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La guerre aux euphorisant légaux (legal high) en Grande Bretagne ou l’impossible marché régulé

Publié le 24 juin 2015 par Donquichotte

Le coalition au pouvoir en Grande Bretagne, menée par David Cameron, envisage une interdiction globale de toutes les substances psychoactives pour lutter contre « les drogues légales ».

Le Royaume-Uni est le pays européen qui à le plus grand nombre de consommateurs de « legal high », ces substances chimiques légales dont les effets imitent ceux des drogues illégales (cannabis, ecstasy, cocaine…) et qui sont mises sur le marché pour en contourner la prohibition. Une étude internationale réalisée sur Internet montre qu’au Royaume-Uni, près de 20% des jeunes de 17 ans ont déjà touché à ces drogues. A côté de cela, l’Etat comptabilise plus de 450 boutiques et sites internet dont la première activité est de vendre ces legal high. Cela représente plus de 82 millions de livres de chiffre d’affaire. Ces legal high peuvent également se trouver dans les salons de tatouage, les sex-shops et les marchands de journaux… Ils sont devenus un marché important.

Jusqu’à présent, pour lutter contre cette consommation exponentielle, le Royaume-Uni a interdit une à une les molécules, grâce à un processus d’urgence qui permettait de l’interdire immédiatement et pour une durée d’un an, en attendant que l’on puisse faire des recherches sur ses dangers éventuels afin de prendre la décision définitive. Çe fut le cas des NBOMe, de la MXE, du benzo-fury (6-APB), de l’ethylphenidate…

Cette stratégie a échoué, elle n’a pas stoppé l’avancée des legal high. Après chaque interdiction, l’industrie des legal high sortait une nouvelle molécule souvent très proche, mais à nouveau tout à fait légale. C’est ainsi que le 6-APB a été remplacé par le 5-APB, puis par le 5-EAPB…

Face à ces chiffres, la coalition dirigée par David Cameron prône maintenant l’interdiction totale de « toute substance destinée à la consommation humaine » capable de produire un effet psychoactif.

Juridiquement, le projet de loi défini comme  une infraction la production, la fourniture, l’offre de livraison, la possession avec intention de fournir, l’importation ou l’exportation de substances psychoactives. Mais pas la possession pour usage personnel. La législation prévoit des exemptions pour les substances psychoactives comme l’alcool, le tabac et la caféine, et le Misuse of Drugs Act continuera de réglementer les drogues qui sont déjà illégales (plus de 350…).

Les universitaires ont critiqué ces propositions. Ils ont affirmé que cela pourrait sérieusement entraver la recherche scientifique. David Nutt, l’ancien  conseiller drogues du chef du gouvernement a déclaré au Guardian que cette interdiction « mettra fin à la recherche sur le cerveau dans ce pays. Ca sera désastreux. L’interdiction de certains legal high a déja été très destructeur pour la recherche sur la maladie de Parkinson et les médicaments anti-tabac. Si je veux travailler sur un nouveau traitement pour la maladie de Parkinson basé sur des produits chimiques similaires au Benzo Fury (ancienne drogue légale), alors ça me prendra un an pour obtenir une licence ».

Les tenants d’une autre politique des drogues critiquent également cette mesure, mais pour d’autres raisons, centrées sur le lien entre prohibition et marché noir.
Charlotte Bowyer, responsable de la politique numérique à l’Institut Adam Smith, a déclaré: « Une interdiction générale sur les substances psychoactives peut éliminer les headshop des  centres ville, mais va pousser le commerce clandestin et encourager une flopée de nouvelles drogues alternatives encore plus dangereuses. »

Malgré ces oppositions, le projet de loi devrait recevoir un large soutien lors de sa deuxième lecture à la Chambre des Lords. Ce soutien et le fait que cette guerre aux legal highs est un retournement à 180° pour le premier ministre David Cameron, qui déclarait en 2005 que « les politiciens essaient de faire appel au plus petit dénominateur commun avec des postures de politiques dures, en demandant répression après répression. Cela fait des décennies que la politique anti drogues échoue», illustrent les difficultés à faire émerger des politiques de régulation plus équilibrées, intégrant la nécessité d’un marché contrôlé.

Mais au-delà, et alors qu’arrive la traditionnelle journée internationale « Support, don’t punish », cette décision montre combien les législations européennes sont dépassées et les gouvernements désemparés face à la montée des legal high. Ils s’enferment dans des réponses cyniques : pour prouver à leur opinion publique qu’ils font quelque chose, les gouvernements choisissent de frapper ce qui est le plus visible, c’est à dire ici les headshop.

Ce constat est renforcée par les chiffres d’impact ridicule que donne le Home Office : l’interdiction générale pourrait conduire à réduire de 12 le nombre de décès dûs au legal high chaque année en Grande-Bretagne quand on sait que l’héroïne à elle seule y est responsable de 1200 mort par an, sans parler de l’alcool et du tabac.

Même si cette législation ne refait pas l’erreur de pénaliser la possession pour usage simple reportant la pénalisation sur les vendeurs, elle échoue à poser la question d’une régulation assumée.

La France elle n’arrive pas à sortir d’approches encore plus écartelées et dépassées : après avoir interdit la famille des cathinones, elle vient d’interdire les 7 familles de cannabinoides de synthèse (des centaines de molécules qui pour la plupart ne sont pas sorties en France) et d’en pénaliser leur usage dans le même mouvement où elle continuait d’affaiblir la loi Evin, dont la seule logique était pourtant de réguler le marketing et la publicité incitant à consommer des alcools.

Il n’existe pas de politiques des drogues parfaites, il faut l’assumer. Mais certaines restent pires que le mal qu’elles veulent combattre : ne pas reconnaître que les substances pyschoactives sont aussi des marchandises qui n’échappent pas à la loi de l’offre et de la demande, ne pas vouloir les inscrire dans un marché que l’Etat se donnerait les moyens de contrôler, passer d’interdits absolus à l’absolue faiblesse face aux lobbys de l’argent, conduit à des échecs douloureux.


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