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Mort à Venise, version "vin"

Par Mauss

Le comparatif est osé car on n'est pas dans le même registre ni, évidemment, dans les mêmes talents, tant il serait vain de faire un parallèle entre le sublime vénitien "Mahler - Luchino Visconti" et quelques grands crus français traités sous la forme d'une éducation au vin donnée par un vieux solitaire (Virgile) à une gente damoiselle adroitement prénommée Aurore. Mais si on a pensé à la chose, c'est que quelque part, il y a une raison, non ?

Le principe est connu. Il a un nom : Pygmalion. Audrey Hepburn et Rex Harrison et probablement bien d'autres essais sur le même thème.

L'ouvrage dont on parle s'intitule "AUX PORTES DU VIN". Il est signé par Isabelle Chrétien, Madame Sériot à la ville, et ambitionne l'adhésion de trois types de lecteurs : le néophyte qui ne connaît rien au vin, l'amateur qui retrouvera bien des noms connus, et le connaisseur qui cherchera - et trouvera - la petite bête dans telle ou telle leçon de chose.

 

Mort Venise, version

Merci Wikipedia ©

Certains trouveront le style d'écriture passablement maniéré ou compliqué alors que d'autres applaudiront aux courriels de cette damoiselle pas timide pour un sou et qui répondra avec verve aux injonctions du père Virgile qui n'est pas un double de François Audouze, collectionneur reconnu devant l'éternel mais qui promeut ses bijoux vineux d'une toute autre façon, plus en mode "allegro vivace" alors que pour Virgile, très professoral, ce serait plutôt "un po vecchio e complicato".

Il y a un réel pathos chez ce collectionneur sans descendance qui veut apprendre la noble treille à une voisine en lui offrant régulièrement, sur le bord de sa fenêtre, des verres à déguster, à commenter, à comparer. Oui, oui, elle finira par passer chez lui… en tout bien tout honneur, lubriques lecteurs que vous êtes !

Le procédé est intéressant, et dame Sériot n'est pas la première à utiliser l'approche féminine pour expliquer le vin à autrui. On a eu récemment dans la même veine les ouvrages de Miss Glouglou, certes écrits dans un style de français nettement plus direct et moins littéraire.

Si les crus cités sont très majoritairement bordelais et connus dans le haut du panier, il est un peu dommage de n'avoir point cité quelques beaujolais ou touraine quelques toscans ou autrichiens, quelques chiliens ou californiens tout aussi capables d'apporter les plaisirs et émotions d'un Talbot ou d'un Doisy. L'auteure aurait dû dépasser son environnement immédiat, celui de son homme, pour proposer à cet apprentissage du vin, une bien plus large perspective tant il est vrai que leur ami Stéphane Derenoncourt, - auteur surprenant (par sa vision de l'ouvrage) de la quatrième de couverture, - leur a déjà servi à de multiples reprises les vins qu'il conseille hors Aquitaine. 

On a le droit également de se demander (avec le sourire, hein !) ce qu'avait consommé notre ami Nicolas Thienpont, auteur de la préface, quel poète et quel philosophe ou quel substrat ± connu, ou quel vin d'ailleurs, l'avaient alimenté pour avoir trouvé ainsi des mots aussi rares en terres bordelaises tournant autour du concept "intéressant" .

Mais bon, je chipote…

Le didactisme de ce livre va jusqu'aux recommandations en matière de verres et de carafe : l'ouvrage se doit de rentrer dans chaque école hôtelière et sera une bonne base de travail à quelques professeurs soucieux de laisser à des étudiants culinaires des bases "vin" qui manquent tellement à tant de restaurateurs.

Sur la forme : bien, cette idée de mettre les leçons en caractères gras. Bien cet index des crus cités. Moins bien la liste trop courte des mots essentiels du vin.

Sur le fond : tout est là pour énerver Jacky Rigaux qui essaie de son côté de promouvoir une approche du vin ne donnant pas priorité aux arômes. Il y a là, dans ce livre AUX PORTES DU VIN, une sorte de peau de chagrin des facteurs à l'origine des plaisirs et émotions et, pour les mauvais esprits qui lisent ce billet, de quoi s'énerver sur le spectre des références si classiquement bordelaises.

Un exemple parmi d'autres :

"Ne trouvez-vous pas étrange que l'aromatique des vins blancs soit celle des fruits blancs ou jaunes, et que l'aromatique des vins rouges soit celle des fruits rouges ou noirs". (page 129).

Dans la même veine de commentaires, on aurait pu y lire aussi que tous les raisins donnent des jus blancs et que le vin devient rouge en fréquentant en toute légalité, les peaux rouges des cépages … rouges :-)

Oui, on parle du Clos Rougeard et de son Bourg, on cite le Clos Sainte Hune et la cuvée Frédéric Emile, le Musigny et le Clos de Tart et même le Beaune Grèves "Vignes de l'Enfant Jésus" de Bouchard. Par contraste, - je me répète - on pense de facto au même type d'ouvrage qui serait basé que sur des noms quasi-inconnus, comme me l'a fait version dégustations pratiques, du temps des grandes heures au Clos Longchamp à Paris (géant Jean-Marie Meulien), Didier Bureau, capable de me servir pendant une semaine, à chaque déjeuner, 5 vins différents que je ne connaissais ni d'êve ni d'adam. Et que du beau, dont les inoubliables Nuits-St-Georges "Les Poulettes" de Gavignet.

On parle aussi de Miro, de l'Espagne, et des troubles sentimentaux de Virgile… ce qui, fin du cercle, m'a fait citer Visconti, Mahler, Dirk Bogarde en ouverture.

Editions La Bruyère pour € 20. Je ne sais trop si le premier tirage est disponible dans certaines librairies, mais on peut le réserver sur Amazon.

Le livre, publié en gros caractère (merci pour cela) se lit donc facilement, on peut même papillonner dans les leçons de chose.

Nous avons testé l'adresse mail du père Virgile : oubliez ! il n'y a personne au bout du fil :-)

Conclusion ?

Ce n'est guère facile d'être pédagogue et surtout de trouver une façon de dire les choses qui puisse satisfaire le public le plus large, du débutant au professionnel. C'est cependant intelligent d'avoir conçu ce projet entre un vieux beau impatient et une donzelle accorte et gracile finalement assez ouverte à un apprentissage pas évident, chacun ici se rappelant avec force qu'en matière de goût…

 

Mort Venise, version

Ne jamais oublier les sources premières :-)


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