Magazine Beaux Arts

1.3 A la loupe : les panneaux latéraux

Publié le 26 novembre 2017 par Albrecht

Le panneau de gauche


Un jardin-antichambre

Rogier_van_der_Weyden_-_Annunciation_Triptych_-_WGA25590 vers 1440 Louvre
Triptyque de l’Annonciation
Atelier de Van der Weyden, vers 1440, Louvre, Paris (panneau central)
et Galleria Sabauda, Turin (panneaux latéraux)

L’idée du donateur adorant la Vierge depuis un jardin, devant un escalier et une porte donnant accès à la chambre de la Vierge, sera reprise plus tard par l’atelier de Van der Weyden, dans un triptyque dont la composition, si cette reconstitution est exacte, rappelle  celle du retable de Mérode (sauf pour le panneau droit, qui représente la Visitation).


Rogier_van_der_Weyden_-_Annunciation_Triptych_-_volet gauche galleria sabauda turin
Le panneau gauche, repeint en totalité, est difficile à interpréter, et le donateur est inconnu. La  porte cochère est surplombée par une bretèche à caractère défensif, mais le peintre a oublié la porte latérale donnant accès au chemin de ronde Le rempart porte trois créneaux, puis s’interrompt absurdement, sans qu’il s’agisse pour autant d’une ruine (la moulure du bas fait le tour du rempart). A voir les trois baies de la fenêtre, les trois fleurons de l’auvent  (et d’autres triplets dans le panneau central, tels les coussins et les lys), on comprend que l’enjeu des trois créneaux est symbolique.  Ce bout de fortification  trinitaire est essentiellement un symbole marial, à la fois porte  (janua coeli) et tour (turris eburnea).

De même la colonne en haut de l’escalier est probablement plus, vu son voisinage avec l’arbre, un symbole christique qu’un élément d’architecture réaliste.

Un lieu réaliste

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A côté de ce jardin lourdement symbolique, celui du retable de  Mérode, enclos d’un rempart dont on voit toutes les pierres, fortifié par une bretèche fonctionnelle, équipé de portes dont on voit toutes les planches et les ferrures, planté d’une pelouse dont chaque plante est reconnaissable, apparaît comme un modèle de réalisme.

Et pourtant, comme nous allons le voir, il comporte quelques symboles discrets.

La rose pour emblème

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Reindert L. Falkenburg note que le mari a probablement décoré son chapeau avec une rose prise au rosier grimpant. Sa femme quant à elle tient un rosaire de corail. Cette insistance sur la rose, emblème de Marie, conduit la méditation jusqu’ « au drapé de la robe rouge de Marie, qui, par ses plis autour du genou gauche, ressemble à une grande rose, la « Rose Mystique » du sein de laquelle, selon la littérature dévotionnelle de l’époque, le Christ aurait bourgeonné. » [1]

Saint Christophe

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Sur le rosaire est attachée une minuscule figurine dorée de Saint Christophe, le « porteur de Christ ». Selon Falkenburg, il s’agit probablement de l’indication que la jeune femme espérait être enceinte.


Le messager

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En 1966, H.Nickel [2] a identifié le minuscule écusson que porte le personnage debout à côté de la porte ( trois bandes rouges sur fond d’or) : il s’agit des couleurs de la cité de Malines (Mechelen). L’homme n’est donc ni un serviteur du couple, ni un autoportrait de Campin, ni un marieur, comme on l’avait proposé auparavant.


Messenger badge, metropolitan museum

Un exemple de badge de messager,
Metropolitan Museum, New York

C’est un de ces messagers professionnels, authentifiés par leur badge qui, avant la mise en place d’un service postal, étaient chargé de délivrer officiellement le courrier d’une ville. Son grand chapeau de paille le protégeait des intempéries, et sa bourse contenait les missives.

Selon Nickel, il apparaît dans le triptyque comme « la contrepartie terrestre du messager céleste, l’ange Gabriel. Peut-être a-t-il  été mis là pour compléter un motif de trois personnages , femme, mari et messager, formant d’une manière séculière un contraste délibéré, et légèrement amusant, avec le groupe sacré de Marie,  Joseph et Gabriel. »

Selon Falkenburg [1], il pourrait s’agir d’un héraut  annonçant et solennisant la visite des donateurs auprès de Marie.


Les quatre oiseaux

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Dans la foulée de sa découverte, Nickel a proposé une interprétation détaillé des quatre oiseaux, qui a eu moins de succès  :

« …un rouge-gorge d’Europe, une pie,  un chardonneret et un moineau. Le rouge-gorge, avec sa poitrine rouge, le chardonneret , qui se nourrit dans les ronces et le moineau, le plus humble des oiseaux, qui ne tombe pas sauf par la volonté de Dieu, sont des symboles de la Passion et de l’Incarnation du Christ. Le seul oiseau qui n’a pas de relation directe avec le Christ est la pie. Selon les bestiaires, cet oiseau  parle et délivre des messages, et ce n’est probablement pas par hasard qu’il est perché juste au dessus de la tête du messager humain. De plus, la disposition des quatre oiseaux reproduit celle des quatre personnages dans les autres panneaux du triptyque. Ainsi le rouge-gorge, un des plus petits oiseaux d’Europe, correspond au minuscule enfant Jésus sur son rayon, dans le panneau central ; la pie à l’archange ; le chardonneret, qui apparaît fréquemment dans les représentations de la Vierge à l’Enfant, à Marie (de plus,  le fait que Marie soit assise sur le sol est reproduit par le chardonneret, perché  plus bas que la pie sur le mur) ; et l’humble moineau à  Joseph, l’humble charpentier. »


La double porte

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Nickel  discute ensuite l’anomalie de la porte ouverte, si le panneau représente le « hortus conclusus », le jardin clos qui est un emblème marial. Il remarque que seule la partie « piéton » de la porte cavalière a  été ouverte par le messager :

« ses doigts effleurent le bord de la porte tout comme le bout des ailes de l’ange effleurent la porte de la chambre. Ce type de porte pouvait laisser passer un cheval et son cavalier – peut être le cavalier dans la rue est-il là pour le souligner – et seule la petite porte étant ouverte, aucun cheval ne pouvait entrer.  Le cheval dans l’iconographie médiévale est un symbole du désir… qui, naturellement, n’était pas admissible dans le jardin de la virginité. »


Le panneau de droite est très célèbre, et bien plus intéressant.



Les deux souricières

Nous leur avons dédié un chapitre séparé (2.1 1945 : Schapiro and co : la bataille des souricières), car l’histoire de leur identification controversée mérite d’être racontée.

Les volets du haut (SCOOP !)

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Les volets se rabattent à l’intérieur, et s’attachent au plafond par une clenche. On voit sur la gauche le coin d’un troisième volet, ce qui signifie qu’il y a une troisième fenêtre dans l’atelier de Joseph, et donc un espace entre son établi et le mur mitoyen avec la chambre de la Vierge. Nous verrons dans 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré que ce détail en apparence insignifiant a une  grande importance pour l’intrigue.

Les volets du bas  (SCOOP !)

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Pour des raisons d’encombrement, ceux là ne pivotent pas : ils coulissent verticalement dans une  glissière.

L’étal

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L’étal à l’extérieur du magasin, qui porte pour attirer le client une production de l’atelier Joseph, se replie vers le haut lorsque les volets  sont fermés.

Le banc

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Son dossier extrêmement haut en fait une sorte de cloison entre la porte et l’atelier. Le clayonnage permet à Joseph, en se retournant, de voir qui entre dans son échoppe.

La porte

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Elle est entrouverte vers l’intérieur. Le soleil découpe son ombre sur le mur de droite. Mais comme on voit aussi l’ombre du clayonnage en contrebas, c’est qu’il existe une source de lumière à l’intérieur de l’atelier, en haut à gauche, dans la partie cachée par le cadrage. C’est elle aussi qui baigne de lumière la face de Joseph.


Detail Lampe à huile
Annonciation (détail)
Andrés Marzal de Sas, 1393-1410, Saragosse, Musée provincial

Sans doute est-ce une lampe à huile, comme dans cet autre atelier, traité de manière bien plus frustre.

La planche à trous

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En tout cas, cette lampe cachée (SCOOP !) projette l’ombre du forêt sur la planche  que Joseph est en train de perforer.

Certains (Jozef de Coo) doutent qu’il soit possible de faire tourner le vilebrequin d’une seule main, en coinçant la pomme  contre sa poitrine. Mais Joseph est  habile : il a déjà percé trois trous et attaque le quatrième.

Les trous sont répartis en quinconce. Ils forment une grille de 4×4 trous, repercée par une autre grille de 3×3 trous. [3]

La craie (SCOOP !)

Merode Droite Craie planche
Voici  quelque chose que personne n’a remarqué : le petit objet blanc et rond sur l’établi, dans lequel beaucoup veulent voir un appât pour les souricières, n’est autre que la craie qui a servi à marquer l’emplacement des trous sur la planche. On le comprend car, à côté d’elle sur l’établi, Campin a pris soin de tracer une marque du même genre.


Les outils de la table

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On devine au fond, dissimulée dans l’ombre du volet, une grande tarière en forme de T. Plus près, une soucoupe contenant des clous, d’autres s’étant échappés sur l’établi. Un ciseau et un marteau, une tenaille et un tranchoir complètent l’équipement.


La bûche

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Joseph y plante non pas sa hache, mais sa doloire, un outil qui sert à écorcer et équarrir le bois. La lame porte un signe constitué de trois cercles, analogue aux trois trous déjà percés dans la planche et aux trois trous qui figurent sur les armoiries de droite, sur le vitrail  du panneau central.


Le tabouret

Le petit tabouret en bas à gauche, sur lequel est posé la scie, est en fait un support sur lequel Joseph pose le pied pour scier (SCOOP !).


Legende de saint Joseph 1490-1500 Hoogstraten, Church of St Catherine detail tabouret
Légende de saint Joseph (détail)
1490-1500, Hoogstraten, Eglise  de St Catherine

Cette fonction d’étau se voit bien sur ce détail d’un retable postérieur, mais clairement inspiré par les oeuvres de l’atelier de Campin.


Legende de saint Joseph 1490-1500 Hoogstraten, Church of St Catherine detail Joseph

Le doute de Joseph
Légende de saint Joseph, 1490-1500, Hoogstraten, Eglise  de St Catherine

Au final, tous les outils de l’atelier sont bien ceux que l’on s’attendrait à trouver chez un honnête menuisier.

div class= »encadrement » style= »text-align: left; »>Références :

[1]Reindert L. Falkenburg, “The Household of the Soul: Conformity in the Merode Triptych,” dans Early Netherlandish Painting at the Crossroads: A Critical Look at Current MethodologiesMaryan Wynn Ainsworth Metropolitan Museum of Art, 2001 – 122 pages http://www.academia.edu/5166635/The_Household_of_the_Soul_Conformity_in_the_Merode_Triptych [2] Nickel, Helmut. « The Man Beside the Gate. » The Metropolitan Museum of Art Bulletin, n.s., 24, no. 8 (April 1966). pp. 237–44, fig. 1, 9, 10, ill. on frontispiece.
http://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_metropolitan_museum_of_art_bulletin_v_24_no_8_april_1966# [3] Donc 25 au total, ce qui correspond au triangle de Pythagore (5×5 = 4×4 + 3×3), mais aussi au nombre de lettres de l’alphabet hébreux (ou grec). On peut aussi décomposer 25 en 12+12+1,  soit  les 12 trous du périmètre, autour des 12 trous de l’intérieur plus  le trou du centre. Tout en restant très prudent sur les interprétations numériques  dans le retable de Mérode, nous reviendrons sur ce point en conclusion de cette étude, lorsque nous aurons compris le rôle de la planche à trous au sein du panneau de droite (voir 5.2 Une Histoire en quatre tableaux).

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