"Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli''
(Boileau, l'Art poétique, Chant III, 1674).
Ces sages principes du tout grand Nicolas Boileau-Despréaux (on se souvient du Lutrin reproduit ICI) peuvent, doivent s'appliquer autant que possible aux dégustations "primeurs" que prépare Bordeaux.
Les bases sont connues : on a un millésime (le 2015) qui sera classé de grand à exceptionnel et donc Bordeaux espère effacer, ne serait-ce que partiellement, tous les gros mots qui ont été prononcés ces dernières années au point que cela a été résumé plusieurs fois sous le terme saxon de : "bordeaux bashing" (on en parle ICI).
Seul contre tous (© Schulz) Comme à Gravelotte, Snoopy (votre hôte) va devoir affronter ces dégustations sous le feu constant de professionnels se lamentant qu'on accepte des bizus de mon espèce. Au mieux ce sera des bonjours sympathiques avec, ± caché, une condescendance inévitable. Au pire, ce sera une indifférence totale, particularité commune à pas mal de journalistes français ayant la certitude que eux, oui, eux seuls peuvent éclairer avec justesse et précision les lecteurs qu'ils croient très nombreux. S'il est vrai qu'on devra toujours privilégier les points de vue de quelques courtiers et négociants capables de déjouer les pièges classiques de ces dégustations primeurs, s'il est vrai qu'une poignée de journalistes est de la même trempe, c'est toujours intéressant de lire des points de vue d'amateurs dont le langage est fatalement plus primaire. En fait, quelle est la différence fondamentale entre le pro et l'amateur ?S'il faut ne retenir qu'un point, c'est avant tout le fait qu'on attend d'un pro à ce qu'il puisse trouver dans le vin qu'il déguste son potentiel, sa possible évolution, l'équilibre qu'il apportera dans quelques années. Rien n'est plus difficile que cela, et surtout de savoir l'exprimer en mots simples en sortant des lieux communs… attachés à l'étiquette, ce support si confortable pour tant de commentateurs ! L'amateur, du coup, est limité à donner ses impressions immédiates, la plupart du temps dictées par le niveau "plaisir-émotion" qu'il peut ressentir à ce moment si délicat de la naissance d'un cru. On se souviendra toujours à quel point, par exemple, Château Margaux 2000 nous avait tous bluffé au point que pour l'article qui a suivi dans Le Figaro, le GJE lui avait créé une note unique, pour lui, du style "Hors Classe". Idem l'an dernier devant Montrose qui n'arrivait pas à cacher une splendeur magique, à tout le moins l'échantillon que nous avions eu à déguster. Chouette : on va le redéguster cette année, 12 mois ayant passé. On se souvient aussi - grande leçon de Michel Bettane - qu'autant que faire se peut, il faut déguster plusieurs fois, sur une période de plusieurs jours, le plus bel exemple d'évolution en ce sens étant Ausone, stupéfiant à cet égard. But de ce billet ? Simplement vous demander par avance une grande indulgence pour les commentaires qui seront mis ici en ligne, sachant notre incapacité notoire à engager un pronostic pour le futur qui tienne la route, mais notre capacité à dire les plaisirs et émotions que nous apporteront certains crus sortant de l'ordinaire. Et rien ne vous empêchera de recopier ces notes pour les comparer à celles des zeus de la profession, histoire de me traiter de noms d'oiseaux dans 10 ou 20 ans :-) … pas grave : j'aurai atteint une sérénité du sage… si je suis toujours parmi vous !