces deux interprétations.
Je me félicitais d’un si bel enchaînement mais, au cours de la soirée, la qualité se détériorait et nous voguions alors de scène en scène de manière indéterminée. Foxygen a su, au départ, éveiller ma curiosité avec une prestation scénique rocambolesque tout à fait digne d’intérêt. Le chanteur, Sam France, figure archétypale quelque peu caricaturale d’une esthétique glam rock bourgeoise se contorsionnait dans tous les sens adoptant d’interminables poses et postures cliché. Il était accompagné de trois choristes affriolantes exquisément bizarres et individualisées qui composaient des chorégraphies inhabituelles. Pendant les intervalles musicaux, les musiciens s’amusaient à improviser (je l’espérais tout du moins) des petites saynettes humoristiques à la manière d’un vaudeville. Nous assistions à ce spectacle burlesque, non sans une certaine curiosité, mais au bout d’un moment, la distraction faisait place à l’ennui. L’ennui, ENCORE et TOUJOURS l’ennui ! Le sempiternel ennui. En réalité, l’originalité de la performance n’arrivait pas à combler les réelles lacunes de ce groupe. Leur musique était constamment parodique et nous ne parvenions à nous accrocher à la moindre mélodie. Si encore les musiciens se distinguaient par leur virtuosité…. Mais à force de pasticher sans relâche, ils en perdaient leurs attaches. L’album Star Power, sorti en 2014, attestait de cette dangereuse orientation qui les menait inéluctablement à leur perdition.
Mais tous les groupes que j’ai cités, je les connaissais ! Et ceux que je ne connaissais pas, je ne les aimais pas ! Bordel ! Qu’est ce que c’est que ça !
En conclusion, j’attends….
de combler mon ennui ….
et du moment que j’aime ce que j’aime !
(Pauv réac de m…)