Cédric Anger, 2018 (France)
Enfer et damnation, le cinéma porno serait-il devenu tellement mainstream qu'il fasse désormais l'objet d'études historico-sociologiques et le thème central de films aussi grand public que celui de Cédric Anger, L'amour est une fête ? La réponse est évidemment oui, cela fait désormais bien longtemps que le porno n'est plus une sub-culture, en témoignent les publicités qui font de plus en plus fréquemment appel à des images ou des clichés s'y rapportant, les films qui flirtent allègrement avec le genre et même, oui, l'art contemporain. L'approche de Cédric Anger est cependant un brin différente, à l'instar de l'excellent livre de Legs McNeil, The other Hollywood (2005), le réalisateur s'intéresse particulièrement à la période des années soixante-dix, celle où régnait encore un cinéma amateur fait avec des moyens limités mais une véritable intention artistique (oui bon, même si ça peut faire sourire les plus taquins). Une époque où les films étaient tournés avec de la vraie péloche, un réalisateur, un chef opérateur, une vraie lumière... et un scénario. Bref, du vrai cinéma. A l'heure du gonzo et des vidéos tournées à la chaîne par les industriels de la San Fernando Valley (La Mecque du porno US pour ceux qui ne seraient pas au courant), le projet à quelque chose de profondément nostalgique et un poil idéaliste. Comme si Cédric Anger avait décidé d'enfiler des lunettes à paillettes et un pantalon pattes d'eph pour ré-enchanter une époque irrémédiablement révolue. Mesdames et messieurs, bienvenue dans le porn tendance vintage (oui, ça sonne mieux que retro-porn ou porn à papa).
Le début du film est inutilement alambiqué et aurait gagné à choisir une narration plus linéaire, mais nous y reviendrons. Franck et Serge (Guillaume Canet et Gilles Lellouche) sont flics à la brigade des mœurs (la mondaine comme on disait à l'époque). Ils sont chargés par leur patron d'infiltrer le milieu du X parisien, afin de faire tomber les gros poissons à la tête de sociétés qui pratiquent impunément la fraude fiscale et le blanchiment d'argent issu du commerce du sexe (boîtes de strip-tease, sex-shops, sociétés de production spécialisées dans le porno...). Pour cela, ils disposent d'une couverture en or, un vieux club de strip-tease dont ils reprennent la gestion et qui sera leur porte d'entrée dans le milieu. Mais les petits nouveaux ont fort à faire pour réussir à se faire une place dans ce petit commerce lucratif, d'abord parce que la concurrence y est rude, mais aussi et surtout parce qu'on se méfie d'eux. Pour booster leur fréquentation, nos deux lascars ont l'idée de faire tourner leurs filles dans de petites productions sans prétention, afin d'appâter le chaland et force est de constater que la recette fonctionne et ne manque pas d'attirer l'attention sur eux. Au point que leur club fait l'objet d'un véritable acte de vandalisme, dont on imagine que les commanditaires ne sont rien d'autre que les gros bonnets locaux. Franck et Serge se décident donc à démarcher un gros producteur afin d'obtenir un prêt pour financer la réfection du club, les tarifs sont usuriers et les conditions à leur désavantage, mais les voilà désormais dans la place, au cœur du système. De fil en aiguille, les deux flics vont réussir à se faire accepter dans le milieu et à se voir proposer le rôle de producteurs dans des productions un peu plus haut de gamme. Oui mais voilà, Franck et Serge, tout bons flics qu'ils soient, finissent par se prendre au jeu et à trouver les conditions de leur nouveau boulot fort à leur avantage. Filles à gogo, drogues, fêtes jusqu'à pas d'heure et champagne à volonté, voilà qui a de quoi faire vaciller les convictions les plus solides.
Un peu poussif dans son premier quart d'heure, en raison d'une construction narrative un poil tarabiscotée (oui bon, c'est pas non plus du Lynch) et du ton franchement ringard de cette entrée en matière, à la fois éminemment sexiste et paternaliste, le film prend progressivement son rythme de croisière et se montre plus subtil qu'on aurait pu le penser au premier abord. Le film lorgne ainsi progressivement vers la comédie bon enfant, avec quelques scènes franchement très réussies et bien dialoguées, mais se veut aussi plus profond, voire parfois même tendre avec ses personnages, tous fort réussis (avec le casting qui va bien ; citons aussi Michel Fau, Xavier Beauvois...). Fascinant par son côté joyeux et libertaire, prônant le sexe sans complexe et l'amour de son prochain au sens littéral du terme, le film est une véritable ode au cinéma porno des seventies, un film à la fois léger et très innocent. Trop sans doute, car il a tendance à idéaliser l'époque, oubliant toute velléité de critique (même s'il ne s'agissait pas du projet d'Anger). On veut bien croire que le cinéma X de l'époque n'avait encore rien de l'industrie qu'il est devenu, que ses acteurs, ses réalisateurs et ses producteurs étaient animés par la passion et un certain sens artistique, mais le réalisateur frôle à un certain nombre de reprises la naïveté. Il n'empêche que l'on a envie d'y croire et que l'on peut y voir, en forçant le trait quelque peu, l'un des derniers bastions de l'esprit de tolérance et de liberté du flower power, comme si les derniers esprits libres avaient encore voulu résister avant de succomber aux assauts du consumérisme à outrance et de la machine à cash.