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Glass

Par Kinopitheque12

M. Night Shyamalan, 2019 (États-Unis)

Glass FIRST CLASS

Dans un monde que d'aucuns veulent monochrome par crainte d'une menace, d'un changement ou simplement de peur d'avoir peur, le prisme de Shy sert de réflecteur. Une seule couleur diffusée, le violet d'Elijah Price, va permettre de les révéler toutes. Pourtant cette couleur n'apparaît pas dès le début ni n'offre immédiatement sa pleine intensité.

En préambule, avant même Price, Glass nous emballe d'abord d'une diversion quand deux malfrats, amateurs de sensations fortes, d'images spectaculaires à coup de Superman punch, sont anéantis en deux temps trois mouvements (et hors champ !) par le Superviseur. Le raccord qui suit sur la nuque grisonnante de l'acteur (Bruce Willis) est tout autant adroit que cette heureuse et très compréhensible renonciation à la surenchère dans le spectacle : David Dunn a vieilli et, sans sa panoplie de super-héros, l'homme assis dans l'obscurité de sa cuisine est plus pathétique que super-héroïque. On ne va cependant pas suivre ce héros fragile très longtemps car d'autres viennent. De plus, avec Incassable (2000), Dunn avait déjà eu droit à un film qui lui était consacré. Ainsi, dans la scène suivante, c'est une horde de personnalités qui se succèdent : une vingtaine environ rassemblée autour de Kevin et de la Bête et cohabitant dans l'esprit éclaté (pour ne pas dire émietté, " Crumb ") d'un aliéné (James McAvoy). Ceux-là aussi nous avaient déjà été présentés, c'était dans Split en 2017. Glass reprend par conséquent tous ces personnages mais progressivement, sans délaisser personne, se tourne vers le vilain aux os de verre, celui que l'on avait laissé jadis au milieu de rayons entiers de comic-books (Samuel L. Jackson).

Glass

Le violet qui caractérise Elijah Price est donc, dans les premières scènes où il apparaît, pâle et discret. Dans la cellule d'un hôpital psychiatrique, il n'est qu'un vieux noir sur son fauteuil roulant, les cheveux hérissés sur la tête comme s'il venait de prendre une décharge électrique. Entièrement léthargique et transparent, il n'a que des tics nerveux pour exister. Peut-on croire. Sur sa chemise de patient : un violet affadi, presque éteint, mais un violet bien présent. De même, chez sa mère, le violet des rideaux est encore translucide au milieu du récit. Pourtant, au fur et à mesure que le plan de Price se dévoile, que toute sa machiavélique et salvatrice complexité à son rythme se révèle (rarement le bien et le mal n'auront été aussi subtilement liés), le violet en même temps que le vilain s'affirme et gagne en intensité. En maître absolu de la narration, Price, qui prend au passage le nom de Mister Glass et se pare à nouveau de son large manteau violet, prépare alors l'exposition de ses projets au grand public : entraîner avec lui dans la lumière les êtres d'exception qu'il a créés et qu'il n'a cessé de manipuler, afin d'en inspirer d'autres et de donner vie finalement aux aventures sur papier qui de tout temps ont alimenté sa folie.

A travers ce nouveau récit sur la croyance, l'amour des histoires racontées et la création narrative même, ce qui a toujours nourri son cinéma (de Sixième sens au Village, de la La jeune fille de l'eau à Split...), Shyamalan glisse toutefois autre chose. Le réalisateur et scénariste invite d'autres protagonistes pour nuire à Glass et à ses êtres de foi. Une société " au trèfle " menée par une psychiatre aux cheveux roux (Sarah Paulson) s'échine en effet à contrecarrer les super-héros, à étouffer le rêve dont ils sont porteurs et à détruire l'inspiration qu'ils sont capables de susciter. Les dissensions politiques qui parcourent les différents épisodes d'X-Men (de Singer, Mangold ou Vaughn depuis 2000) refont ici surface. Dans cette série, des mutants luttent pour avoir les mêmes droits que tous, et notamment ceux de pouvoir vivre librement en société, tandis que d'autres qui affirment leur supériorité veulent s'imposer comme une nouvelle étape de l'évolution humaine. Quoi qu'il en soit, leurs ennemis cherchent également, d'une façon ou d'une autre, à les faire disparaître. Dans la dernière séquence de Glass, vient le moment où ces trois personnages, qui ont montré jusque-là des capacités extraordinaires s'inclinent, se rangent sur un même bord et finissent par constituer une classe en soit. Elijah, David et la Bête sont brisés, si ce n'est complètement fragmentés : tous des marginaux d'exception. A cette classe, adjoignons la mère d'Elijah, Joseph, le fils de Dunn, et surtout Casey qui, depuis les sévices subis dans Split, vit en famille d'accueil (respectivement Charlayne Woodard, Spencer Treat et Anya Taylor-Joy). Il est ainsi possible de discerner dans le film une certaine teneur sociale et politique. Souvenons-nous encore du rôle d'étranger que se réservait le réalisateur d'origine indienne dans un film avec un alien pour préciser que son cinéma n'est pas indifférent à ce type de considération (Signes en 2001). On pourrait toujours opposer au groupe de brisés identifié un argument et rappeler l'aisance financière dans laquelle Elijah Price se trouvait dans Incassable. Néanmoins, il semble depuis en avoir payé le prix. Jamais d'ailleurs Glass ne mentionne qu'il est ou a été collectionneur et marchand d'art. Au contraire, le film a tendance à insister sur ses origines modestes. Glass parle donc aussi de ceux qui ont été déconsidérés, des négligés et des méprisés par les classes dirigeantes. Cela apparaît encore plus clairement quand on se rend compte que le film oppose à ces " brisés " les nantis de la société au trèfle qui secrètement se réunissent dans les restaurants du centre-ville.

Glass

Enfin, de la même manière que la conquête de la Lune en 2018 -avec Donald Trump à la Maison Blanche- ne pouvait plus rien à voir de glorieux (First man, Chazelle), désormais il arrive que les super-héros ne se relèvent plus. Logan (Mangold, 2017) vieillissait et prenait soudain conscience de sa mortalité. Shyamalan, lui, ose ce que peu osent dans le genre et tue ses super-héros. Pour reprendre une expression qui a bien dû servir de titre à toute une pile de comic-books, le super-héroïsme est effectivement entré dans un âge sombre. Thanos réduisait en cendres des milliards d'individus d'un claquement de doigts ( Avengers : infinity war en 2018). De même, malgré des enjeux très variés, les titres des prochains Marvel-DC n'annoncent pas un programme particulièrement optimiste : Avengers : Endgame (par les frères Russo, 2019), Dark Phoenix (Kinberg, 2019) ou Spider-Man : far from home (Watts, 2019). Seule peut-être Captain Marvel pourrait nager à contre-courant (Boden et Fleck, 2019). M. Nignt Shyamalan, de son côté, par une série de thèmes qui lui sont chers, rassemble les éclats et bris de verre dispersés dans sa filmographie et, après avoir réalisé ce qui reste aujourd'hui comme un des meilleurs films du genre avec Incassable, offre une conclusion sobre, intelligente et dense à sa trilogie.


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