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Oscar WILDE conteur. "La Pièce qui n'a pas cours"

Par Bruno Leclercq

Dans son article de 1900 dans la Revue Blanche, sur Oscar Wilde, Ernest La Jeunesse, qui l'avait bien connu lors de son dernier séjour à Paris, écrivait : « Pesamment, mot par mot, dans sa fièvre de travail balbutiante, il imaginait des paraboles légères : l'histoire du monsieur qui, après avoir reçu une pièce fausse, va quérir le roi illusoire dont il a vu l'effigie... » Cette histoire, comme tant d'autres, Wilde ne l'écrivit pas, ses contes il les improvisaient au fil de la conversation, les reprenant parfois devant d'autres interlocuteurs, il fut en cela comparable à Villiers de l'Isle-Adam, autre conteur inépuisable dont Remy de Gourmont écrivait « Que de nouvelles n'a-t-il pas racontées qu'il n'a jamais, qu'il n'aurait jamais écrites ! » (1). Curieusement, Guillot de Saix, eut l'idée de compiler les souvenirs des uns des autres, pour écrire lui-même les contes « parlés » d'Oscar Wilde (2). « L'histoire du monsieur qui, après avoir reçu une pièce fausse, va quérir le roi illusoire dont il a vu l'effigie » entendue par La Jeunesse, figure dans le recueil de Guillot de Saix sous le titre La pièce qui n'a pas cours. Voici donc, ce texte, ni tout à fait de Wilde, ni tout à fait de Guillot de Saix.

La Pièce qui n'a pas cours

Un jour, un pauvre diable qui gagnait péniblement sa vie en travaillant de-ci, de-là, trouva sur son chemin une pièce d'or.
C'était une pièce à l'effigie d'un roi inconnu.
- Cela tombe bien, se dit l'homme. Voilà longtemps que j'ai l'envie d'un bon repas.
Et tout fier de sentir la pièce dans sa poche, il alla s'attabler à la plus proche auberge et commanda selon son goût. Pour la première fois, il mangea à sa faim.
Mais, quand à la fin du repas, cet homme fit sonner sa pièce sur la table, l'aubergiste lui dit :
- Cette pièce-là n'a pas cours. Personne ne connaît le profil de ce roi.
L'autre soupira :
- C'est que je n'ai pas d'autre pièce, mais qu'à cela ne tienne : je travaille ici près. Je vous paierai sans faute.
Et le pauvre diable tint sa parole, et dut, pour la tenir, travailler doublement.
Quand il se fut enfin acquitté de sa dette, il fit un paquet de ses hardes, prît un bâton et si mit en route pour découvrir le pays où sa pièce étrange aurait cours.
Et travaillant, de-ci, de-là, notre homme fit le tour du monde, sans trouver jamais le pays illusoire où régnait le roi dont il promenait l'image. Partout où il présentait sa pièce d'or, les gens disaient :
« Ta pièce est fausse. Ce roi n'a jamais existé. » Mais lui ne voulait pas les croire.
-Puisqu(il a son portrait en or, il doit bien régner quelque part !
Et l'homme s'en allait, poursuivi par les rires. Et il reprenait allégrement sa route et tout en marchant il chantait, car il avait, au moins, la satisfaction de n'être point dépourvu de ressource, puisqu'il avait toujours en poche sa pièce d'or mystérieuse, et dans le coeur son espérance.
Un soir qu'il était las, plus las que tout les autres soirs, il s'arrêtât au bord d'une rivière qu'il devait traverser. Il aperçut un passeur, le héla et lui tendit sa pièce.
A sa grande stupeur le passeur l'accepta.
A peine l'homme eut-il mis le pied dans la barque que celle-ci parut s'enfoncer sous son poids dans les eaux tout à coup plus sombres. Sous une dernière lueur, alors qu'il allait disparaître, il reconnut dans le profil du passeur noir, comme serti par un fil d'or, le profil de ce roi qu'il s'était fatigué à chercher par toute la terre.
Et dans un suprême sourire, partant pour le pays d'où l'on ne revient pas, son obole dûment payée, il se laissa glisser vers le fond des eaux noires.
Oscar Wilde concluait :
« En vérité, l'amour et le génie sont en tous points semblables à cette pièce qui n'a pas cours, et celui-là qui possède l'un ou l'autre parcourra vainement la terre sans parvenir à l'échanger. »
Il a, par la suite, précisé le côté prophétique de son oeuvre en écrivant au trop cher « Bosie » dans le De profundis :
« Certes, tout cela est annoncé et prévu dans mes livres. Une partie l'est dans Le Prince Heureux ; une autre, dans Le Jeune Roi, principalement dans le passage où l'évèque dit à l'enfant agenouillé : « Celui qui a créé le malheur n'est-il pas plus sage que toi ? » phrase qui, lorsque je la traçai, me parut plus qu'une phrase... »
Wilde proclame que : « A tout instant de l'existence, l'homme est ce qu'il va être, non moins que ce qu'il a été. » Le présage est encore incarné, d'après lui, dans le poème en prose de l'homme qui, du bronze de la statue du Plaisir-qui-ne-dure-qu'un-moment
doit faire l'image de la Douleur-qui-dure-pour-jamais.
« Hélas ! Hélas ! Pauvre Wilde ! S'écrie André Gide, ce n'était pas cela que disait votre conte ; l'artiste dont vous parliez, tout au contraire, brisait la statue de la Douleur pour en faire celle de la Joie, et votre volontaire erreur reste plus éloquente qu'un aveu. »
Un matin, comme il venait de lire un article dans lequel un critique assez épais le félicitait de « savoir inventer de jolis contes pour mieux habiller sa pensée », Wilde, prononça :
« Ils croient que toutes les pensées naissent nues. Ils ne comprennent pas que je ne peux pas penser autrement que sous forme de contes. Le sculpteur ne cherche pas à traduire en marbre la pensée ; il pense en marbre directement. »
Et, le poète ajoutait :
- « Moi je pense en contes. »

Une variante du conte figure dans le même recueil :

La pièce qui n'a pas cours

« Un pauvre diable a trouvé une pièce de monnaie ; cette pièce est à l'effigie d'un roi inconnu et le pauvre diable se met à voyager de par le monde sans arriver à découvrir le pays où cette pièce a cours et où il pourrait l'échanger... Il travaille pour pouvoir voyager et dépense tout son argent pour échanger enfin cette pièce... L'homme va son chemin, avec la satisfaction de n'être point dépourvu de toute ressource, puisque sa pièce d'or mystérieuse lui reste... »

(Version notée par Francis Carco.)


(1) « Un carnet de notes sur Villiers de l'Isle-Adam... », Promenades littéraires, 2e série, Mercure de France, 1906.
(2) Le Songe merveilleux du Dormeur éveillé. Le Chant du Cygne. Contes parlés d'Oscar Wilde. Recueillis et rédigés par GUILLOT DE SAIX. Mercure de France, 1942.

De Guillot de Saix sur Livrenblog : Laurent TAILHADE et LA FRANCE


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