Chacun sait, ou devrait savoir qu'on reconnaît un bon professeur au fait que lui-même constate que certains de ses élèves lui sont supérieurs… grâce à son enseignement. J'ai appris cela de la part d'Etienne Klein et, es vin, probablement que Raphaël Coche-Dury en sera un exemple concret… mais je m'égare :-)
Comme je fais partie des élèves niveau primaire avec redoublement quasi permanent, je continue à écouter la bonne parole avec toute l'attention nécessaire aux mots écrits, au sens des phrases, aux préliminaires et aux conclusions.
Voici donc un texte que Michel Bettane a écrit pour AMORIM - Petit livre Adn du vin de l'académie Amorim - et qui est une manifestation éclatante de foi et de vue sur le monde historique du vin tel qu'on le conçoit, qu'on doit le vivre en Europe.
En sachant que les principes évoqués pourraient également s'appliquer à toutes les formes d'art, de la peinture à la musique, sans oublier l'architecture de nos cathédrales. la différence notable avec le vin est que chacun peut passer aux travaux pratiques en travaillant son palais, sa culture, ses amis. Ne jamais oublier, quand on ouvre une bouteille (laissez les pipettes à autrui) de dire, en pensée et en paroles, un grand merci au vigneron qui a mis une année à vous offrir son travail que vous consommez en quelques minutes. C'est plus que légitime : ce doit être une réelle reconnaissance pour celui qui est capable, dans l'espace et dans le temps, de vous offrir un moment rare qui élève l'âme sans oublier de satisfaire le corps.
© Michel Bettane : écrit pour un "petit livre Adn du vin de l'académie Amorim"Il y a encore peu écrire un texte sur le sujet "comment faire aimer le vin " aurait pu passer en France pour un délit contrevenant à la loi. Confondant précaution et prohibition certains juges ont eu tendance en effet à assimiler expression du plaisir et déclenchement de l'addiction, culture et corruption. Un amendement récent à cette loi autorise à nouveau et fort heureusement un peu plus de liberté de parole, sans rien hélas changer sur le fond ! Affirmons donc sans crainte ici que l'amour n'est pas une addiction mais une source d'émotion sans laquelle l'humanité ne se serait jamais policée ou perfectionnée. L'ivrogne n'aime pas ce qu'il boit, pauvre de lui, mais nul n'est obligé de l'être, surtout si dès le départ le respect de ce qu'on boit fait partie de notre plaisir.
Devant autant d'incompréhension des pouvoirs publics par rapport au vin et à sa civilisation, dans un pays qui paradoxalement l'a poussé à son degré le plus élevé de raffinement, il est plus que jamais d'actualité de contribuer à maintenir intactes sa connaissance et sa place dans notre vie quotidienne. C'est même pour un journaliste du vin un devoir civique, car au-delà de tout ce qui est en jeu dans la production et la consommation d'un vin de qualité en matière de savoir-faire humain, la culture de la vigne est une activité prodigieusement morale. Elle maintient d'abord une population rurale et artisanale active dans de nombreuses zones qui deviendraient désertiques sans vignoble. Elle définit des paysages qui participent à la beauté de notre pays et à son attractivité, source considérable d'emplois non inutiles. Elle oblige enfin à un moment ou à un autre à une réflexion en profondeur sur la vraie écologie, départ d'une pédagogie du développement durable, sans lequel l'humanité peut sombrer. En faisant de la vigne et de l'olivier deux symboles de l'humanité pacifique et travailleuse nos antiques dirigeants méditerranéens seraient bien surpris de l'ignorance crasse de leurs successeurs !
Il faut donc faire aimer le vin et le plaisir culturel et social qui va avec sa consommation responsable. Chacun dans sa sphère, bien sûr. Pour un journaliste la route se trace aisément s'il se souvient qu'il n'est pas qu'un informateur mais une interface. Le fondateur de la Revue du Vin de France, Raymond Baudoin, au début des années 1930 avait inventé une formule prophétique, qui servira, je l'espère, encore de nombreux siècles de garde-fou contre toutes les tentations idéologiques dont se nourrit notre métier :« défense du consommateur (oui, le concept était bien déjà en place !), défense de la qualité ». D'un côté un devoir d'information et de pédagogie envers le public, de l'autre un sentiment de responsabilité par rapport au produit et à ceux qui le font. Si on oublie que les deux aspects sont irréductiblement liés et qu'ils se renforcent en permanence par leur interactivité, toutes les dérives et les échecs sont possibles. Le journalisme consumériste, celui qui réduit le choix d'un vin et sa consommation à un acte d'achat fondé sur son rapport qualité-prix, sous couvert du service rendu, abêtit le public. On le transforme en Veau suiveur de Gourou, et on lui renvoie une image dans laquelle il n'est plus qu'une abstraction sans autonomie, sans sensibilité, un simple pouvoir d'achat. Inversement et en toute logique le vin restera pour lui aussi une abstraction : son caractère individuel, lié à son origine, à son climat, au talent et à la sensibilité de celui qui l'a produit, deviennent secondaires, voire inexistants par rapport à son efficacité de meilleur choix pour un prix. Et si cette notion de meilleur choix devient la définition de sa qualité nous entrons dans le cycle irréversible qui fera triompher le vin industriel, au goût et au prix reconductibles chaque année. On ne sera pas surpris que je défende ici un tout autre journalisme protecteur des valeurs culturelles issues de la longue histoire du vignoble mondial. Celui qui apprend et incite à connaître le produit, par le plaisir qu'il peut donner mais aussi par son histoire et sa géographie, les choix humains qui ont défini ses conditions de production, sa place par rapport à la tradition mais aussi par rapport à l'évolution de nos comportements et de nos goûts. Vaste programme mais à la fin amour garanti pour la chose !
Il n'est pas évident de comprendre du premier coup la différence entre une approche "consumériste" (qui n'a rien de dégradant en soi) et une approche culturelle, laquelle reste pour la spécificité des vins européens un sceau qu'il faut graver dans le marbre.
A rapprocher de ce qu'écrivait sur ce blog Jacky Rigaux… mais sous un angle sensiblement différent.
Merci à Michel pour ce texte et ceux qui espéraient un stupide conflit sur le blog de Nicolas ne pourront rentrer chez eux que gros-jean comme devant.