Je suis évidemment extrêmement heureuse et fière d'apprendre que certain/es des premièr/es lecteurs-trices de Songe à la douceur ont ensuite acheté le roman de Pouchkine; ou, comme dans le cas de cette chronique par Moka, l’ont acheté et lu avant de lire Songe à la douceur. Cependant, je précise quand même qu'il n’y a aucun ‘besoin’ de connaître les deux oeuvres ‘originales’ pour lire Songe à la douceur, qui n'en est pas une adaptation stricte. (Par contre, il existe un besoin existentiel profond, sans doute...)
Cela étant dit, voici quelques suggestions à ceux et celles qui souhaiteraient savoir, en particulier, par quoi commencer, comment s'approcher de ces deux oeuvres, dont il existe de nombreuses versions.
Je tiens à dire d'emblée que je n’ai aucune légitimité sur ce sujet d’un point de vue intellectuel ou universitaire - je ne suis pas du tout spécialiste de la littérature russe, ni de musique classique. Je ne vais donc parler d'Eugène Onéguine qu'en tant que groupie!
Le roman
Le roman de Pouchkine, Eugène Onéguine, est disponible dans un grand nombre de traductions. En français, le choix le plus évident est de le lire dans la traduction récente d’André Markowicz, chez Actes Sud.
Je vous conseille aussi fortement (très, très fortement) un épisode génial (issime) des Nouveaux Chemins de la Connaissance, où André Markowicz et Adèle Van Reeth parlent de Pouchkine et de la traduction d'Eugène Onéguine. C’est véritablement passionnant comme conversation, et c'est aussi une introduction merveilleuse au roman et sa place dans la culture russe.
On me demande parfois s'il faut mieux le lire en français ou en anglais. Je l’ai lu dans pas mal de versions dans les deux langues, et je suis assez flexible. Je trouve que toutes celles que j'ai lues ont quelque chose à apporter - qu’elles soient, d'ailleurs, en vers, en vers libres ou réguliers, ou en prose. L'anglais a l'avantage intéressant d'être proche du russe en terme d'accentuation - donc les traducteurs peuvent rendre, notamment, l'alternance originale complexe de rimes masculines et féminines, c'est-à-dire accentuées ou non-accentuées. Cependant, on se retrouve vite avec le même genre de rimes féminines (en 'tion' et 'ing', en particulier).
Pour ceux qui sont lisent un peu le russe, je conseille cette édition anglophone du texte russe, qui n’est pas bilingue (donc empêche de céder à la facilité), mais propose des notes et définitions à la fin du livre pour les mots difficiles de chaque strophe (bon, si t'es comme moi, après avoir lu les notes, il te restera encore 404025 mots difficiles à chercher):
oui, ceci est un plaid Ikea qui devait être en vogue en 1992.
L’opéra
Eugène Onéguine est l’un des opéras les plus souvent représentés au monde (Operabase le place en 14e position en 2014-2015). J’ai pu l'attraper trois fois en live en quelques années. Si vous n’êtes pas loin d’une grande ville avec un opéra, il est très probable que vous puissiez le voir bientôt.
La version audio que j'ai est celle-ci:
De toute façon, l’opéra est disponible dans énormément de mises en scène sur YouTube, certaines vidéos de l'opéra en entier, certaines de fragments. Tapez 'Eugene Onegin' car l'orthographe anglaise donnera davantage de résultats que la française (oui, One Gin. I know. Hilarious.). La qualité du son sur YouTube est ce qu'elle est; il faut négocier avec ses oreilles pour faire plaisir à ses yeux (#modernlife).
Bonne nouvelle! L'opéra a un certain nombre de tubes, donc si ça te saoule de te taper tout le truc, entre les mots-clefs suivants pour voir directement trente mille versions de ces bouts-là:
- La lettre de Tatiana (Tatyana/ Tatiana's letter scene), où il y a généralement une variation sur le thème lit-lettre-plume-soprano-sexy-se-roulant-dans-des-draps.
mate un peu la taille du lit
encore un lit géant + du décolleté pigeonnant et un ordinateur portable.
- L'aria d'Eugène (Eugene's aria/ Onegin's aria). Le moment où Eugène fout un râteau à Tatiana big time.
sans les sous-titres, mais il fait semblant de manger une pomme
j'aime beaucoup celle-ci (et la version complète d'ailleurs) (1:12)
- L'aria de Lensky (Lensky's aria) (le fameux Kuda, kuda! L'un des plus beaux et célèbres arias du répertoire.)
Et le final! Oh, le final! Mais je vais pas te le donner, ça me spoilerait mon bouquin (peut-être...). T'as qu'à le chercher avec tes petits doigts.
Ah oui, il y a aussi l'incontournable (et très désuet) film de Weigl des années 80s:
Si t'en as marre des vidéos toutes moches, tu peux acheter le DVD d’une mise en scène de Robert Carsen avec Dmitri Hvorostovsky et Renée Fleming. Personnellement, je trouve que c’est une version un peu trop dépouillée. Il y a une version DVD aussi d'une mise en scène de Kasper Holten que je trouve assez chouette et bizarre, mais sans Dmitri (voir below). Une autre encore de Deborah Warner, dont je n'ai vu que des extraits, avec Anna Netrebko.
Qui est le meilleur Eugène?
Cette question n’a pour moi qu’une seule réponse possible, c’est évidemment Dmitri Hvorostovsky, superstar sibérienne à la crinière blanche qui l’a joué des centaines de fois. Il est partout sur les versions YouTube, comme vous vous en apercevrez après 5 minutes de recherche.
Je me suis pâmée devant le bonhomme en live au Royal Opera House en janvier dernier. J'ai d'ailleurs déniché une hilarante vidéo pirate de l'aria d'Eugène, tournée en loucedé par un véritable artiste de l'iphone littéralement le soir où j'y étais (sauf que j'avais une meilleure place, parce que j'avais pulvérisé ma tirelire). Attention, c'est plein de gens qui toussent derrière et de zooms audacieux:
(et NON, je n'étais PAS d'accord avec le bisou final, mais alors PAS DU TOUT.)
Bon, il y a d'autres Eugène très bien, évidemment. Pour moi, la règle numéro un, c’est que si je ne tombe pas amoureuse, tout le spectacle est raté. J’ai vu des mises en scène d’Onéguine avec des chanteurs moches ou peu charismatiques, et même s’ils chantent génialement, ça ne prend pas. C’est comme Don Giovanni, il faut pouvoir y croire. Hvorostovsky, même si au départ t’es pas fan de la coupe de cheveux, après trois minutes, tu verras, tu ne voudras faire qu’une chose, lui écrire une lettre passionnée au milieu de la nuit.
Cerise sur le gâteau, l’année prochaine le Metropolitan Opera de New York monte Eugène Onéguine avec Dmitri Hvorostovsky et Anna Netrebko, et il sera diffusé en direct dans de nombreux cinémas à travers le monde (dont mon cinéma à York, que j’aime d’amour car il diffuse des tas d’opéras). Il faut absolument y aller.
Le film
Pas vu! Pourtant je séquestre depuis presque 1 an et demi le DVD prêté par des potes (sorry, D.&J.!), mais je ne voulais pas être influencée pendant l'écriture de Songe à la douceur donc je ne l'ai pas regardé. Et depuis, je sais pas, j'ai peut-être un peu peur de m'y plonger.
Faut-il commencer par l'opéra ou le roman?
Malgré les titres identiques, ce sont deux oeuvres vraiment distinctes qui, pour moi, peuvent se rencontrer dans un ordre comme dans l'autre. D'ailleurs, on peut en aimer une et pas l'autre. J'ai rencontré un certain nombre de fans (pardon, d'érudits passionnés) du 'vrai' Onéguine qui sont très dédaigneux envers l'opéra, qu'ils accusent de sentimentalisme, de trahir le cynisme de Pouchkine, de 'n'en faire qu'une histoire d'amour', etc.
(En général, ça s'assortit de la critique typique, d'une gigantesque banalité à mourir de bâillements, des Vrais Amateurs de Musique Classique Que Tu Sais Qu'ils Aiment Vraiment la Musique Classique Et Pas Toi, c'est-à-dire que 'l'opéra, toute façon, c'est un genre inférieur, c'est de la comédie musicale pour midinettes'.)
Comme vous le savez, je n'ai aucune patience pour ce genre de snobisme (voir ce billet), mais ici il a le mérite de montrer ici que les deux oeuvres sont de style et d'esprit très différents. Et donc, qu'il faut essayer les deux.
Voilà, j’espère que ça défriche un peu le terrain. A bientôt pour d'autres nouvelles de Songe...