Magazine Beaux Arts

6-7 Le donateur-humain dans les Pays du Nord (après 1450)

Publié le 01 juillet 2019 par Albrecht

Dans les Flandres, le donateur à taille humaine se développe, après 1450, dans la formule très particulière des diptyques de dévotion, où le donateur est toujours à droite. Cette position est identique dans les oeuvres d’un seul tenant, sauf deux cas exceptionnels que nous analyserons.

Le Diptyque de dévotion flamand

Nous avons vu apparaître sporadiquement, à la fin du XIVème siècles, quelques essais de diptyques dans lesquels le donateur occupait la partie gauche et la Vierge à l’Enfant la partie droite, la séparation physique étant une manière d’éluder les problèmes de miscibilité entre le profane et la sacré (voir  6-1 …les origines)

Au milieu du XVème siècle, à la suite de Van der Weyden, la formule très particulière du diptyque de dévotion privée va se développer dans les Flandres.


1445-60 Rogier_van_der_Weyden_diptyque froimontDiptyque de Laurent Froimont , Van der Weyden, 1445-60,Musée des Beaux-Arts de Caen/ Musées Royaux des Beaux Arts de Bruxelles 1450 rogier-van-der-weyden-diptyque-jean-grosDiptyque de Jean de Gros, Van der Weyden, 1450,Musée des beaux-arts de Tournai /-Art Institute de Chicago 1460 ca Rogier_van_der_Weyden_diptyque_CroyDiptyque de Philippe de Croy, Van der Weyden, 1460Huntington Library, San Marino / Musée des beaux-arts d’Anvers

Ces trois diptyques, qui possèdent tous un revers armoriés, sont décrits en détail dans XXX.

Nous nous intéressons ici à leurs caractéristiques commune :

  • donateur dans le volet droit, respectant l’ordre héraldique ;
  • aucune interaction entre le donateur et la scène sacrée ;
  • cadrage à mi corps et fond neutre, supprimant la question de la continuité du décor.

Resserré et austère, ce type de composition cultive à la fois l’intimité et la distance, l’égalité dans l’apparence et l’incommensurabilité dans l’essence : les personnages sacrés sont indifférents à la présence du donateur, et celui-ci ne les regarde pas. Contrairement à tous les exemples vus jusqu’ici, il ne s’agit plus pour lui de demander ostensiblement à Marie d’intercéder auprès de Jésus pour son salut : mais de s’abandonner à une contemplation muette, purement intérieure et n’attendant pas de retour.


sb-line

1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 50vfol 50v 1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 51rfol51r .

Heures à l’usage de Rome de Louis de Laval,
Jean Colombe, 1486, BNF Latin 920

Les deux inscriptions qui encadrent la miniature de gauche sont intéressantes, car elles l’identifient à la fois comme une image de l‘Immaculée Conception (Sancta et Immaculata Virginis) et, bien qu’elle ne soit pas assise à terre, comme une Vierge de l’Humilité (Sancta et Immaculata Humilitas). Sur ces notions compliquées, voir 3-3-1 : les origines).

Ce remarquable bifolium transpose en enluminure l’esthétique des diptyques de dévotion, en élargissant le cadrage et en garnissant le fond. Contrairement à Van der Weyden, l’Enfant accueille le donateur de la main. Celui-ci cependant, les yeux mi-clos, ne regarde pas l’Enfant, et la perspective suggère la présence d’ une cloison semi-perméable entre les deux, que seul le regard de l’Enfant peut traverser.

Ce hiatus parfaitement assumé résulte d’un parti-pris de mise à distance, et non d’une insuffisance technique de l’enlumineur, comme le montre cet autre extraordinaire bifolium à la fin de l’ouvrage.

1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 334vfol 334v 1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 335rfol 335r

Le corps de Louis de Laval, reconstitué miraculeusement hors de son monument, assiste à la sortie tout aussi miraculeuse des morts hors de la Terre au jour du Jugement dernier. La position du donateur à gauche souligne le caractère surréel de cette vision, qui échappe au cadre de la chapelle funéraire (voir 3-1 L’apparition à un dévôt).

1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 334v detail
La puissance de l’image devait susciter une forte émotion au vieux Louis de Laval, « chevalier en son vivant et Seigneur de Chatillon et Gaël », une première fois rajeuni par le ciseau du sculpteur, une seconde fois par la grâce divine.

sb-line

Memling_Marteen_Van_Nieuwenhove_PanneauGauche Memling_Marteen_Van_Nieuwenhove_PanneauDroit

Diptyque de Marteen van Nieuwenhove
Memling, 1487, Musée Memling, Bruges

C’est Memling qui a introduit le décor véritablement continu dans le diptyque, de dévotion, rompant avec son austérité et son abstraction initiale : il en résulte toute une série de questions techniques et symboliques, qui méritent une explication détaillée (voir 3.1 Le diptyque de Marteen, 3.2 Trucs et suprises, 3.3 D’un livre à l’autre).
sb-line

1489 ca Memling Diptyque de Jan du Cellier, bourgeois de Bruges Louvre photo JL Mazieres

Diptyque de Jan du Cellier, bourgeois de Bruges
Memling, vers 1489, Louvre, Paris (photo Jean-Louis Mazières)

Mais dans cet autre diptyque, au cadrage large, Memling revient à l’indépendance des scènes :

  • dans le volet féminin, le mariage mystique de Sainte Catherine se déroule dans un jardin clos, en présence de cinq autres saintes ;
    dans le volet masculin, le donateur est en prières, accompagné par Saint Jean Baptiste, avec au fond Saint Jean à Patmos et Saint Georges combattant le dragon.

L’index tendu de Saint Jean est ici un geste purement conventionnel, sans justification narrative  : il peut tout aussi bien présenter le donateur à la Vierge (qui ne le voit pas) que montrer la Vierge au donateur (qui regarde ailleurs).

Cet absence de fonctionnement d’ensemble n’était apparemment pas vue comme un défaut : le client achetait une scène sacrée plus un portrait de lui-même et le peintre se chargeait de monter les deux en diptyque, en accordant plus au moins les fonds (ici le paysage n’est pas vraiment continu). Cette indépendance acceptée était tout bénéfice pour l’atelier, qui pouvait préparer à l’avance le volet avec la scène sacrée, et rajouter sur commande le volet personnalisé.
sb-line

1467-1500 Vierge a l'enfant avec un couple de donateurs koninklijk museum voor schone kunsten antwerpVierge a l’enfant avec un duo de donateurs
1467-1500 1486 Maitre de la Legende (brugeoise) de sainte Ursule Vierge à l’Enfant Antwerpen, Koninklijk Museum voor Schone KunstenVierge a l’enfant avec un trio de donateurs 1486

Maître de la Légende (brugeoise) de sainte Ursule,  
Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Antwerpen,

La formule peut également s’étendre à un couples, voire un peu plus. Dans les deux cas ci-dessus, on ne connaît pas l’identité des donateurs ; mais on soupçonne que le volet droit a été rajouté dans un second temps, pour former un diptyque à partir d’une Vierge à l’enfant préexistante.

Master of the Magdalen Legend, Virgin and Child, 1490-1500, and unknown French artist, Willem van Bibaut, 1523, Private
Vierge à l’enfant avec le chartreux Willem van Bibaut
Maître de la Légende de Sainte Madeleine, 1490-1500, et artiste français inconnu, 1523, Collection privée

Dans ce cas précis, on en est sûr : des investigations techniques ont montré que ce diptyque est hétérogène, probablement reconstitué à partir de deux demi-diptyques endommagés [1].


sb-line

1495-1500 maitre de Bruges, ,Virgin and Child and a Donor Courtauld Gallery

Vierge à l’Enfant avec un donateur
Maître de Bruges,1495-1500, Courtauld Gallery, Londres

 Voici est un des très rares diptyques de dévotion  dans lequel l’Enfant, tenant dans sa main gauche des cerises, bénit le donateur,  lequel évite soigneusement de lui rendre son regard.

Ce petit bras tendu en pure perte en direction de la charnière nous fait pressentir l’aporie du diptyque à la flamande : c’est seulement lorsque le paysage se replie sur lui-même, lorsqu’on ne voit plus rien, lorsque le diptyque est refermé sur une intimité inviolable, que le donateur ose faire contact avec l’objet de sa vénération.


sb-line

1505 David_Triptych_of_Jean_Des_Trompes Groeninge Museum, Bruges

Triptyque de Jan Des Trompes (avers)
Gérard David, 1505, Groeninge Museum, Bruges

Notable d’Ostende puis bourgmestre de Bruges, Jan des Trompes s’est fait représenter avec son fils Philippe dans le volet de gauche, présenté par son patron Saint Jean Baptiste. Dans le panneau de droite figure sa première épouse Elisabeth van der Mersch, morte en 1502, présentée par sa sainte patronne Elisabeth de Hongrie portant sa couronne, avec leurs quatre filles Adewije, Anne, Jeanne et Agnès.

1505 David_Triptych_of_Jean_Des_Trompes_rear Groeninge Museum, Bruges

Triptyque de Jean Des Trompes (revers)
Gérard David, 1505, Groeninge Museum, Bruges

Le revers, qui reprend la composition familière des diptyques de dévotion, est l’occasion de faire portraiturer sa seconde épouse, Madeleine Cordier présentée par Sainte Marie-Madeleine, avec leur fille Isabeau,

On pense que le triptyque a été réalisé sur plusieurs années : peut être commandé en 1502 à l’occasion de la mort de la première épouse, mais fini largement avant la mort de la deuxième, en 1510 (car elle eut finalement trois enfants).

Le programme iconographique du triptyque semble avoir été conçu plus en fonction des impératifs familiaux que par cohérence avec l’implantation prévue, la chapelle saint Laurent de la crypte Saint Basile de l’Eglise du Saint Sang : seule peut être la grappe de raisin que tend l’Enfant Jésus fait référence à la précieuse relique conservée dans l’église [2].

On note néanmoins que cette interaction reste particulièrement timide, puisqu’aucune des quatre femmes, même pas la petite fille, ne prête attention au geste de l’Enfant.


sb-line

1515-18 Michel Sittow donateur Diego de Guevara. Gemaldegalerie Berlin et NGA
Diptyque de dévotion de Diego de Guevara
Michel Sittow, 1515-18, Vierge : Gemäldegalerie, Berlin ; donateur : NGA, New York

La formule se maintiendra assez tard : elle est ici utilisée par Michel Sittow, un peintre d’origine estonienne mais de formation brugeoise.

Le donateur Diego de Guevara a été identifié grâce à un minuscule détail, la croix de l’Ordre de Calatrava (au bout de sa main gauche, partiellement cachée par la fourrure). Cette croix a été rajoutée pendant la réalisation du tableau, probablement en 1517, date où le donateur a accédé aux hauts grades de l’ordre.
sb-line

1522 Lucas_van_Leyden-Maria_mit_de

Vierge à l’Enfant avec Sainte Marie Madeleine et un donateur inconnu
Lucas de Leyde, 1522, Alte Pinakothek, Münich

Ce panneau était à l’origine un diptyque de dévotion à haut arrondi, dont les panneaux ont été assemblés au XIXème siècle et complétés pour obtenir un bord rectiligne. Quant au donateur, il a été transformé au début du XVIIème siècle en Saint Joseph, en lui ajoutant un lys et des outils de menuisier. A noter que le revers du volet droit, avec une Annonciation, a été conservé dans son état original.

Malgré la présence du fond continu et l’ajout de Marie-Madeleine, les personnages restent cloisonnés, chacun perdu dans ses réflexions.


sb-line

1527-30 van scorel,

Vierge à l’enfant, Tambov Picture Gallery Portrait d’homme, Gemäldemuseum Berlin

Jan Van Scorel, 1527-30

Il faudra attendre 1530 pour que l’influence italienne adoucisse à la fois le paysage et la psychologie des sévères diptyques flamands : la Vierge et l’Enfant se portent vers le donateur du geste et du regard, et celui-ci semble leur rendre leur regard.

1527-30 van scorel detail,

Mais la taille relative des personnages (nous sommes ici devant le seul cas connu de donateur géant) vint immédiatement démentir cette illusion de dialogue : soit la Vierge et l’Enfant sont situés très en arrière dans le paysage (et le donateur ne peut les voir), soit se sont des  poupées flottantes directement issues de son imagination.

A noter que le panneau droit porte à son revers un autre sujet très italien : le Suicide de Lucrèce, indispensable pour la compréhension d’ensemble. Pour une description complète, voir XXX.

Le donateur ignoré

Bouts the younger, Dierck, c.1448-1490 or 1491; Virgin and Child with Saint Stephen and a Donor

Vierge à l’Enfant avec Saint Etienne et un donateur
Ecole de Dierck Bouts le Jeune, vers 1480, Courtauld Gallery, Londres

Rajouter le cadre du diptyque ne change finalement pas grand chose : dans ce panneau sans doute antérieur, mais très proche du diptyque de Maarten van Nieuwenhove, le donateur se trouve sans obstacle entre lui et la Vierge, mais déjà incapable de la regarder en face.


sb-line

1474-79 Hans_Memling_The_Virgin_and_Child_with_Angel_Saint_Georges_and_Donor_
Vierge à l’Enfant avec un ange, Saint Georges et un donateur inconnu
Hans Memling, 1474-79, National Gallery, Londres

Lorsqu’il y a un seul donateur, Memling le positionne toujours à droite du panneau, en position d’humilité, regardant dans le vide et ignoré par l’Enfant. On note cependant ici, bien timide par rapport aux marques de reconnaissance des Madones italiennes  de la même époque (voir 6-2 …en Italie, dans une Maesta), un semblant d’intérêt, au delà de son livre, de la Vierge pour le donateur.

sb-line

   

 

 

1485-Memling_Triptych-Kunsthistorisches-museum-WienTriptyque de Vienne avec un donateur inconnu
 Hans Memling, 1485, Kunsthistorisches Museum, Vienne
1499-1509 Anonyme Petit Palais ParisAnonyme, 1499-1509, Petit Palais, Paris

Dans cette version en triptyque, la Vierge revient à sa noble indifférence. Cette forme guindée de dévotion était dans le goût de l’époque puisqu’un peintre anonyme a recopié le panneau central à  l’identique, en changeant simplement le donateur.

sb-line

1505 ca Master_of_Frankfurt_-_Madonna_and_Child_with_Saints_and_a_Donor unknown Queensland Art Gallery
Vierge à l’Enfant Sainte Marie-Madeleine, Saint Jacques, Saint Pierre et et un donateur inconnu
Maître de Francfort, vers 1505, Queensland Art Gallery

Dans cette interprétation flamande du Mariage mystique à l’italienne, même la présence de Marie-Madeleine, sainte réputée sensuelle, ne suffit pas à dégeler l’atmosphère : le donateur reste de marbre, en tête à tête avec son chien.


sb-line

1510 Jan Provoost with_Sts_Jerome_and_John_the_Baptist_and_a_kneeling_Carthusian_monk__Jan_Provoost attributed Rikj

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste et un chartreux
1510, attribué à Jan_Provoost, Rikjsmuseum, Amsterdam

Avec ou sans cadre de séparation, l’esthétique flamande privilégie la distance respectueuse. Même destiné à un chartreux – plongé à longueur de vie dans l’empathie avec le sacré – le panneau de dévotion affecte le même caractère compassé, comme dans ces débuts de la photographie où tout un chacun s’efforçait de paraître solennel.

Ici, seul l’Agneau de Saint Jean Baptiste semble un peu s’intéresser à l’Enfant, qui brandit un rosaire sous le caillou de Saint Etienne, au milieu de l’indifférence générale. Il faut de l’imagination pour comprendre que, comme la grappe de raisin précédemment, il s’agit d’un présent que l’Enfant offre au donateur.
sb-line

1520 ca bartholomaus-bruyn-lancien vierge-a-lenfant-avec-sainte-anne-saint-gereon-et-un-donateur Art Institute of Chicago

Vierge à l’enfant avec Sainte Anne, Saint Géreon et un donateur
Barthel Bruyn l’Ancien, vers 1520, Art Institute of Chicago

Cet étrange tableau comporte à la fois des traits modernistes – décentrage et froissement du drap d’honneur à la Memling -et des traits archaïques – Saint Géreon est plus petit par rapport à Sainte Anne qu’il ne devrait l’être selon la perspective géométrique ; le donateur en contre-coup se trouve de taille enfant, formule rare et abandonnée depuis 1460 dans les pays du Nord.

1520 ca bartholomaus-bruyn-lancien vierge-a-lenfant-avec-sainte-anne-saint-gereon-et-un-donateur Art Institute of Chicago modifie

Tailles rectifiées

La raison en est probablement la présence de Sainte Anne : respecter la bonne échelle aurait créé une concurrence malheureuse entre le donateur et la Vierge.

Le donateur béni

1472 Hans_Memling_-_Virgin_and_Child_with_St_Anthony_the_Abbot_and_a_Donor_-_WGA14849 Musee des Beaux-Arts du Canada

Vierge à l’Enfant avec Saint Antoine Abbé et un donateur
Hans Memling, 1472, Musée des Beaux-Arts du Canada

Dans l’oeuvre de Memling, ce tableau est doublement exceptionnel : c’est un des deux à avoir été datés (en blanc sur le mur du fond, au niveau du dais) et c’est le seul où la Vierge regarde le donateur et où, qui plus est, l’Enfant Jésus le bénit, tout en tenant une pomme dans la main gauche.

A remarquer le banc avec dossier réversible, ou « banc-tournis », justifié par la présence de la cheminée derrière le drap d’honneur. En position « hiver », on basculait le dossier afin de profiter de la chaleur (voir d’autres exemples dans 1.2 A la loupe : le panneau central)

sb-line

1483 Grossgmain Master Virgin and Child and a Donor Presented by Saint Thomas, Staedelmuseum, Francfort

Vierge à l’Enfant avec un donateur présenté par Saint Thomas
Maître de Grossgmain, 1483, Städelmuseum, Francfort

Bien plus effusive est cette composition allemande, dans laquelle non seulement Saint Thomas caresse paternellement la tête du donateur, mais où l’Enfant lui-même établit un contact du bout des doigts : familiarité justifiée par le fait qu’il s’agit très probablement d’une épitaphe, et que c’est donc un défunt que nous voyons. On n’a malheureusement aucun renseignement sur lui  : ni le livre ni le panonceau ne sont lisibles, hormis la date.

Cas exceptionnels de donateurs à gauche

1400-99 Gonzalo Perez Saint_Michael_Vanquishing_the_DevilNational Gallery of ScotlandL’archange Saint Michel et le Dragon
Gonzalo Perez, XIVeme siècle, National Gallery of Scotland 1468 San Michele trionfa sul diavolo. Bartolome Bermejo National GalleryBartolomé Bermejo, 1468, National Gallery

Le thème de Saint Michel combattant est très populaire dans l’Espagne de la Reconquista, où des peintres comme Bermejo sont influencés par le réalisme de la peinture flamande : il suffit de comparer son archange métallique avec l’extraordinaire « samouraï » encore gothique de Perez.


1468 San Michele trionfa sul diavolo. Bartolome Bermejo National Gallery detail
Malgré sa taille enfant, la physionomie du donateur est reproduite avec vérité : il s’agit d’Antoni Joan, seigneur de Tous. La longue chaîne et l’épée caractérisent son état de chevalier.

1485 ca Bermejo Bartolome Madonna di Montserrat e Gesu Bambino cattedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme
Vierge de Montserrat et le donateur Francesco della Chiesa
Bartolomè Bermejo, vers 1485, cathédrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme

Presque vint ans plus tard, le marchand italien Francesco della Chiesa, qui avait des liens familiaux avec Valence, commande à Bermejo, le peintre le plus connu de la ville, un retable pour sa chapelle familiale dans la cathédrale d’Acqui Terme ; le sujet est choisi en hommage au futur pape Jules II, qui venait d’être nommé abbé du monastère de Montserrat, dans les montagnes près de Barcelone.

Le monastère représenté dans le tableau n’a rien à voir avec la réalité : seule la scie sur laquelle la Vierge est assise évoque le « Mont Scié » (Montserrat ).

Deux compositions similaires

Les deux oeuvres ont plusieurs points communs :

1468 1485 Bermejo Bartolome Comparaison signatures
  • la signature de Bermejo (Bartolomeus Rubeus) sur un papier plié
1468 1485 Bermejo Bartolome Comparaison misssels
  • le missel du donateur, sur lequel on peut lire une prière appropriée :
    • deux psaumes pénitentiels (Psaumes 51 and 130) pour Antoni Joan,
    • le Salve regina pour Francesco della Chiesa.

La position et la taille du donateur

1468 1485 Bermejo Bartolome Comparaison donateurs

Exceptionnelle pour l’art flamand, la position du donateur à gauche s’explique, pour la première oeuvre, par une raison pratique : comme le dragon, pourfendu de la main droite, se trouve traditionnellement en bas à droite, Bermejo a dû caser son donateur en bas à gauche, et de taille enfant pour échapper au trajet circulaire de la lame.

Dans l’oeuvre la plus récente, Bermejo a conservé la même composition, en accroissant la taille du donateur.


1485 ca Bermejo Bartolome Madonna di Montserrat e Gesu Bambino cattedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme chardonneret
Il a également repris l’idée (voir 4-2 …seul, à droite) du chardonneret tenu par un fil, qui évoque la la future Passion  (il se dirige vers la croix) mais aussi l‘âme du donateur : son envol coloré, en haut à droite, contrebalance la sombre présence du corps, en bas à gauche.


1485 ca Bermejo Bartolome Madonna di Montserrat e Gesu Bambino cattedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme revers
La position de Marie, à droite, fait également écho à l’Annonciation en grisaille représentée sur le revers des volets.

1485 ca Rodrigo de Osona. volets lateraux cathedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme ensemble

Rodrigo et Francisco Osona (volets latéraux),

Si la conception d’ensemble est de Bermejo, les volets ont été peints par deux autres peintres de Valence :

  • les deux scènes d’intérieur, en haut (la Naissance de Marie et la Présentation au temple) développent l’histoire de Marie, en montrant en quelque sorte ce qui se passe à l’intérieur des deux édifices du panneau central ;
  • les deux scènes d’extérieur, en bas (la Stigmatisation de Saint François et Saint Sébastien) développent semble-t-il une sorte de portrait idéal de Francesco della Chiesa : priant à l’image de son saint patron, ou voyageant sous un ciel menaçant en bravant les épidémies, à l’image de Saint Sébastien.


sb-line

1500 ca Suiveur de Lievin van Lathem The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_Donor_-_National_Gallery_London_NG1939

Vierge à l’Enfant avec des saints et un donateur
Suiveur de Liévin van Lathem, vers 1500, National Gallery, Londres

Ce très petit panneau possédait, au dessus de la couronne, une partie en arc avec probablement une représentation du paradis. Il comporte plusieurs détails intéressants :

  • les trois Saints et les trois Saintes alignés derrière le mur du jardin clos, tous bien reconnaissables par leurs attributs (François et ses stygmates, Lazare et son tombeau, Jean l’Evangéliste et sa coupe empoisonnée, Catherine et sa roue, Barbe et sa tour, Marguerite et sa croix) ;
  • l’Ange qui chasse Satan du ciel, tandis que deux collègues transportent la couronne de la Vierge ;
  • le silex, emblème des ducs de Bourgogne, sculpté au dessus de la porte ;
  • la chaîne de l’Ordre de la Toison d’Or, au cou du donateur.

Selon la National Gallery [3], celui-ci ne peut donc être que le duc de Bourgogne Philippe le Beau. Or la réflectographie infrarouge fait apparaître un écusson posé contre le mur, sous le chapeau, orné de deux clés réunies. On pense donc que le tableau a été commencé pour un donateur de la famille de Clugny (clé-unies), originaire d’Autun ( ville dont le patron est Saint Lazare d’où la présence de ce saint assez rare) ; puis a ensuite été modifié pour Philippe le Beau.

C’est en tout cas une haute position sociale qui autorise le donateur à cette audace rarissime dans les Flandres : se présenter en position d’honneur devant la Vierge à l’Enfant. Il s’est néanmoins arrêté dans le sas fortifié, ne laissant pénétrer à l’intérieur du jardin clos que son bonnet et les deux pans fourrés de son riche manteau.


Synthèse quantitative


GrapheHumainsHistFlandres
Mis à part les panneaux précoces de Van Eyck avant 1440 (voir  Van Eyck), et les deux exceptions que nous venons de voir, le donateur à taille humaine, dans les Flandres, se présente toujours à droite. Et dans une écrasante majorité (11 cas sur 15 dans ma base de données), il n’a aucune interaction avec l’Enfant.

Références : [1] « Prayers and Portraits: Unfolding the Netherlandish Diptych » John Oliver Hand, ‎Catherine Metzger, ‎Ron Spronk, 2006, p 156 [2] « Early Netherlandish Triptychs: A Study in Patronage », Shirley Neilsen Blum p 113 [3] The Fifteenth Century Netherlandish Schools, National Gallery, 2008, p 293
Image en haute définition : https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/follower-of-lieven-van-lathem-the-virgin-and-child-with-saints-and-donor

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Albrecht 158 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte