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Obsession

Par Kinopitheque12

Brian De Palma, 1976 (États-Unis)

Obsession

Sa femme et sa fille enlevées meurent dans un accident de voiture. Déjà un véhicule abîmé dans l'eau, accident plus tard coupé au ciseau et collé dans la nuit noire d'un preneur de son (Blow out, 1981). Accident enregistré où jamais sa femme et sa fille ne parviennent à traverser le pont et tombent. Aussi longtemps que l'image repassera, sans fin. Michael Courtland demeure lui-même dans un entre-deux, au milieu de ce pont que jamais il ne franchit. Il continue de vivre mais avec le regard vide, l'image d'Elizabeth et d'Amy incoercible et répétée dans son esprit, bientôt toutes deux confondues jusqu'au trouble. L'obsession de Michael Courtland possède en outre une force déviante capable de ployer l'amour originel pour sa femme jusqu'à l'inceste.

Comme dans plusieurs autres de ses films (, 1976, Scarface, 1983, Body double, 1984...), Brian De Palma use du cercle comme forme narrative, figure de mise en scène et aspiration cinéphile. Pour ne s'en tenir qu'au cercle, ne prêtons attention qu'à trois importants mouvements circulaires dessinés par la caméra dans le film. Le premier concerne Courtland (Cliff Robertson, vieux beau, qui ne nous plaît guère dans ce rôle) et, de la perte de ses proches, les 360 degrés opérés par l'objectif le conduisent en une ellipse de quinze ans dans le cimetière qu'il leur a réservé et face au monumental tombeau qui, placé sur la ligne du temps comme une montagne tombée sur la route, le bloque et le laisse figé, impuissant au milieu de ses fantômes...

Le second cercle est un panoramique fait, contrairement au précédent, en intérieur, dans la chambre de la mère (à deux ans de la Chambre verte et du sanctuaire aux morts de Truffaut), femme qui est à la fois, pour Courtland aveuglé et sa fille vengeresse, la première aimée et le modèle (Geneviève Bujold à la beauté diaphane, l'actrice incarnant la mère, la fille adulte et l'amante). Ce cercle, plutôt qu'un flash-forward, favorise cette fois un retour du passé. Sandra, l'amour ressuscité de Courtland, trouve le journal d'Elizabeth et le lit. Le passage qu'une voix off nous fait entendre revient sur un paradis perdu, l'épisode florentin en 1959, à savoir sur le bonheur du jeune couple trop tôt brisé (traçons un lien licencieux vers les paradis perdus hitchcockiens, par exemple dans The pleasure garden, 1925, ou , 1941).

Le troisième cercle décrit est celui du plan final qui marque les retrouvailles entre le père et la fille bien que les premiers pas de Courtland se fassent un pistolet au poing (son intention première est-elle de se débarrasser de l'imposture ?). Ce cercle embrasse à présent en un travelling les deux personnages après les avoir chacun isolé. Il débute après une course qui, dans son inquiétude (l'arme à feu dissimulée, l'agent de police renversé), par son ralenti et le voile blanc qui recouvre la scène (comme si, dans ce hall d'aéroport, les personnages rêvaient leurs retrouvailles), entre en résonance avec d'autres traces persistantes secrètement conservées dans un creux de la mémoire. Nous voilà ainsi de retour sur La jetée d'Orly (1962) et, car Gilliam réadapte Marker avec L'armée des douze singes (1995), les images qui hantaient Cole resurgissent à leur tour (un aéroport, une course ralentie et une arme) : de l'entrelacement d'ondes voisines. Si l'on sait en outre que ce souvenir chez Marker et Gilliam n'est autre que le souvenir éminemment romantique de la propre mort du personnage, on n'est plus si sûr de voir dans la dernière scène d'Obsession une résolution heureuse. Michael Courtland en acceptant sa fille doit faire le deuil de sa femme et définitivement s'en libérer. Y renoncer c'est d'une certaine manière la faire mourir une seconde fois et se retrouver à nouveau face à un tombeau, celui d'Elizabeth, celui de son amour ou le sien propre....

La figure du cercle répétée n'assure malheureusement pas la perfection du film. Obsession souffre d'un scénario compliqué, pour ne pas dire par moments alourdi. Les emprunts à Hitchcock en témoignent puisque De Palma ne se contente pas d'une réécriture de (1958), il ajoute un enlèvement ( L'homme qui en savait trop, 1956) qui tel qu'il est annoncé est assez désappointant et, ce qui brouille davantage les pistes, des ciseaux en motif ( Le crime était presque parfait, 1954). De plus, le personnage de John Lithgow (le tueur de qu'un costume blanc ne suffit pas à dégager de tout soupçon) et tout le complot imaginé encombrent quelque peu le récit. La figure du cercle est une figure de perfection mais pour s'en assurer chez De Palma il faudra attendre qu'il creuse davantage son sillon et désespérer ensuite avec un ingénieur devant des bandes son qui tournent toujours dans le vide.


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