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Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner

Par Bruno Leclercq

En mars 1895 commence, dans la Renaissance idéaliste revue dirigée par Albert Fleury, la parution des feuilles détachées des Mémoires d'un artiste (inédits), par M. Cyprien Godebski, série de rencontres intitulées L'intimité des grands hommes. Le premier extrait de ces souvenirs est consacré à Richard Wagner, et provoquera une controverse avec Willy, qui dans la Plume mettra en doute la véracité de cette rencontre et des propos prêtés au maître de Bayreuth par Cyprien Godebski.
Pour comprendre tout à fait cette controverse il faut tout d'abord rappeler qui est Cyprien Godebski, car on le verra, la personnalité et même l'état civil, de l'auteur sont en partie responsable de cette controverse et du ton employé par Willy.
Cyprien Godebski est un sculpteur d'origine polonaise, à qui l'on doit entre autres, un médaillon en bronze d'Hector Berlioz, et une statue en marbre de Calliope, sur la tombe de Théophile Gautier, au cimetière de Montmartre. Au musée du Louvre est exposé le buste de l'archéologue Barbet de Jouy, à Moscou se trouvent les bustes de Jean-Sébastien Bach et de Beethoven, et à Varsovie la statue d'Adam Mickiewicz (détruite par les nazis et reconstruite en 1950). Cyprien Godebski épousa la fille aînée du violoncelliste et compositeur belge Adrien François Servais, ils auront deux enfants, l'aîné Cipa (Xavier Cyprien) Godebski (1874–1937) sur lequel je reviendrais, et Misia qui deviendra la célèbre Misia Natanson, puis Edwards, et enfin Misia Sert. Muse et modèle d'Edouard Vuillard, de Toulouse-Lautrec ou de Bonnard, Misia restera une figure centrale du monde artistique parisien jusque dans les année 20-30 (1). Il ressort de tout cela que le Cyprien Godebski qui signe les lignes sur Wagner, n'est pas le Rosi+crucien, adepte de Péladan que croit tancer Willy dans son article, mais un artiste renommé, né en 1835, gendre d'un célèbre musicien, lui-même ami de nombreux compositeurs célèbres. Si les pages inédites de ses souvenirs se retrouvent dans la petite revue d'Albert Fleury, c'est sans doute grâce, ou à cause, de son fils Cipa, qui tient la Chronique d'art dans la Renaissance idéaliste, de là une confusion possible entre le père et le fils. Nous ne croyons pas que le ton de l'article de Willy fut le même si il n'avait crut avoir affaire à l'un des thuriféraires de Péladan que forment pour lui les collaborateurs de la Renaissance idéaliste. Il n'en reste pas moins que les critiques et les arguments de Willy semblent justes, tellement justes que même le « Comité » de la revue et son directeur admettent les possibles erreurs de jugement et les défauts de mémoire du sculpteur.
Willy avait sans doute bien raison de relever les incohérences de l'article incriminé, mais il n'aurait pas dû confondre Cyprien Godebski avec un quelconque collaborateur de la revue, ce qui permet au directeur, Albert Fleury d'insister sur le manque de courtoisie de Willy, son irrespect face à un homme d'âge mur. Connaissant mieux sa victime, Willy n'aurait sans doute pas manquer de noter avec la même rosserie et le même irrespect, la mémoire défaillante du vieux sculpteur vaguement célèbre, et de souligner la curiosité de voir ses pages inédites publiées dans une revue « de jeunes » plus ou moins inféodée à la Rose+Croix, mais il n'eut sans doute pas insisté sur son appartenance à la Rose-Croix.

Il existe des portraits de Cipa Gobedski par Toulouse-Lautrec (2) et par Bonnard (musée d'Orsay).
A partir de 1904 il fera parti du groupe des Apaches (3) formé autour de Maurice Ravel, on y retrouve le critique Calvocoressi, le pianiste Ricardo Viñes, le peintre Sordes, Léon-Paul Fargue, le pianiste Marcel Chadeigne, le décorateur Séguy, et le compositeur Maurice Delage... Le groupe fréquentera domicile de Cipa rue d'Athène. C'est à Jean et Mimie, les enfants de Cipa qu'est dédiée Ma Mère l'Oye, la suite pour piano à quatre mains de Ravel.
Un mot encore sur la Renaissance Idéaliste, les lecteur de Livrenblog connaissent Albert Fleury, on le retrouve ici dans le rôle du directeur de la revue, les autres collaborateurs réguliers sont Georges Pioch, pas inconnu de nos services, Edmond Pilon, le Comte Léonce de Larmandie, Guillot de Givry, et à partir du numéro 8 et 9 de août-septembre 1895, Louis Lambert, et à partir du n° 11 de décembre 1895, Henri Boucher. Alexander von Sonnenberg, Péladan, Félix Hautfort, Ryttho de Margghi, Emmanuel Delbousquet, Charles Velay, y participèrent ponctuellement. Des publicités pour la sortie de Babylone de Péladan, des annonces pour le Salon des Rose+Croix, un poème de Pioch dédié à Péladan, deux articles du Sâr, l'admiration porté au mage par son directeur, pouvait faire penser à un organe rosi+crucien, mais il semble plutôt les collaborateurs, chacun avec sa sensibilité, se trouvaient d'accord pour s'opposer au symboliste « obscur » de Mallarmé, et se sentaient proches, pour les poètes tout du moins, de Bouhélier et du Naturisme, dont ils ne manquent pas de conseiller la lecture de la revue Documents sur le Naturisme à chaque numéro. Voilà qui relativise les théories et querelles d'écoles, les classifications faciles, qui ne pourront jamais expliquer comment l'on pouvait, en 1895, être à la fois anti Mallarméen, Idéaliste, anti Naturaliste, mais déjà Naturiste, de cette école qui bientôt fera d'Emile Zola, tant honnis par nos jeunes « Péladaniens », l'un de ses héros.
La revue d'abord mensuelle devient bi-mensuelle à partir de janvier 1896 pour les deux derniers numéros, 13 et 13 bis, son tirage était de 150 exemplaires. La revue sera absorbée par Documents sur le Naturisme.
Les articles qui suivent sont la preuve qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre les témoignages, quelque soit leur origine. Et, que s'il ne faisait pas bon affabuler sur Wagner devant Willy, il eût été préférable pour celui-ci de mieux connaître son adversaire, pour mieux toucher la cible.
(1) Gold (Arthur) & Fizdale (Robert) : Misia. Gallimard, 1981.
(2) http://www.allposters.com/-sp/Cipa-Godebski-Brother-of-Misia-Godebska-Muse-and-Model-Wife-of-Tadee-Natanson-1895-Posters_i2576268_.htm
(3) Malou Haine, Cipa Godebski et les Apaches, revue belge de musicologie, Bruxelles 2006, LX.
Sur la famille Godebski : http://www.lexpress.fr/region/les-godebski-la-culture-en-patrimoine_481051.html
Albert Fleury sur Livrenblog :
Albert Fleury : Le Sar Péladan. Albert Fleury. Un poète Naturiste.
Willy sur Livrenblog :
Les Académisables : Willy. Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?
Georges Pioch sur Livrenblog : Vénus
L'intimité des grands hommes
WAGNER
Naples 15 décembre 188...
Ce matin, je suis à ma fenêtre grande ouverte ; devant moi, à travers une brume d'or s'élevant du golfe, s'estompe à l'horizon le Vésuve isolé, aride et nu ; à ses pieds, s'étendant jusqu'à la mer et recouverte d'une riche végétation, Portici ; Resina, Torre del Greco étendant vers la gauche leurs lignes non interrompues de maisons qui forment comme une continuation de la ville de Naples ; à ma droite, Castel de l'Ovo, puis la Chiaja et le Pausilippe allant se perdre au lointain ; enfin la Santa Lucia d'où montent jusqu'à moi les cris des marchands de fruits et de marée, la rumeur de tout un peuple grouillant, remuant, gesticulant, et sur qui le soleil répand à profusion ses broderie d'or.
On frappe à la porte, et à regret je m'arrache à ma contemplation : c'est le facteur qui m'apporte une lettre ; je ne lui en veux pas trop, puisqu'elle est de mon illustre ami Franz Liszt.
« Cher ami, Franz Servais me dit que vous êtes à Naples ; vous me feriez grand plaisir en me tranquillisant au sujet de la santé de Wagner dont je suis sans nouvelles, qe qui me plonge dans une grande inquiétude. Merci à l'avance, et bien cordialement à vous.
F. L.
P. S. - Wagner habite, avec sa famille, au Pausilippe, dans la villa du prince de X. »
J'apprends à la fois la maladie de Wagner et son séjour ici ; à part le plaisir que je ressens à être agréable à Liszt, j'éprouve une certaine émotion à la pensée de me trouver bientôt en présence de l'auteur de tant de chefs-d'oeuvre, et que je n'ai fait qu'entrevoir il y a quelques années à Vienne, en compagnie du regretté pianiste Tauzig.
Après une rapide toilette, et muni de la précieuse lettre devant me servir d'introduction, je prends allègrement le chemin de la Chiaja, (les Champs-Elysées napolitains, éternellement en fêtes) qui aboutit à Marjellina ; et tout en flânant par une pente à ma droite, j'arrive à ce Paradis qui se nomme le Pausilippe, où je me propose de me faire enseigner la villa du prince de X – Je salue, en passant, le tombeau de Virgile.
L'heure encore trop matinale ne me permettant pas de me présenter chez Wagner, je me rappelle heureusement qu'à quelques pas de moi se trouve l'atelier du peintre Nittis, bonne occasion de lui serrer la main, et d'être immédiatement renseigné.
Je le trouve établi sur la terrasse de son hôtel, dominant sur la mer ; une vieille napolitaine, espèce de Parque filant sa quenouille, lui sert de modèle. Il me reçoit avec sa cordialité habituelle et se remet au travail ; il y a chez lui nombreuse compagnie, j'y rencontre le doyen des artistes napolitains, le peintre Altamura, homme plein de talent et d'enthousiasme, ardent patriote, ami de Garibaldi, charmant causeur et adoré très justement de ses collègues. Nous parlons de choses et d'autres, et il me raconte que dans sa jeunesse, le roi, apprenant ses attaches révolutionnaires, un soir durant une fête au palais, le prit par les cheveux en disant : « Voilà une belle tête à montrer au peuple » Heureusement, le monarque n'eut pas le temps de mettre son projet à exécution, l'avertissement était suffisant, et suivant le conseil de ses amis, le garibaldien alla se réfugier à Florence, attendant des temps meilleurs.
J'ai oublié de dire qu'au nombre de ses qualités, Altamura était l'homme le mieux renseigné de Naples ; il savait donc non seulement que Wagner y était, mais encore il m'apprit que le prince de X. passionné de musique et très galant homme, après avoir mis sa villa, ses chevaux, sa voiture et le reste à la disposition du maître, s'en fût à Rome afin de ne gêner en rien son hôte.L'heure étant venue je me hâtai de prendre congé de mes amis, bien renseigné sur mon but, que je ne tardai pas à atteindre, après avoir fait passer ma carte, sans oublier la lettre justifiant ma visite. Je fus introduit en présence du grand musicien : il était vêtu d'un veston de velours et la tête recouverte d'un béret de même étoffe ; le salon dans lequel je me trouvais était décoré dans le style dit rococo, personnifiant le goût architectural des Italiens de la fin du XVIIIe siècle.Après les politesses d'usage, et avant qu'il me fut permis d'approcher de la maîtresse de la maison,
Wagner me dit :
« Ne faites pas attention à tout ce que vous entoure ici, car vos yeux d'artiste ne pourraient qu 'en être blessés. »
- Quelle singulière façon, pensais-je, de reconnaître l'hospitalité du prince !
Après les salutations d'usage, je pris place à mon tour au milieux de quelques fidèles qui m'avaient précédés. - La conversation reprit son cours, que ma venue avait évidemment interrompu ; parmi les visiteurs se trouvait un jeune Italien très bavard, et dont la spécialité me sembla être, comme on dit vulgairement, de faire des gaffes. - Dans le but probablement louable, de m'instruire, il demanda au Maître ce qu'il pensait de la Danse macabre, de Saint-Saëns.
Wagner allant parler, j'étais tout oreilles.
« La Danse macabre, fit-il avec son disgracieux accent allemand, la Danse macabre ! Ma chère Cosima, n'est-ce pas cette machine où des os se battent ? Qu'il nous a fait entendre à Bade ? Oui, très gentil, très gentil ! »
L'Italien, voyant qu'il avait fait fausse route, ne se découragea pas :
- « Et Rossini ? Notre grand Rossini ? Quelle est celle de ces oeuvres que vous préférez ? »
- « Oh ! Rossini, il avait certainement l'étoffe d'un musicien ; et je me souviens qu'étant à Paris, un jour que j'allais le voir, il voulut bien reconnaître devant moi son insuffisante éducation musicale, et avec une franchise qui lui fait honneur, il me dit : Cher maître, si au lieu d'être né italien, j'avais eu le bonheur de naître votre compatriote, je crois que j'aurais fait quelque chose. - Il faut pourtant avouer qu'il a fait trois mesures bonnes dans sa vie. »
Et donnant l'exemple à l'appui, il ébaucha trois mesures du Barbier sur le piano. Après cette courte et bienveillante appréciation sur l'auteur de Guillaume Tell, il y eut un moment de silence, après quoi, toujours à l'instigation du jeune Italien, le maître exécuta une série d'autres musiciens, que dans ma naïveté je croyais gens
de valeur ; et comme conclusion :
« Non, voyez-vous, à notre époque il n'y en a qu'un : c'est Offenbach. »
Je me sentais étouffer dans cette atmosphère haineuse, et j'avais hâte de revoir le soleil, de contempler la nature, si radieuse dans ce beau pays de Naples. Je regrettais presque d'avoir approché et pu juger cet homme, si dieu par son génie, si piètrement humain par sa vanité.Ce fut la seule fois que j'eus l'honneur d'être admis dans l'intimité de Wagner, et pls que jamais j'ai été à même d'apprécier dette véridique parole : il ne faut pas voir les grands hommes de trop près.
Cyprien GODEBSKI.
Feuilles détachées des Mémoires d'un artiste (inédits), par M. Cyprien Godebski.
La Renaissance Idéaliste N° 3, Mars 1895.


WAGNER ET GODEBSKI

Je remercie l'inconnu qui m'envoya le numéro de mars de la Renaissance idéaliste, puisqu'en ce canard rosi+crucien ; parmi un lot de pélâdanerie d'une littérature consternante, il me fut donné la joie de savourer quelques fragments des Mémoires inédits où un certain Cyprien Godebski prétend avoir eu avec Richard Wagner une conversation, au cours de laquelle le Maître lâcha beaucoup d'imbécillités malveillantes ; il les relate ; il déclare qu' « il se sentait étouffer dans cette atmosphère haineuse » et conclut ; « Il ne faut pas voir les grands hommes de trop près. »
Mais voyons de plus près ce Cyprien Godebski.
Sa machine débute ainsi :

Naples, 15 décembre 188...

Ce matin je suis à ma fenêtre grande ouverte ; devant moi, à travers une bruine d'or, etc., etc. (Sautons par dessus une description godebskique éminemment pompier du Vésuve et des environs) Le facteur m'apporte une lettre de mon illustre ami Liszt : « ... Franz Servais me dit que vous êtes à Naples, vous me feriez grand plaisir en me tranquillisant au sujet de Wagner, dont je suis sans nouvelles, ce qui me plonge dans une grande inquiétude... »
Comme date c'est un peu vague, mais suffisant à prouver que le Godebski bafouille. Nous sommes quelques-uns à connaître la vie de Wagner et quiconque veut imaginer des fariboles sur ses prétendues relations avec l'auteur du Ring, doit surveiller avec le plus grand soin sa chronologie. (Le faussaire anglais récemment exécuté – avec quelle maëstria ! - par Houston-S. Chamberlain, en sait quelque chose.) Or, je me fais un plaisir d'apprendre à Cyprien que jamais Wagner ne se trouva en décembre à Naples ; en 1880, il s'y installa le 3 janvier ; l'année suivante il n'y passa que quelques jours, en route pour Palerme, où il arriva en novembre ; enfin, en décembre 1882, il était à Venise.
J'engage le rédacteur de la Renaissance Idéaliste à se munir d'une date plus plausible.
Pendant qu'il y est, qu'il remplace également le nom de Liszt par celui de quelque autre wagnérophile. Comment ! Liszt est inquiet de la santé de son gendre, et, au lieu d'écrire tout simplement à sa fille Cosima ; « Comment se porte ton mari ? » il s'amuse à demander des nouvelles à Godebski ? Zut ! Pour en avaler une de cette taille il faudrait être autruche au Jardin des Plantes ou membre de la Rose+Croix.
Autre correction, également indispensable : il affirme avoir interviewé Wagner le matin. Or, jamais, au grand jamais, Wagner ne recevait pendant la mâtinée, exclusivement consacrée au travail ; sa femme elle-même ne pénétrait pas chez lui avant le dîner (à l'allemande, entre une heure et deux, quelque fois trois). J'ajoute qu'à cette époque, tout à la composition de Parsifal, et à la rédaction de Religion und
Kunst
, l'oeuvre principale des dernières années, Wagner devait être modérément tenté de l'interrompre pour aller se faire bassiner par des visiteurs tel que cet italien anonyme « très bavard, dont la spécialité, constate Godbeski, était de faire des gaffes» et par Godebski lui-même.
Vétilles que tout cela, d'ailleurs. Mais l'invention, qui consiste à mettre dans la bouche de Wagner des stupidités haineuses de pianiste incompris. Et d'abord, Cyprien a tort de se figurer que son hypothétique interlocuteur était homme à s'installer complaisamment sur la selette pour se laisser tirer les opinions du nez, - et quelles ! «Que pensez-vous de Saint-Saêns ? Que pensez-vous de Rossini ? Etc., etc. » Bon pour Zola, ces complaisances, ou pour Jules Simon. Lui, dominait la conversation, la conduisait à sa guise, et ne permettait pas aux Cyprien de le raser. Donc, comme la date, comme l'heure, le genre de cette conversation fabuleuse sue l'invraisemblance.
J'arrive à l'opinion sur Rossini, que l'inventif rosi+crucien prétend avoir entendu formuler par Wagner.
La voici :
« Rossini, il avait certainement l'étoffe d'un musicien ; et je me souviens qu'étant à Paris, un jour que j'allais le voir, il voulut bien reconnaître devant moi son insuffisante éducation musicale, et avec une franchise qui lui fait honneur, il me dit : Cher maître, si au lieu d'être né italien, j'avais eu le bonheur de naître votre compatriote, je crois que j'aurais fait quelque chose. - Il faut pourtant avouer qu'il a fait trois mesures bonnes dans sa vie. » Et donnant l'exemple à l'appui, il ébaucha trois mesures du Barbier sur le piano. »
Ce jugement imprévu se compose de deux parties distinctes : les lignes en italique sont tranquillement empruntées à la traduction, par Camille Benoît, d'Un Souvenir de Rossini, page 236. (La publication, dans l'Allgemeine Zeitung, d'Ausbourg, de cette
« Erinnerung », datant du 17 décembre 1868, il faut avouer que Cyprien sert à ses co-mystiques des nouveautés d'une fraîcheur douteuse). Pour cette grossièreté : « il a fait trois bonnes mesures dans sa vie », comment la concilier avec cette déclaration formelle du Souvenir de Rossini : « Il fit sur moi l'impression du premier homme vraiment grand et digne de vénération que j'eusse encore rencontré dans le monde artistique. »
L'adepte du Sâr a donc oublié qu'à vingt reprises Wagner à loué Rossini avec une bienveillance qui pourrait surprendre ? Il a donc oublié ce chapitre d'Oper und Drama, où Rossini est représenté comme le dernier véritable maître de l'opéra : « Mit Rossini starb die Oper ». (III, 316.) Il a donc oublié les innombrables passages où Wagner parle en grands détails des oeuvres du maëstro, depuis la Cenerentola jusqu'à Guillaume Tell ?
Que Cyprien Godebski se renseigne avant d'écrire, sinon des wagnériens malintentionnés, faute de connaître sa sincère ignorance, le pourraient accuser de mentir comme un Péladendiste.

WILLY.

La Plume, n° 143, 1er avril 1895.

Note


L'anecdote contée dans notre dernier numéro par M. Cyprien Godebski sur Wagner a provoqué dans La Plume et le Monde artiste de grossiers démentis de M. Henry Gautier-Villars. - M. Godebski peut se tromper, c'est du moins le droit de son détracteur de le prétendre, mais ce qui n'est pas admissible, c'est qu'un jeune homme qui n'appartient ni à l'Art, ni à la Littérature, mais au seul journalisme, bafoue toute une existence d'oeuvres et de probité esthétique. M. Gauthier-Villars pouvait incriminer la mémoire, le jugement, surtout le patriotisme de M. Godebski, mais il a méprisé une production considérable, et musicalement parlant, jamais les plaisanteries de M. Gautier-Villars n'ont prouvé l'amour et la compréhension de l'Art qui rayonnent du buste de Beethoven et du médaillon de Berlioz, de M. Godebski.
Nos lecteurs pouvant s'étonner de ne nous point voir prolonger cette aventure, nous donnons ci-après la lettre adressée par notre directeur à M. Gauthier-Villars. - Que le noble artiste qu'est M. Godebski s'enferme dans la dignité des oeuvres réalisées, et qu'il plaigne le malheureux impuissant réduit à blaguer pour exister.

Le Comité.
A Monsieur Henry Gauthier-Villars.
Monsieur,
Il ne m'appartient pas d'intervenir au cours des discussions qui naissent des articles de la Renaissance idéaliste. Mais je suis juge de la courtoisie des adversaires, et comme vous avez répondu aux erreurs possibles de M. Godebski par un mépris puéril et scandaleux de toute une vie d'art, vous jeune contre un homme mûr, vous sans oeuvre envers quelqu'un qui a prouvé sa force, vous enfin journaliste comique vis-à-vis d'un artiste véritable, j'interdis dans ma revue toute polémique avec ceux qui ne respectent ni l'âge, ni le travail, ni le talent. La jovialité peut être une qualité française, mais la qualité des journalistes à calembours n'est pas un motif suffisamment idéaliste pour que jamais on ne s'occupe de vous chez moi.
Albert Fleury.

P. S. - Si d'autres, plus accommodants, veulent prendre vos gamineries habituelles au sérieux, je leur conseille de se procurer, comme indispensable truchement de votre verbe, les Mille et un Calembours, édition de colportage chez tous les libraires de la banlieue.

A. F.

La Renaissance idéaliste, n° 4, avril 1895.


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