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Rêves éveillés (Gryozy)

Par Kinopitheque12

Yevgeni Bauer, 1915 (Russie)

Rêves éveillés (Gryozy)

" Hugues garda de cette rencontre un grand trouble.
Maintenant, quand il songeait à sa femme,
c'était l'inconnue de l'autre soir qu'il revoyait ;
elle était un souvenir vivant, précisé.
Elle lui apparaissait comme la morte la plus ressemblante ".

Admettons que l'on puisse tomber amoureux d'une œuvre comme d'une personne. Disons Vertigo. Qu'une fois passé le dernier fondu au noir, il ne reste plus du film qu'un souvenir. Le souvenir d'un être cher que l'on vient de perdre. Un souvenir qui avec le temps s'avère tenace. Un souvenir plaisant et pénible à la fois (" C'est une joie et une souffrance " est-il dit dans un autre film). Une véritable hantise.

Un mausolée, une

Rêves éveillés (Gryozy)

Chambre verte

Que " Les choses s'étant toujours exprimées par une analogie réciproque ", il n'apparaît toutefois pas impossible d'espérer retrouver un jour l'objet de son culte, l'être aimé. De quelque manière que ce soit. Pourquoi pas dans une autre œuvre ? Un texte ? Bruges-la-Morte de Rodenbach. Peut-être. 1892, la date de parution en ferait alors une lointaine aïeule, une sorte de Carlotta Valdès. Le thème de la réapparition de l'être aimé avait aussi inspiré Nerval ( Aurélia) ou Gauthier ( La morte amoureuse). Boileau-Narcejac en 1954. Puis Hitchcock. Ce dernier permettant à la spirale de poursuivre ses boucles (aucun " The end " au générique) : il nous est encore permis de sombrer.

Rêves éveillés (Gryozy)

Femme au portrait

C'est le cinéaste russe Yevgeni Bauer (1865-1917) qui adapte pour la première fois au cinéma le roman de Georges Rodenbach. Ce cinéaste ne devient réalisateur qu'en 1913, à l'âge de 48 ans. Avant sa mort, quatre ans plus tard, il a tourné 82 films, courts et longs, mais 26 seulement nous sont parvenus. Une exposition qui lui était consacrée au MOMA en 1994 le considérait comme un précurseur de l'expressionnisme allemand et un auteur majeur du cinéma russe de l'époque tsariste. Ce que l'on veut bien croire quand on voit Rêves éveillés (Gryozy ou Grezy en russe et traduit en anglais par Daydreams). En considérant l'époque, il impressionne d'un point de vue technique : profondeur de champ, composition des cadres, sens du détail, mouvements d'appareil, le tout vingt ans à peine après la naissance du cinéma. Il nous saisit avec un récit plein de passion et particulièrement touchant. Ce court métrage de moins de 37 minutes est un chef-d'œuvre intemporel.

Rêves éveillés (Gryozy)

Rêves éveillés (Gryozy)

D'entre les morts

Sergei (Alexander Wyrubow) vient de perdre sa femme Yelena (F. Werchowzewa). La première scène nous place dans le confort d'une mélancolie absolument parfaite. Sergei croit retrouver sa femme en croisant dans la rue une actrice qu'il va voir aussitôt sur scène pour s'assurer de ne pas s'être laissé abusé par ses sens. Quelques scènes les rapprochent. Puis l'homme fait ressortir de vieilles robes dans lesquelles elle se glisse et qui prolongent davantage le charme. Il finit par hésiter et, contrairement à John Ferguson chez Hitchcock, Sergei refuse d'aller plus loin. Dans la dernière scène, l'actrice vient chez lui et prend le risque de se moquer de l'amour qu'il a gardé pour sa défunte épouse. Sergei l'étrangle et la perd une seconde fois. Pourtant, le film qui commence par un plan sur la jeune femme pourrait reprendre et ainsi ne jamais trouver de fin. Yevgeni Bauer est bien le premier à lancer la spirale qui depuis ne cesse de tourner dans les rêves cinéphiles.

"

Rêves éveillés (Gryozy)

Comme on borde un linceul de fleurs "


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