Magazine Beaux Arts

Substituts du miroir

Publié le 25 juillet 2017 par Albrecht

On s’intéresse ici à des cas où le miroir est remplacé par autre chose… ou  par rien.


The Dolly Sisters 1 The Dolly Sisters

Les Dolly Sisters

  Kessler sisters Photo by DANIEL FRASNAY from the book Paris Review 1961 Kessler sisters

Les Kessler Sisters

Comment de vraies jumelles inventent de  faux miroirs.

van dyck Autoportrait au tournesol 1632 Coll part

Autoportrait au tournesol
Van Dyck, 1632, Collection particulière

De la main gauche, Van Dyck  nous montre la chaîne d’or que lui a récemment donnée en récompense son patron, le roi Charles I d’Angleterre ; de la main droite, il montre un tournesol. La position de la grande fleur, aux pétales agitées  par le vent, un bouton tendu vers la gauche comme une main, fait écho à celle du peintre, avec ses cheveux ébouriffés. Derrière, le ciel nuageux rappelle que la tête du tournesol suit, dit-on, la marche du soleil.

Nous comprenons alors la métaphore  de l’artiste courtisan : comme la fleur,  lui aussi ne quitte pas des yeux son souverain, et c’est bien Charles I qui est censé être l’unique spectateur de ce tête-à-fleur chargé de sens.

Dorothea Tanning The mirror 1950 Collection Schefler Aspen

Le miroir
Dorothea Tanning, 1950, Collection Schefler, Aspen

Le tournesol, emblème-fétiche de Tanning, figure dans plusieurs toiles de cette époque, avec des significations variées [1].  Ici, on ne peut s’empêcher de penser à une transposition de la composition de Van Dyck. On y retrouve la double  métaphore du tournesol comme visage et comme miroir du soleil. Mais ici, elle est poussée à son comble : le visage est devenu un tournesol, et le tournesol est véritablement un miroir, qui ne montre rien  que le soleil.

Le tout englobé dans un autre  miroir-tournesol, en signe d’autoréférence.

Les réflexions d’Andrew Valko

Grand spécialiste des chambres de motel glauques, Andrew Valko explore depuis de nombreuses années divers dispositifs réflexifs qui s’ajoutent au miroir pour tenter, sans y parvenir, d’échapper au huis-clos du célibataire ou du couple.

Nous allons retrouver deux effets que le miroir permet habituellement d’obtenir.


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L’effet ping pong

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andrew_valko_1992 Room by the sea

Room by the sea, 1992

Entre la clim et l’alarme incendie, la femme se remaquille en nous cachant son visage tandis que  le miroir nous montre celui de son partenaire. Au fond, dans le poster, un autre couple a trouvé la liberté sous les cocotiers.
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Steady shot 1998

Lampe rouge allumée, c’est ici le caméscope qui nous montre le partenaire.  Le motif de fausse jungle du canapé évoque une évasion illusoire.
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Knock knock, 1998

C’est maintenant la télévision, sur laquelle le caméscope est branché en tant qu’adjuvant érotique, qui nous révèle l’homme assis sur le lit, encore en slip. La femme s’est levée pour  regarder par le judas , autre dispositif optique d’espionnage : moins fâchée de l’interruption du tournage que curieuse de l’irruption d’autre chose dans leur intimité technicienne.
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La déconnexion

Dans laquelle il s’agit de découper et de mettre à distance un morceau de réel.


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Import image, 2008  

andrew_valko_2007 facebookFacebook, 2007

La webcam  modifie le cadrage et l’angle de vue avec bien plus de liberté qu’un miroir : pourtant nous ne doutons pas un instant que le visage à l’écran est bien celui de la jeune fille.

Dans la première composition, la webcam fonctionne comme un dispositif de prise de vue (« Import image« ), dans lequel la jeune femme sert de modèle.  Dans la seconde, elle est utilisée comme un dispositif  réflexif, dans lequel  la jeune femme est à la fois le sujet et l’objet (d’où le titre  Facebook).

Mais grosse différence avec un miroir : elle n’inverse en aucun cas  la gauche et la droite.
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I Shot Myself, 2011

L’appareil photo lui aussi respecte la gauche et la droite ; il produit une image miniature qui semble amorcer une régression à l’infini aussitôt interrompue, à la verticale de la cuvette close.
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Messenger, 2015 Alone together, 2017

Progrès technique oblige, l’objectif est maintenant celui du téléphone portable.

A gauche, il ajoute à l’effet de découpe celui d’une translation à la fois spatiale et temporelle, soit justement ce qui caractérise un « messager ». Il crée aussi le paradoxe d’un visage exact et complet, mais indécidable : car qui nous dit que les lèvres sous la photo ont gardé la même expression ? Qui nous dit que ce messager  n’est pas en train de nous tromper tout en gardant les lèvres closes ?

A droite, l’ancienne et le nouvelle technologie rivalisent : le miroir circulaire effectue un zoom sur l’oeil gauche de la jeune fille, qui de la main droite prend un selfie dans le grand miroir.  La question est : le selfie qu’elle prend coïncide-t-il  avec le tableau que nous voyons ?

Voir la réponse...


La réponse est non : le faux reflet du robinet (qui est en fait celui d’un flacon) nous fait croire que le point de fuite coïncide avec l’objectif du portable (ligne rouge). Mais les reflets du miroir circulaire et de son support indiquent un point de fuite bien différent (lignes jaunes). On en déduit  par ailleurs que le robinet n’est pas perpendiculaire au mur, mais incliné.

Le fait que le tableau ne coïncide pas avec le selfie, ce qui bien sûr en complexifie la réalisation, sonne comme une revendication d’autonomie de la peinture par rapport à la reproduction mécanique.
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For your eyes only, 2010 Marriott reflections, 2011

A gauche, la modèle se fait les cils, grâce à un miroir portable grossissant. A droite, elle se met du rouge à lèvres. Si la salle de bain est différente, la modèle, le miroir portable et la trousse de toilette en plastique bleu transparent sont les mêmes.

Identique également la hauteur du point de fuite, à peu près au niveau du soutien gorge, soit la hauteur d’un homme assis.
Du coup, pour que le miroir circulaire fixe puisse nous montrer le visage du peintre, il faut qu’il soit lui-aussi grossissant, et incliné légèrement vers la droite et vers le bas.

Shutterbug (Passionné de photo), 2014

Dans ce bouquet final symphonique, les deux procédés  se juxtaposent : l’effet ping-pong et la déconnexion.


Le miroir mobile, par sa double face, concentre ingénieusement dans un espace restreint, le grand oeil du modèle qui ne fait que se regarder lui-même, l’oeil clos du peintre, et le seul  oculus qui regarde réellement : l’objectif de l’appareil photo.

Comme si le regard humain se trouvait ici définitivement supplanté par le regard mécanique. Et comme si la caméra avait pris possession de la chambre.


Références : [1]  Dans Eine Kleine Nachtmusik (1943), il représente selon elle :
 » le symbole de toutes les choses avec lesquelles les jeunes doivent s’affronter et traiter «  , ou bien   » la bataille sans fin que nous menons contre des forces inconnues, ces forces qui existaient avant notre civilisation « .
http://www.tate.org.uk/art/artworks/tanning-eine-kleine-nachtmusik-t07346

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