Magazine Cinéma

Les demoiselles de Rochefort

Par Kinopitheque12

Jacques Demy, 1967 (France)

Les demoiselles de Rochefort LA VIE FACILE

BELLES DE JOUR
On entre dans le film d'abord par le son. Les mouettes, les cloches et un aboiement, puis vient le paysage de bord de mer, un virage vers Rochefort en Charente-Maritime et un pont métallique sur lequel on monte bientôt et on se laisse transporter pour la traversée. On sort de sa langueur et on s'étire mais, sur le piano jazzy de Michel Legrand, ces simples mouvements sont déjà danse et chorégraphie. Le morceau enchaîne vite sur le thème des jumelles, un bref extrait, et voilà que toute la troupe se coordonne et s'anime. Puis la petite bande rose, rouge et bleue se balance, tranquillement, jusqu'à l'autre rive. Dans Rochefort, une fois passée la caserne de l'aéronautique navale, sur la place Colbert, rebaptisée depuis place des Demoiselles*, c'est pour les forains le moment de s'installer. Le rythme y est plus soutenu et on entonne volontiers avec les chœurs les " badabadabadams " qui l'accompagnent. Un travelling jusqu'à la fenêtre du cours de danse, " mi, ré, si, sol, mi ré, si la... ", et les deux véritables soleils du film se révèlent : Delphine et Solange, la blonde en rose et la rousse en jaune (Catherine Deneuve et Françoise Dorléac) dont la chanson à deux voix qui éclate pleine de cœur et d'entrain marque magnifiquement la fin de la première séquence.

Les demoiselles de Rochefort

BULLES DE KERMESSE
Dix minutes à peine et tout est éblouissant. On sait dès cette introduction toute la capacité des demoiselles à déborder sur la vie, à nous emporter rien que par son évocation et à insuffler la joie. On ne développera pas sur les couleurs vives, ni sur les danses et les chansons ou encore sur les filles en jupe partout présentes, simplement un mot en revanche sur l'humour dont Demy parsème son film comme autant de bulles de savon soufflées à la kermesse. Les jeux de mots sur M. Dame (Michel Piccoli) ou la " perm' à Nantes " sont biens connus (" esprit à quatre sous " ou " astuce amusante " c'est selon), mais on s'amusera aussi de la maman qui " voulait faire de ses filles des érudites et dût pour cela vendre toute sa vie des frites ", ainsi que d'un " grattez où ça vous dérange. Tant pis et salut Solange ". Citons également la réplique d'une des jumelles voyant les forains (se disant eux-mêmes " lutins farfelus et potaches ", George Chakiris et Grover Dale) : " Mais c'est Jules et Jim ! ".

LA VIE MALGRÉ TOUT
Une Lola-Lola apparaît également, enfin disparaît (allusion à la propre Lola de Demy, sortie quelques années plus tôt, en 1961), il s'agit de la chanteuse assassinée par l'infâme Subtil Dutrouz (Henri Crémieux), le retraité tranquille à qui l'on prête le long couteau pour le gâteau. Les demoiselles de Rochefort laisse en effet planer une inquiétude relayée à différents moments. Outre le meurtrier du fait divers laissé hors-champ, le coup de feu du mauvais fiancé (Jacques Riberolles) qui s'adonne à la peinture au pistolet (on pense à la série des Tirs de Niki de Saint Phalle réalisés entre 1961 et 1963). Le même pointe un canon sur la peinture d'un autre : sur l'idéal féminin peint par Maxence (Jacques Perrin), idéal qui a les traits de Delphine... Le second coup de feu sur toile marque la rupture amoureuse mais le nom du prétendant galeriste, Guillaume Lancien, ne laissait aucun doute. Ailleurs, on voit se déplacer une colonne de militaires bien difficile à percer pour traverser la chaussée : " Ça va mal partout. Ça me rappelle 39. Tenez, ça a commencé comme ça en 39 " (la guerre d'Algérie non plus n'est pas loin derrière). Sans parler de Solange qui peine à retrouver l'inspiration et à achever son concerto.

" AUX GENS D'ARMES, LES GENS DE CŒUR "
Demy se débarrasse de Lancien et de Dutrouz, ôte à Maxence son uniforme et arrange les rencontres entre Dame et Yvonne (Danielle Darrieux), les jumelles, Maxence et Andy... Portée par l'amour, Solange trouve le final de son concerto pour piano et orchestre. Et puis, dans le film, l'introduction de Gene Kelly est un autre grand bonheur. Dans sa première scène Andy Miller, l'ami américain, est galant, frôle la main de Solange et tombe immédiatement amoureux. Le travelling qui le suit multiplie les clins d'œil, un condensé du cinéma de Kelly : son interaction avec les enfants trace un lien avec Un Américain à Paris (Minnelli, 1951), un duel à l'épée à la pointe de l'index rappelle Les trois mousquetaires et (Sidney pour l'un, Minnelli l'autre, tous deux en 1948), quelques pas dansés en compagnie de deux marins et c'est Escale à Hollywood (Sidney, 1945) et Un jour à New York (Donen, 1949) qui sont évoqués. Gene Kelly aurait pu se charger de toute la chorégraphie du film s'il l'avait souhaité puisque Jacques Demy lui avait proposé*, mais préférant rester près de sa famille, il se contente de quelques scènes, cela n'en reste pas moins une de ses dernières grandes apparitions à l'écran.

Source inépuisable de bonheur, conçu comme un antidote aux Parapluies de Cherbourg (1963) suppose Olivier Père, jamais on ne se lasse de revoir ces Demoiselles, dès quatre ans ou à l'âge des antiques, ni 25 plus tard, ni 50 ans après.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Kinopitheque12 258 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines