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Les supermarchés de drogues en ligne : les dealers de rue sont-ils en voie de disparition ?

Publié le 18 mars 2015 par Donquichotte

Le procès de l’administrateur de Silk Road, début février, puis hier, la disparition du plus gros marché internet de vente de drogues Evolution, mettent en lumière une évolution du trafic de drogues illicites : l’achat et la vente en ligne via des plate-formes anonymes cryptées (anonymous marketplace). Une tendance de fond qui risque de révolutionner le marché des drogues, mais aussi la façon de faire la réduction des risques.

Les marchés anonymes des drogues en ligne, qu’est ce que c’est ?

Tout en offrant l’anonymat, ces plateformes fournissent l’infrastructure pour que vendeurs et acheteurs effectuent des transactions en ligne, de façon similaire à d’autres marchés internet comme eBay, avec leurs mécanismes de règlement des conflits, des notes pour les vendeurs et les acheteurs, l’hébergement de forums de discussion. Elles se rémunèrent à la commission, généralement autour de 4%. Elles se nomment Silk Road, Evolution, ou Agora.

Ces marchés gardent leur emplacement secret et préservent l’anonymat des acheteurs et vendeurs par la combinaison de trois technologies : Tor, PGP et Bitcoin. Tor permet d’anonymiser la navigation sur internet, PGP d’envoyer des mails sécurisés et cryptés et le bitcoin est la fameuse monnaie internet utilisée pour faciliter les transactions anonymes.

Même si une large variété de produits apparaissent sur ces plate-formes, les drogues traditionnelles (cannabis, Lsd, Mdma, héroïne…) et les drogues issues de prescriptions médicales sont les plus achetées. Sur Silk Road, aux USA, en Grande Bretagne ou en Australie, c’est le MDMA qui était la drogue la plus achetée, suivie par le cannabis et le LSD. La vente des nouvelles drogues de synthèse sur le deep web semble limitée.

Sur le site de Psychoactif, Mai complète l’explication du fonctionnement de ces marchés online : « J’utilise principalement Evolution : l’interface est propre et claire, et les vendeurs ont des profils qui donnent accès facilement aux informations de bases comme les conditions de vente ou les commentaires des clients (positif, neutre, négatif). Les vendeurs sont également classés par « niveau » en fonction des commentaires positifs, du nombre de vente et de l’ancienneté.

J’ai réalisé, pour le moment, plus d’une dizaine de commandes. La majorité arrive chez moi en moins d’une semaine, tout dépend des vendeurs et du pays d’origine (la plupart sont envoyés d’Amsterdam). Mon adresse ainsi qu’une fausse adresse de retour (avec souvent le nom d’une fausse entreprise) sont imprimées sur une enveloppe de format classique. Le produit est souvent dissimulé dans des prospectus et protégé par un ou plusieurs emballages afin d’éviter les altérations du produit (moisissures, lumière, etc….) et les chiens renifleurs.

Comme l’a dit romain1412 le système d' »escrow » permet de libérer l’argent au vendeur qu’une fois le produit reçu et conforme. Certains vendeurs demande de « Finalize Early » (FE), c’est à dire de libérer les fonds avant l’expédition du produit. Sur le site que j’utilise, seuls les vendeurs ayant atteint un certain niveau peuvent se permettre de demander ce moyen de paiement. Ces modes de paiement sont spécifiés avant l’achat.

Dans le cas d’un problème avec la commande il est possible d’ouvrir une « dispute » ce qui alerte automatiquement un modérateur qui va alors participer à la discussion entre le vendeur et l’acheteur mécontent. Cette dispute peut aboutir au remboursement du client.

J’ai toujours reçu mes commandes, que ce soit en mode escrow ou FE. Les seuls soucis auxquels j’ai dû faire face ont été des problèmes de retard de livraison.

Souvent les sites possèdent un forum de discussion. C’est un élément important dans le choix d’un vendeur car il permet d’avoir des commentaires plus détaillés sur chaque vendeur : communication, délai de livraison, emballage, discrétion, qualité du produit, etc…
En ce qui concerne la qualité, les utilisateurs donnent leur opinion en fonction de leur expérience, parfois certains acheteurs testent leurs produits à l’aide de kit de test et transmettent les résultats sur le forum, certains utilisent même des laboratoires, il ne reste plus qu’à s’assurer de la véracité de ces résultats.
Le forum est également utile pour des conseils variés sur le deep web, la livraison de drogue, des conseils en réduction des risques, l’alerte des modérateurs concernant des arnaques possible d’un vendeur, etc…

Il m’est arrivé plusieurs fois d’obtenir des échantillons gratuits de la part de nouveaux vendeurs qui souhaitent se créer une réputation ou de vendeurs installés qui souhaitent donner une idée de la qualité de leur nouvel arrivage ou d’un nouveau produit. »

Les avantages des marchés en ligne

Dans une étude des tendances consacrées à l’achat de drogues sur internet , l’EMCDDA (European Monitoring Center for Drugs and Drug Addiction) recense les principales raisons invoquées par les utilisateurs de ces plateformes : «un large éventail de drogues», «une meilleure qualité», «il est plus facile à commander en ligne» et «un achat plus confortable à des vendeurs avec des notes élevées ». En outre, l’anonymat des sites, leurs forums de discussions et leurs systèmes de transactions avec une livraison rapide sont cités comme des bénéfices, ainsi que la réduction du risque de violence, acheteurs et vendeurs ne se rencontrant jamais face à face.

Les utilisateurs de Psychoactif qui ont utilisé ces marchés en ligne confirment ces avantages : Gastox témoigne : « Moi personnellement j’ai été attiré par les prix et la qualité, car dans mon coin, pour le shit ou la weed, c’est soit cher ou soit de mauvaise qualité (pas tout le temps). Sur les marketplace on peut trouver de la bonne qualité à prix raisonnable et surtout une étendue de choix énorme ! « . Ou encore Brak : « perso je trouve que c’est un moyen très chic de se faire un petit extra ! Ayant coupé les ponts avec le milieux depuis plusieurs années après 16 années de dépendance et 5 ans d’abstinence, (sans parler de mon Sub quotidien) j’avoue que de se faire livrer son keps par le facteur, alors qu’avant ct galère, stress et tutti quanti y’a un côté jouissif… » ou encore Luceed « Etant client et usager régulier de Evolution Marketplace, je reçois pratiquement toute ma drogue par internet et par la poste. C’est pratique quand on a pas de plan dans sa ville, ou qu’on est trop timide pour aller demander aux gens… Bref, j’ai passé déjà une quinzaine de commandes, toutes sont arrivées à quelques exceptions près. Les vendeurs sont courtois et répondent aux messages (ça dépends duquel hein) et on peut savoir à l’avance a qui l’on aura à faire grâce au système de réputation/level et aux feedbacks. Les prix sont beaucoup moins chers que dans la rue pour un produit de meilleure qualité souvent.« . Ou encore JMZ : « Après le truc cool du deep web c’est qu’au moins ça pourri pas la vie des gens dans la cité ( et ça écarte les gamins aussi), c’est entre autre pour ça que je boycotte les cités. Et ça évite aussi les tarés comme le mec qui voulait te casser les jambes, ce genre de mec se croit dans un flm pcq ils vends des drogues »

Les autres avantages des ces marchés par rapport au deal de rue sont la possibilité de réduire les risques liés à l’usage de drogue pendant l’achat. Ça peut être par exemple de pouvoir avoir accès aux témoignages sur les drogues vendues, les discussions en ligne sur la réduction des risques, et à des ressources pour les personnes qui souhaitent réduire leur consommation. La réduction des risques peut se faire encore plus tôt dans le parcours de l’usager. L’exemple le plus fameux étant le Docteur X (www.elsubmarinodeldoctorx.com) qui a fourni des services de réduction des risques aux utilisateurs de Silk Road, telles que des informations, des conseils et un service d’analyse des drogues.

Il n’y a pas que les usagers qui trouvent des avantages à ces marchés en ligne, les dealers aussi, car ils y trouvent (Selon l’EMCDDA) (1) un marché mondial pour leurs produits; (2) la capacité de vendre à des clients qui ne sont pas déjà connues d’eux; (3) la capacité de négocier de manière anonyme; et (4) la possibilité de commercer dans un relativement environnement à faible risque. C’est un nouveau paradigme pour le trafic : là ou le deal de rue est fortement localisé, le deal en ligne bénéficie de la toute la puissance de l’internet mondialisé et ouvert à tous, là ou le deal de rue est très voyant et risqué, le deal en ligne se cache derrière des outils cryptés et sécurisés qui résistent même à la NSA (comme Tor ou PGP).

Et les inconvénients…

Les marchés anonymes de drogue en ligne ont aussi, pour les usagers et comme pour les dealers, une série d’inconvénients. Ils n’échappent pas complètement à la répression, la stratégie des forces de l’ordre est dans ce cas d’organiser la perturbation du marché (et non son éradication impossible). Cela inclut la réduction de la confiance en l’anonymat des marchés en ligne, l’identification et l’arrestation des dealers. Pratiquement, elles organisent des opérations pour infiltrer les marchés online, s’établir en tant que dealer de confiance, et arranger un rendez-vous en face à face. D’autres actions ont pour but de faire connaître la présence policière aux usagers et d’en faire parler dans les médias. C’est le cas de l’opération Onymous en novembre 2014, lorsque le FBI a fait tomber plusieurs site du deep web dont Silk Road 2. Cette opération, essentiellement médiatique, était destinée à faire peur plus qu’à véritablement réprimer : la moitié des sites dont le FBI avait revendiqué la destruction n’était en réalité que des clones et des arnaques.

Ces marchés en ligne n’échappent pas non plus aux effets pervers du commerce. Comme tous les marchés, légaux ou illégaux, ils ont leur lot d’arnaques. Ji Air un acheteur chevronné du deep web raconte ainsi quelques expériences: « Mes premières commandes se sont très bien passées, et puis j’ai eu mon premier scam (carrotte), un anglais archi bien noté qui a décidé de changer d’air et en a profité pour arnaquer tous ses clients. Et la aucun recours, le mec se faisait payer en FE (Finalyse Early), c’est à dire que tu paies avant d’avoir reçu (à éviter quand on peut).. Peu de temps après, j’ai reçu un g de coke d’un mec avec 100% d’opinions favorable qui était de la merde, direct à la poubelle. Je l’ai contacté et le mec m’a rembourser illico et ce truc m’est arrivé plusieurs fois : le dealer vend de la fausse coke et quand un mec se plaint il le rembourse et comme la plupart ne le font pas –ou n’étant pas connaisseur, en sniff ils ont rien vu- ainsi il conserve sa réputation et peut continuer d’enfler les gens« .

Mais le principal inconvénient se trouve dans la distribution postale qui relativise l’anonymat. C’est le principal talon d’Achille du système : les drogues arrivant dans une boite au lettre nominative, les douanes peuvent venir vous cueillir chez vous, surtout pour les grosses livraisons. Les dealers, qui connaissent l’adresse des acheteurs, peuvent aussi en profiter. Ji air raconte comment des dealers ont essayé de le faire chanter : « Faut faire gaffe à un truc sur le deep c’est qu’il y’a des vendeurs qui peuvent faire du chantage en menaçant de balancer ton adressse. Ca m’est arrivé 1 fois pasque le mec voulait me forcer à écrire un bon feedback alors que son truc était de la merde, mort de rire mais vas y balance mon grand, TOUT le monde sait déjà que je me défonce, tu parles d’un scoop.
Mais bon je suis pas fou, je commande jamais plus de 2g à la fois (ça limite les pertes et les risques)
Ce qui peut être délicat c’est pour ceux qui habitent chez leur parents ou qui se défoncent en loucedé de leur femme ou famille. Mais c’est clair que dans l’idéal tous les mecs qui se font envoyer des paquets genre stups devraient par sécurité avoir un drop anonyme
 »

Un nouveau paradigme

Le changement rapide des technologies en ligne et le web 2.0 transforme nos façons d’interagir à la fois commercialement et socialement. Au final, même si ces marchés en ligne ont leurs travers, ils révolutionnent les pratiques d’achat et de vente de drogues. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder comment l’application online Amazone a changé le marché du livre, comment l’application Booking.com a révolutionner le marché des réservation d’hôtel, ou comment l’application Smartphone Uber à changer la donne pour les taxis. Il n’y a aucune raison pour que les drogues ne fassent pas leur révolution internet de la même manière. D’ailleurs, d’après l’EMCDDA, ce phénomène serait exponentiel. Nous en doutons d’autant moins quand on voit sur Psychoactif d’anciens usagers, habitués du deal de rue, témoigner de leur conversion à l’achat de drogues en ligne, ou de nouveaux usagers, comme Silmarien, n‘envisager que ce type d’achat : « pour ma part, je n’ai jamais chopé dans la street non plus, tout sur le deep web. Je pense qu’une nouvelle génération de tox se dessine. »
Sans naïveté, il est important que les acteurs de la réduction des risques, notamment issus de l’auto-support, s’impliquent sur ce marché, eux aussi, et y apportent leur expertise, qui doit d’ailleurs se renouveler au regard des nouveaux enjeux.


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