Le côté latin de nos tempéraments fait que la plupart du temps, quand on aborde la question des vins "nature" (terme générique qui englobe bien des choses, on le sait) on développe quelques adjectifs qui devraient être réservés à des situations où la force des convictions nécessiterait un tel usage.
Bref : on monte trop vite dans les tours, bibi en premier.
Heureusement, sur cette planète où nous sommes désormais tous voisins, il y a des ténors du vin qui savent raison et vocabulaire garder.
Qu'il me soit donc permis de citer ici un vrai journaliste du vin, qui a souvent écrit sur le GJE, avec un bon sens qu'on a un peu perdu en France.
C'est un Canadien portant le joli nom de Marc André Gagnon.
Son papier que je cite ici in extenso sous son © : ICI
Vin nature : difficile d'aimer
8 décembre 2015 — Marc André GagnonC'est le retour aux sources ! Des vignerons veulent produire des vins nature, des vins naturels, des vins faits le plus naturellement possible, sans produits chimiques et sans ingrédients oenologiques améliorateurs. Des vins encore vivants.
Ces vins se distinguent particulièrement par l'absence de sulfite. Ils sont souvent aussi peu ou pas filtrés.
Le résultat est souvent étonnant, désarmant et peut nous décontenancer.
Nous avons participé dernièrement à une dégustation de vins, dont plusieurs étaient des vins dits nature au bar à vin Soif. Des vins présentés par la grande sommelière Véronique Rivest.
Un sondage rapide par après auprès de quelques participants permet de constater que la moitié des dégustateurs ont aimé la moitié des vins. Je dirais même que la plupart des participants ont détesté la moitié des vins dits nature. Plusieurs ont dit qu'ils n'achèteraient jamais ces vins. Pourquoi ?
La question est facile, mais la réponse l'est moins.
Ces vins
s'éloignent beaucoup de ce qu'on est habitué de boire. Les arômes, les
saveurs et parfois les textures ne sont pas familiers.
Dans les vins courants, les gens disent sentir les fraises, les framboises et les cerises pour les rouges; puis les pêches, les poires et les pommes pour les blancs. (1)
Toutefois, on ne trouvait pas que cela dans les vins dégustés ce soir-là. C'étaient des senteurs soit inconnues, soit difficiles à décrire, soit incongrues, comme de rhubarbe, jus de tomate, graines de sésame, pistache, tarte aux pommes, fougère, feuille de tomate, arachide, odeur de saucisse (2), boisson gazeuse Sprite ou encore la sensation de bière éventée...
Ça décoiffe ! On est à des lieux des fraises et petites fleurs blanches habituellement évoquées pour décrire les vins.
Est-ce que l'usage des sulfites lisse les vins, les rends plus sobres, plus nets, plus précis, plus conventionnels?
Est-ce que c'est parce qu'on n'est pas habitué à ce genre de vin ou plus précisément qu'on est habitué à un certain type de vin; et que si on s'éloigne trop de ce modèle on est perdu?
Est-ce que le vin nature est plus vivant et se modifie au gré du voyage, des températures, des cycles lunaires ou même des ambiances?
Est-ce que notre palais est formaté à un type de goût ou à un certain nombre de modèles assez semblables?
Tout ça est possible.
Des participants ont dit aussi que ces vins sont chers.
On s'habitue à tout. Il y a même des gens qui se sont habitués au goût de Retsina, au vin vanillé, au vin pipi de chat, au vin pétrolé, au barolo astringent... Alors le vin au goût de saucisse ou de graines de sésame?
Après les arômes de ces vins nature, il y a aussi les textures qui peuvent être différentes. Le fruité est souvent plus expressif, plus vivant. Ces vins non filtrés offrent une texture plus onctueuse. Il peut aussi y avoir un petit perlant, une sensation de bulles ou de mousse sur la langue. L'alcool n'est jamais brulant, les tanins plus enrobés. Donc, c'est moins lissé et ça peut paraître plus brut.
C'est un peu comme comparer un jus de pomme industriel avec un jus de pomme artisanal. Ce dernier est plus brouillon. Ainsi est souvent le vin nature: un peu brouillon... Ou est-ce le dégustateur?
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(1) En fait il n'y a ni pêche ni fraise dans le vin; mais ce ne sont là que des évocations, des tentatives de reconstruction d'arômes, car nous n'avons pas de mots spécifiques, propres au vin, ou si peu, pour récrire ses arômes.
(2) Le vin Dom. de la Grande Colline Marsanne vin de France 2009 (Primavin) 46 $ avait un goût de saucisse ou de saucisson selon plusieurs participants.On aimerait bien que plus souvent, en France, on écrive sur le vin avec cette ouverture d'esprit et ce bon sens. Avec de telles bases de discussion, il doit être possible, ensuite, d'aborder les points délicats de cette évolution dans le monde du vin, avec une plus grande sérénité et écoute de l'autre.
Merci Monsieur Gagnon pour cette belle leçon.
Et déjà des réponses sur le blog de Hervé Lalau : ICI