Magazine Culture

Covid-19, fin de partie

Par Lukasstella

Yannis Youlountas, octobre 2019

L'ÉCOLOGIE DÉNATURÉE

Ce système capitaliste ne se réforme pas, il développe librement et sans entrave ses affaires fructueuses, par la destruction de tout ce qui peut rapporter gros. Il menace directement la vie sur terre, non pas par un réchauffement de quelques degrés, mais par une pollution débridée, omise et occultée par tous les mass médias. L'écologie spectacle orchestrée par les experts du pouvoir se fait complice, par focalisation restrictive, de l'intoxication généralisée de la vie. (...) Ni comptable ni devin, le désastre c'est maintenant. L'effet de serre n'est pas l'écologie, c'est un écran de fumée qui cache l'emballement des pollutions et l'intoxication de la vie.
Lukas Stella, septembre 2019


NATURE DE LA CRISE ACTUELLE DES GJ

La crise des GJ (gilets jaunes) marque peut-être d'une pierre " jaune " la mise en évidence de la contradiction entre la mondialisation de l'économie et son incapacité à assurer la survie individuelle des humains.

APPEL ANTIAUTORITAIRE SANS FRONTIÈRES
Pour une journée de résistance simultanée, sans frontières, le 10 décembre 2018, contre le durcissement du capitalisme et de la société autoritaire


SOLIDARITÉ AVEC NOTRE-DAME-DES-LANDES
Raoul Vaneigem, avril 2018


OUBLIEZ MAI 68 !


D'UN MAI SAUVAGE À L'AUTRE

[1968 - 2018] Appel international à converger sur Paris le 1 er mai,
ils commémorent, on recommence...

DE LA DESTINÉE Raoul Vaneigem, De la destinée (extraits), 2015

TOUT LE MONDE AIME LA LIBERTÉ, MAIS LE TRAVAIL EST UNE HORRIBLE CHOSE Paris sous tension, 2017

GUERRE DE CLASSE Mars 2016

" MENACE TERRORISTE " ET MILITARISATION DE LA SOCIÉTÉ CONTRE LA RÉÉMERGENCE DE LA GUERRE DE CLASSE
Guerre de Classe, avril 2016

POUR UNE RÉELLE SOLIDARITÉ DE CLASSE
AVEC LES PROLÉTAIRES " RÉFUGIÉS " ET " IMMIGRANTS " !
Prolétaires Internationaux, 2015

LA RÉVOLUTION Rencontre avec Yannis Youlountas, 2015

LA ROUTE DU SUD OUEST
Jean-François Brient, 2014

TANT QU'IL Y AURA DES BOUILLES...
La ZAD de Sivens dans le Tarn, une expérience libertaire
Yannis Youlountas

CONTROVERSE SUR LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE
Lettre de Jean-Pierre Voyer à M. Bueno, 1998 (Extrait)

L'ANARCHISTE OMAR AZIZ
et l'auto-organisation dans la révolution syrienne
Leila Shrooms, Tahrir-ICN, août 2013 (suivi de "Repose en victorieux",
"Auto-organisation dans la révolution du peuple syrien",
"Un anarchiste syrien conteste la vision binaire rebelle/régime de la résistance").

A ROADMAP TO A JUST WORLD "Une feuille de route vers un monde juste, le peuple ranimant la démocratie",
Discours de Noam Chomsky au DW Global Media Forum, Bonn, Allemagne, juin 2013

L'INVENTION DE LA CRISE, Daniel Durouchoux, Échanges, la revue des dirigeants financiers,
Commentaire de
Lukas Stella, juillet 2012

PAR-DELÀ L'IMPOSSIBLE, Raoul Vaneigem, avril 2012

ET PUIS APRÈS ?Paul, mars 2012

CHOISIR SON MAÎTRE N'EST PAS UNE LIBERTÉ,Lukas Stella, mars 2012

LE MOUVEMENT DES OCCUPATIONS AUX ÉTATS-UNIS , Interview de Ken Knabb, novembre 2011

POUR UNE NOUVELLE INTERNATIONALE,Message d'une insurgée grecque, décembre 2008

LETTRE OUVERTE DES TRAVAILLEURS D'ATHÈNES À SES ÉTUDIANTS,Des prolétaires, décembre 2008

L'ÉTAT N'EST PLUS RIEN, SOYONS TOUT (extraits) Raoul Vaneigem, juillet 2010

LA MORT À PETITES DOSES PREND SON TEMPSLukas Stella, mars 2011

TOURNANT INSURRECTIONNEL, À Londres comme partout, prenons l'offensive !
Guitoto, mars 2011

COLÈRE ET INDIGNATION, Communiqués CRIIRAD du 23 et 25 mars 2011 (extraits)

COMMUNIQUÉS DE L'OBSERVATOIRE DU NUCLÉAIRE (extraits), mars 2011

MOHAMED SAÏL ANARCHISTE ALGÉRIEN (extraits)

DÉGAGE ! Paul, février 2011

NOUS VOULONS VIVRE, Dan depuis la prison de la Santé, février 2011

DE TUNIS, UN VENT DE LIBERTÉ

ENTREVUE AVEC UN ANARCHO-COMMUNISTE
SUR LA PLACE DE LA LIBERTÉ AU CAIRE
, février 2011

RÉVOLUTION EN TUNISIE, En avant ! En avant !Parti Communiste-Ouvrier d'Iran

ALGÉRIE, 5 suicides par le feu en 5 jours

LA RÉVOLUTION MÉDITERRANÉENNE NE FAIT QUE COMMENCER , janvier 2011
Le régime de Ben Ali au bord de la rupture.
Les biens de la famille du président Ben Ali attaqués et pillés.

TUNISIE, les miliciens de Ben Ali font régner la terreur, Radio Kalima, janvier 2011
Massacre en Tunisie, plus de 80 morts - L'armée fraternise avec les manifestants...

ALGÉRIE, La chasse aux jeunes est lancée. Un jour, bientôt, ils vous chasseront !
Yahia Bounouar

CROYANCES OBJECTIVES, CAPACITÉS RÉDUITES, Lukas Stella
"Stratagèmes du changement", Chapitre V, 2008

NOUS SOMMES LE MONDE EN DEVENIR, Lukas Stella, août 2009

IMPERCEPTIBLE CONDITIONNEMENT, Lukas Stella,
"Stratagèmes du changement", Chapitre IV, août 2008

APPEL À LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE, Raoul Vaneigem, avril 2009

CONFÉRENCE DE HEINZ VON FOERSTER (extrait)

SUR LA SÉMANTIQUE GÉNÉRALE, Kourilsky-Belliard, Edward T. Hall, Alfred Korzybski, A.E. van Vogt,
Bernard Wolfe, Gregory Bateson (extraits)

L'HOMME UNIDIMENSIONNEL, Herbert Marcuse, extraits de la préface, 1967

ÉCRAN DE FUMÉE SUR POLLUTION, Lukas Stella, 2006

SANS RÉSISTANCE NI DÉPENDANCE Jules Henry et Léon Léger,
Les hommes se droguent, L'état se renforce, 1974 (Extraits)

LA FONCTION DE L'ORGASME (extrait de l'introduction) , Wilhelm Reich, 1945

SURENCHÈRES SÉCURITAIRES, Raoul Vaneigem, 2004

GUY DEBORD, Préface à la quatrième édition italienne de "La société du spectacle", 1979 (Extrait)

ALBERT EINSTEIN, Lettre à Schrödinger, 1935

Inventin, 2006

Lukas Stella, 2006

DÉPHASAGE, La machine à réduire, Lukas Stella
(extrait de la brochure "Abordages informatiques"), 2002

(extraits)

LE RÊVE DE LA RÉALITÉ Heinz Von Foerster et le constructivisme
Lynn Segal, 1988 (Extraits)

Telle était la tonitruante affirmation proférée le 26 février dernier par le meilleur infectiologue au monde (selon le classement expertscape), accueillie pourtant avec scepticisme et même sarcasmes par la communauté scientifique. Trois semaines plus tard, la réalité est en train de lui donner raison. Révélant au passage que nous aurions à peu près tout faux face au virus. Ce qui est en fait une excellente nouvelle !

Je l'ai dit et le répète : en ces temps de mobilisation collective, nous avons tous à respecter scrupuleusement les mesures qui sont imposées. Même si on doute de celles-ci ou qu'on les trouve inadaptées, aucun d'entre nous ne peut se donner le droit de suivre sa propre idée. Cette compliance -que je n'ai cessé de prôner- m'habite inconditionnellement.

Par contre, cette obéissance civile ne doit surtout pas conduire à une interdiction de penser ou de parler. Nous vivons des temps hautement traumatiques, avec des dégâts sur la population qui seront considérables. Donner sens à ce que nous vivons, nous renseigner, oser poser des questions est non seulement un droit inaliénable mais aussi une nécessité vitale !
J'ai lu passablement de commentaires ironiques sur le nombre soudain de virologues ou d'épidémiologies amateurs s'exprimant sur les réseaux sociaux, ce que je peux comprendre. Mais je pense à l'inverse que plus les citoyennes et citoyens s'intéresseront à ce qui nous arrive, plus ils s'informeront ou même se documenteront, mieux cela nous aidera à mettre en dialogue ce que nous vivons, ce qui essentiel à la fois pour notre santé psychique individuelle et notre résilience collective.

Je suis anthropologue de la santé et expert en santé publique. Mon métier consiste depuis plus de 30 ans à étudier les pratiques des soins et les dispositifs sanitaires. J'arrive à un âge où l'on sait (hopefully) qu'on n'est pas le nombril du monde et (sauf exception) qu'on n'a pas inventé le fil à couper le beurre. J'ai quelques références dans mon domaine, comme celle d'être (malgré l'embarrassante immodestie de ce propos) un des meilleurs connaisseurs actuels des processus de salutogenèse et de rétablissement ainsi que des déterminants de la santé. Ce qui m'a valu d'être invité à enseigner dans une quinzaine de programmes universitaires et de hautes écoles en santé (Facultés de médecine de l'UNIGE et de l'UNIL, EPFL, IHEID, Universités de Montréal, Fribourg, Neuchâtel, etc.) J'ai exercé ma profession hors des milieux académiques, préférant agir au sein des politiques de santé ainsi que sur le terrain. J'ai créé différents dispositifs socio-sanitaires innovants, en particulier en santé mentale, dont certains font encore référence aujourd'hui.
Je m'excuse pour ce petit étalage. C'est le prix à payer pour me prévaloir d'une (modeste) compétence quant à ce que je vais maintenant avancer.
BANAL OU PAS BANAL ?

Depuis le début de l'émergence du coronavirus, je partage mon analyse qu'il s'agit d'une épidémie banale. Le terme peut choquer quand il y a des morts, et a fortiori dans la crise sanitaire et la dramaturgie collective hallucinée que nous vivons. Pourtant, les données sont là : les affections respiratoires habituelles que nous vivons chaque année font bon an mal an 2'600'000 morts à travers le monde. Avec le Covid-19, nous en sommes, au quatrième mois, à 9'000 décès, et avec le pays initialement le plus touché qui est parvenu à juguler l'épidémie. Nous sommes très très loin d'avoir un effet statistiquement significatif au regard de la mortalité habituelle et en particulier de la surmortalité saisonnière.

Je l'ai dit et je le répète : le même traitement politique ou journalistique appliqué à n'importe quel épisode de grippe saisonnière nous terrifierait tout autant que l'épidémie actuelle. Comme la mise en scène (avec décompte en live des victimes) de n'importe quel problème sanitaire d'envergure, qu'il s'agisse des maladies cardiovasculaires, des cancers ou aux effets de la pollution atmosphérique nous ferait frissonner d'effroi tout autant et même infiniment plus !

Nous savons aujourd'hui que le Covid-19 est bénin en l'absence de pathologie préexistante. Les plus récentes données en provenance d'Italie confirment que 99% des personnes décédées souffraient d'une à trois pathologies chroniques (hypertension, diabète, maladies cardiovasculaire, cancers, etc.) avec un âge moyen des victimes de 79,5 ans (médiane à 80,5) et très peu de pertes en-dessous de 65 ans.

Les quatre plus grands facteurs à l'origine des maladies chroniques étant :
- La malbouffe.
- La pollution.
- Le stress.
- La sédentarité.
Les maladies chroniques seraient évitables à 80% si nous nous donnions les moyens de protéger la population plutôt que de sacrifier sa santé au profit d'intérêts industriels. Nous avons depuis des décennies accordé des facilités coupables à des industries hautement toxiques au détriment du bien commun et de la santé de population (pour un développement de ce constat, se référer à l'article suivant). http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2018/03/04/couts-de-la-sante-d-inconfortables-verites-290378.html
Il faut oser le dire : ce n'est pas le virus qui tue (il est bénin pour les personnes en bonne santé), ce sont les pathologies chroniques qu'on a laissé se développer depuis des décennies.
STATS ET PROBAS EN FOLIE

Il y a un autre problème : les taux en particulier de complications et de mortalité qu'on nous brandit sous le nez jour après jour ne veulent rien dire. En l'absence de dépistage systématique de la population, nous n'avons aucune donnée fiable à laquelle référer les données dont nous disposons (nombre de cas déclarés et de décès).
C'est un classique en épidémiologie : si vous ne dépistez que les morts, vous parviendrez à 100% de taux de mortalité ! Si vous ne testez que les cas critiques, vous en aurez moins mais encore beaucoup plus qu'en réalité. Si vous dépistez beaucoup, vous aurez beaucoup de cas alors que si vous dépistez peu, le nombre de cas sera faible. La cacophonie actuelle ne permet juste pas d'avoir la moindre idée de la progression réelle du virus et de sa diffusion.

Les estimations les plus crédibles laissent penser que le nombre de personnes déclarées est très largement inférieur (dans un facteur allant selon les meilleures estimations jusqu'à 1/47) au nombre de personnes réellement infectées, dont à peu près la moitié ne se rendra même pas compte qu'elle a contracté le virus. Pour un redoutable tueur, il est parfois plutôt sympa...
Nous n'avons donc à ce stade aucune idée de l'ampleur réelle de la propagation du virus. La bonne nouvelle est que les données réelles (en particulier les taux de complications et de mortalité) ne peuvent être que largement inférieures à ce qui est couramment avancé. La mortalité réelle, comme annoncé dans un précédent article, doit en fait s'établir au plus à 0,3% et probablement encore moins. Soit moins du dixième des premiers chiffres avancés par l'OMS.

Les dernières modélisations évaluent à un ratio minimal de 1:8 (et possiblement jusqu'à 1:47 voire encore plus - https://medium.com/@jasonwbae/want-the-current-covid-19-number-in-u-s-multiple-by-90-b2e8841ab778) le nombre de cas détectés vs non détectés, dépendamment des stratégies de dépistage mises en œuvre selon les pays. En date du 16 mars par exemple, on recensait 167'000 cas déclarés à travers le monde alors que l'estimation du nombre global ( https://www.medscape.com/viewarticle/926893) de personnes infectées s'élevait à plus de 1'000'000. Une équipe de recherche universitaire américaine m'a fait part qu'ils évaluaient (étude à publier) actuellement à 800'000 le nombre de personnes infectées (et donc très probablement immunisées) pour 3'118 décès. Soit effectivement un taux de mortalité de 3/1000.

Des lecteurs m'ont entretemps écrit pour m'indiquer que je m'étais trompé, que le nombre de cas en Chine était de 80'000 et non de 800'000 ! A nouveau, ils se réfèrent au nombre de cas avérés, qui n'est que la partie émergée de l'iceberg. Le taux de dépistage ( https://ourworldindata.org/covid-testing) reste faible même dans les pays qui ont pris massivement cette voie. S'il reste impossible de connaître le nombre de cas inconnus (!), on est de toute manière très loin des statistiques disponibles basées sur des données lacunaires.
FIN DU MONDE OU PAS ?!

Pareillement, les projections qui sont faites pour imaginer le nombre de morts possibles sont rien moins que délirantes. Elles reposent sur un " forçage " artificiel et maximal de toutes les valeurs et coefficients. Elles sont faites par des gens qui travaillent dans des bureaux, devant des ordinateurs et n'ont aucune idée ni des réalités de terrain, ni de l'infectiologie clinique, aboutissant à des fictions absurdes. On pourrait leur laisser le bénéfice de la créativité et de la science-fiction. Malheureusement, ces projections, littéralement psychotiques, font des dégâts massifs.

Mon expérience en santé mentale me fait éviter strictement les expressions toutes faites comme " schizophrénie " ou " psychose ", qui sont à peu très toujours utilisées abusivement et d'une manière désobligeante pour les personnes concernées. Médicalement, la psychose se caractérise par des distorsions cognitives, perceptuelles et affectives entraînant une perte de contact avec la réalité. Ici, le terme est hélas pleinement indiqué.
J'en appelle à mes collègues de la Faculté de médecine et autres instituts universitaires pour qu'ils arrêtent de produire et de colporter des modélisations fausses et anxiogènes. Ces experts se protègent en reconnaissant par précaution de langage le caractère outrancier de leurs formalisations, les journalistes le mentionnent scrupuleusement (c'est à leur crédit), on n'en construit pas moins diligemment un sentiment de fin du monde qui non seulement n'a absolument pas lieu d'être, mais de surcroît est lui-même profondément nocif !

C'est hélas le vrai point noir : s'il n'y avait pas ces cas graves, l'épidémie serait insignifiante. Il se trouve qu'elle entraîne des complications rares mais redoutables. Comme me l'écrivait le Dr Philippe Cottet, en première ligne aux HUG : " il faut le dire, les pneumonies virales sont rarissimes d'habitude en Suisse. Elles ont un tableau clinique fruste et d'évolution parfois fulminante, dont les signes annonciateurs sont difficilement identifiables face aux cas plus bénins. C'est un réel challenge clinique, sans compter le nombre de cas simultanés... "

C'est l'existence de ces cas graves (estimés de manière absurde à 15% des cas, probablement en réalité 10 fois moins) qui justifie que l'on ne s'en remette pas simplement à l'immunité de groupe. On nomme ainsi ce processus par lequel chaque personne qui contracte le virus et n'en meurt pas s'immunise, la multiplication des immunisés conduisant à un effet collectif de protection immunitaire...

En l'absence -jusqu'à il y a peu- de traitement pour protéger ou guérir les personnes à risque, le choix de laisser l'immunité se construire en laissant circuler le virus est apparu comme étant trop dangereux. Le risque pour les personnes vulnérables est tel qu'il s'avèrerait éthiquement indéfendable de prendre cette direction, du fait de la gravité des conséquences possibles.
C'est une des difficultés de la santé publique : la médecine comme le journalisme travaillent dans le cas particulier. En médecine, c'est pour cela par exemple qu'il n'y a pas "remède-miracle". Chaque personne sera susceptible de réagir différemment à un traitement.

En journalisme, on cherche à illustrer une thématique avec des cas particuliers, en montrant donc des images et paroles souvent choquantes. En santé publique, on n'agit pas à ce niveau "narratif" singulier. On collecte des données pour voir les contours exacts d'une problématique. Ainsi en Italie, seuls 7 des 2'500 premiers décès concernaient des personnes âgées de moins de 50 ans. Ces cas existent, mais ils sont heureusement marginaux.

Un possible motif d'inquiétude en revanche est cette affirmation qu'il y aurait des personnes jeunes en quantité non négligeable atteintes de pneumonie et placées sous assistance respiratoire. Elles semblent heureusement survivre, mais c'est bien le nombre de lits en soins intensifs qui est dès lors à risque de poser problème si l'encombrement des services der réanimation se poursuivaient.

C'est dans ce paradoxe compliqué entre la très grande innocuité du virus pour l'immense majorité des gens et sa dangerosité extrême dans certains cas que nous sommes trouvés coincés. Nous avons alors adopté des mesures absolument contraires aux bonnes pratiques : renoncer à dépister les personnes possiblement malades et confiner la population dans son ensemble pour enrayer la diffusion du virus. Mesures à vrai dire moyenâgeuses et problématique puisqu'elles ne ralentissent l'épidémie qu'au risque de phénomènes de rebond potentiellement encore pires. Et qu'elles enferment tout le monde alors qu'une faible minorité seulement est concernée. Toutes les recommandations en santé publique sont à l'inverse de dépister le plus de cas possibles, et de confiner uniquement les cas positifs le temps qu'ils ne soient plus contagieux.

Le confinement général constitue un pauvre pis-aller face à l'épidémie dès lors qu'on manque de tout ce qui permettrait de lutter efficacement contre elle...
Pourquoi en est-on arrivé là ? Simplement parce que nous avons défailli à mettre d'emblée en place les bonnes réponses. Le manque de tests et de mesures de dépistage en particulier est emblématique de ce naufrage : alors que la Corée, Hong-Kong et la Chine en faisaient la priorité absolue, nous avons été d'une passivité invraisemblable à organiser la mise à disposition de quelque chose de techniquement simple.

Les pays mentionnés ont mis à profit l'intelligence artificielle notamment pour identifier les chaînes de transmissions possibles pour chaque cas positifs (avec les smartphones, on peut par exemple faire l'inventaire des déplacements et donc des contacts que les personnes infectées ont eu avec d'autres personnes dans les 48h précédent l'apparition des symptômes).

Enfin, nous avons réduit de manière importante la capacité de nos hôpitaux au cours de la décennie écoulée et nous retrouvons en manque de lits de soins intensifs et de matériel de réanimation. Les statistiques montrent que les pays les plus touchés sont ceux qui ont réduit massivement les capacités des services de soins intensifs.

Le premier expert mondial en matière de maladies transmissibles s'appelle Didier Raoult. Il est français, ressemble au choix à un Gaulois sorti d'Astérix ou un ZZ top qui aurait posé sa guitare au bord de la route. Il dirige l'Institut hospitalier universitaire (IHU) Méditerranée-Infection à Marseille, avec plus de 800 collaboratrices et collaborateurs. Cette institution détient la plus terrifiante collection de bactéries et de virus " tueurs " qui soit et constitue un des meilleurs centres de compétences en infectiologie et microbiologie au monde. Le Pr Raoult est par ailleurs classé parmi les dix premiers chercheurs français par la revue Nature, tant pour le nombre de ses publications (plus de deux mille) que pour le nombre de citations par d'autres chercheurs. Il a suivi depuis le début du millénaire les différentes épidémies virales qui ont frappé les esprits et noué des contacts scientifiques étroits avec ses meilleurs collègues chinois. Parmi ses hauts faits, il a découvert des traitements (notamment avec la chloroquine...) qui figurent aujourd'hui dans tous les manuels d'infectiologie au monde.

Le 26 février, il publiait donc une vidéo retentissante sur un canal en ligne (comprenant le mot " tube ") pour affirmer : " Coronavirus, fin de partie ! "
La raison de son enthousiasme ? La publication d'un essai clinique chinois sur la prescription de chloroquine, montrant une suppression du portage viral en quelques jours sur des patients infectés au SARS-CoV-2. Des études avaient déjà montré l'efficacité de cette molécule contre le virus en laboratoire (in vitro). L'étude chinoise confirmait cette efficacité sur un groupe de patients atteints (in vivo). Suite à cette étude, la prescription de chloroquine fut incorporée aux recommandations de traitement du coronavirus en Chine et en Corée, les deux pays qui sont le mieux parvenus à juguler l'épidémie...

La chloroquine est une molécule mise sur le marché en 1949, largement utilisée comme antipaludique. Tous les voyageurs des pays tropicaux se souviendront des comprimés de nivaquine (un de ses noms commerciaux) qui leur étaient prescrits à titre préventif contre la malaria. Ce remède a ensuite été remplacé par d'autres pour certaines zones géographiques, restant en usage pour certaines destinations.

Pourquoi vous parler de cela ? Eh bien parce que le Pr Raoult et ses équipes sont les meilleurs spécialistes actuels au monde de l'utilisation de la chloroquine. Il avait notamment eu l'idée géniale de l'essayer contre des bactéries intracellulaires (qui pénètrent les cellules comme les virus), en particulier les Ricksettia. L'IHU de Marseille dispose donc d'une expérience clinique et pharmacologique sans équivalent quant à l'usage de cette molécule.
La chloroquine a également démontré une puissante efficacité thérapeutique contre la plupart des coronavirus, dont le redouté SRAS de sinistre mémoire. Raoult trouva donc dans l'essai clinique chinois la confirmation que la chloroquine était aussi indiquée contre le Covid-19.

Il fut toutefois accueilli comme un cheveu sur la soupe, ses confrères dénigrant d'emblée sa proposition. Les journalises du Monde allèrent même jusqu'à qualifier sa communication de " fake news ", accusation reprise sur le site du ministère de la santé pendant quelques heures avant d'être retirée.
Le Pr Raoult obtint pourtant dans la foulée l'autorisation de conduire un essai clinique sur 24 patients dans son service et fut appelé à faire partie du comité pluridisciplinaire de 11 experts formé en mars par l'exécutif français, afin "d'éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus".

Les résultats de l'essai clinique étaient attendus avec impatience, en premier chef par votre serviteur. Nous savons la prudence requise face à de substances prometteuses et l'importance de ne rien avancer avant que la recherche confirme ou non une hypothèse La science n'est ni divination ni magie, elle est observation, test, puis le cas échéant validation.

Les résultats de son étude clinique sont sortis hier, confirmant l'obtention d'effets thérapeutiques spectaculaires. La méthodologie est robuste, puisque l'IHU de Marseille a pu comparer la négativation du portage viral chez les patients qui ont suivi le protocole avec des patients d'Avignon et de Nice qui n'ont pas reçu le traitement.

" Ceux qui n'ont pas reçu le Plaquenil [médicament à base d'hydroxychloroquine] sont encore porteurs à 90 % du virus au bout de six jours, tandis qu'ils sont 25 % à être positifs pour ceux qui ont reçu le traitement ", explique le professeur Raoult.

Certes, ni les études chinoises, ni l'essai clinique marseillais n'a valeur de preuve (" evidence ") selon les critères de la recherche scientifique. Une réplication des résultats par d'autres équipes est requise, sans même parler d'une étude randomisée en double-aveugle, le top of the pop des méthodologies de recherche.

Mais diable ! nous sommes dans une situation d'urgence. La chloroquine est un des médicaments les mieux connus et les mieux maîtrisés (en particulier par l'IHU de Marseille). On peut donc tabler sur une très solide expérience relative au sujet de sa prescription. Se réfugier derrière un intégrisme procédural est éthiquement indéfendable dès lors qu'on parle d'un médicament qu'on connaît par cœur, qui a déjà démontré son efficacité sur d'autres coronavirus, confirmée sur celui-ci par deux essais cliniques, et alors que des vies sont en jeu jour après jour !

Depuis quelques jours, la population confinée s'exprime chaque jour pour rendre hommage aux soignants et les soutenir dans les circonstances éprouvantes qu'ils vivent. Il s'agit d'une belle expression de solidarité, évidemment méritée par des professionnel-les remarquables d'abnégation et d'engagement, au front de cette lourde souffrance et de ce nouveau danger.
Dans les cercles des sommités, les choses sont hélas en général moins reluisantes. La recherche et l'autorité médicales sont aussi souvent faites de mesquineries, de manipulations, de malhonnêtetés ou d'abus en tous genres, ainsi que de pitoyables mais violents combats d'ego.

Sur BFM TV, le Dr Alain Durcadonnet cassait aussitôt du sucre sur le dos de Raoult en rappelant qu'une conclusion scientifique se publiait dans des revues scientifiques et non pas par vidéo... Ceci alors, que dans sa communication, le Pr Raoult (le chercheur français qui, rappelons-le, a le plus publié dans les revues scientifiques dans son domaine) venait évidemment de préciser que l'article décrivant son essai clinique avait été envoyé pour publication à une revue à comité de lecture. Cette anecdote montrant le niveau, comme les suivantes.

Le 1er mars, bien après la publication du premier essai clinique chinois, le directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, disait ainsi au micro d'Europe 1 : "La chloroquine marche très bien dans une éprouvette, mais n'a jamais marché chez un être vivant", ce qui était déjà parfaitement faux !

Dans les retours de la presse nationale, l'insistance est mise lourdement sur le risque du surdosage avec la chloroquine, effectivement toxique au-delà de 2 gr/jour en l'absence de comorbidité somatique. Les chinois ont privilégié des doses de 2x 500 mg/jour pendant leur essai. Raoult et son équipe, trouvant ce dosage excessif, préférant opter pour 600mg/jour. L'objection est donc d'une consternante vacuité- rappelons que nulle équipe clinique ne connaît mieux cette molécule que celle de Méditerranée-Infection. Cela reviendrait à dire à une équipe de neurologues au sujet du Dafalgan : ouh là là, attention, il peut être toxique s'il est mal utilisé, donc ce n'est vraiment pas une bonne idée d'envisager de traiter les maux de tête avec ce médicament !

On invoqua (si, si, lisez la presse !) les risques liés à une utilisation prolongée, là où le traitement proposé dure en moyenne 6 jours. L'IHU dispose de surcroît de l'expérience de prescriptions exceptionnelles au long cours (jusqu'à deux ans !) dans le cadre du traitement de certaines bactéries intracellulaires. On a beau savoir qu'il est bon d'être charitable avec son prochain, des fois la bêtise combinée à la malhonnêteté rendent la chose ardue...

La solitude de la compétence extrême ?! Raoult explique comment Emmanuel Macron est venu le chercher après sa première annonce publique du 26 février et l'étrange expérience qui a été depuis la sienne dans le cercle d'experts qui conseille le martial président. A la question posée par un journaliste de Marianne : " Y êtes-vous entendu ? ", il répond : " J'y dis ce que je pense, mais ce n'est pas traduit en acte. On appelle cela des conseils scientifiques, mais ils sont politiques. J'y suis comme un extra-terrestre. "
C'est sa certitude, évidemment inconfortable pour les autorités : avec les mesures prises actuellement contre l'épidémie, on marche sur la tête. Nos pays ont renoncé (contrairement aux Chinois et aux Coréens) au dépistage systématique au profit d'un confinement dont le Pr Raoult souligne qu'il n'a jamais été une réponse efficace contre les épidémies. C'est un réflexe ancestral de claustration (comme à l'époque du choléra et du Hussard sur le toit de Giono). Confiner chez eux des gens qui ne sont pas porteurs du virus est infectiologiquement absurde- le seul effet d'une telle mesure est de détruire l'économie et la vie sociale. Un peu comme bombarder une ville pour en éloigner les moustiques porteurs de malaria...

La seule voie qui fasse sens selon lui est de confiner les porteurs du virus uniquement, et de les traiter en cas de besoin soit pour éviter de terribles complications comme celles que l'on voit, soit pour réduire le temps pendant lequel elles sont contagieuses.

En Suisse comme en France (et partout en Occident), la décision prise est de confiner les gens chez eux, malades ou non. Quand ils sont malades, on attend qu'ils aillent mieux puis (du fait de la durée de portage viral), on les laisse ressortir alors qu'ils sont en fait encore contagieux ! Les personnes à risque, elles, développent parfois des complications, en particulier une détresse respiratoire aiguë qui les conduit aux urgences. Elles viennent alors engorger les services de soins intensifs, et, pour certains malades, y mourir alors qu'affirme Raoult, on aurait pu les traiter avant !
Confiner l'ensemble de la population sans dépister et sans traiter, c'est digne du traitement des épidémies des siècles passés.

La seule stratégie qui fasse sens est de dépister massivement, puis confiner les positifs et/ou les traiter, tout comme les cas à risque puisque c'est possible, comme on le voit en Chine et en Corée, qui ont intégré l'association de dépistages massifs avec la prescription de chloroquine dans leurs treatment guidelines.
Ni Hong Kong ni la Corée, deux territoires qui ont connu les plus faibles taux de mortalité face au Covid-19 n'ont imposé de confinement aux personnes saines. Elle se sont simplement organisées différemment.
LA DÉCADENCE DE L'OCCIDENT

Elle est hélas criante et révélée ici dans toute sa crudité... Nous disposons d'une médecine de qualité, mais d'une santé publique moyenâgeuse. Le leadership technologique et scientifique est passé à l'Extrême-Orient depuis longtemps déjà, et notre nombrilisme intellectuel nous fait souvent nous raccrocher aux lanternes du passé plutôt qu'à la science d'aujourd'hui.
Des tests systématiques seraient faciles à instaurer, pour autant qu'on en fasse une priorité sanitaire et que l'on s'organise, ce que les Coréens ont fait en un temps record. En Europe, nous avons été complètement dépassés, comme si nous vivions dans un autre temps. Les autorités comprennent maintenant qu'il s'agit d'une priorité absolue -suivant en cela les recommandations insistantes de l'OMS.

Produire les tests ne présente aucune difficulté :" C'est de la PCR [réaction en chaîne par polymérase] banale que tout le monde peut faire, la question c'est l'organisation, pas la technique, ce n'est pas la capacité de diagnostic, nous l'avons, commente Raoult. C'est un choix stratégique qui n'est pas celui de la plupart des pays technologiques, en particulier les Coréens qui font partie, avec les Chinois, de ceux qui ont maîtrisé l'épidémie en faisant dépistage et traitement. On est capables dans ce pays comme n'importe où de faire des milliers de tests et de tester tout le monde. "

Certes, des régimes politiques plus disciplinés ou même autoritaires ont un avantage de compliance sociale, mais la question n'est pas là. Le problème, c'est bien nous. La France s'enfonce dans des polémiques sans fin avant même que qui que ce soit ait ouvert la bouche, pendant que son jupitérien président s'envole dans des pérorations antiques sur l'" état de guerre " en se contemplant dans un miroir... Dans notre pays, le Conseil fédéral a réagi sans agitation ni malice, mais en donnant comme toujours l'impression qu'on le réveillait déplaisamment de sa sieste.
Bref, pour notre pays qui se targue de sa qualité d'innovation et de biotech, c'est encore un peu la fête au village...
LE CHANGEMENT C'EST MAINTENANT ?!

Heureusement, on peut espérer que le vent change vite et bien. Le ministère de la santé français vient de mandater le CHU de Lille pour un essai visant à répliquer les résultats obtenus à Marseille. Rappelons que des essais probants ont déjà été menés en Chine et en Corée -mais en France on tient en général que ce qui vient de l'étranger est indigne du génie français. Quelques services hospitaliers et leurs médecins-chefs sont capables d'envisager qu'ils se sont trompés, c'est par exemple le cas du Pr Alexandre Bleibtreu de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui a tweeté récemment avec humour :

L'intérêt pour la chloroquine est désormais mondial avec des équipes travaillant aux quatre coins du monde. Si l'efficacité aujourd'hui très probable du médicament se confirme, ce sera un major game-changer.
Une fois les personnes à risque de complications diligemment traitées, les innombrables infections bénignes dues au SARS-CoV-2, que nous serons très nombreux à vivre, pourvoiront l'immunité de masse qui ravalera cette " pandémie " au rang de sale mésaventure.

Le dépistage de masse est désormais enfin une priorité sanitaire. Le temps d'organiser la capacité d'analyses des laboratoires, nous y aurons tous progressivement droit. Le laboratoire Sanofi vient par ailleurs de proposer au gouvernement français de produire gratuitement un million de de doses de chloroquine.

Et si la molécule ne tenait pas ses promesses ? C'est bien sûr une hypothèse possible, même si elle est à ce stade peu probable. D'autres médicaments sont actuellement en voie d'examen, notamment des antiviraux connus (comme le Favipiravir) testé en Chine également avec des premiers résultats cliniques encourageants. Selon une nouvelle tombée ce matin :
"La Chine a achevé une recherche clinique sur le favipiravir, un médicament antiviral présentant une bonne efficacité clinique contre le nouveau coronavirus (COVID-19).

Le favipiravir, médicament antigrippal dont l'utilisation clinique a été approuvée au Japon en 2014, n'a provoqué aucune réaction adversaire évidente dans l'essai clinique, a révélé Zhang Xinmin, directeur du Centre national du développement biotechnologique de Chine relevant du ministère des Sciences et des Technologies, lors d'une conférence de presse.
Le favipiravir a été recommandé aux équipes de traitement médical et devra être inclus le plus vite possible dans le plan de diagnostic et de traitement du COVID-19, a-t-il fait savoir."

Ce qui est frappant autour de la chloroquine, c'est la religiosité du débat que cette option provoque -un classique toutefois en science. Raoult est décrit comme une espèce de gourou (malgré ses états de service scientifiques remarquables) et on décrit la " croyance " en ce médicament comme étant l'attente d'un " remède-miracle " qui égarerait les gens en faisant miroiter des " espoirs impossibles ".

Heureusement, il reste une démarche qui s'appelle la science et qui vise justement à passer du registre des opinions (chacun voit le monde à sa manière) au savoir (ce que l'on a éprouvé, vérifié et validé indépendamment des opinions personnelles).

Il n'est pas dans mes habitudes d'être complaisant avec les autorités. J'ai trop souvent vu les ravages de la flatterie et de la veulerie (comme de la critique gratuite ou du procès d'intention) pour tomber dans le piège. Ici, on entend bien des critiques qui me semblent injustes. Oui, notre système de santé n'en est pas vraiment un, on a une industrie de la maladie - ce qui n'est pas pareil. Oui, nos réponses sanitaires sont incroyablement poussiéreuses et même dépassés. Oui, le Conseil fédéral a des godasses de plomb -ce a aussi d'ailleurs parfois ses avantages.

Une fois l'urgence passée, il faudra bien en revanche que les responsables sanitaires et politiques rendent des comptes sur la manière dont ils se seront révélés totalement pris de court par un risque sanitaire parfaitement identifié, avec une situation en l'occurrence très peu grave par rapport à ce que serait une vraie pandémie tueuse.

Rappelons que le risque pandémique est redouté depuis plus de 30 ans, en provenance d'Extrême-Orient comme désormais des toundras subarctiques, à risque de libérer d'innombrables variétés de virus jusque là congelées sous le permafrost...

Un peu donc comme si dans une région à risque de tremblement de terre, on n'avait ni prévu de normes de construction antisismique ni de procédures de protection de la population ! Ceci alors que des cohortes de hauts fonctionnaires et universitaires étaient généreusement payés pour anticiper ces risques...

Il faudra aussi répondre de l'inaptitude à répondre vite et bien (comme d'autres nations) en requérant au besoin de manière contraignante la mise à disposition des capacités industrielles et scientifiques pour faire ce qu'il aurait fallu. Comme me l'indique un lecteur, la France est tout de même le leader mondial de la production de machines d'assistances respiratoires et sa capacité pharmaceutique est puissante.

Une dernière info enfin, qui nous incitera tous je l'espère à la prudence : les dernières données infectiologiques tenderaient à confirmer que les enfants ne sont que très peu porteurs et/ou contaminateurs du SARS-CoV-2. Si cette hypothèse se confirme, la fermeture des écoles ne serait en fait pas une mesure nécessaire. Les données que je relaye ici sont tombées cette semaine. Au moment où la fermeture a été décidée, on les ignorait- comme je le précisais dans mon blog précédent- il s'agissait donc d'une mesure de précaution, dont l'indication pourrait être démentie si les données en question se confirment.

Soyons donc patients et appliqués. Une fois cette hallucination collective passée, il sera alors temps de faire un rigoureux " post-mortem " des décisions sanitaires et de chercher à comprendre ce qu'il s'est passé pour qu'on génère cet invraisemblable gâchis sociétal...

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Coronavirus, analyse des données épidémiques dans le monde : diagnostiquer doit être la priorité, intervention du Pr Raoult du 17 mars 2020.
https://www.youtube.com/watch?v=K7g4WKoS_6U&t=28s

Résultats de l'essai clinique réalisé à l'IHU Méditerranée-Infection à Marseille, présentation du Pr Raoult du 16 mars 2020
https://www.youtube.com/watch?v=n4J8kydOvbc&t=16s

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http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2020/03/18/covid-19-fin-de-partie-305096.html

LE CORONAVIRUS, RÉVÉLATEUR DE LA FAILLITE DE L'ÉTAT

Covid-19, fin de partie
Raoul Vaneigem , Le Media TV, mars 2020

Contester le danger du coronavirus relève à coup sûr de l'absurdité. En revanche, n'est-il pas tout aussi absurde qu'une perturbation du cours habituel des maladies fasse l'objet d'une pareille exploitation émotionnelle et rameute cette incompétence arrogante qui bouta jadis hors de France le nuage de Tchernobyl ? Certes, nous savons avec quelle facilité le spectre de l'apocalypse sort de sa boite pour s'emparer du premier cataclysme venu, rafistoler l'imagerie du déluge universel et enfoncer le soc de la culpabilité dans le sol stérile de Sodome et Gomorrhe.
Quel cynisme que d'imputer à la propagation du fléau la déplorable insuffisance des moyens médicaux mis en œuvre ! Cela fait des décennies que le bien public est mis à mal, que le secteur hospitalier fait les frais d'une politique qui favorise les intérêts financiers au détriment de la santé des citoyens.

La malédiction divine secondait utilement le pouvoir. Du moins jusqu'au tremblement de terre de Lisbonne en 1755, lorsque le marquis de Pombal, ami de Voltaire, tire parti du séisme pour massacrer les jésuites, reconstruire la ville selon ses conceptions et liquider allègrement ses rivaux politiques à coups de procès " proto-staliniens ". On ne fera pas l'injure à Pombal, si odieux qu'il soit, de comparer son coup d'éclat dictatorial aux misérables mesures que le totalitarisme démocratique applique mondialement à l'épidémie de coronavirus.

Quel cynisme que d'imputer à la propagation du fléau la déplorable insuffisance des moyens médicaux mis en œuvre ! Cela fait des décennies que le bien public est mis à mal, que le secteur hospitalier fait les frais d'une politique qui favorise les intérêts financiers au détriment de la santé des citoyens. Il y a toujours plus d'argent pour les banques et de moins en moins de lits et de soignants pour les hôpitaux. Quelles pitreries dissimuleront plus longtemps que cette gestion catastrophique du catastrophisme est inhérente au capitalisme financier mondialement dominant, et aujourd'hui mondialement combattu au nom de la vie, de la planète et des espèces à sauver.

Sans verser dans cette resucée de la punition divine qu'est l'idée d'une Nature se débarrassant de l'Homme comme d'une vermine importune et nuisible, il n'est pas inutile de rappeler que pendant des millénaires, l'exploitation de la nature humaine et de la nature terrestre a imposé le dogme de l'anti-physis, de l'anti-nature. Le livre d'Eric Postaire, Les épidémies du XXIème siècle, paru en 1997, confirme les effets désastreux de la dénaturation persistante, que je dénonce depuis des décennies. Évoquant le drame de la " vache folle " (prévu par Rudolf Steiner dès 1920), l'auteur rappelle qu'en plus d'être désarmés face à certaines maladies, nous prenons conscience que le progrès scientifique lui-même peut en provoquer.

Dans son plaidoyer en faveur d'une approche responsable des épidémies et de leur traitement, il incrimine ce que le préfacier, Claude Gudin, appelle la " philosophie du tiroir-caisse ". Et pose la question suivante : " À subordonner la santé de la population aux lois du profit, jusqu'à transformer des animaux herbivores en carnivores, ne risquons-nous pas de provoquer des catastrophes fatales pour la Nature et l'Humanité ? ". Les gouvernants, on le sait, ont déjà répondu par un OUI unanime. Quelle importance puisque le NON des intérêts financiers continue de triompher cyniquement ?

Fallait-il le coronavirus pour démontrer aux plus bornés que la dénaturation pour raisons de rentabilité a des conséquences désastreuses sur la santé universelle - celle que gère sans désemparer une Organisation mondiale dont les précieuses statistiques pallient la disparition des hôpitaux publics ? Il existe une corrélation évidente entre le coronavirus et l'effondrement du capitalisme mondial. Dans le même temps, il apparaît non moins évidemment que ce qui recouvre et submerge l'épidémie du coronavirus, c'est une peste émotionnelle, une peur hystérique, une panique qui tout à la fois dissimule les carences de traitement et perpétue le mal en affolant le patient.

Lors des grandes épidémies de peste du passé, les populations faisaient pénitence et clamaient leur coulpe en se flagellant. Les managers de la déshumanisation mondiale n'ont-ils pas intérêt à persuader les peuples qu'il n'y a pas d'issue au sort misérable qui leur est fait ? Qu'il ne leur reste que la flagellation de la servitude volontaire ? La formidable machine médiatique ne fait que ressasser le vieux mensonge du décret céleste, impénétrable, inéluctable où l'argent fou a supplanté les Dieux sanguinaires et capricieux du passé.

Le déchaînement de la barbarie policière contre les manifestants pacifiques a amplement montré que la loi militaire est la seule chose qui fonctionnait efficacement. Elle confine aujourd'hui femmes, hommes et enfants en quarantaine. Dehors, le cercueil, dedans la télévision, la fenêtre ouverte sur un monde fermé ! C'est une mise en condition capable d'aggraver le malaise existentiel en misant sur les émotions écorchées par l'angoisse, en exacerbant l'aveuglement de la colère impuissante.

Le coronavirus est devenu le révélateur de la faillite de l'État. Voilà au moins un sujet de réflexion pour les victimes du confinement forcé. Lors de la parution de mes Modestes propositions aux grévistes, des amis m'ont remontré la difficulté de recourir au refus collectif, que je suggérais, d'acquitter les impôts, taxes, prélèvements fiscaux. Or, voilà que la faillite avérée de l'État-escroc atteste un délabrement économique et social qui rend absolument insolvables les petites et moyennes entreprises, le commerce local, les revenus modestes, les agriculteurs familiaux et jusqu'aux professions dites libérales. L'effondrement du Léviathan a réussi à convaincre plus rapidement que nos résolutions de l'abattre.

Le coronavirus a fait mieux encore. L'arrêt des nuisances productivistes a diminué la pollution mondiale, il épargne une mort programmée à des millions de personnes, la nature respire, les dauphins reviennent batifoler en Sardaigne, les canaux de Venise purifiés du tourisme de masse retrouvent une eau claire, la bourse s'effondre. L'Espagne se résout à nationaliser les hôpitaux privés, comme si elle redécouvrait la sécurité sociale, comme si l'État se souvenait de l'État-providence qu'il a détruit.

Rien n'est acquis, tout commence. L'utopie marche encore à quatre pattes. Abandonnons à leur inanité céleste les milliards de bank-notes et d'idées creuses qui tournent en rond au-dessus de nos têtes. L'important, c'est de " faire nos affaires nous-mêmes " en laissant la bulle affairiste se défaire et imploser. Gardons-nous de manquer d'audace et de confiance en nous !

Notre présent n'est pas le confinement que la survie nous impose, il est l'ouverture à tous les possibles. C'est sous l'effet de la panique que l'Etat oligarchique est contraint d'adopter des mesures qu'hier encore il décrétait impossibles. C'est à l'appel de la vie et de la terre à restaurer que nous voulons répondre. La quarantaine est propice à la réflexion. Le confinement n'abolit pas la présence de la rue, il la réinvente. Laissez-moi penser, cum grano salis, que l'insurrection de la vie quotidienne a des vertus thérapeutiques insoupçonnées.

ÉPIDÉMIE DE PEUR PANIQUE

Covid-19, fin de partie
Lukas Stella, mis à jour le 21 mars 2020

Si l'épidémie est grave, elle n'est pas dramatique. Le Coronavirus est un virus respiratoire saisonnier banal, son taux de mortalité est très proche de celui de la grippe, c'est une épidémie saisonnière habituelle, qui disparaîtra avec le printemps. C'est la peur, la psychose et l'hystérie qui sont contagieuses et dangereuses. Sous de faux prétextes de sécurité, par les mesures coercitives d'un État d'urgence, on nous prive de plus en plus de nos libertés. La pensée unique produit des crédules bien soumis.

Certaines maladies sont à la mode. Il vaut mieux mourir du Corona, on parlera de vous dans les médias, que de la grippe beaucoup trop banale, ringarde et dépassée. Il s'est instauré en quelques semaine une discrimination des maladies, certaines accaparent toutes l'attention et d'autres beaucoup plus importantes et dangereuses disparaissent complètement, exclues du monde du paraître. C'est une réelle ségrégation médicale qui valorise certaines maladies et discrédite les autres. Près de 10 millions de morts du cancer par an dans le monde, soit 2000 fois plus que le coronavirus. Le gouvernement autorise la disséminations de nombreux polluants chimiques cancérigènes qui causent des millions de morts, la disparition d'insectes et d'abeilles pollinisatrices, l'extinction d'espèces animales, menaçant notre existence même...

Comparer les chiffres peut permettre d'avoir, avec un peu de recul, une compréhension générale plus pertinente. Au 19 mars le Coronavirus a fait 264 morts en France et près de 9000 morts dans le monde. La grippe saisonnière a fait 8000 morts par an, en moyenne en France, et de 290 000 à 650 000 morts par an dans le monde, selon l'Organisation Mondiale de la Santé.
La mort n'a pas la même valeur pour tous. Certains tentent de se refaire une bonne image pour marquer les esprits, en essayant de se faire passer pour le sauveur de milliers de vies. Mais ce qui est omis en dit long sur leurs intentions. On ne parle plus des morts de faim, des victimes de la guerre... Cette société mortifère s'accomplit par une manipulation mentale généralisée.

Plusieurs pays en Europe, n'ont pas appliqué de confinement général. Comme en Chine ou en Corée du sud, ils sont arrivés à stopper l'épidémie, en pratiquant un dépistage général, le traitement de la maladie à la chloroquine et le confinement des malades. En France on isole tout le monde, on réprime les récalcitrants, et on attend un éventuel vaccin, qui ne soigne pas la maladie et qui arrivera trop tard, mais qui, avec une vaccination obligatoire, rapportera des milliards à certains trusts pharmaceutiques.

Le spectacle médiatique génère en permanence un vent de panique pour faire accepter l'escroquerie de la crise financière qui a surfé sur l'épidémie. La crise est la norme. La panique des uns fait le bonheur des autres. Le capitalisme n'est pas affaibli par la crise, avoir une crise de temps à autre est son fonctionnement normal. Le krach est un outil financier. La crise est déclenchée par les spéculateurs les plus avisés pour accélérer et accroitre énormément et rapidement leurs profits sur le dos des plus petits qui ne l'ont pas vu venir.

Cette crise était annoncée de longue date, les spéculateurs milliardaires ont utilisé le coronavirus pour mieux la déclencher et en tirer les meilleurs profits, quitte à ébranler l'équilibre général.
L'économie et la production représentent moins de 10 % des richesses, les 90 % restant traficotent dans les sphères de la haute finance, dans des bulles financières spéculatives, qui rapportent bien plus que l'économie réelle pour ceux qui en ont les moyens et savent y faire. Si l'économie s'en retrouve affaiblie c'est pour mieux faire payer les populations. Quand certains perdent d'autres gagnent, rien ne se perd, la circulation de l'argent s'accélère considérablement pour un moment seulement.

Le fascisme s'impose toujours brutalement et insidieusement sous de faux prétextes pour le soit-disant bien de tous. La démocratie est suspendue, la dictature instaurée, la loi martiale imposée. Le couvre-feu est pour demain avec l'occupation militaire de certaines villes, instaurant le contrôle généralisé de la vie quotidienne.
Il fallait écraser la rébellion qui se répandait et s'installait dans la durée. C'est chose faite, mais pour combien de temps... Ils devaient utiliser les grands moyens pour faire taire cette contestation mondiale, dans une période d'instabilité pour éviter l'effondrement des pouvoirs dominants et préserver les privilèges des hyper-riches.

L'autorité de l'État policier est renforcée afin d'achever le grand pillage des biens publiques, et de parfaire l'arnaque de la crise financière que les populations encore plus appauvries devront payer, et se soumettre dans leur misère soudainement imposée.
Ce coup de force s'abat comme une douche froide, nous tétanisant sur place. Mais ont-t-ils vraiment les moyens de tenir dans la durée ? La population les laissera-t-ils faire sans pagaille, ni débordement de tout les cotés, surtout ceux qu'ils n'arrivent pas à contrôler. Le feu couve sous la braise apparemment éteinte, mais que certains toujours ingouvernables réactiveront à la première occasion.

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L'hydroxychloroquine et l'azithromycine comme traitement du COVID-19
https://youtu.be/SfiUlVpqHfE

Diagnostiquons et traitons !
https://youtu.be/n4J8kydOvbc

"Il n'y aura pas plus de morts que les années précédentes."
https://youtu.be/K7g4WKoS_6U

"La peur est plus dangereuse que la maladie"
https://youtu.be/vcYMKwN6u6k

https://youtu.be/hI2nHadx76M
https://www.facebook.com/lili.bertaire/videos/992249757835952/
https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/coronavirus-99-des-patients-guerissent-rassure-un-infectiologue-du-chu-de-nice-1582657278

PERSPECTIVE DÉFORMÉE

Covid-19, fin de partie
Lukas Stella, décembre 2019

LETTRE DU CHILI

Santiago, novembre 2019

Covid-19, fin de partie

Pour les Brésiliens, Barravento est la tempête qui, quand il se déclare, ne laisse aucune issue à ceux qui sont en mer.

Ce que nous vivons ici est magnifique ! Cela fait deux semaines maintenant que ce soulèvement nous a permis de vaincre la peur, l'indolence et la frustration de vivre sous la dictature de l'argent, mais aussi de nous rencontrer comme êtres humains, par-delà toutes les identités qui nous avaient maintenus séparés.

Depuis le début, cette insurrection généralisée spontanée exprime une critique en actes du mode de vie capitaliste. Elle exproprie et détruit ses symboles et ceux de l'État : supermarchés, pharmacies, banques, commissariats, édifices municipaux, etc. Ses revendications sont nombreuses, si nombreuses que chacun sait que la seule question qui se pose est celle d'un changement structurel. " Plus rien ne sera comme avant ", entend-on dans les rues. Notre désir de vivre a retrouvé de la force dans l'aventure de cette lutte contre le système.

La précarisation qui prévaut dans ce territoire et contre laquelle ce mouvement s'est levé, n'est pas le produit de mesures d'austérité. Ici, l'état de bien-être n'a jamais existé. Elle est le résultat d'un saccage organisé par l'État-Capital. Comme tu le sais sûrement, le Chili fut l'un des berceaux du néolibéralisme. Le dictateur Pinochet a tout vendu : l'eau, la santé, les pensions de retraite, l'éducation, les routes, la mer, etc. Et la démocratie qui lui succéda consolida ce système social et économique.

Mais, à force d'humiliations et d'abus répétés des politiciens et des patrons, la conscience de tous s'est aiguisée. Un des slogans de cette insurrection l'exprime : " Il ne s'agit pas de 30 pesos [l'augmentation du prix du ticket de métro qui provoqua ce soulèvement fut de 30 pesos, soit de 4 %], il s'agit de 30 ans ". Claire est l'allusion à l'époque de la " transition vers la démocratie ", l'année 1989 étant celle qui vit accéder au pouvoir, après la dictature, le premier président élu démocratiquement. Ce slogan - que les Indiens mapuches ont fait leur en le transformant ainsi : " Il ne s'agit pas de 30 pesos, mais de plus de 500 ans " - est révélateur du niveau de conscience des insurgés quand ils font de la dictature de Pinochet et du régime démocratique les deux faces de la dictature du capital, l'État n'étant, à travers les politiciens et autres experts qui pullulent dans sa sphère, que son simple exécutant.

C'est là que se manifeste une autre caractéristique de ce mouvement : la totale absence en son sein des partis politiques. Bien que, sans crainte du ridicule, ceux qui s'en sont faits les détracteurs nous affirment qu'il serait, à travers la faction gauchiste d'ici, sous influence russe, vénézuélienne ou cubaine, le fait est que les seuls drapeaux qu'on y voit sont celui du Chili, des peuples indigènes et des équipes de foot. Du haut du pouvoir on se désespère de lui fabriquer des représentants, ces voix autorisées avec lesquelles on pourrait négocier. On en cherche dans les organisations syndicales et sociales ; on convoque aussi des assemblées citoyennes. Jusqu'à maintenant personne n'a accepté de jouer ce rôle. Le caractère de masse et la diversité de ce mouvement sont des antidotes contre toute tentative de récupération.

On dénombre, à ce jour, plus de 4 000 arrestations (parmi lesquelles plus de 400 enfants et adolescents) et plus de 1 300 blessés par armes à feu. Il y a plus de 100 dépôts de plainte pour torture et une vingtaine pour violences sexuelles de la part de la police. D'après les chiffres officiels, on compte 33 morts et plus de 140 personnes souffrent de lésions oculaires - 26, parmi elles, ayant perdu l'usage d'un œil. (Quand j'ai lu dans un article censuré par Le Monde qu'en France aussi la police éborgnait, j'ai été surpris de constater que les deux polices s'accordaient sur les mêmes techniques de répression.)

Quelques heures à peine après le début de l'insurrection - qui coûta très cher aux grands capitalistes, même si ce coût est sans comparaison avec le montant de leurs vols -, le pouvoir déclara l'" état d'exception ", ce qui lui permit d'imposer des couvre-feux et de sortir les militaires des casernes pour réprimer aux côtés de la police. Cela fait une semaine que l'" état d'exception " a été levé, mais le niveau de répression n'a pas baissé. La police continue d'utiliser des armes antiémeute (pratique mise en œuvre dans ces manifestations) et de procéder à des arrestations massives ou sélectives.

Tous les secteurs politiques et les chaînes de télévision nous disent qu'il est possible de manifester " à condition d'être pacifiques ". (Certains bons citoyens ont revêtu des gilets jaunes popularisés par le mouvement français pour développer, en alliés de la police, leurs propres techniques de maintien de l'ordre.) Mais le niveau de répression est très élevé, même quand on manifeste de façon moins offensive, plus mesurée. Il faut croire que la police redoute vraiment que nous passions beaucoup de temps ensemble...

Certains voudraient canaliser cette irruption à travers la création d'une nouvelle Constitution. Celle que nous avons date de l'époque de Pinochet ; elle légitime le saccage. La revendication d'une assemblée constituante d'où sortirait cette nouvelle Constitution rencontre chaque fois plus d'échos parmi certains groupes. Il m'arrive de penser que, si on la satisfaisait, le mouvement perdrait en puissance. Mais, d'un autre côté, je pense aussi que, si elle répondait aux multiples aspirations du peuple, une autre Constitution pourrait contribuer à modifier si profondément l'ordre des choses au Chili qu'elle accoucherait d'un autre pays où, peut-être, la nouvelle Constitution finirait par ne plus avoir de nécessité. Car cette révolte remet intuitivement en cause les fondations de la structure sociale capitaliste.

Le moment que nous vivons semble être notre seule terre fertile. Quelques jours durant, tout a semblé possible. Beaucoup d'assemblées de quartier autoconvoquées ont été créées. Certaines villes frappées par la pollution des industries extractivistes se sont confrontées aux grands capitaux et paralysé leurs projets. Voir surgir ces formes d'organisations spontanées a été passionnant.

Les manifestations continuent d'être massives. Elles ressemblent à des fêtes. Dans les rues conquises, les gens se sentent heureux. On y danse, on y chante, on y partage des idées, des repas, des sourires. Personne ne sait ce qu'il va advenir de tout cela. Pour le moment, nous continuons de profiter de nos rencontres, en pariant sur la puissance qui naît du fait de nous voir et de nous sentir.

Que faut-il faire pour progresser dans la destruction de cet ordre qui s'écroule de lui-même sans notre intervention ? S'agit-il seulement de vivre nos vies à contre-courant des exigences du capital ? Faut-il renoncer à mettre à bas ce système dans son ensemble pour nous consacrer à construire, sur ses ruines, ici et maintenant et dans les limites et potentiels des circonstances, nos propres formes d'organisation ?

Covid-19, fin de partie
Yannis Youlountas, octobre 2019

(...) Alors, pourquoi nous échouons partout ? Pourquoi, tôt ou tard, le pouvoir et ses valets parviennent à nous empêcher d'expérimenter autre chose, de nous organiser autrement et de défendre la Terre qui se meurt ?

Tout simplement parce que nous sommes naïfs (et je m'inclue dans le lot). Nous ne retenons pas assez les leçons de l'Histoire et poursuivons nos répétitions passées qui n'ont jamais rien apporté ou si peu. Nous ne prenons pas assez à la racine les problèmes et n'allons pas jusqu'au bout de la démarche nécessaire pour les résoudre définitivement.

Alors que partout dans le monde, le pouvoir nous écrase, nous appauvrit, nous humilie, nous reprend nos conquêtes sociales, nous crève les yeux, nous enferme, nous affame, nous bombarde, nous empêche de filmer, nous menace, nous frappe, nous tue et détruit la Terre, morceau par morceau, nous réagissons comme s'il était encore possible de discuter et de négocier avec notre agresseur récidiviste.
Nous nous comportons comme si avions oublié que le pouvoir a toujours agit ainsi et continuera tant qu'il le pourra. Ses variantes dans le temps et l'espace ont commis les pires atrocités sous toutes les formes possibles et avec tous les prétextes imaginables. Toute l'Histoire de l'humanité est là pour en témoigner.

LA VALSE DES TYRANS

Aujourd'hui, on parle plus de Trump et de Erdogan, un autre jour de Mitsotakis, un autre encore de Macron, puis de Bolsonaro, Assad, Poutine, Merkel, Johnson, Junker, Salvini, Rohani, Netanyahou, Kim Jong il, Al Saoud ou encore Xi Jinping, et ainsi de suite, en oubliant que le problème n'est pas seulement l'une ou l'autre de ces personnes, haïes tour à tour, mais surtout ce qu'elles incarnent, les moyens colossaux dont elles disposent au sommet de l'État et l'attitude engendrée par leur position.
Autrement dit, le problème de fond, encore et encore, et aujourd'hui plus que jamais, c'est le pouvoir.

C'est parce que nous n'allons pas jusqu'au bout, dans notre refus du pouvoir, que continuons de subir la valse des tyrans d'un bout à l'autre du globe, d'années en années, de siècles en siècles. Les visages changent, mais le problème reste le même. Un problème simple : des gens se posent en chefs, encouragés par nos propres erreurs et se permettent de décider à notre place de nos vies.

Mais ce n'est pas tout : ces gens au pouvoir, ces VIP qui s'amusent à se faire la guerre économique et militaire par victimes interposées comme on joue aux échecs ou à la bataille navale, s'entendent parfaitement dès lors qu'il s'agit de nous empêcher de nous libérer. Car leur priorité est, bien sûr, de stopper ce qui les menacent sur leur piédestal, car si l'un d'entre eux tombait pour laisser place à une société véritablement horizontale, libertaire et égalitaire, les autres seraient aussitôt sur la sellette partout ailleurs. C'est ainsi que les différentes figures du pouvoir se sont souvent entendues, implicitement ou explicitement, par exemple contre la Commune de Paris, la révolution de 1936 en Espagne et beaucoup d'autres expériences politiques qui prouvaient à chaque fois que nous pouvions vivre autrement.

RÉPRESSION ET CRIMINALISATION DU MOUVEMENT SOCIAL

Aujourd'hui, le fait que le pouvoir frappe simultanément le Rojava, Exarcheia et plusieurs ZAD d'un bout à l'autre de l'Europe n'est pas le fruit du hasard. L'offensive du pouvoir contre toute forme de résistance ne cesse de se durcir depuis des années. Tous les mouvements sociaux en France le confirment : la violence de la répression policière a atteint des sommets dans l'hexagone et les moyens technologiques mis en place pour nous surveiller n'ont désormais plus de limites, du Patriot Act à l'État d'urgence. La réalité dépasse la fiction, y compris celle du roman 1984 de George Orwell. Les dispositifs inquisiteurs et oppressants se renforcent partout en Europe, avec la France en tête de file pour la reconnaissance faciale et la Grèce pour la criminalisation du mouvement social avec le classement imminent du groupe anarchiste Rouvikonas en organisation terroriste, alors qu'il n'a jamais tué personne.

Erdogan parle également de terroristes au sujet des femmes kurdes qui luttent pour leur émancipation dans les rang des YPG. De nombreux chefs d'états utilisent aussi ce terme pour parler de celles et ceux qui leur résistent un peu partout, qui défendent la terre, qui défendent la vie.
Car face au pouvoir, nous ne faisons pas autre chose : nous sommes la vie, la foule, les enfants, la nature qui se défendent.

UNE SOCIÉTÉ BÂTIE SUR UN LEURRE

Dès lors, posons-nous la question : lutter pour vivre, sauver la vie, survivre aux injustices, vivre dignement, cela ne signifie-t-il pas nécessairement prendre nos vies en main ? La réponse est tout aussi empirique que logique. Car l'Histoire nous prouve que le pouvoir ne nous a jamais libérés et que toute émancipation n'est jamais venue que de nous-mêmes, de notre volonté, de notre clairvoyance, de notre courage, de nos luttes. La logique nous rappelle également qu'une vie digne revient à une vie libre (nul n'est digne que celui qui est responsable et n'est responsable que celui qui est libre). C'est pourquoi il nous revient de prendre nos vies en main pour bâtir un autre futur.

Le pouvoir tente de nous faire croire que le monde est horrible et que l'homme est un loup pour l'homme, ce qui lui permet d'imposer une forme de société (capitaliste et hiérarchique) pour civiliser, ordonner et pacifier le chaos destructeur. En réalité, nous savons bien que c'est tout le contraire (et c'est ce que nous essayons de faire comprendre aux jeunes en souffrance, aux résignés, aux déprimés et aux suicidaires) : ce n'est pas le monde qui est horrible, mais cette société. Ce n'est pas l'homme qui est un loup pour l'homme (pardon pour les loups, la formule est de Plaute, puis reprise par Thomas Hobbes), c'est cette société qui nous conduit à la guerre et à la compétition de tous contre tous.

L'existence même d'un pouvoir conduit à justifier l'idée de compétition et de hiérarchie partout dans la société. Car on ne peut placer quiconque sur un piédestal sans cautionner les rapports de domination et d'exploitation qui en découlent. Outre ce problème de cohérence, nous avons également vérifié à de nombreuses reprises que le pouvoir corrompt, comme nous mettait en garde Louise Michel.

IL N'Y A PAS DE BON POUVOIR

Focaliser sur un ou plusieurs dirigeants au lieu de remettre en question la fonction elle-même est donc une erreur. Bien sûr, certains régimes et hommes politiques sont pires que d'autres. Évidemment, il existe des différences. Mais, ces différences n'ont pas été suffisantes depuis plus d'un siècle pour parvenir à tourner la page du capitalisme et encore moins de la hiérarchie. Nous n'avons eu droit, au mieux, qu'à des réformes arrachées par des grèves, bien plus que concédées par les pouvoirs prétendument sympathiques. Par exemple, contrairement à ce que prétend une rumeur, la première semaine de congés payés n'était pas dans le programme du Front Populaire en 1936 et n'a été obtenue qu'à l'issue d'une des plus longues grèves du vingtième siècle en France. De même, ce n'est pas un régime royaliste ou de droite dure qui a massacré la Commune de Paris, mais la jeune Troisième République à ses débuts (avec le maire de Paris en fuite qui n'était autre que Jules Ferry). Cette même Troisième République s'est terminée honteusement en votant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en 1940, après avoir décidé le sinistre embargo sur les armes vers l'Espagne en août 1936, condamnant dès lors l'utopie qui commençait à voir le jour de l'autre côté des Pyrénées.

Le pouvoir, quel qu'il soit, n'est pas un allié et compter sur lui est une folie. Les seules promesses auxquelles nous pouvons croire sont celles que nous faisons à nous-mêmes, c'est-à-dire nos propres engagements réciproques, sur un plan horizontal, pour créer, défendre et bâtir ensemble une société nouvelle sur d'autres bases que la compétition, la domination et l'exploitation.

LE TABOU DE LA VIOLENCE

Ne plus être naïf, c'est aussi ne plus s'interdire le tabou de la violence face à un pouvoir qui, lui, ne se gêne jamais. Libre à chacun d'en user ou pas et de résister comme bon lui semble. Si quelqu'un veut prier Gaïa ou quelqu'un d'autre dans des manifs, grand bien lui fasse. Mais qu'il impose sa façon de faire et d'agir, c'est une autre affaire. Notamment quand il s'agit d'appeler explicitement au " respect du gouvernement " et de ses valets.

Nous n'avons pas à respecter nos bourreaux. Nous n'avons rien à négocier avec les tyrans. Nous voulons vivre libres. Nous voulons prendre nos vies en mains. Nous voulons congédier à jamais ceux qui veulent nous en empêcher.

Respecter le pouvoir, c'est le cautionner. On ne discute pas avec ceux qui s'affirment d'emblée supérieurs. De même, on ne lutte pas contre un système capitaliste et hiérarchique en reproduisant ses formes lucratives et verticales. Dès lors qu'on a compris la nécessité de détruire le pouvoir, on doit commencer à le faire à l'intérieur même de nos luttes, dans notre façon de nous organiser.

S'ORGANISER AUTREMENT POUR LUTTER

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des partis structurés de façon hiérarchique ; des partis qui cautionnent le manège électoral dont les dés sont pipés, puisque c'est le pouvoir économique qui détermine aisément le pouvoir politique grâce à sa possession des moyens de fabriquer l'opinion.

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des syndicats également structurés de façon hiérarchique ; des syndicats dont le sommet est sourd à certaines des atteintes de la base et dont les dirigeants se reconvertissent parfois au sein même du camp d'en face.

Nous ne pouvons pas continuer à lutter contre le pouvoir avec des organisations écologistes structurées elles aussi de façon hiérarchique ; des organisations dont le sommet vaporeux a déjà tout prévu, qui refusent de remettre quoi que ce soit en question et qui imposent une charte de lutte indiscutable à toutes celles et ceux qui s'en rapprochent.

Il est facile de comprendre pourquoi ces structures refusent d'aller jusqu'au bout dans la lutte contre le capitalisme et le hiérarchisme : leurs directions profitent, participent et répètent diversement ce que nous tentons précisément de combattre en leur sein. Elles ne sont ni cohérentes ni déterminées ni libres, contrairement à la société que nous désirons. Elles ne font que reproduire des schémas désuets, modérés et stériles, dans des lourdeurs bureaucratiques, stratégiques et autoritaires.

MULTIPLIER LES ROJAVA, LES EXARCHEIA, LES ZAD...

Notre impuissance politique est donc à la fois le produit d'une analyse incomplète du problème principal et de la répétition naïve de nos erreurs passées.
Car non, le problème ne se réduit pas à Trump ou Poutine, Erdogan ou Assad, Mitsotakis ou Tsipras, Macron ou Le Pen, et tant d'autres dans la valse des chaises tournantes. C'est le pouvoir lui-même qui est notre éternel ennemi.

Et non, on ne peut lutter contre le pouvoir, sa bureaucratie, sa hiérarchie, sa stratégie de communication, en procédant de la même façon dans nos luttes. C'est d'abord et avant tout parmi celles et ceux qui résistent que nous devons montrer notre capacité à nous organiser autrement pour l'étendre ensuite à toute la société.

Ce n'est qu'à ces deux conditions que nous pourrons enfin sortir de notre impuissance politique. De plus, nous devons absolument nous donner une dimension internationale à nos luttes, par-delà les frontières qui tentent de nous diviser et de nous faire croire que nos intérêts s'opposent. Car il n'en est rien, nous le savons bien : c'est la même lutte partout que nous devons mener, celle de l'émancipation individuelle et sociale pour prendre enfin nos vies en main.

Avec plus de solidarité internationale et plus de résistance locale partout simultanément, les quartiers, ZAD ou régions du monde ne tomberaient pas les uns après les autres, comme des dominos. Nous avons besoin d'autres expériences moins verticales et autoritaires comme le Rojava, d'autres quartiers rebelles et solidaires comme Exarcheia, d'autres ZAD un peu partout et de plus en plus. Ces initiatives sont trop isolées. Nous comptons trop sur elles. Nous les mythifions trop, sur des piédestaux, au lieu de les multiplier, de les réinventer sans cesse et de créer un véritable réseau sans frontières et horizontal dans l'entraide et le soutien mutuel.
Sans chef, il sera beaucoup plus difficile de nous récupérer, de nous corrompre, de nous abattre.

PASSER DU NOM AU VERBE POUVOIR

Pour finir, rappelons-nous que le pouvoir n'est pas seulement un nom, mais aussi un verbe. Et c'est là, précisément, dans la confusion entre ces deux homonymes, que se cache l'un des enjeux de notre époque : sortir enfin de la préhistoire politique de l'humanité. Le pouvoir est un nom : celui de l'autorité qui dirige, qui gouverne, qui exerce tout ou partie des droits d'une autre personne ou de toute une communauté et qui agit pour son compte. Mais pouvoir est aussi et surtout un verbe : il signifie tout simplement être en capacité de faire. Passer du nom au verbe, tel est l'enjeu. Détruire le pouvoir en tant que rapport de domination pour libérer notre capacité à penser et à choisir nos vies.

Ce qui vaut pour la société vaut également pour nos luttes. Donnons à voir partout la société que nous désirons. Cessons d'accepter de nous organiser dans des structures verticales et de courir après des hommes providentiels. Passons à l'étape suivante.
Pour prendre nos vies mains, commençons par prendre nos luttes en main.

L'ÉCOLOGIE DÉNATURÉE

Covid-19, fin de partie
Lukas Stella, septembre 2019

Pronostics sur le réchauffement surévalués ? Écran de fumée pour masquer les pollutions qui intoxiquent nos vies ? Des affaires pour qui ? Un climat de peur qui focalise nos réflexions et déforme nos compréhensions ?.. Quand les statistiques alarmistes sont admises par simplification de la complexité du fonctionnement des écosystèmes, il est prudent de douter et de chercher par soi-même.

Les théories du réchauffement climatique dépendent toutes des rapports des experts du GIEC. Celui-ci a été créé en novembre 1988, à la demande du G7. La décision du G7 avait été prise sous la pression de Ronald Reagan et Margaret Thatcher, afin de justifier le nucléaire et d'empêcher une agence de l'ONU, soupçonnée de militantisme écologique, de mettre la main sur l'expertise climatique. Le GIEC ne fait que des hypothèses prédictives, qu'il présente comme les données d'une réalité inévitable, et les possibilités deviennent très vite des certitudes scientifiquement prouvées. Les simulations semblent être d'une objectivité incontournable.
Ces devins, au service des gouvernements, annoncent le désastre pour très bientôt afin de répandre la peur et l'angoisse dans l'intention de calmer les ardeurs de quelques rebelles et administrer la soumission volontaire. L'extinction finale a été décrétée scientifiquement comme notre devenir inéluctable.

NE GÉRONS PAS LE DÉSASTRE !

Sous une dictature économique généralisée, les gérants politicards ont perdu le pouvoir. Les trusts transnationaux et les milliardaires imposent les réformes nécessaires à leurs affaires mafieuses et instaurent un système technologique automatisant leur domination sans partage.

Pour laisser libre cours au pillage de la planète, le capitalisme empoisonne la vie des populations ainsi que leur environnement. Contrôlés par les pouvoirs dominants, les experts du Giec ne sont pas crédibles. Leurs rapports sont incomplets, parcellaires, censurés, et leurs conclusions prédictives fantaisistes et mensongères. On perd beaucoup en liberté et en intelligence collective à subir l'autorité des experts de l'État. "Tout expert sert sont maître", "L'expert qui sert le mieux, c'est, bien sûr, l'expert qui ment." Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, 1988.

Si le climat se réchauffe ce n'est pas l'apocalypse. N'oublions pas que dans la période de l'an 1100 à 1300, nommée par les spécialistes le Medieval Climate Optimum, les températures étaient alors plus chaudes de 6 degrés par rapport à aujourd'hui, et ceci a été suivi par le petit âge de glace. Pourtant, la fin du monde n'a pas eu lieu.

Par ailleurs, limiter les causes de l'effet de serre aux gaz et à l'empreinte carbone de l'activité humaine, en ignorant l'influence prépondérante de la vapeur d'eau et des nuages, ainsi que beaucoup d'autres facteurs, est une hérésie scientifique et une absurdité écologique. Le principal responsable de l'effet de serre est la vapeur d'eau génératrice de la couverture nuageuse. Les micros et nanos particules, les pressions et dépressions, les océans, le bétonnage des villes, les rayonnements cosmiques, sont des phénomènes parmi bien d'autres qui jouent un rôle dans la formation des nuages, et donc modifient quelque peu un climat en perpétuel changement. La focalisation de tous les médias des pouvoirs oppresseurs, sur les prophéties d'un réchauffement leur permet d'occulter les graves pollutions qui s'emballent sur toute la planète. Ce qui est caché crée l'illusion, la peur et la soumission à un système qu'il s'agit seulement de perfectionner en le verdissant, afin de développer un éco-capitalisme profitable aux plus riches.
L'écologie récupérée, dénaturée et falsifiée, sert maintenant de prétexte aux nouvelles servitudes modernes, permettant le pillage effréné des derniers restes de vie à exploiter, détruisant la bio-diversité, intoxiquant tous les écosystèmes. Le désastre est déjà là, l'extinction des espèces, l'intoxication chimique et la bouillie électromagnétique généralisée... Reporter la catastrophe sur un futur hypothétique en la limitant au réchauffement, c'est autoriser, au présent, son expansion mortifère multiforme.

Ce système capitaliste ne se réforme pas, il développe librement et sans entrave ses affaires fructueuses, par la destruction de tout ce qui peut rapporter gros. Il menace directement la vie sur terre, non pas par un réchauffement de quelques degrés, mais par une pollution débridée, omise et occultée par tous les mass médias. L'écologie spectacle orchestrée par les experts du pouvoir se fait complice, par focalisation restrictive, de l'intoxication généralisée de la vie.
"Le catastrophisme d'État n'est très ouvertement qu'une inlassable propagande pour la survie planifiée - c'est à dire pour une version autoritairement administrée de ce qui existe. Ses experts n'ont au fond, après tant de bilans chiffrés et de calculs d'échéance, qu'une seule chose à dire : c'est que l'immensité des enjeux (des " défis ") et l'urgence des mesures à prendre frappent d'inanité l'idée qu'on pourrait ne serait-ce qu'alléger le poids des contraintes devenues si naturelles." René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Encyclopédie Des Nuisances 2008.

Au hasard d'interactions multiples enchevêtrées, émergent parfois des changements inattendus qui ne sont pas programmables. Les prévisions tirées des calculs informatiques amplifient les croyances de ceux qui les ont programmées. Dans des écosystèmes très complexes, les modèles informatiques ne sont pas très fiables et l'interprétation de leur résultats souvent extravagante.

La propagande médiatique ne discute que de chiffres, de dates, de doses et de statistiques. Les caprices du climat ne se modélisent pas dans leurs supercalculateurs, les aléas des interrelations des processus vivants ne se résument pas à une série de chiffres, les interactions hypercomplexes d'un écosystème global n'entrent pas dans leurs programmes étriqués, la nature ne s'informatise pas. Le climat est une variation permanente, une instabilité en interdépendance avec son milieu, un phénomène complexe et ingouvernable. Il n'y a pas de coupable, il n'y a que des interactions dans des ensembles multiples ouverts à leur environnement. Il n'existe pas de système isolé, car nous vivons dans un monde composé de relations. Isoler une partie, disséquer en fragments séparés un système d'interactions complexes détruit la compréhension de l'ensemble.

DÉTRUIRE CE SYSTÈME QUI DÉTRUIT NOS VIES

Les prédictions des experts gouvernementaux sont des suppositions scientistes, des commentaires idéologiques, des préjugés qui n'ont pas grand chose à voir avec la recherche scientifique. La science nécessite un questionnement et une remise en cause permanente, c'est ce qui maintient sa réfutabilité, et donc la préservation du dogme.
L'écologie récupérée est fragmentée, constituée de mesures chiffrées puis extrapolées, montées en représentations prédictives, en projections catastrophiques, administrant la réalité spectaculaire d'un capitalisme en décrépitude. Par ailleurs, l'écologie unitaire est un outil de compréhension globale de tout ce qui se vit sur terre, dans le contexte d'un écosystème élargi à la planète, avec ses interactions, dans le cours de leurs évolutions.

Le dérèglement climatique peut être catastrophique. Il n'y a pas que le climat qui ne va pas, notre existence même est menacée par une intoxication générale sans limite. Le désastre est déjà dans notre vie quotidienne, il a intoxiqué ce qui reste de notre survie, dévastée par un travail harassant et aliénant.
C'est le système d'exploitation de la dictature économique qu'il faut renverser ! Pollutions chimiques, génétiques, nanoparticules, nucléaires, électromagnétiques, le monde marchand ravage une planète en ruine, et détruit la vie dont il tire profit. L'intoxication est biologique et mentale, les nuisibles sont au pouvoir, les décideurs sont des casseurs de vies.

Pour les profits personnels de quelques hyper-riches, les gens de pouvoir empoisonnent la société et saccagent les équilibres fragiles de la vie. Il ne s'agit pas de croissance ni de décroissance du capital, mais du capitalisme lui-même, qui est par essence dévastateur. La nature est notre propre nature, nous ne voulons pas d'un monde qui pourrit nos vies. Il ne s'agit plus de survivre dans la misère mais de vivre pleinement.

Ni comptable ni devin, le désastre c'est maintenant. L'effet de serre n'est pas l'écologie, c'est un écran de fumée qui cache l'emballement des pollutions et l'intoxication de la vie. Peu importe les prédictions, c'est la pollution qu'il faut éradiquer, et le capitalisme, toxine de nos vies, qu'il faut éliminer. Il s'agit de construire un monde sans chefs et sans marchands, prendre nos vies en main par une auto-organisation égalitaire, une révolution écologique, sociale et libertaire. Détournement et débordement, à l'abordage du vieux monde en décrépitude, notre colère s'insurge contre une dictature économique mortifère, pour sauver la vie sur notre terre.

CONQUÉRIR NOTRE AUTONOMIE

Covid-19, fin de partie
Guillaume Deloison, 2017 (Extraits)

Nous faisons face à un système de dominations qui nous exploite et nous oppresse au quotidien. Le capitalisme déploie sa logique marchande dans la totalité de nos vies. Tout devient une simple marchandise, un moyen de profits, d'accumulation. C'est contre ce monde qu'il nous faut nous battre et organiser nos existences. Nous, en tant que dominé-e-s nous savons et vivons la nécessité de sortir de rapports de dominations qui détruisent tout et nous empêchent de vivre, d'être autonomes. Libres et égaux. Déployer cette logique, communiser, c'est instituer des formes d'existence totalement incompatibles avec la persistance du capitalisme. C'est lier des relations concrètement égalitaires et libertaires, c'est faire du monde un commun. Comment construire notre puissance face au pouvoir, qui exploite, oppresse, détruit ; comment conquérir notre autonomie ? [...]

Ce n'est pas une mission historique, ce n'est pas en tant que classe du travail mais contre cette société de classe, cette hiérarchie, qu'il faut se battre. C'est une nécessité pour le vivant et ce qui veut vivre. Le pouvoir n'a jamais rien lâché sans y être contraint, il ne le fera jamais, il broiera tant qu'il peut. L'abattre est aujourd'hui une question de survie. Être pragmatique ce n'est pas négocier le pourcentage d'abattage des forêts, de population de poisson, de la toxicité de notre eau. Être pragmatique c'est abattre cette société de classe avant que l'autre moitié du vivant soit broyée. Il n'y a nulle part ou s'enfuir, il faut l'affronter.

En tant que dominé-e-s nous savons et vivons la nécessité de sortir de rapports de domination qui détruisent tout et nous empêchent de vivre, d'être autonomes. Il est déjà possible de voir des actions se renouveler contre la domination, de façons plus ou moins spontanées. C'est par la violence que le capitalisme nous réduit à une simple donnée, un chiffre, une unité et dans ce processus il se créer des résistances, auxquelles la domination doit encore s'adapter. C'est dans une lutte que la société de classe s'impose ; Dans un antagonisme. Absentéisme, sabotage, vol, débrouillardise, réseaux de soutien, émeute, mise en commun, ZAD, etc. en sont les traces. La domination en mouvement se reconfigure, la classe se compose et se recompose. C'est de cette réalité matérielle qu'il faut partir pour élaborer une stratégie de lutte efficace.

Notre solidarité, la débrouillardise, la mise en commun sera une nécessité première pour vivre dans cet effondrement. Ne pouvant plus offrir un confort suffisant, ne pouvant entretenir l'espoir, le système de domination, pour persister, se fait plus autoritaire. Il faut s'organiser face aux appropriations étatiques ou même privées, mafieuses qui veulent faire persister cette société hiérarchique, qui veulent faire perdurer une forme d'exploitation et de société de classe. C'est dans la lutte que nous créons le commun.

Face à ce système totalitaire, il faut créer des poches d'air, des espaces de liberté, il faut s'attaquer directement à ce qui nous exploite, il faut détruire l'usine, détruire la ville-usine. Il n'y a rien à attendre de fausses solutions, qui ne font que reconfigurer la domination, qui ne font bien souvent qu'étendre la domination, le contrôle. Les autolib' n'ont rien d'écologique, ce ne sont que des artifices marchands, elles ne sont qu'opium qui nous empêchent de construire de vraies solutions communément. Les centres commerciaux détruisent les liens que tisseraient des activités locales, autonomes. Les transports en commun, l'architecture des banlieues, les outils de travail, sont les outils de la domination auxquels s'attaquent spontanément les exploité-e-s, les vivant comme tels. Il faut détruire ce qui quantifie, dans le seul but de quantifier, d'échanger, il faut redonner aux rues leurs fonctions vitales, détruire les artères marchandes ; elles doivent être des lieux de vies et non de circulation des marchandises.

Dans l'action directe contre le système marchand, nous constituons un mouvement commun, nous conquérons notre autonomie. Ces actions peuvent prendre plusieurs formes, selon les dispositifs contre lesquelles elles se dirigent ; Comme le sabotage, pratique historique de l'anarcho-syndicalisme, qui doit aujourd'hui s'étendre aux champs élargis de l'usine, la ville, ses moyens de contrôle, les réseaux de transport marchands etc. À Grenoble, avril 2017, les valideurs à quai des trams ont était mis hors service en y versant un liquide corrosif. De façon répété, ce genre d'action peut permettre la gratuité des transports, faire payer les transports étant de fait impossible, réparer n'étant pas rentable; Comme l'occupation, la mise en commun de lieux de vie, tels les ZAD ou les Squats, qui tout en résistant au développement de la domination nous permettent d'organiser la lutte et de vivre, de vivre de nouvelles formes d'existence, des formes non-marchandes et non-hiérarchiques, communes et anarchiques. À notre dame des landes on affrontait un projet d'aéroport destructeur, on cultive, fait de la récup, à Bure on lutte contre l'enfouissement de déchets nucléaire qui n'est qu'une impasse pour cette industrie ; Comme l'auto-réduction, qui consiste à imposer la baisse du prix d'un produit ou d'un service voire sa gratuité, à mettre en bien commun ce qui est produit tel que cela s'est fait dans le mouvement autonome italien des années 70. À Parkdale, suite à l'embourgeoisement, le propriétaire voulait augmenter les loyers, mais les locataires se sont organisé-e-s un par un et ont organisé une gréve des loyers, Ils ont arrêté de payer leur loyer et ont stoppé les augmentations qui menaçaient d'expulsions de nombreux locataires; Comme un potager commun ; Comme un groupe de discussion, d'agitation, d'information, d'entraide ; Comme du hacking, le développement de logiciel libre, de low-technologie ; Des placards communs dans nos quartiers, des plantations sauvages, des manif' sauvages etc...

L'action directe est diverse et n'a comme limite que notre imagination, ce qui la définit c'est son caractère direct, nous agissons de nous même, avec nos propres forces et moyens, comme l'ont fait les anarcho-syndicalistes aux heures victorieuses de la CGT. Nous ne jouerons pas leur jeu parlementaire, nous n'avons pas d'intermédiaire, de représentant, de bureaucrate, nous ne déléguerons jamais notre puissance pour qu'elle se perde dans des négociations syndicales et politiques, ou des accords écologiques qui ne sont que du spectacle. Nous sommes autonomes, et nos actions sont directes, elles communisent contre le capital.

Notre autonomie n'adviendra que de nous même, elle ne pourra venir de la domination capitaliste, de son évolution logique, de l'avènement mécanique du socialisme ou même de la prise du pouvoir. Dans ce système en crise perpétuelle pour reconfigurer sa domination, il nous faut construire notre autonomie, il nous faut communiser, mettre en commun. C'est dépasser la propriété privé, individuelle, et la planification collective, c'est faire commun, s'articuler solidairement. C'est sur ces pratiques que se fondent nos modes d'existence futurs. Vivant l'autonomie, la défendre sera alors pour tous et toutes une évidence. Communiser, c'est un moyen de faire face aux difficultés que l'on rencontre dans la reproduction de nos existences, dans la crise. C'est une lutte contre le capital pour assurer notre survie. Nous communisons pour vivre mieux.

Entre ami-e-s, entre collègues, en groupes affinitaires, il nous faut nous organiser de façon égalitaire et libertaire. A travers nos relations il nous faut abattre les différentes dissociations qui nous classent, pour être concrètement égaux. Il nous faut instituer l'entraide pour nous libérer concrètement. Il s'agit de plus qu'une égalité ou d'une liberté formelle, abstraite, absolue, individuelle. C'est ensemble que l'on se construit, au consensus, avec l'accord de tou-te-s. Il nous faut créer des collectifs puissant qui vont s'attaquer aux processus et aux catégories institués de la domination(sa répression meurtrière, sa socialisation inégalitaire, sa misère et son luxe, sa violence etc). Des changements individuels, une morale individuelle, une pureté militante ne créera jamais un rapport de force qui émancipe. Toute exploitation, oppression, toute hiérarchie à travers nos relations doit être défaite, communément. La liberté n'est pas la liberté d'exploiter et d'oppresser. S'approprier, faire propriété, n'est pas liberté, n'est pas communiser.

Les situations concrètes étant plurielles et changeantes, les organisations adéquates seront nécessairement diverses. Selon les problèmes, selon les compétences, les besoins, les désirs, les moyens, l'organisation s'adapte au concret. Le concret déborde toujours nos planifications, déployons une rationalité qui en prend acte sans surplanifier encore. Les solutions ne préexistent pas aux différents problèmes, elles se construisent communément, selon les diverses déterminations qui nous lient. Manger, boire, se loger, se déplacer, produire, se fera avec et selon chacun, il faut initier, instituer l'entraide, plutôt que de s'en remettre à un État ou au marché. S'il est nécessaire de loger des personnes, voyons comment faire, construire ou réaffecter etc. De nombreuses choses dans notre quotidien, vivent déjà dans ces rapports d'entraides, en réalité pour beaucoup sans l'entraide, la survie ne serait même pas possible. C'est ensemble que l'on vit et répond à nos besoins, nos désirs, à notre volonté, comme réponse consciente de notre imaginaire à nos déterminations.
La médiation du système marchand nous tue, ses impératifs abstraits, économiques et politiques menacent tout. Il faut abolir l'économie en tant que rationalisation abstraite des besoins. L'économie n'est pas quelque chose qui aurait toujours existé, tout échange ne relève pas de rapports marchands, c'est une catégorie spécifique de notre période historique. Il y a d'autres moyens de répondre à nos besoins que la médiation du marché ou de l'état, nous pouvons répondre à nos besoins directement, communément, sans médiation, sans abstraction. Cette rationalité concrète vise la satisfaction immédiate, directe, autonome des nécessités de l'existence. C'est s'organiser selon nos propres règles, égalitaire et libertaire. Une chaise dans le capitalisme n'est pas la même chose qu'une chaise dans la communisation, car elle ne renvoie pas au même écosystème social, au même processus de production. Il faut imaginer ce qu'une ZAD à l'échelle d'un pays peut déployer comme puissance et comme diversité de formes d'existence.

Sans médiation qui nous exploite et nous oppresse, nous pouvons déployer notre puissance qui n'est plus fragmentée, divisée, hiérarchisée, classée. L'éducation, la santé, le logement, l'agriculture, l'architecture, l'art, l'amour prendront d'autres formes, libéré-e-s de la domination marchande et de sa rationalité abstraite. La technique doit être nécessaire, elle ne doit pas se développer pour elle-même, mais servir le commun, non pas le quantifier, le détruire. Des formes tout a fait nouvelles d'existences s'organiseront, chacun subvenant directement aux volontés des autres. Nous ne quantifierons, produirons pas sans fin, sous une autorité, ou dans un but abstrait, un but marchand, mais dans la concrétude et les limites de nos besoins communs. Nos activités doivent être l'expression de notre imaginaire face à la diversité des nécessités. Il ne doit pas y avoir de fondement absolu, mystique, à notre autonomie, il n'y a qu'une vérité crue, des déterminations concrètes auxquelles il nous faut répondre. Comme la science, nous procédons sans aucune autorité. Notre imaginaire en tant que capacité de notre corps à répondre aux déterminations a été, est et sera une force déterminante pour notre forme de vie. Il nous faut en saisir les limites, les failles, pour dépasser l'abstrait, pour faire de l'imaginaire la puissance sociale qu'elle est. Notre civilisation s'est organisée avec des chefs, cette hiérarchie n'est plus adaptée à la complexité du concret auxquels doivent faire face nos larges groupes sociaux. La communisation est un mouvement déterminé.

Selon les nécessités qu'impliquent les différentes échelles géographiques (locale, régionale, internationale), nous pouvons former des fédérations autonomes, égalitaires et libertaires. Bien sûr il est impossible que tout le monde s'occupe de tout, des personnes peuvent donc se charger de fonctions précises. Ces personnes n'ont pas de pouvoir décisionnel à proprement parler. Ils ne disposent d'aucun moyen coercitif pour imposer des décisions et peuvent être remplacé-e-s à tout moment s'ils ne peuvent tenir leurs responsabilités. Il nous faut nous organiser, nous coordonner comme un ensemble divers, souple et autonome, sans chefs ni représentant-e-s mais avec des responsabilités communes. La critique doit être courante entre nous, personne n'est parfait et sans chefs, c'est communément que l'on construit notre autonomie.

Cette autonomie peut nous permettre une diversité tactique, allant de la lutte non violente, de l'expérimentation de zones d'autonomies à des formes de luttes plus clandestines, qui se lient stratégiquement dans la lutte. Cette souplesse, puissance tactique face à la totalité capitaliste, est de plus un moyen de faire face au niveau de surveillance auquel il nous faut faire face. Il nous faut nous connaître pour nous faire confiance. Il nous faut veiller les uns sur les autres. Et sans centre d'organisation, il est d'autant plus difficile pour l'état de nous contrôler, de nous administrer, et de nous réprimer, nous casser. Sans chefs, notre mouvement est alors pour eux ingouvernable.

Ce qui nous lie c'est une lutte radicale contre toute domination. Cette radicalité est primordiale pour former un mouvement commun face au capitalisme et ses réactions. A travers cette rationalité concrète nous nous opposons à toutes variantes capitalistes, à tout alter-capitalisme, à tout anticapitalisme tronqué. Tout ce qui substitue notre puissance immédiate à une autorité supérieure ou une valeur absolue, abstraite, doit être combattu. Ces fascistes qui critiquent la société capitaliste à travers des catégories autoritaire, essentielles, comme " la nation ", " la femme ", affirmant le bien fondé des inégalités; Ces libéraux pour qui la liberté abstraite d'exploiter est si essentiel, qu'ils nient les inégalités ; Ces étatistes qui sont incapables d'entrevoir la sortie du capitalisme, et qui se contentent alors de gérer, de planifier les catastrophes, de façon plus ou moins autoritaire selon la conjoncture ; Ces fausses solutions écologiques qui sans faire la critique du capitalisme s'en remettent à un mysticisme ou à des technologies qui n'ont de durable que le nom. C'est face à toutes ces variantes qu'il nous faut lutter avec la ferme intention d'abattre le capitalisme. Il faut s'opposer radicalement au capitalisme pour ne pas en être une roue de secours. Nous visons plus que l'autogestion, l'auto-exploitation et la charité. Gattaz a bien proposé de sauver des entreprises par le bénévolat !

Il est nécessaire d'être offensifs et d'ancrer nos pratiques dans un rapport de force sous peine d'être récupérés. Solidaires dans notre radicalité nous constituons un front autonome, en rupture radicale d'avec le capitalisme. Aider son prochain, protéger un coin de nature n'a aucun avenir si on ne s'attaque pas radicalement au capitalisme qui finira par le bouffer. C'est conscient-e-s des nécessités écologiques et sociales que nous communisons. C'est cette lutte pour notre autonomie, qui construit notre futur monde commun.

Il faut prendre et produire communément ce dont nous avons besoins, il ne s'agit pas de comptabiliser, de quantifier, d'administrer abstraitement. La satisfaction de nos besoins, nos désirs, de nos volontés doit être sans médiation, autonome. Nous produirons, cultiverons non pas dans le seul but de quantifier, de hiérarchiser ; tout est commun, nous serons alors au delà du concept de gratuité. Bouffe, toit, meubles, outil, instrument, art etc. Dans la satisfaction immédiate et commune de nos besoins nous abolissons le travail, la propriété, la dissociation de la valeur marchande, les qualités diverses de chacun font irruption dans la quantité, les standards sont brisés ; Nous développons les moyens de notre autonomie ; nous déployons une rationalité concrète, pratique, qui brise les abstractions qui nous dominent ; Nous conquérons notre autonomie.


https://guillaumedeloison.wordpress.com/2018/02/03/conquerir-notre-autonomie/
https://www.youtube.com/channel/UCzB4XvWgVlXFI4ljbQXzmwA

DU FÉTICHISME DE LA VIOLENCE

Covid-19, fin de partie
Louis, Colmar, mai 2019

L'État comme le capitalisme n'ont pu se développer historiquement qu'en détruisant, parasitant les communautés locales toujours peu ou prou fondées sur des formes variées de démocratie locale plus ou moins directe. Refonder aujourd'hui une nouvelle forme de démocratie directe suppose donc de redéfinir, détricoter les périmètres de compétence coercitive de l'Etat et simultanément ceux du marché. Les structures coercitives de l'Etat et du marché ne peuvent pas être réappropriées, fonctionner dans le cadre d'une démocratie directe. Pour le dire autrement, il est impossible de faire fonctionner démocratiquement l'Etat et le marché, ce qui implique qu'il faille repenser la coordination des entités locales de base à nouveaux frais. La centralité de la production économique marche de pair avec la centralité du pouvoir politique, même si aujourd'hui ces deux sphères se sont largement opposées par rapport à leur origine commune.

Il s'agit d'arriver à articuler le local et l'universel, mais un universel fondé sur la reconnaissance de l'altérité : l'universalité des Lumières était au contraire fondée sur le sentiment de l'identité substantielle. La crise historique actuelle est ainsi une crise de l'identité articulée à une crise de l'universel : ce qui nous renvoie à deux formulations idéologiques de la même crise, la tentative de réaffirmer une identité nationale en niant la possibilité de se référer à un universel, et l'affirmation d'une universalité vide qui cherche à nier la question de l'identité collective et du sens du vivre-ensemble. L'actuelle revendication de démocratie directe dans le cadre du mouvement des GJ peut également se lire dans le cadre de cette double crise de l'identité et de l'universel tels qu'ils ont été institutionnalisés. Et il s'agit bien d'une crise institutionnelle, d'une crise de l'institution passée de la société : la volonté de re-créer un lien social direct est une première réponse à cette crise globale, mais elle doit aussi tisser, articuler cette réponse avec une double, simultanée re-définition de l'identité et de l'universel. On voit tout de suite ici le problème posé par les "populismes" : le repli sur une identité nationale passée et l'abandon de la question de l'universel, simplement recadrée et caricaturée dans des frontières nationales. A l'inverse, les "écologismes" défendent un universalisme planétaire passé sans être capables de l'articuler à des identités en crises. Les humains n'ont pas seulement à redéfinir leur rapport utilitariste à la "nature", ils doivent aussi repenser la symbiose de l'humanité dans son univers. (...)

Je ne vois pas comment il serait possible de changer les rapports entre les humains sans changer en même temps notre rapport pratique au monde, et changer notre rapport pratique au monde est inconcevable sans abolir le capitalisme. Cette question est cependant complexe et défie largement notre intuition quant à ce que devrait, pourrait être un autre rapport réellement démocratique (démocratie directe) à la production et à l'enrichissement du lien social (plutôt que la production et l'enrichissement marchands). Notre intuition est en effet largement formatée par des siècles de centralisation du pouvoir symbolique et des siècles de centralisation de la production industrielle.

La problématique à laquelle nous sommes confrontés est que l'appareillage industriel du capitalisme se révèle aujourd'hui être devenu structurellement anti-démocratique, jusque dans le châssis de ses machines, jusque dans ses principes de conception et de fonctionnement. (Une centrale nucléaire en est un symbole flagrant...). Mon avis est qu'il faut remplacer la centralisation mondiale de la production par une libre diffusion de toutes les techniques permettant à chaque humain de maîtriser au maximum tous les aspects matériels de la production de sa vie, associé à une libre coordination des acteurs permettant de maîtriser un minimum une socialité commune. Cela suppose une transformation conceptuelle des machines qui n'auront plus pour objectif de produire des objets, mais de produire une autonomie individuelle imbriquée dans des autonomies collectives enchâssées les unes dans les autres, en dehors de toute possibilité d'appropriation privative de ces techniques et moyens, dans le respect des contraintes écologiques globales.

Face à une telle exigence d'autonomie individuelle et de libre association entre égaux (égaux parce que tous différents...), partout sur la terre, le présent contexte économique et politique, fondé sur la dépossession des moyens de production et la dépossession des moyens de contrôle de l'immense majorité des humains, on ne peut que conclure au caractère totalement artificiel d'un ordre qui fonde cette réelle dépossession universelle sur une prétendue inégalité intrinsèque des humains entre eux (rendue gouvernable par la fiction de la seule égalité juridique...). Il n'y a aucune justification possible au fait que les différences entre les humains soient instrumentalisées et hiérarchisées au profit exclusif de quelques-uns. Ces différences, la diversité, l'altérité, sont au contraire au fondement de la véritable richesse collective des humains, et seule la négation de ces différences dans un processus de sélection et de mise en avant d'une "qualité" radicalement discriminante permet à une société inégalitaire de se mettre en place et de se maintenir. Pour le dire autrement, une société inégalitaire discrimine la diversité des qualités humaines dans un processus de différenciation hiérarchisé d'un "mérite" de référence, pour sélectionner des élites qui n'apparaissent telles que tant qu'il est possible de donner un crédit quelconque à ce processus de différenciation.

La présente crise sociale peut ainsi également être lue, par-delà la dénonciation des incompréhensibles et scandaleuses inégalités de fortune, comme la remise en cause du système dominant de justification des inégalités qualitatives entre les humains eux-mêmes. Et lorsque ce système de justification s'effrite, son iniquité finit par se lire et se vivre comme violence. La réponse de tous les bénéficiaires de ce système de justification face à sa crise de légitimité a jusqu'à présent toujours consisté à invoqué une violence dont eux-mêmes seraient la victime dans une complète logique d'inversion de la réalité. On en a encore une preuve récente avec les récentes répressions des manifestations des GJ.

La dénonciation médiatique et politique de la violence, tout particulièrement dans l'actuelle crise sociétale, relève clairement de l'incantation magique : il s'agit, en particulier lors de toutes les interviews ou dans tous les discours officiels, de désigner un "ennemi fétichisé" qui n'a aucun titre à faire partie de "la" société, et de totalement décontextualiser la situation historique vécue pour seulement entretenir la peur du chaos. Vous ne dénoncez pas la violence, par principe et sans condition ou retenue aucune, c'est que vous vous excluez automatiquement de "la" société, qui se trouve de fait légitimée (c'est du moins l'objectif...). Le point important c'est que cette violence qui est dénoncée sur toutes les places médiatiques n'est jamais la violence réelle, n'est jamais le moment et l'expression historiquement construite d'une crise, mais seulement la preuve irréfutable du caractère inévitablement et fondamentalement mauvais, pervers, maladif, irrationnel, antisocial de leurs auteurs (liste non exhaustive bien sûr), et indissociablement de tous ceux qui ne dénoncent pas sans réfléchir cette violence fantasmée. Il est rigoureusement impossible dans le monde médiatico-politique de parler de violence réelle sans commettre un sacrilège, au sens religieux du terme.

L'objectif de tous les pouvoirs établis est de donner le maximum de consistance à cet "ennemi fétiche", de créer et d'entretenir le plus large consensus autour et contre lui, pour, ensuite, faire l'amalgame entre cet "ennemi fétiche" et tous ses opposants qui ne respectent plus la fiction de l'unité nationale. La dénonciation par le pouvoir actuel de la "violence" est tellement caricaturale qu'il est en train de vendre la mèche du caractère fétiche de la violence qu'il dénonce. Son problème est que sa légitimité tient entièrement à l'invisibilité de ce fétichisme... Si le corps politique arrive à percevoir qu'il y a une différence qualitative entre la violence dénoncée par le pouvoir et la violence vécue, alors il est à en train de jouer sa survie.

DE LA NÉCESSITÉ DE LA FIN D'UN MONDE

Covid-19, fin de partie
Lukas Stella, avril 2019

À l'ère industrielle, la production de biens s'est développée par la technologie et son appropriation capitaliste, qui en se surdéveloppant s'est accaparé le pouvoir sur notre société d'êtres humains. Cette technologie rend productible tout ce qui existe sur Terre en le transformant en marchandise et le rendant accessible par l'intermédiaire du marché. L'outil reste au service de l'usage que la main veut en faire, mais la machine nous force à nous soumettre à elle. La machine est la propriété des capitalistes, elle est étrangère à l'homme qui travaille, dépossédé de son activité elle le rend étranger à sa production, et il devient alors étranger à lui-même. La machine entraîne par nécessité la machinisation du monde, et la technologie sa marchandisation. Tout est calculable par les machines comme valeur marchande, l'homme y compris. Tout est profitable aux plus puissants pour produire toujours plus d'argent. Les choix technologiques des industriels ont verrouillé les progrès scientifiques à venir, bloquant toute évolution sociétale humanisante. La marchandisation totale du monde est l'unique perspective de la réalité en spectacle, sa consommation le consumera, détruisant tout par son exploitation mortifère.

Notre société est un système machinique d'oppression où le pouvoir a été usurpé grâce à la dictature d'une économie mondialisée qui se dissimule comme technique incontournable de gestion. Marx parle du capitalisme comme un automate, un rapport social d'exploitation de l'homme par l'argent, où "Il ne s'agit plus d'échanger une marchandise contre une autre par le biais de l'argent, mais de produire plus d'argent grâce à des marchandises" (Le Capital, tome I). Avec de l'argent, par le biais d'une marchandise on produit plus d'argent. Mais la marchandise est aujourd'hui partout, l'argent lui-même est devenu marchandise. C'est alors qu'avec l'informatisation du monde, l'argent peut maintenant se multiplier automatiquement à l'infini, échappant aux contraintes de la production, par des spéculations financières opaques, dans des réseaux parallèles en dehors de tout contrôle. Plus de 80 % des richesses du monde passent par des échanges immatériels entre ordinateurs qui se font sans entrave à la vitesse de la lumière, à l'ombre de réseaux obscurs.

Depuis que les machines ont amplement remplacées les météorologues, les résultats calculés par ces automates sont exactes et pourtant de plus en plus fantaisistes. Les calculs prédictifs sur les aléas de la vie sont toujours plein d'erreurs. Les processus complexes d'auto-organisation qu'inventent spontanément les phénomènes vivant ne se réduisent pas à des calculs sur des mesures. Les machines limitées à la reproduction de leurs programmes n'ont pas d'intelligence situationnelle globale pour comprendre les interactions complexes et hasardeuses du monde des vivants. L'intelligence artificielle est une escroquerie de grande envergure, un artifice publicitaire inventée par les marchands de machines pour faire plus de profits, une machination idéologique pour rabaisser la réflection humaine à une reproduction de procédures préfabriquées, assimilant les êtres vivants à des marchandises mécaniques programmées. Il s'agit d'imposer une soumission totale à une machinerie mondiale, gérant sa propre reproduction pour les profits exclusifs d'hypers marchands qui contrôlent la fabrication et le fonctionnement des machines. Le seul but à cet informatisation généralisée de la société est le développent des inégalités et la concentration du pouvoir au mains de quelques milliardaires.

La crise permet à certains de bien meilleurs bénéfices. Ce qui rapporte le plus de nos jours ce sont les jeux sur les financements des dettes, des crédits et des obligations. La dette publique mondiale représente plus de deux fois le poids de l'économie du monde. Les dettes créent de l'argent, beaucoup d'agents, et c'est beaucoup trop de liquidités qui circulent dans les sphères de la haute finance. La crise est une escroquerie, une source de profit sans limites pour des milliardaires suicidaires qui ruinent l'avenir, pour toujours plus de profit qui permet d'appauvrir et d'asservir toujours plus les populations. Plus des trois quarts de l'argent des hyperriches sert à la spéculation, pariant sur un avenir incertain et un peu près n'importe quoi, sans même avoir les fonds nécessaires, multipliant les dettes, faisant gonfler des bulles financières qui leur rapporteront des fortunes lors de leurs éclatements, tout en provoquant des désastres économiques planétaires sans précédent. Le futur a été pillé, la faillite du capitalisme a déjà commencé.

L'explosion démographique, la course effrénée aux profits, l'obsolescence programmée des marchandises, le gaspillage institué, l'exploitation destructrice de la nature et de l'homme démolissent une société fragilisée en ruinant la vie, par la destruction des forêts et des espèces, la disparition des insectes, dont une grande partie de pollinisateurs... Les pollutions chimiques, nucléaires et électromagnétiques risquent de se répandre et de s'accentuer dangereusement menaçant notre santé. La montée des eaux dues au dérèglement climatique, plus de deux mètres à la fin du siècle, va inonder une grande partie du littoral, condamnant à l'exode la majorité de la population mondiale. La quantité d'eau potable a diminué de moitié en 50 ans. La fonte des glaciers menace d'assèchement la plupart des fleuves, durant l'été, compromettant l'irrigation et les cultures. On a perdu en un demi siècle un tiers des terres arables. L'érosion des sols et la désertification s'étendent dangereusement. L'épuisement des ressources naturelles, et des métaux rares nécessaires à la fabrication de batteries et du matériel informatique. La nourriture appauvrie qui n'a plus de pouvoir nutritif, l'effondrement de la fertilité des sols, la chute vertigineuse de la biodiversité, les dérèglements écologiques, la nouvelle instabilité climatique et la dégradation générale de la nature mettent en danger l'agriculture et l'alimentation des populations. La croissance de la pauvreté et les famines qui s'annoncent, notamment en Afrique, vont provoquer d'énormes migrations des populations menacées de mort.

Toutes les courbes indicatrices de production ou de consommation sont exponentielles et grimpent à toute vitesse alors que les ressources s'épuisent progressivement. Les spécialistes cherchent à limiter le désastre, minimiser les dommages à quelques millions de morts acceptables, sans trop savoir ce qu'ils font. Il n'est pas possible d'appréhender le changement d'un système du point de vue de son fonctionnement interne, selon ses propres termes. Les dirigeants tâtonnent à l'aveugle dans un enchevêtrement de doubles contraintes, prisonniers de paradoxes qu'ils ne discernent pas et qui les dépassent. Ce système d'exploitation marchand n'envisage d'autres solutions que celle de perdurer dans son auto-destruction mortifère, occultant en permanence la fin de son existence comme seule condition de survie. C'est cette omission qui crée l'illusion d'un bien-être d'apparence dans une intoxication mentale généralisée.
Plus on a une connaissance des catastrophes que le système enchaîne, des détériorations désastreuses, plus on cherche à s'adapter et essaient de survivre dans des conditions devenues extrêmes. Notre adaptation à la machine nous intègre peu à peu à son fonctionnement catastrophique, elle nous machinise à son programme destructeur.

Nos conditions d'existences sont gérées par ordinateurs qui nous ordonnent dans leurs procédures. Dans une société informatisée, on résout les problèmes de façons techniques par une fuite en avant technologique. La raison technique passe pour un moyen de légitimisation du pouvoir dominant, l'oppression devient une nécessité technique, et tout s'accélère dans une atrocité inhumaine. En s'emballant, le système engendre une dictature du désastre qui prétend gérer la catastrophe tout en la produisant, pour en tirer les meilleurs profits jusqu'à la fin.

Notre planète a ses propres limites à la destruction, et lorsque le système dépasse ses seuils de tolérance, ses pics butoirs, s'amorce une rupture, il accélère le dépassement des autres limites, et la courbe de croissance exponentielle atteint sa dernière phase, dépassant un niveau qui ne garantit plus la stabilité, l'interconnexion des réseaux produisant alors un emballement général, une contagion qui devient instable, inconnue, imprévisible, inévitable et irréversible. Notre monde et notre espèce sont maintenant dangereusement attaqués et menacés par la marchandisation généralisée.

Le catastrophisme préfigure la fin du monde, il se construit dans l'apparence permanente d'un instant immobile, l'omission de tout bouleversement, sans renversement possible ni changement de perspective. Le catastrophisme est une soumission durable à l'inévitable programmé. Mais il va de soi que sans prédire l'avenir, on peut percevoir qu'un vaste processus destructeur a déjà commencé. L'ignorance des population précipitera la chute du système. Le choc sidère, la perte des illusions conformistes commotionne et fige les perceptions dans un refus de comprendre le cours des événements.

Le système est en train de s'autodétruire dans l'illusion béate de son accomplissement technologique. Nous en sommes au début de la fin du capitalisme, à l'aube obscure d'un nouveau monde, encore possible. Personne ne peut prévoir ce qui va émerger de ce chaos, les réactions provoquées par cette dévastation sans précédent ouvrant les portes de l'incertitude, du hasard, de la vie. Sortir d'urgence de cette société marchande inégalitaire, injuste, invivable et mortifère est inévitable et fondamental.

La précarité du monde conduit à des contestations précipités parcellaires, des apparences de révoltes épisodiques dont le seul but est d'être vu, de passer à la télé. La représentation visible occulte la volonté de changement globale qui l'anime. La récupération, par le système, de sa contestation passe par les polémiques des politiques partisanes. La récupération des révoltes en actes passe par le réformisme syndicale corporatiste. Les syndicats négocient avec nos exploiteurs les conditions de notre exploitation, la quantité de souffrance acceptable pour survivre, alors que ces révoltes expriment la nécessité de l'abolition de l'esclavage du travail et la volonté de renverser la dictature économique qui en gère le fonctionnement. Ce système marchand totalitaire n'est pas réformable, il suit sont développement technologique irréversible, l'exploitation capitaliste y est sans entrave et non négociable, on ne discute que de détails sans importances. Inexorablement, le capitalisme entraîne l'humanité dans encore plus de misères et de souffrances.

La forme de nos combats n'est pas une fin en soi, mais seulement un moyen parmi d'autres. L'apparaître de nos actions produit des images de soi plus importante que les actes de libération. Le changement en spectacle produit des représentations qui n'ont plus besoin de se transformer, la mise en scène d'une révolution phantasmée qui économise sa réalisation effective. Personne n'a à imposer aux autres sa manière de faire. Il ne s'agit ici que de bricoler ensemble une organisation souple au fur et à mesure des actions communes. Aucune structuration prédéfinie des combats ne sera une garantie de la radicalité révolutionnaire de nos luttes. Seules nos pratiques vivantes de prolétaires antiautoritaires et égalitaires portent en elles leurs devenirs.

Le libre contenu de la révolte cassant la normalité et désintégrant la soumission dans l'action, dans sa perspective révolutionnaire en rupture avec le vieux monde, est déjà sa forme en train de se réaliser. Seule une remise en cause globale sans équivoque peut permettre le début d'un changement effectif de nos vies, par l'appropriation du pouvoir de décision sur nos conditions d'existence et la libre auto-organisation égalitaire locale, tout en renversant la dictature marchande qui nous détruit et intoxique notre monde.

La fin de ce monde est une nécessité vitale. Quand tout semble sous contrôle, figé, réprimé, il y a toujours une part émergeante non assujettie, un no-man's land imprévu où s'auto-organise un brin de vie qui s'est échappé pour ne pas disparaître. Quand la pression des pouvoirs dominants augmentent des fuites apparaissent et se propagent, des débordements dissimulés se répandent là où on ne les attendait pas. La révolution n'appartient à personne, sinon à tous ceux qui la font, libre de son développement en devenir, inventant les incroyances d'un nouveau monde en construction.

NATURE DE LA CRISE ACTUELLE DES GJ

Covid-19, fin de partie
Louis, Colmar, janvier 2019

La crise des GJ (gilets jaunes) marque peut-être d'une pierre " jaune " la mise en évidence de la contradiction entre la mondialisation de l'économie et son incapacité à assurer la survie individuelle des humains. Ce qui s'effondre sous nos yeux c'est le mythe selon lequel le capitalisme, certes, augmentait les inégalités, mais qu'en contrepartie il permettait malgré tout à l'humanité entière d'accéder à un minimum de dignité. Ce rêve d'un " progrès " de nos conditions d'existence, par-delà le développement des inégalités, vole aujourd'hui en éclat.

Le mouvement des GJ met le doigt sur une réalité qui défie aujourd'hui l'entendement : non pas une panne du progrès, mais son effondrement. Ce que nous vivons ce n'est pas l'émergence d'une société à deux vitesses, avec un secteur mondialisé qui irriguerait avec plus ou moins de justice le reste de la société, comme on a pu et voulu le croire d'une manière ou d'une autre jusque dans les années 1980. Non. Ce qui se passe sous nos yeux, c'est la mise en évidence du fait que l'économie mondialisée détruit l'économie de subsistance de la majorité des humains. Cette destruction des équilibres traditionnels en a depuis toujours été le moteur, mais, au moins, jusqu'à ces dernières années, le progrès matériel qu'il a entrainé profitait d'une manière ou d'une autre à l'ensemble de la population (avec toutes les inégalités et injustices que l'on voudra bien mettre en avant, avec raison, pour en relativiser la portée).

Ce qui s'est passé depuis le tournant néolibéral des années 1980, c'est que les puissances économiques globales qui conditionnent notre existence, ont littéralement fait sécession d'avec la vie quotidienne de la majorité de la population mondiale, à un degré et avec une intensité sans plus aucune mesure avec ce qui avait pu se faire auparavant. Jusque dans les années 1970, les économies nationales pouvaient encore se targuer d'une relative autonomie, dans le contexte général d'une économie vécue comme inter-nationale, à un moment où les grands leaders économiques se pensaient et agissaient encore comme des multi-nationales, et jouaient encore peu ou prou leurs partitions dans les cadres nationaux existants. Ils permettaient ainsi une très relative cohérence dans le développement des économies nationales dans lesquelles elles étaient impliquées.

A partir des années 1980, le caractère multi-nationale de l'économie s'est transformé en économie mondialisée. Cette mondialisation se caractérise par le fait que les groupes économiques mondiaux jouent désormais contre les économies nationales, et non plus avec. Les économies nationales ne sont plus des " partenaires " mais des centres de profit dont les diverses règles de protections sociales sont des coûts à élaguer (dumping social et fiscal à l'échelle mondiale totalement assumé et revendiqué !). Tous les Etats, y compris ceux de l'OCDE, se sont adaptés avec plus ou moins de casse à ces nouvelles règles de jeu, officiellement pour préserver l'emploi, plus prosaïquement pour sauvegarder ce qui peut l'être de leurs rentrées fiscales. (...)

Ce que l'on décrivait jusqu'à présent comme une économie à deux vitesses, l'économie mondialisée et l'économie localisée, doit maintenant être décrite comme une économie éclatée, brisée et irréconciliable. L'économie mondialisée vampirise l'économie localisée, en lui imposant ses normes techniques, sociales, financières, ses logiques de rentabilité et ses référentiels de salaire. Cette guerre, l'économie localisée vient de la perdre, car le niveau des salaires qu'elle est encore capable de proposer à la population n'est plus à la hauteur de ses besoins, n'est plus en mesure de permettre aux gens qui travaillent de vivre de leur salaire. Je pense que cette situation est irréversible.

Le mouvement des GJ marque pour moi le basculement politique de la mondialisation dans les pays dits riches. L'originalité n'est pas que la population demande à pouvoir vivre de son travail, mais que cette revendication ne puisse plus être satisfaite par une augmentation des salaires dans l'économie réelle, dans l'économie " localisée ". Le mouvement des GJ s'inscrit dans la rupture entre ces deux mondes, sa prise de conscience sensible, rupture que les partis politiques, les syndicats, la presse en générale, sont incapables de voir et de comprendre et qui explique en grande partie le rejet et la méfiance dont ils sont l'objet. Tous leurs modèles d'analyse reposent en effet sur l'inévitable priorité à donner à l'économie globalisée, qui est pour eux tous un socle non questionnable : ils ne savent littéralement pas voir l'abime qui s'est creusé entre deux mondes. Et c'est de cet abime que les GJ hurlent leur soif de vivre.

Il est remarquable que cette revendication d'augmentation des revenus ne s'adresse que marginalement aux entreprises, et qu'elle se traduise plutôt par une revendication de diminution des taxes et impôts. J'aurais tendance à penser que c'est la conséquence de l'intuition de cette rupture entre les deux économies, du savoir intuitif que l'économie réelle dans laquelle est plongée la population a perdu la partie face à l'économie globalisée. Et comme les politiques, les syndicats, les médias ont comme univers mental la société globalisée, ils ne comprennent pas ce qui se passe sous leurs yeux. Pire, ce qui leur fait peur dans le mouvement des GJ c'est précisément qu'ils refusent de s'inscrire dans le référentiel théorique et idéologique de la mondialisation, justement parce que ce qu'ils demandent en premier c'est le droit de vivre décemment immédiatement, sans plus aucune considération pour tous les discours qui leur promettent que demain ira mieux, qu'il faut juste un peu de temps, qu'il faut seulement s'adapter, faire les sacrifices nécessaires.

Il me semble que le mouvement des GJ s'inscrit au cœur de l'émergence de cette rupture entre les deux économies. Que le mouvement des GJ se soit développé autour des ronds-points pourrait relever d'un sens poétique historique remarquable. Le rond-point est en effet un lieu, ou plutôt un non-lieu, intermédiaire entre la ville et la campagne, et qui n'est ni la ville ni la campagne, tout comme les GJ n'ont plus de vraie place dans ce que sont devenus les villes, ni dans ce que sont devenus les campagnes. Les ronds-points censés être des fluidificateurs de la circulation sont devenus le symbole du grippage sociétal.
Il me semble que le mouvement des GJ marque le renversement du sens du progrès qui a structuré le développement de notre monde depuis le milieu du XVIIIe siècle : le développement de l'économie devient visiblement anti-humain, anti-social, quand son développement contradictoire aggrave visiblement et nécessairement la situation vécue de la moitié de la population, non seulement à l'autre bout du monde, mais à l'intérieur même de tous les pays, y compris dans les pays dits riches. C'est le sens profond de la revendication de principe du rétablissement de l'ISF. Ce qui est pointé par le mouvement des GJ, c'est qu'il n'y a plus d'économie nationale quand les deux économies qui la caractérisent tirent dans des directions opposées. L'enjeu est de comprendre que nous sommes arrivés à un point de non-retour. Nous sommes aujourd'hui arrivés à un point de bifurcation : l'intégration à l'économie mondiale est une impasse, tout comme le rétablissement d'une unité économique à l'intérieur de frontières nationales est impossible. La question n'est plus de savoir ce qu'il faudrait faire pour qu'un pays, en tant que tel, puisse s'intégrer efficacement à l'économie globalisée, mais combien de temps l'illusion sur cette possibilité peut encore durer. La question européenne relève de la même problématique : le fonctionnement actuel de l'Europe est un échec flagrant, et le repli sur des entités nationales une impossibilité.

La question du chômage est emblématique de cette problématique. Tous les gouvernements des pays riches font de cette question du taux de chômage un indicateur de leur efficacité, mais ils se moquent littéralement de la population. Déjà ils considèrent qu'il y a plein emploi si le seuil de chômage ne dépasse pas 5% (soit environ 1,5 millions de personnes en France). Cela veut dire qu'ils admettent comme une nécessité structurelle le fait qu'il est quasiment impossible de descendre le taux de chômage en-dessous de ce seuil, alors qu'en même temps on stigmatise les chômeurs. D'autre part ce qui leur importe c'est que les gens ne soient pas inscrits au chômage, n'existent pas dans les statistiques : la qualité, ou plutôt l'absence de qualité des emplois qu'ils occupent n'a aucune espèce d'importance, pas plus que l'indécence des seuils minimas des salaires versés. Quand ils disent qu'il n'y a quasiment pas de chômage en Allemagne ou bien aux USA sous prétexte que dans ces pays les gens occupent plus d'emplois que dans d'autres pays, emplois qui ne permettent pas de vivre à des millions de gens quand bien même ils en occupent plusieurs, de qui se moque-t-on ? Le taux de chômage est d'ailleurs une arnaque : un taux de chômage bas est censé être un indicateur positif de la capacité politique des dirigeants, quand dans le même temps un taux de chômage élevé est dans les faits un indicateur boursier positif de la situation économique du pays en question. Mais ce paradoxe n'est qu'apparent. En effet, la promotion d'un taux bas s'adresse à la population qui subit le chômage (les exclus de la globalisation), tandis que le taux élevé s'adresse à ceux à qui le chômage profite...

Cette question du chômage doit devenir un marqueur de la contradiction entre ces deux économies : le chômage n'est pas un dysfonctionnement annexe du fonctionnement de la société, et qui à ce titre pourrait être corrigé. Il doit devenir évident pour tous que le chômage est le lubrifiant qui permet à l'économie de tourner, et qu'à ce titre la stigmatisation des chômeurs et des pauvres en général est un scandale sans nom. Le chômage est d'ailleurs devenu l'horizon social qui attend tous les salariés. C'est ce que l'on nous dit implicitement lorsque l'on nous assure que plus personne ne peut espérer faire un travail donné toute sa vie : les hommes ne sont plus qu'une matière première jetable pour l'économie globalisée, et tout ce qui relève de l'économie localisée n'est qu'une forme particulièrement instable de la gestion du chômage. Il aujourd'hui est totalement illusoire de croire que l'économie localisée soit en mesure de rattraper, de compenser, de corriger les dégâts de l'économie globalisée.

Le chômage a changé de sens, de signification. Alors qu'il pouvait être considéré jusqu'à maintenant comme un accident entre deux emplois, il est devenu la situation " normale " de l'économie localisée, l'emploi devenant un accident provisoire de l'économie globalisée, les entreprises elles-mêmes, peu importe leur taille, devenant également de plus en plus éphémères. La théorie du ruissellement avancée pour cautionner l'autonomisation de l'économie globalisée doit être prise au premier degré : le ruissellement est bien un phénomène destructeur qui creuse en profondeur le sol en empêchant son irrigation, tout comme la financiarisation de l'économie globalisée assèche l'économie localisée.

L'approche que font les deux principaux mouvements politiques qui courent après les GJ, LFI et RN, est caractérisée par la même erreur d'analyse, qui repose sur l'ignorance de cette fracture profonde de l'économie, sur l'ignorance de sa divergence désormais insurmontable. La gauche (LFI, La France Insoumise, insoumise à quoi ?) considère que le problème est une mauvaise répartition des richesses, et qu'il suffirait de drainer un flux suffisant de capitaux de l'économie globalisée vers l'économie localisée pour résorber en grande partie leur écart, et ainsi permettre à tout le monde de vivre. La droite (RN, Rassemblement National, rassemblement de quoi et de qui ?) considère au contraire que si on donnait la priorité à l'économie localisée l'incidence de l'économie globalisée se réduirait d'elle- même, et d'autant plus vite que les groupes globalisés seraient économiquement recentrés sur une entité nationale (pourtant aujourd'hui pour eux totalement fictive). Les deux ont tort car ce qui est en cause ce n'est pas un équilibre à trouver entre le local et le global, de gérer autrement leur complémentarité telle qu'elle existait jusqu'à récemment. Il s'agit d'acter leur réconciliation impossible, le caractère irréductible de leur antagonisme, là où l'ensemble du champ politique, y compris ses versions de gauche (LFI) et de droite (RN), ne cherchent qu'à gérer d'une manière ou d'une autre ce qu'ils croient être une complémentarité. Cela passe aujourd'hui par la nécessité d'une double redéfinition. Il s'agit en effet de réinventer en même temps le local et le global, ce qui peut donner sens à la vie de chacun à l'endroit où il vit tout en imaginant de nouvelles solidarités à l'échelle planétaire qui est nécessairement, crise du climat oblige, notre horizon d'espérance commun. Tant que ce mouvement des GJ refusera de choisir entre ces deux économies, il sera un terreau d'espoir, et c'est pourquoi il doit refuser avec force de s'inscrire dans le jeu politique, donc électoral. Il doit continuer à trouver la force d'obliger tous les acteurs de la société à se positionner face à lui, mais en gardant et construisant ses propres règles (c'est l'ambition que je vois dans la dynamique lancée à Commercy, l'assemblée des assemblées).

J'ai la faiblesse de croire que le mouvement des GJ, de par son refus de s'inscrire dans le jeu politique (par-delà la diversité indéniable de ses acteurs, et peut-être certainement même grâce à elle), et sa position de principe touchant à son exigence d'une réévaluation immédiate et non négociable de la vie quotidienne (par-delà toute considération sur le caractère économiquement réaliste ou non de ce qui fait une vie décente), par son exigence de démocratie directe (entendue aussi comme besoin impérieux de retrouver immédiatement une prise pratique sur notre vie commune), est en train de faire exploser ce monde. Pour le moment le jeu est encore ouvert : les pompiers réussiront-ils à éteindre l'incendie ?

Partout dans le monde, au prétexte de la dette des États, le pouvoir ne cesse d'accroitre les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres et de détruire la planète.

Partout dans le monde, ce recul de nos droits et ce saccage de la vie s'accompagnent d'une amplification de la surveillance et de la répression contre tous ceux qui s'y opposent.

Partout dans le monde, le pouvoir tente de diviser pour mieux régner en détournant la colère sur le dos des migrants qu'il fait passer pour les principaux responsables du malheur des opprimés.
Partout dans le monde, le fascisme ne cesse de monter, stade ultime du capitalisme, paroxysme de la société autoritaire, prêt à éliminer ses opposants et tous ceux qui lui déplaisent.

Partout dans le monde, le pouvoir se prétend légitime au prétexte, d'une part, de lois qu'il écrit lui-même pour conserver et renforcer sa position, et, d'autre part, d'élections périodiques qui n'ont rien de démocratiques puisqu'elles sont le produit de la fabrique de l'opinion par les médias de masse qui appartiennent à la classe dominante.
Partout dans le monde, le pouvoir usurpe sa position et nous vole nos vies.

À la différence des classes opprimées du 19ème siècle, au temps où elles commencèrent à s'organiser au niveau international et à se révolter, nous sommes aujourd'hui face à deux problèmes nouveaux qui s'ajoutent aux précédents : la course contre la montre technologique face à un pouvoir qui ne cesser de se renforcer grâce à de nouveaux moyens de surveillance et de répression, ce qui rappelle les œuvres prophétiques de Orwell et de Huxley, et la course contre la montre écologique face à un capitalisme qui, en plus de nous exploiter, arrive maintenant à un stade où la destruction de la Terre sera bientôt irréversible.

Nous ne pouvons donc plus attendre. Nous ne pouvons plus nous contenter de lutter chacun de notre côté, chacun à l'intérieur de nos frontières, chacun dans le cadre de nos luttes spécifiques sur toutes sortes de sujets, chacun avec nos différentes façons de penser et d'agir.
Il devient urgent de faire converger nos résistances, un jour par mois, à compter du 10 décembre 2018 et, par la suite, tous les 10 de chaque mois, en même temps, partout dans le monde, parallèlement à nos luttes locales quotidiennes.

Nous proposons un jour par mois d'actions simultanées contre le durcissement du capitalisme et de la société autoritaire. Un jour par mois pour rappeler partout que cette lutte est globale. Un jour par mois pour évoquer l'urgence de nous mobiliser partout et d'en finir avec le pouvoir et l'exploitation. Un jour par mois pour entrer dans un compte à rebours, reprendre confiance en nous, devenir plus nombreux, et préparer ensemble la fin de la société autoritaire et du capitalisme.
Le 10 de chaque mois est le premier jour à deux chiffres, comme un changement d'ère, d'époque, de maturité. Car nous devons sortir de la préhistoire politique et économique de l'humanité avant qu'il ne soit trop tard.

Parmi nous, pas de chef, pas de responsable, pas de direction syndicale, pas de bureau d'un parti, pas d'homme providentiel, pas de d'avant-garde éclairée : nous proposons uniquement et simplement un jour de convergence globale par mois, mais nous ne voulons en rien diriger ni coordonner quoi que ce soit. Juste donner une impulsion de départ, avec ce texte et les actes qui vont s'ensuivre.

Nous ne proposons pas non plus une marche à suivre, une façon de faire, un cadre précis à nos actes ce jour-là : à chacun de lutter comme il l'entend là où il se trouve et de cibler ce qui lui semble important. Descendre dans la rue un même jour, partout dans le monde, est déjà quelque chose d'important, ne serait-ce que pour parler et préparer la suite en occupant des places, des terres, des usines, et plus, beaucoup plus, si certains le souhaitent.

À chacun d'imaginer sa façon de résister ce jour-là et de la faire savoir, éventuellement avec des photos ou des vidéos, à travers nos médias libres et autogérés partout dans le monde, comme les indymedia, par exemple.
À chacun de traduire dans d'autres langues ce message et de le propager, sur Internet et jusque sur les murs des villes, pour que chaque 10 du mois, nous soyons toujours plus nombreux et plus déterminés.
Personne ne nous libérera que nous-mêmes : c'est à nous de prendre au plus tôt nos vies en mains.

Le pouvoir n'est pas à conquérir, il est à détruire.

Des anarchistes, libertaires, anarcho-syndicalistes, autonomes et anti-autoritaires de plusieurs régions du monde (Grèce, France, Argentine, Espagne, Algérie, Italie, Mexique, Belgique, Canada, Allemagne...)

D'autres l'avaient prévu, mais nous sommes en train de le vivre : la fin du monde est un spectacle de plus. Des plaies dignes de la Bible s'abattent chaque semaine (hécatombes d'animaux en tous genre, fonte des glaces, incendies, canicules, inondations, séismes et tsunamis) et pourtant ce fait indéniable entre tous est lui aussi mis à distance, éloigné, contemplé. Cet arrêt de mort qui concerne tout le monde ne semble concerner personne, et surtout ne nécessiter aucune action digne de ce nom. Jamais il n'a été plus brûlant que la réalité soit transformée, et jamais elle n'a été si désertée au profit de son reflet spectaculaire, devenu cybernétique. Si les nouvelles de l'apocalypse saturent les réseaux sociaux, elles ne sortent personne de sa torpeur.

D'habitude, on considère que la population subit son destin capitaliste avec la même fatalité que s'il s'agissait du bon ou du mauvais temps. Cela dit pour exprimer ce paradoxe que sa situation politique, sur laquelle elle peut évidemment agir, lui paraît aussi distante et insurmontable que les nuages. La chose est allée si loin qu'elle s'est renversée : de nos jours, la population subit le désordre du climat comme elle suit avec résignation son destin capitaliste, et parce qu'elle le suit. Cette résignation dans l'aliénation a atteint son point extrême : le climat même, qui était pourtant l'archétype de la chose sur laquelle l'humanité n'a pas de prise, est devenu aujourd'hui un enjeu politique de première importance, et la preuve ultime qu'il faut prendre nos affaires en main. Le soleil et la pluie, la neige et le vent qui paraissaient si lointains, sont à leur tour victimes du désastreux état de la société.

Le capitalisme est devenu un mode de destruction tant il reproduit notre existence matérielle en menaçant de la détruire à court terme. Son essence abstraite - strictement quantitative, se révèle à tous, dans la mesure où il est activement en train de faire abstraction de la vie sur Terre, pour le maintien de la valeur marchande. Il lui faut continuer quoiqu'il en coûte à transformer de l'argent en davantage d'argent. De ce fait, jamais les moyens de produire n'ont été si développés, et jamais leur finalité n'a été si nuisible.

S'il en fallait une preuve, en voici une qui ne manquera pas de surprendre les générations futures, si tant est qu'il en advienne : pendant que le monde brûle, tout un pan de la technologie actuelle est occupé à un invraisemblable chantier de matérialisation de l'idéologie, sous forme de réalité virtuelle. La disparition du monde est comme compensée par l'élaboration de sa réplique en images de synthèse. Par un étrange parallélisme, tandis que la fin du monde se réduit à des images, les images sont agrandies à l'échelle d'un monde. C'est un marché d'avenir. (...)

Cette incapacité de penser la totalité, au moment même où elle se manifeste le plus violemment, explique l'impuissance absolue des mouvements politiques. D'un côté des débris de partis et de syndicats mènent à reculons et avec un siècle de retard des luttes réformistes pour garder les emplois et les salaires d'un travail aliéné qui est en train de tout détruire ; de l'autre des écologistes veulent que le climat soit une priorité pour le gouvernement, c'est-à-dire un marché de plus, pendant que leur aile réactionnaire prône le retour à la terre. La perspective révolutionnaire est la seule valable. Elle résout ce faux dilemme entre luttes écologiques et luttes économiques qui en a mené plus d'un dans le piège de la décroissance.

C'est le même mouvement qui libère l'homme et l'animal, qui redonne du sens à l'existence et préserve l'environnement, parce que c'est la même logique et la même organisation sociale qui nous mène au désastre et qui vide - très concrètement, chaque chose de sa substance. Les gens comme les fruits n'ont plus aucun goût. Dans un cas comme dans l'autre, c'est l'abstraction marchande qu'on éprouve, la finalité de la vente substituée à celle de l'usage. Et nous ne parlons pas des villes et des distractions d'aujourd'hui. L'espace et le temps sont réglés de façon concentrationnaire. Tout a la forme du malheur.

De la même façon, si nombre de variétés de plantes sont devenues stériles, c'est parce que la lutte des classes est perdue pour le moment, et que la propriété capitaliste est allée jusque là. C'est le même processus de travail, amputé en tous sens, bâti exclusivement pour l'extorsion de plus-value, qui épuise le travailleur et les sols. C'est la même concentration du capital qui appauvrit les gens et fait monter les eaux. De ce fait, bien plus que le recyclage ou le veganisme, la grève devient un geste écologique de première importance. Les révolutionnaires sont les seuls écologistes conséquents.

Certains avant-gardistes bien installés disent qu'il est déjà trop tard, et que même une révolution ne changerait rien à l'inévitable effondrement. Il faut renverser cet argument avant d'y répondre. Contrairement à ce que ces résignés veulent croire, un effondrement de la société ne signifie pas nécessairement la fin du capitalisme et de nos misères. Il pourrait se traduire par l'approfondissement terrible de sa logique : les dernières gouttes d'eau potable se vendront à prix d'or, de même que les dernières parcelles sans radioactivité. On voit déjà des paysans chinois faire le travail des abeilles et polliniser des pommiers à la main. On défend déjà l'exploitation extrême des coursiers à vélo sous prétexte qu'ils ne polluent pas. On propose de bâtir des murs pour arrêter la fonte des glaces.

Quant à la révolution, elle ne sera peut-être pas suffisante. Mais elle est en tous cas nécessaire. Elle seule permettrait de rediriger et de transformer l'appareil productif en vue de l'usage, d'abolir la médiation de la vente et la concurrence ; donc d'élaborer de façon concertée une reproduction matérielle qui ne mette pas le monde en péril et cesse d'empoisonner les gens. Et sans s'arrêter là, qui pourrait être belle et libérer le temps. Malgré ses proportions bibliques, tout le monde sait que la catastrophe a été faite de main d'homme. C'est la mort manifeste de toute métaphysique, critique ou non. Elle révèle même aux plus bornés que l'humanité est seule maîtresse de son destin. Que seul un type de rapport entre les hommes menace le vivant tout entier. Que la vie ne peut plus attendre, et qu'elle en vaut la peine.

http://www.lisez-veloce.fr/

Nous oublions trop souvent que nos points de vue varient selon les situations, notre histoire et notre culture. Si notre mode de vie influe sur nos perceptions, voir d'une certaine façon crée sa propre réalité. Nous survivons sous influence d'un système qui formate nos conditions d'existences.
De notre éducation jusqu'au travail et son monde de fétiches, les religions, les croyances et les idéologies manipulent notre esprit. Le matraquage publicitaire nous bourre le crâne de clichés et de comportements à reproduire pour se donner l'illusion d'exister dans la mise en scène de nos apparences. Dépossédés de nos personnalités nous sommes conditionnés par nos représentations spectaculaires.
Intoxiqués par nos prothèses numériques, programmés par des machines omniprésentes, emportés par un désastre de confusions, nous sommes aliénés dans une soumission béate, une consommation exaltée et frénétique.
Mais cette intoxication mentale n'est que superficielle et manque de cohésion. Tout n'est qu'affaire d'apparences trompeuses se fissurant à la surface des choses marchandes en perte de crédit. Cette société en faillite dysfonctionne et se désagrège, mais renaît aussitôt par métamorphose à l'envers du décor.

CONDITIONNEMENT TOXIQUE
(extraits du premier chapitre)

La culture dominante, le formatage de l'éducation, l'abdication aux idéologies économiques, les pressions médiatiques répandues en permanence par les technologies de l'information nous influencent malgré nous, à petites doses sur le long terme. Nous nous adaptons à ces contraintes de manière inconsciente, devenant peu à peu malléables et manipulables, dans une accoutumance pouvant aller jusqu'à une réelle toxicomanie psychologique.
Croire que ce que l'on voit est la seule véritable réalité est un principe erroné. Il s'agit de comprendre comment notre point de vue n'a plus besoin de partir du constat d'un monde objectif véridique, unique et indépendant de l'être humain qui le décrit, réalité extérieure où évoluent des individus subjectifs soumis à cette réalité étrangère, mais plutôt d'hommes libres vivant dans un monde partagé, composé de multiples réalités personnalisées dépendantes de la situation.

Il s'agit de voir ce que cela peut nous apporter ; quel intérêt pour appréhender les nouveaux changements d'envergures qui ne manqueront pas d'arriver ; quelle importance cela peut avoir pour dépasser les contradictions insurmontables qui s'annoncent, et pour détourner les conflits qui menacent de se répandre en cette fin de civilisation, période où s'achève une société en ruine où tout dysfonctionne, et où le "chacun-pour-soi " entraîne une guerre barbare de tous contre tous.

Il y a urgence de développer des pratiques ouvertes sur de nouvelles possibilités collectives par l'utilisation d'une pensée dialectique situationnelle et antiautoritaire, qui seule nous permettra d'effectuer le renversement de perspective nécessaire à la construction collective d'un changement radical, et ceci, avant de ne plus pouvoir ne pas sombrer, emporté par l'écroulement d'un système nécrosé en décomposition.
Il est maintenant primordial, dans cette société dite de communication où prolifèrent les prothèses communicantes, là où la communication brille par son absence, de bien comprendre comment fonctionne la communication entre individus, base de la vie sociale, afin de ne pas rester bloquée par ses pièges qui pullulent de partout. Les productions de marchandises de "non-communication ", développées par la caste dominante, nous enferment dans des représentations mises en spectacle, envahissant tout l'espace, tout le temps.

Libérer notre manière d'appréhender le monde de cette aliénation pathologique, nous permettra de nous reconstruire une vie commune dans l'auto-organisation libertaire d'un nouveau monde humain, devenu incontournable en cette fin de société, où règnent confusions et barbaries. Notre pensée contextuelle sans certitude, avec ses contestations dialectiques, est incontrôlable, car elle ne sera pas comprise ni récupérée par les gens de pouvoir. Ils sont dans l'incapacité d'appréhender le vécu dans ses contradictions à partir d'un extérieur possible, un devenir désiré émergeant dans son expérimentation situationnelle, un combat en codérives incertaines et créatives.

En quelques années, la société marchande s'est mondialisée et informatisée de toutes parts. La confusion a envahi le monde de la pensée, par de nouvelles convictions aveugles, des croyances absolues. La réflexion s'est figée dans la contemplation d'une réalité immuable, qu'on ne peut plus remettre en question. Notre conception du monde a été insidieusement polluée par les médiations d'une réalité mise en représentation par les multinationales de la communication. Nos représentations ont été conditionnées, et ont modifié nos perceptions des réalités qui nous sont devenues étrangères. Nous avons été possédés par la dépossession de notre monde directement vécu. Cette séparation toxique nous a dessaisies de tout pouvoir sur nos conditions d'existence, et les possibilités de changement réel nous apparaissent inaccessibles.

L'économie n'est qu'une façon de regarder le fonctionnement de la société qui donne à tout ce qui existe, une valeur marchande. Le marché dirige le monde, et les décideurs essaient de suivre sans vraiment comprendre. Avec l'abandon des régulations et la privatisation des décisions par la libéralisation du marché, les dirigeants de l'État ont perdu le pouvoir sur l'économie et la finance, et se retrouvent réduits aux fonctions de simples gestionnaires d'un système qui leur échappent. Alors que tout se complexifie dans de multiples interactions mondialisées, les experts, référents de l'exactitude, spécialiste de leur domaine restreint, sont dépassés par les évènements. Parce qu'ils ne peuvent pas concevoir d'ailleurs à leur totalitarisme économique, les décideurs ne peuvent pas comprendre le système dans son ensemble, n'ayant aucun recul, et c'est pour cela qu'ils ne peuvent pas le gérer rationnellement.

La majorité des hommes ne voient pas, ou refusent simplement d'admettre, l'agonie du dieu économique, intoxiqué par ses contradictions, et ce, à cause de l'anxiété qui en découle. La mort de l'économie capitaliste commençant à devenir largement envisagée, le désespoir croît et le nihilisme gagne du terrain. Quand le capital menace de s'écrouler comme un château de cartes de crédit, et que l'argent conditionne toutes relations, c'est l'échange généralisé sous la forme barbare du non-partage, le profit égoïste comme seule morale, qui produit l'escroquerie générale, qui répand la misère et la confusion.

On ne voit que ce que l'on veut bien voir. L'observateur modèle sa vision à son image sans s'en rendre compte, il crée ainsi sa propre réalité intransigeante. C'est alors que nos croyances conditionnent nos perceptions et nos actes. Lorsqu'elles sont partagées par un grand nombre elles constituent un environnement propice, un système sectaire qui renforce cette croyance en une doctrine systématique intransigeante.
En séparant le monde du sujet observant, on le réduit à une réalité d'objets extérieurs, étrangers au sujet agissant. Le monde est alors objectivé, c'est-à-dire transformé en une accumulation d'objets séparés du vécu. Un monde objectif apparaît comme la seule réalité apparente d'un monde en représentation qu'on ne peut plus saisir directement. L'objectivation réalise son objectif qui est de prendre tout phénomène comme objet de commerce, réifiant l'existence dans ses interactions avec les autres. Toute relation devient échange de marchandises dont on doit, à tout prix, tirer profit aux dépens de l'autre.

Les rapports marchands, ayant envahi tout le temps et tout l'espace disponible, s'imposent de partout par un automatisme des attitudes. La répétition de certaines situations entraîne une prédisposition réflexe à la reprise de comportements familiers, intégrés comme étant opérationnels. La stéréotypie des habitudes échappe à toute volonté. Les automatismes accommodateurs procèdent par associations analogiques ou par adaptations systématiques à un contexte spécifique, ils déclenchent des procédures inconscientes empêchant la réflexion et rendant inaccessible toute remise en question. La répétition des routines crée l'accoutumance qui engendre des attitudes conservatrices dans une conformité autoprotectrice. C'est un sous-programme tournant en arrière-plan qui n'autorise aucun changement. On croit tout comprendre sans se rendre compte qu'on ne cherche même plus à comprendre.
On pense trop souvent que ce que l'on voit ou entend est vrai parce que "ça" existe, et que c'est la bonne réalité qu'il faut apprendre aux autres qui ne la partage pas. On doit absolument les convaincre et les persuader. Tant que nous ne permettrons pas aux autres d'être eux-mêmes, comme ils l'entendent, et à nous-mêmes d'être libres de nos choix, il sera impossible de ne pas chercher à posséder les autres, à les soumettre à sa convenance, impossible d'aimer authentiquement, sans névrose, un autre être humain.

La réalité est une croyance qui n'est pas dans ce qui est observé, mais dans la relation qu'a l'observateur avec des gens qui ne croient pas à la même réalité. Les choses ou les évènements ne sont réels que relativement à la manière dont on les observe. L'explication de l'observateur dépend des rapports qu'il a avec la réalité dont il parle. Le mot n'est qu'une étiquette d'une opération, mais pas la chose elle-même. C'est l'opération d'observation qui fait distinguer les choses et les phénomènes, et par là même, les fait exister. On n'observe pas des objets, on les contextualise dans nos relations avec les autres.
L'expérience du monde réel n'est pas séparée de nous, sa réalité ne nous est pas extérieure, nous l'expérimentons avec d'autres et l'incarnons en la vivant. C'est notre monde que nous construisons à partir de ce que nous en percevons, que nous formalisons avec nos interprétations et lui donnons du sens avec nos représentations. Quand nous comprenons notre expérimentation du monde, nous faisons corps avec lui, il ne nous échappe plus, et nous pouvons commencer à nous le réapproprier. C'est alors que l'on peut reprendre librement le pouvoir sur notre vie.

Ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes illustre un conflit qui concerne le monde entier. Il met aux prises, d'une part, les puissances financières résolues à transformer en marchandise les ressources du vivant et de la nature et, d'autre part, la volonté de vivre qui anime des millions d'êtres dont l'existence est précarisée de plus en plus par le totalitarisme du profit. Là où l'État et les multinationales qui le commanditent avaient juré d'imposer leurs nuisances, au mépris des populations et de leur environnement, ils se sont heurtés à une résistance dont l'obstination, dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, a fait plier le pouvoir. La résistance n'a pas seulement démontré que l'État, " le plus froid des monstres froids ", n'était pas invincible - comme le croit, en sa raideur de cadavre, le technocrate qui le représente -, elle a fait apparaître qu'une vie nouvelle était possible, à l'encontre de tant d'existences étriquées par l'aliénation du travail et les calculs de rentabilité.

Une société expérimentant les richesses de la solidarité, de l'imagination, de la créativité, de l'agriculture renaturée, une société en voie d'autosuffisance, qui a bâti boulangerie, brasserie, centre de maraîchage, bergerie, fromagerie. Qui a bâti surtout la joie de prendre en assemblées autogérées des décisions propres à améliorer le sort de chacun. C'est une expérience, c'est un tâtonnement, avec des erreurs et des corrections. C'est un lieu de vie. Que reste-t-il de sentiment humain chez ceux qui envoient flics et bulldozers pour le détruire, pour l'écraser ?

Quelle menace la Terre libre de Notre-Dame-des-Landes fait-elle planer sur l'État ? Aucune si ce n'est pour quelques rouages politiques que fait tourner la roue des grandes fortunes. La vraie menace est celle qu'une société véritablement humaine fait peser sur la société dominante, éminemment dominée par la dictature de l'argent, par la cupidité, le culte de la marchandise et la servitude volontaire.

C'est un pari sur le monde qui se joue à Notre-Dame-des-Landes. Ou la tristesse hargneuse des résignés et de leurs maîtres, aussi piteux, l'emportera par inertie ; ou le souffle toujours renaissant de nos aspirations humaines balaiera la barbarie. Quelle que soit l'issue, nous savons que le parti pris de la vie renaît toujours de ses cendres. La conscience humaine s'ensommeille mais ne s'endort jamais. Nous sommes résolus de tout recommencer.

OUBLIEZ MAI 68 !

Extrait d'un tract du Comité d'Action pour le Pouvoir des Conseils Ouvriers,

Covid-19, fin de partie

distribué à St-Étienne en mai 1969.

D'UN MAI SAUVAGE À L'AUTRE

Covid-19, fin de partie
Appel international à converger sur Paris le 1 er mai

UNE EFFERVESCENCE RÉVOLUTIONNAIRE Aujourdíhui, certains journalistes, intellectuels, artistes et politiciens souhaitent commémorer l'année 68 et ses révoltes, qu'ils présentent comme animées uniquement par le désir de démocratie capitaliste, de plaisir individualiste et libéral. Une fois encore, il s'agit de vendre, de l'audimat, des torchons littéraires et des bulletins de vote ; il s'agit en fait de neutraliser et de mettre à distance ce qui a pu se jouer de politique lors de l'une des années les plus subversives, violentes et offensives de l'après-guerre. Analyser l'histoire pour marteler sa fin, évoquer la fougue et la révolte d'une génération pour mieux enfermer et pacifier la suivante. Les étudiants parisiens entament le mois de mai en occupant la Sorbonne, les revendications singulières explosent, le refus d'un monde s'exprime sur les murs des villes et s'incarne dans les barricades nocturnes. Les ouvriers rentrent rapidement dans la danse et déclenchent une grève générale sauvage qui paralyse le pays. En deux semaines, le gouvernement plie et accorde des concessions sociales historiques, concessions rejetées par les grévistes... A Mexico, pendant plusieurs mois, un mouvement pour la liberté d'organisation et contre la répression politique alterne manifestations de centaines de milliers de personnes, occupations des universités et lycées, et affrontements de rue. L'État mexicain achèvera le mouvement en assassinant plus de deux cents personnes lors du massacre de Tlatelolco. Derrière le rideau de fer, un nouveau gouvernement lance un processus de libéralisation politique, soutenu par le peuple qui accélère sa mise en œuvre : liberté d'expression et de réunion, fin de la censure, ouverture des frontières vers l'Ouest, limitation du pouvoir de la sureté d'État. Il faudra que des chars investissent les places pour mettre fin au printemps de Prague. Les Viêt-Congs lancent l'offensive du Têt contre les principales villes du Sud. Si les assaillants sont globalement repoussés après quelques semaines, cette offensive montre au monde les capacités de l'armée populaire vietnamienne, annonçant les débuts de la défaite américaine. En Italie, le mouvement étudiant entre dans sa deuxième année. Partant d'une critique du système universitaire, de son autoritarisme et de sa fonction capitaliste, le mouvement déborde ce cadre, se mêle de politique internationale et de questions domestiques, enchaîne les grèves, quitte les campus pour se fondre dans les villes, et connaît ses premiers affrontements victorieux contre les flics. L'année 68 s'inscrit dans les débuts de la longue séquence rouge italienne, douze années d'expérimentations et de conflits politiques, d'occupations, de grèves, d'émeutes, de lutte armée, de radios pirates, d'expropriations, de quartiers en rébellion. Un bouleversement de tous les aspects de la vie... Ailleurs aussi, au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne, au Sénégal, un mouvement d'émancipation sans précédent secoue la planète : libérations sexuelle et politique, luttes contre toutes les formes d'autorité, mouvement féministe et dissidence politique ; refus du travail, du monde de l'économie et de ses diktats ; vies communautaires et illégalismes ; naissance de l'écologie radicale et rejet du système académique, réappropriation de savoirs ; rébellion contre l'impérialisme, l'institution militaire et les guerres coloniales. Les femmes et les hommes qui ont porté ces luttes en ont payé le prix fort, des dizaines de milliers de blessés et de morts, de prisonniers et d'exilés. Mais ils ont aussi connu des victoires et des puissances nouvelles, expérimenté des formes de vie et de combats inédites ; fissurer le monde pour en faire émerger d'autres, inconnus et fous... Partout, ce sont des alliances entre ouvriers et étudiants, entre hommes et femmes, entre immigrés et citoyens nationaux qui ont forgé l'ampleur et l'intensité de ces mouvements, l'altérité comme puissance commune, une manière de désarçonner l'adversaire, de se réinventer, d'apprendre à se battre, et à gagner. ILS COMMÉMORENT, ON RECOMMENCE Malgré toutes ces tentatives révolutionnaires, le régime capitaliste a continué sur sa lancée, de mutations en récupérations, de pics de croissance en crises mondiales, le monde est plus malade qu'il ne l'a jamais été. Les citoyens européens sont supposés être au sommet de la liberté, leurs vies regorgent de choix palpitants. Le choix de liker ou pas, le choix de cette marchandise de merde, ou de la suivante, le choix de ce parti ou d'un autre, qui mèneront de toute façon la même politique, et, évidemment, le choix du type de cancer qui nous fera crever... Une abondance de trajectoires vides de sens pour nous faire oublier notre absence de destin, voilà ce que le capitalisme offre aux "privilégiés" de notre époque. Quant aux autres, les millions de migrants fuyant les guerres, la pauvreté ou les destructions climatiques, ils sont condamnés à l'errance et à la mort aux portes de l'Europe, ou, lorsqu'ils arrivent à passer, à devenir la main d'œuvre exploitée du patronat, ainsi que la chair à canon sur laquelle les polices occidentales expérimentent leurs techniques répressives. Sur le plan de l'égalité, certaines femmes blanches et cultivées peuvent aujourd'hui devenir des managers comme les autres, et même parfois les dirigeantes de grandes puissances mondiales. Mais le nombre de viols et de féminicides ne diminue pas pour autant, et les femmes racisées continuent à être le ciment inavouable de nos sociétés : laver, soigner, assembler, éduquer, et surtout rester invisibles. Le travail est plus que jamais imposé comme la valeur cardinale de notre société. Les chômeurs sont traqués, méprisés et éradiqués. Uber, Amazon et leurs armées de managers "créatifs" entreprennent de ré-inventer le fordisme et un mode d'être au monde où chaque seconde est comptée et contrôlée : le culte de l'instant, un présent perpétuel ne laissant aucune place au passé ni à l'avenir... Au niveau global, on ne peut plus compter le nombre d'espèces animales disparues ou en voie de disparition, pas plus que le nombre d'écosystèmes détruits ou le degré de pollution des océans. Le monde de l'économie continue d'imposer toujours plus la domination de la planète, et la destruction de toutes les formes de vie. Dans cet univers merveilleux émergent heureusement une forme de conscience lucide, des tentatives de subversions et de confrontations. Un peu partout, la désertion progresse, le capitalisme vert et les politiciens professionnels ne font plus rêver que les idiots ou les salauds. Des alliances se tissent, des migrants occupent des places et des bâtiments, rendent visibles leurs existences et leurs expériences, des femmes s'organisent ensemble pour faire valoir leurs droits, leurs voix et leurs vies. A une échelle plus large, des réformes politiciennes ou des meurtres policiers peuvent entraîner des éruptions politiques massives et inattendues, des grands projets d'infrastructure donnent parfois naissance à des communes libres et à des transformations sensibles de territoires entiers, certaines réunions des dirigeants de ce monde finissent par la mise en échec de milliers de policiers et le saccage en règle de métropoles hyper-sécurisées. Dans le cadre de ces tentatives, un appel à se rendre à Paris pour un mois de mai sauvage a été lancé par des camarades français. Par ce texte, nous souhaitons répondre positivement à cette invitation, et la relayer auprès de tous nos complices et amies, en devenir ou éprouvées. Nous nous rendrons à Paris parce que nous pensons que, tout autant que l'état du monde, les mots et l'histoire méritent eux aussi un combat. Il ne s'agit pas de fétichisme ou d'idéalisation d'une période révolue, mais de se nourrir, de rendre vivantes une mémoire, une histoire, des vies et des luttes, ainsi que les désirs et visées qui les ont traversés. Il y a cinquante ans, des milliers de compagnons se sont lancés à l'assaut du ciel. Qu'ils aient finalement échoué à abattre le capitalisme n'est pas l'important. Ce qui nous importe, ce sont les questionnements, les gestes et les élans qu'ils ont posés et comment leur faire écho, comment les respirer, les interroger, les réitérer peut-être. Comme le disent nos amis zapatistes, l'avenir est dans notre passé... Nous nous rendrons également à Paris pour ce qui s'y joue actuellement, pour soutenir nos camarades français et présenter nos meilleurs vœux à Macron. Élu sur le rejet de la classe politique traditionnelle et se présentant comme "apolitique", Macron met en œuvre depuis un an une politique néolibérale à un rythme frénétique : destruction des droits sociaux, autoritarisme assumé, accroissement du contrôle étatique. Sa première erreur pourrait être de mener actuellement de front des réformes du baccalauréat, de l'accès à l'université et de la SNCF, tout en ayant rendu clair qu'il s'apprête à démolir le secteur public français. Les cheminots, connus comme étant les ouvriers les plus combatifs, ont initié un mouvement de grève qui affectera fortement les transports à partir de début avril. De nombreux lycéens et étudiantes ont commencé à bloquer et occuper leurs écoles et universités. Dans la fonction publique, les travailleurs comprennent que les cadences infernales et le management agressif auxquels ils sont soumis ne feront qu'empirer. Bien sûr le gouvernement double ses attaques politiques d'attaques médiatiques contre les cheminots et les fonctionnaires, alors que les occupations de lycées et díuniversités font face à une répression policière et administrative féroce. Mais la journée de grève et de manifestations du 22 mars 2018 a laissé voir une combativité et une détermination qu'on n'avait plus vu depuis le mouvement contre la loi travail de 2016 : 180 manifs dans toute la France, les systèmes ferroviaires et aérien durement touchés, des cortèges de tête massifs et offensifs. Personne ne peut dire comment ce début de mouvement évoluera dans les semaines à venir, mais il y aura un enjeu certain à créer des ponts, multiplier les rencontres et les mondes à partager : envahir les gares en manif, ouvrir les assemblées, occuper des lieux, trouver des cibles communes... Essayer de sentir et de combattre ensemble, pour que le printemps qui vient dépasse líhistoire et libère enfin un temps dont on s'éprenne.

Rien n'est fini, tout commence...

https://www.lespaves.net/1968-2018-dun-mai-sauvage-a-lautre-appel-a-converger-sur-paris-le-1er-mai/?lang=fr

Le stade de délabrement auquel est arrivée une civilisation, bâtie par l'homme et contre lui-même, révèle l'imposture d'un système fondé sur l'inversion de l'homme et de la vie. Chacun est désormais amené à redécouvrir, avec sa spécificité d'être humain, un potentiel de création que la croyance à son statut d'esclave le dissuadait de revendiquer.
Destin et destinée s'opposent. Version profane de la Providence, le destin, identifié au hasard, à la fatalité, à la nécessité, est inéluctable. La destinée, elle, met en œuvre les capacités créatrices de l'homme en voie d'humanisation, la faculté de se créer en recréant le monde. À l'encontre des mécanismes du corps fonctionnel et rentabilisé, elle tend à privilégier le corps mû par une énergie vitale qui a été vampirisée pendant des siècles pour être transformée en force de travail.
Construire sa destinée concrétise la réalité d'une vie authentique, s'émancipant de l'état de survie où elle végétait. Tout annonce une mutation de civilisation, une société où il nous appartiendra d'éradiquer les comportements prédateurs en établissant la prééminence de la vie et de la conscience humaine.

Pendant des siècles, des générations de prédateurs se revendiqueront d'un mandat céleste pour s'approprier des êtres et des choses. En d'interminables querelles, ils se partageront et se disputeront le pouvoir, esclaves d'une peur qu'ils sont contraints d'inspirer au plus grand nombre afin de les maintenir en servitude.

La réduction de l'être humain à l'Homo œconomicus implique la réduction de la vie à la survie. La survies est la vie économisée au bénéfice de l'activité laborieuse. Le processus de l'homme en voie d'humanisation se trouve ainsi engorgé et dévoyé. Comme le notait le Traité de savoir vivre : " survivre nous a jusqu'à présent empêchés de vivre. "

La confusion se fait lumière et le mensonge vérité. " Homme " désigne un être plus inhumain qu'humain ; sa dénaturation passe pour sa vraie nature, celle qui l'incite à la prédation, à la guerre, à la cruauté, à l'autodestruction.

L'ordre économique du monde a bâti une réalité économisée où les faits observés, étudiés par des contrefaçons d'êtres humains, sont eux-mêmes contrefaits. Car objets observés, observateur et instruments d'observation appartiennent à un champ de préoccupation où la vie est marginalisée, dépouillée de sa cohérence, coupée de son osmose avec l'univers vivant.

La guerre sociale du maître et de l'esclave ne fait qu'une avec la guerre existentielle qui oppose en chacun la nécessité de survivre et la tentation de vivre une vie pleine et entière.

En bloquant les émotions et en empêchant la conscience humaine de les prendre en charge et de les affiner, la carapace caractérielle les dénature et ne leur laisse pour exutoire que le débondement sauvage. (...) Le non-dépassement de l'animalité se traduit chez l'homme par la constitution d'une carapace caractérielle. Celle-ci a pour fonction de le protéger contre le déferlement du flux émotionnel qu'elle réprime au nom de l'esprit, dont la prééminence sort ainsi renforcée.

L'hystérie est le discours du corps expulsé de lui-même. Quand il crie vengeance et parle au nom de sa bestialité réprimée, son langage a tout lieu d'être celui de la prédation.

La survie est l'inversion de la vie. Elle la nie en l'économisant. La civilisation marchande a pour fondement le mensonge qui occulte la réalité d'un monde à l'envers et d'une existence vécue à revers.

Renoncer à la vie a sacralisé l'empire de la mort.

Ce qui prête sa puissance à l'aliénation religieuse, c'est le sentiment d'exil que la séparation de l'homme avec lui-même instille en lui. Spolié d'un potentiel de vie qui l'autoriserait à créer un monde propice à son bonheur, il s'en remet à un Créateur extra-terrestre du soin de programmer le malheur que sa résignation sollicite.

L'homme n'est plus perçu comme sujet où la vie s'incarne. Il se mesure à l'aune de l'objet marchand qui le représente.

La mécanisation du vivant a donné une valeur normative absolue à l'absurdité d'un monde à l'envers où l'être humain n'est rien et où l'homme est la représentation abstraite de tout ce qu'il aspire à vivre et ne vie pas.

Les essais que la vie expérimente en nous diffèrent radicalement des comportements mécanisés qui nous sont imposés de l'extérieur, qui sont des implants, les produits d'un système qui à chaque instant tente de nous faire fonctionner selon ses normes.

Nous en sommes arrivés à un tel degré de carence de l'être et à une tel prolifération autodestructrice de l'avoir qu'aujourd'hui c'est par un renoncement systématique à la vie que la survie même de l'homme et de la terre est menacée.

Les bourgeois, successeurs et vainqueurs de la noblesse ne disposaient que d'un avoir pour acheter l'illusion d'exister.

En exilant l'homme de lui-même et de son potentiel de vie, la civilisation marchande identifie le temps à un paramètre économique dont la fonction est d'ordonner l'univers comme univers de la marchandise et du travail.

Or, maintenant que la survie elle-même est mise en péril par une paupérisation globale affectant la planète et l'existence, l'avoir perd sa capacité de compenser, ne serait-ce qu'illusoirement, la pauvreté de l'être à laquelle la possession de biens proposait sa piètre consolation. L'avoir est sans recours ni avenir ; l'être est seul à nous satisfaire en offrant les bases d'une destinée véritablement humaine.

S'adapter est un mode de survie propre aux bêtes et aux plantes. Vivre, c'est inventer les moyens et les conditions favorables à une existence individuelle et sociale meilleure. La vie est autocréatrice.

La base de notre destinée à construire est en nous. M'identifier à ce que j'ai en moi de plus vivant est la seule identité que je revendique, la seule à briser le plus sûrement avec la servitude volontaire.

Nos vérités péremptoires ne sont que des mensonges sans faille.

Ceux qu'ébranlent les tourbillons de l'incertitude s'accrochent si fermement à l'opinion reçue que les moindres doutes et contestations leur semblent odieux, tant ils redoutent de tomber dans leur propre vide.

Là où règnent la compétition, la réussite et l'échec, "manquer de caractère" est perçu comme une marque de faiblesse dont le premier prédateur venu tire profit. Que mettre à la place de la forteresse vide, si ce n'est une puissance intérieure, une force créatrice, un rayonnement du désir de vivre, capable d'agir de façon dissuasive contre menaces, infortunes et contrariétés ? La poésie vécue n'est rien d'autre que la puissance de la générosité vitale. En échappant à toute forme de sacrifice et de contrainte, elle atteint à une capacité de résonance protoplasmique.

La force de l'être réside précisément dans une puissance sensitive et sensuelle dont la propagation exponentielle a la capacité de déclencher la réaction en chaîne d'une générosité humaine, un déferlement que l'idéologie éthique transforme en un mesquin et ruisselant devoir de solidarité. C'est cette nouvelle innocence qui va conquérir le monde sans se l'approprier. Là réside la seule violence qui m'attire, la violence de l'humain qui brise ses chaînes.

La souveraineté de l'humain implique l'alliance de chacun avec ce qu'il a en lui de plus vivant. Ce qui ne m'identifie pas à mon devenir humain m'asservit à ce qui me tue.

Nul ne se changera sans changer le monde, nul ne changera le monde sans se changer.

Rien n'offre un remède plus salutaire au désarroi que de raviver sans cesse l'attrait des jouissances attisées en chacun par la volonté de vivre.

Le temps qui nous est dérobé est un vol, le temps imposé un viol. Que la conscience humaine se réveille et l'instant cessera de nous emporter où nous ne sommes pas.

Le pessimiste attend le pire et celui-ci a tout lieu d'arriver, l'optimiste attend le meilleur, qui arrive ou n'arrive pas. L'un et l'autre ont en commun de s'en remettre passivement aux décrets d'un impénétrable destin. Tous deux s'agenouillent devant un ordre des choses qui les traite en objets.

Une faille s'ouvre tôt ou tard dans le temps, nous engageant à comprendre que changer un instant en moment est l'acte poétique inaugural d'un autre monde possible.

L'efficacité est un hymne à la gloire du travail qui nous ruine.

Être humain, c'est rompre ses chaînes.

Le désir individuel d'une vie souveraine entre en résonance avec la volonté d'un renouveau social, qui peu à peu émerge des limbes d'une société de nuit et de brouillard.

Tandis que la société de profit et de pouvoir se délite au fond de son impasse, l'immémorial dessein d'accéder à une véritable humanité ravive sa mise en œuvre sous le regard aveuglément imbécile du spectacle et de ceux qui y paradent.

J'ai cessé de réclamer le meilleur avec les angoissantes incertitudes qu'un tel espoir implique. Je m'ouvre en toute confiance aux échéances du bonheur qui du lointain de mon devenir s'achemine vers moi pour enrichir mon présent.

Quand les résonances jaillissent spontanément, elles mettent en branle un processus d'affinement et d'harmonisation qui suit son cour sans hâte ni lenteur.

J'ouvre en moi et devant moi un espace-temps où je n'ai qu'à me laisser guider par une heureuse conjuration de moments, voir de situations. Ainsi s'agence une échappée belle qui me délivre des machinations labyrinthiques.

Le sens de la vie c'est la vie même.

Je tiens le dégoût de la vie pour la plus répugnante vomissure de la société dominante.

L'étouffement des siècles n'a jamais épuisé le souffle des aspirations humaines. L'importance du désir ne réside pas dans sa satisfaction mais dans la passion qu'il stimule en se formulant. Entre brise et tempête, la puissance poétique qui nous crée et que nous créons signale la proximité de nos océans.

La ruine des fausses richesses que l'avoir a accumulées en arrachant à l'être sa vraie richesse dénonce à la fois la réalité falsifiée d'un monde d'objets et restitue au sujet - à chaque existence particulière - le droit de lutter pour son autonomie et son émancipation.

Jouir des êtres et des choses dissuade de se les approprier. La passion de la jouissance brise l'avidité de l'avoir. Seul ce qui se donne est acquis et se renouvelle sans cesse. L'avoir sécrète l'ennuie : il ne conçoit le changement que réduit à l'échange.

La meilleur façon d'échapper au Destin, c'est de se vouer sans réserve à sa destinée. L'intensité d'un désir sans fin sait accueillir avec le faste de la simplicité le messager du meilleur des futurs.

L'occasion nous est offerte de nous réapproprier la puissance de l'homme et de la terre, spoliée par des Dieux laborieusement forgés sur l'enclume de la civilisation marchande. L'avoir a tué l'être humain en inventant l'être divin qui l'a exilé de la terre. Nous allons tuer l'avoir et bannir le divin en devenant humains, infiniment.

L'insécurité n'est pas une donnée objective, mais un sentiment. Elle ne se mesure pas à l'aide de statistiques ou de mesures gouvernementales. Difficile à cerner, le sentiment d'insécurité naît d'impressions confuses, désagréables, accumulées au cours du temps. Dans tous les cas, c'est un signal que l'on va mal. On se sent menacé, inquiet, excédé par un trop-plein de rencontres déplaisantes, de vexations, de peurs, d'humiliations. La vie en société ressemble plus à un enfer qu'à un paradis.

Quels facteurs y concourent ? Ce n'est pas tant l'impertinence de la jeunesse, son côté " sauvageon ", qui a toujours à la fois exaspéré et charmé les adultes. Mais plutôt la répétition d'actes imbéciles et méchants, d'autant plus irritants qu'on sait fort bien que leurs auteurs sont eux aussi excédés, mal dans leur peau, comme rendus malfaisants par une vie sociale insatisfaisante. Il n'y a rien de rassurant à constater que le malheur des uns augmente le malheur des autres.

Une partie des actes qui suscitent le sentiment d'insécurité sont commis par des jeunes de milieu populaire, souvent issus de l'immigration. Il s'agit généralement d'attitudes, de paroles ou de gestes qui témoignent d'un refus de respecter ce qu'on appellerait " les règles élémentaires de la vie en société ". Autrement dit, cette courtoisie, cette civilité, cette urbanité, qui font qu'on peut vivre ensemble dans une ville tout en étant différents. C'est évidemment le signe que la ville n'est plus un lieu où vivre ensemble, de quelque culture qu'on soit.

Pour une large part, il s'agit d'agressions, verbales ou physiques, justifiant le droit du plus fort à écraser le plus faible. C'est la logique de la compétition poussée à l'extrême. L'esprit capitaliste à l'état pur, porté par ceux qui n'ont pas la chance de posséder un capital.

C'est souvent un comportement en bande, où l'union fait la force, dont l'usage permet de se venger de l'humiliation passée en la faisant subir à celui ou celle qui, isolé(e) face à la bande, se trouve momentanément en position de faiblesse. Effet pervers d'une solidarité vécue sur le mode de l'exclusion, qui bafoue le sentiment de fraternité, fondement de toute véritable démocratie. Les exclus du système pratiquent ainsi la logique dont ils souffrent pour exclure à leur tour les victimes qu'ils trouvent sur leur chemin. A cet égard, ces délinquants sont de bons élèves, qui suivent aveuglément les principes qu'on leur a inculqués, mais dont l'esprit de concurrence n'a pas trouvé d'emploi. Leur conduite est semblable à celle des gagneurs de l'entreprise capitaliste, à la différence près qu'ils n'ont pas de terrain économique où l'exercer. Dès lors, ils le font au hasard, sur un territoire qui n'est pas fait pour ça.

Parmi les bandes qui agissent ainsi, il en est de plus perverses, par ailleurs supposées défendre les faibles. Il s'agit par exemple de certaines patrouilles de forces de l'ordre, fonctionnant dans la même logique que les voyous auxquels ils sont supposés s'affronter. La revanche de l'humilié, qui à son tour humilie les autres, peut aussi s'appuyer sur la part de pouvoir que s'arroge le petit fonctionnaire, imbu d'une force qui lui est fournie par procuration. Au lieu d'agir en frère secourable, il se comporte en parâtre vengeur, et augmente d'autant le sentiment d'insécurité des citoyens.

Face à ces situations, si l'on pense que la guerre est une bonne réponse et qu'il faut augmenter la répression, au risque de susciter des réponses encore plus violentes, il est alors logique d'élire des gens de droite ou d'extrême-droite, dont c'est le rôle politique de défendre l'ordre à tout prix. Avec le fascisme au pouvoir, c'est la violence qui devient l'institution centrale, en balayant la démocratie. Il n'y a plus de sentiment d'insécurité, parce que les individus, privés de leurs droits de citoyens, sont désormais dans l'insécurité totale face à l'Etat. C'est la terreur qui devient souveraine. La droite classique, en principe, exprime quant à elle le point de vue d'une minorité de possédants pour qui la sécurité provient du travail des autres et l'insécurité des risques que ceux-ci se révoltent. Propagande et autorité sont alors les outils nécessaires à la paix sociale.

La primauté de l'économie sur toute autre considération est dans la logique du capitalisme, pour lequel toute la vie sociale doit se soumettre à la nécessité de conserver la disparité entre les possédants et les autres. Dans cette logique, le sentiment d'insécurité est un moteur d'élimination des faibles. C'est sans doute pourquoi la droite le met en avant et propose des moyens de lutte qui, en fait, le renforcent. En cas d'urgence, elle pourrait même recruter les voyous et confier provisoirement le pouvoir à des bandes fascistes.

La gauche, en principe, est porteuse d'un projet de justice sociale, où l'économie devrait obéir à d'autres impératifs. C'est en tout cas l'argument qu'elle se donne auprès du peuple. L'idéal qu'on lui reconnaît se rattache à des utopies qui dessinent un monde juste, fraternel, égalitaire. Mais en réalité, deux déviations l'ont éloignée de cet objectif. La première est le rattachement à l'idéologie soviétique, qui pose le capitalisme d'Etat comme étape intermédiaire vers l'avènement d'une société juste. Les gens n'ont plus d'autonomie et deviennent les pions d'une Masse qu'il convient de manipuler. L'Histoire a montré que ce système constituait en fait une redoutable dictature. La seconde déviation, plus moderne, confie à la gauche le soin de réguler les tensions sociales du capitalisme. Il ne s'agit plus de changer la vie, mais seulement d'aménager le système. Les promesses de fraternité ne sont alors qu'un argument publicitaire à destination du peuple. On fait ainsi carrière dans la gauche comme dans la droite, et les gens ne voient plus de différence entre les deux.

Comme les sociologues l'ont constaté, les variations du chômage et autres indicateurs économiques n'influent que peu sur le sentiment d'insécurité et le cortège de petite délinquance qui l'accompagne. L'impression de mal-être dépend plus de la suprématie de l'économie que de ses fluctuations. Les suicides de jeunes, les tueries absurdes
par désespoir, les actes irrationnels de malveillance, sont des manifestations d'une perte de confiance dans le social. Or l'homme n'est que social. Lorsqu'il oublie le sens des autres, il perd son humanité. Toutes les aberrations sont alors possibles.

Quand la gauche vend son âme au capitalisme, elle fait le sale boulot à la place de la droite. Ainsi a-t-on vu le gouvernement de gauche de Lionel Jospin faire passer la sûreté nationale (nom officiel de la sécurité publique) avant le bien-être des gens, y compris dans l'école. Faute d'une politique effectivement fraternelle et sociale, on a cédé aux solidarités de caste. On a fait passer des lois réactionnaires pour donner plus de pouvoir à la police et punir encore plus les comportements ludiques ou déviants. On propose même de rouvrir les bagnes pour enfants et on traque les relations sexuelles au nom de la protection de l'enfance. La liberté se cache derrière les juges et la fraternité n'a même plus de sourire sur le visage des politiciens.

Le pire est à craindre si ne se lève pas une nouvelle génération de gens de gauche, pour qui le sentiment d'insécurité doit se résoudre par le développement de pratiques sociales, fraternelles, culturelles, et amoureuses. Avant de proposer le pouvoir de dire non, il faut affirmer la liberté de pouvoir dire oui. Ne plus diriger, assister, contrôler, mais ouvrir des espaces de liberté, favoriser l'autonomie, laisser s'exprimer les différences.

En attendant d'abolir le capitalisme, on peut lui rogner les ailes. Imposer la démocratie à l'intérieur des entreprises, en ôtant leur pouvoir de nuire aux actionnaires. Et surtout, s'occuper d'autre chose que d'économie. Mettre en place des zones d'échanges, de fête et de fraternité. Créer un climat de confiance et d'amour entre les gens qui n'ont pas de pouvoir à prendre. Développer partout où c'est possible des structures de démocratie participative. Coopérer au lieu d'entrer en compétition. Cesser de soutenir les professionnels de la politique. Mettre en place une vraie écologie humaine. Rendre communautaires les espaces publics. Laisser parler ceux qui ont quelque chose à dire. Faire taire la propagande, commerciale ou politique. Laisser baiser ceux qui ont envie de le faire. Faire cesser les atteintes à la liberté de disposer de son propre corps. Laisser chanter, danser, peindre, écrire, jouer de la musique, tous ceux qui ont le désir de s'exprimer, sans impératif de rentabilité. Laisser fumer des herbes enivrantes à ceux qui aiment ça. Enlever le contrôle des médias aux politiques et aux sociétés commerciales. Dénoncer la laideur des urbanismes et y porter remède. Créer des lieux de discussion pour décider ensemble de quoi faire dans le social. Etc.

Surtout ne pas inventer de nouveau parti.

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http://inventin.lautre.net/livres.html#paulcastella

http://www.dailymotion.com/video/xbs6gr_paul-castella-de-l-insecurite-publi

"Être le défenseur de la justice, ou le complice du crime, il n'y a pas de milieu." Élisée Reclus

I

Il n'y a pas, pour le moment en France, de mouvement révolutionnaire : il y a, certes, des mouvances contestataires dont la révolution est l'objectif avoué, et les cendres d'un conflit social de haute intensité. Mais les manifestations, même les émeutes - de plus en plus nombreuses - ne font pas encore du présent une lutte à la hauteur du seul enjeu envisageable : le renversement de l'économie politique par une force collective, consciente et volontaire, pour l'établissement d'un monde de la libre production solidaire de la vie sous toutes ses formes, entraînant une revitalisation et une émancipation générales.

II

La réalité a finalement contredit ceux qui croyaient notre société inattaquable, comme ceux qui prétendent qu'"il n'y a pas de sujet révolutionnaire". La radicalisation du capitalisme en crise, la fin du compromis de classe du XXe siècle, ont fait émerger un embryon de subjectivité collective l'an dernier, ce qui à notre époque était en soi un exploit. Exploit, que dans un monde si totalement idéologique, l'annonce d'une dureté encore accrue de la négociation de la survie ait mis le feu aux poudres, radicalisé en retour une fraction de la jeunesse et des salariés.
Peu sont ceux qui, ayant participé de près ou de loin à la contestation, peuvent nier que démocratie et capitalisme sont incompatibles, ou prétendent encore ne pas voir que nous sommes, depuis longtemps déjà, dans un régime totalitaire.

III

Quatres formes ont pris le parti de la contestation de l'an dernier, et avec elles des modes d'expression de la crise en cours. Les assemblées Nuit Debout, le cortège de tête et ses ingouvernables, les mouvements de victimes de la police dans les banlieues et quartiers pauvres, et les syndicats du mouvement social traditionnel. Opérant chacun sur un terrain séparé, tous doivent leurs limites et leur isolement à la spécialisation de leur lutte. Tous se rejoignent, malgré la beauté de leurs actions et la justesse de leurs analyses, dans l'impasse du militantisme : la croyance de la suprématie et de l'autonomie du terrain d'indignation qu'ils ont choisi. De là, le fétichisme de la parole sans actes de Nuit Debout, le fétichisme inverse du black bloc, l'étroitesse d'esprit ouvrieriste, y compris des bases syndicales, le légalisme incroyable de ceux dont la chair et le sang sont marqués quotidiennement par la police et les relégations de toutes sortes. De là même, l'ennui et la désertion des AG, la lassitude du marathon des manifs sauvages, la défaite et le découragement des salariés, le retour à l'aliénation religieuse, à la famille, des populations dites immigrées ou fils et filles de.
À l'inverse cependant, une synthèse limitée a produit les plus belles brèches des événements de l'an dernier : "l'apéro chez Valls", la participation des dockers au cortège de tête, le soutien élargi et immédiat aux familles de victimes de la police, jusque dans l'émeute.

IV

Tous les malheurs sont solidaires et aucune spécialité n'en viendra à bout. La possibilité révolutionnaire est toute entière contenue dans l'abandon de la perspective parcellaire de ces mouvements, qui n'est pas leur dissolution ou leur déni, mais la prise en compte du rapport de force sur un terrain à la fois plus fondamental et plus général. La simple addition des composantes du mouvement social, sans articulation et transformation réciproque des uns par les autres ne mènera à rien de suffisamment consistant et unitaire.
Aussi les nuitdeboutistes, comme les mouvements "pour la justice" doivent perdre leurs illusions électorales et légales : on sait depuis longtemps qu'il n'y a pas de loi instaurant la domination de classe, le chantage à la survie et la dépossession ; que la propriété a toujours saisi d'abord et fait écrire les lois ensuite. Qu'au contraire, le droit est une architecture vide, établie justement pour la marge de manoeuvre qu'il laisse au Marché, à l'État, et leur Police. Aucune loi ne proclame la destruction planétaire du vivant, et pourtant, nous y sommes de fait.
Le black bloc et les grévistes doivent mettre de côté leur querelle en miroir du purisme anarchisant - qui "ose" casser des vitrines et se battre avec la police, contre le purisme ouvrieriste - qui est au contact "concret" du salarié. Ce qui implique que les ingouvernables diversifient leurs actions - comme ils ont déjà commencé à le faire - et acceptent de débattre hors du champ des évidences plates de leur seule spontanéité. Aucune lecture, si radicale soit-elle, ne donne de brevet de détention de la vérité.
Les syndicalistes, eux, doivent rompre avec les centrales mais aussi et surtout avec l'attitude défensive qu'elles imposent bureaucratiquement, pour retrouver le terrain de la lutte historique. Terrain volontairement laissé à l'abandon depuis cinquante ans, avec les résultats que l'on connaît. C'est parce que le "réalisme" réformiste ne tient qu'à cela : laisser au capital l'initiative de la production de l'histoire et condamner ceux qui le suivent à subir la transformation du monde selon les intérêts du capital. Depuis que le syndicalisme a renoncé à une position offensive, plus rien n'a été acquis, à peine les régressions avaient elles parfois été limitées jusque là. C'est désormais fini : aucun conservatisme ne menacera un pouvoir en pleine mutation. Il faut lui ôter les moyens de nuire et prendre ceux de faire autrement. La vie est à gagner au delà du salariat, et de son remplacement cybernétique actuel.

V

VI

Personne n'a cru bon pour le moment de définir des ambitions vers lesquelles le mouvement révolutionnaire pourrait tendre. Il nous semble que la vie à conquérir repose, à minima, sur les points suivants :
* L'abolition de la propriété et de la valeur marchande, sa conversion en possession collective des moyens de produire et de leur destination.
* La dissolution de l'État et des autres instances du pouvoir pour la relocalisation de la délibération politique par comités et délégués révocables.
* La redirection de toute l'activité sociale vers la revitalisation de la nature et la transformation de la société comme faisant partie de celle-ci.
* L'abandon de la liberté virtuelle de la cybernétique au profit de la liberté pratique : la participation généralisée à de multiples redéfinitions du sens de la vie.

VII

Deux points ne sont à aucun cas à sous-estimer dans la période qui est la nôtre. Le premier, c'est la défaveur actuelle du rapport de force : nos contemporains adhèrent encore massivement au monde tel qu'il est, et même si beaucoup ne supportent plus la façon dont il est dirigé, ils ne s'inquiètent pas du tout de la façon dont il est produit, de la manière dont il fait leur existence en retour. Le "renouvellement" du personnel politiques des pays "développés" par une classe plus jeune de néo-cadres, ou plus caricaturale de sous-dictateurs, c'est-à-dire au final une classe plus idéologique, ne témoigne pas d'autre chose.
Le second problème est la chance que pourrait constituer pour le pouvoir une insurrection défaite : l'économie est actuellement en voie de transition et toutes ses catégories - valeur, travail, production - sont revues, transformées par la technologie. Le capital tente de dépasser ses contradictions : il rend ouvertement collectif le travail, en socialisant une propriété maintenue privée par l'information, et soumet peu à peu toute la vie quotidienne à la production de valeur abstraite virtuelle. Dans ce changement pour un marché plus totalitaire encore, qui voit la fusion complète de l'Etat et du Marché en bureaucratie technologique fluide, rien ne vaudrait un fascisme de transition pour assurer l'instauration de la prostitution informationnelle généralisée. Et rien ne vaudrait une insurrection défaite pour produire ce même fascisme. Le faux air de 1848 qu'a notre époque ne doit pas nous inciter à être prudents, mais déterminés et réfléchis.

Collectif révolutionnaire.

Le deuxième tour des élections législatives françaises vient marquer la fin d'une année entière de campagne électorale dont peu de personnes pouvait imaginer l'issue et le degré de transformation, de bouleversement pour dire le vrai, de l'appareil politique qui s'est produit. Cette "révolution", titre du livre programme du nouveau président français, Emmanuel Macron, est la dernière surprise électorale en date que les principales puissances impérialistes aient connu depuis juin 2016 avec le référendum britannique pour le Brexit et l'élection de Trump en novembre. Sauf à croire au pur "hasard", ces chocs politiques obligent à une réflexion afin d'en déterminer les causes et le lien qui les relient et d'en tirer les implications pour le prolétariat et son combat de classe. De toute évidence, la situation historique n'est plus la même avec la prolongation des effets de la crise économique de 2008 et l'aiguisement des rivalités et guerres impérialistes qui en ont découlé, en Syrie en particulier, et dont les attentats terroristes venant frapper au cœur de l'Europe, en France et à Paris en premier lieu dès janvier 2015, sont une composante et un marqueur essentiels.

La réflexion que nous soumettons ci-après s'inscrit dans le même cadre d'analyse de la situation que nous avions déjà mis en avant dans notre communiqué Élection présidentielle française : Mélenchon et la gauche radicale se préparent à paralyser les réactions ouvrières face aux attaques du futur gouvernement (http://igcl.org/Election-presidentielle-francaise). On peut aussi se référer à la prise de position du PCI - Programme communiste, Le Prolétaire #524, avec laquelle nous partageons le rejet de l'idée selon laquelle la bourgeoisie tendrait à perdre le contrôle de son jeu politique avec les votes soi-disant "populistes" d'extrême-droite (1). Cette thèse que les médias bourgeois ont asséné durant la campagne électorale française a aussi servie, et continue à servir, pour expliquer le Brexit et l'élection de Trump. Elle est non seulement erronée mais dangereuse du point de vue du prolétariat en laissant croire à un affaiblissement politique de la bourgeoisie alors que les changements politiques en cours au sein des classes dominantes sont au contraire des expressions et des moments d'adaptation et de renforcement de son appareil politique étatique en particulier contre le prolétariat.

Mélenchon : une gauche radicale pour contrôler et saboter les réactions ouvrières à l'attaque massive annoncée par le gouvernement Macron

L'élection de 308 députés pro-Macron et l'éclatement de l'opposition en une multitude de groupes parlementaires à l'assemblée nationale française sont venus éteindre définitivement le dispositif politique traditionnel de la bourgeoisie française qui prévalait depuis... 1958. Cette organisation alternait au pouvoir le parti de droite classique issu du gaullisme (appelé aujourd'hui Les Républicains) et le parti socialiste. Mais surtout, c'est-à-dire du point de vue ouvrier de classe, l'important est l'intention du nouveau président et de son gouvernement d'aller encore plus loin dans les attaques contre le prolétariat en France en poursuivant la "libéralisation du marché du travail" que la loi "El Khomri" de 2016 a déjà entamée. Et cela dès cet été, au plus vite. Pour ce faire, la mise en place d'une majorité parlementaire s'accompagne de l'émergence d'une opposition de gauche radicale avec l'élection de 17 députés de La France Insoumise (LFI) de Mélenchon - plus dix du PCF - auxquels certains députés du PS risquent fort de s'allier. Dans les faits, une machine de guerre politique le prenant en tenaille se met en place pour attaquer frontalement encore plus le prolétariat dans ses conditions de vie et travail. D'un côté un gouvernement frappant fort et vite. Et de l'autre une opposition politique de gauche au langage radical qui vise à relayer et compléter, au niveau politique, l'encadrement et le sabotage syndicaux des inévitables réactions ouvrières. Les tractations entre gouvernement et syndicats ont déjà commencé. Dès le lendemain, 9 mai, de la victoire de Macron, mais aussi le 19 juin au lendemain du second tour des législatives, le Front Social nouvellement formé et regroupant principalement des sections syndicales radicales CGT, SUD-Solidaires et quelques autres, appelait déjà à des manifestations de rue. De son côté, Mélenchon n'a tardé qu'une heure et demi le soir des élections pour jouer sa partition de 1er opposant politique radical au pouvoir en s'appropriant les 61,5% du corps électoral (2) qui se sont soit abstenus, soit ont voté blancs ou nuls, au deuxième tour des élections législatives, pour "offrir" un débouché politique, le référendum, aux futures mobilisations :

" L'abstention écrasante qui s'est exprimée aujourd'hui a une signification politique offensive. Notre peuple est entré dans une forme de grève générale civique dans cette élection. Je vois dans cette abstention une énergie disponible pour peu que nous sachions l'appeler au combat avec les formes et les mots qui conviendront aux possibilités de chacun. C'est lui [le groupe de LFI à l'Assemblée, Ndlr] qui appellera le pays le moment venu à une résistance sociale, et j'informe le nouveau pouvoir que pas un mètre du terrain du droit social ne lui sera cédé sans lutte. La majorité boursouflée [du parti d'Emmanuel Macron] n'a pas la légitimité pour perpétrer le coup d'État social qui était en prévision, c'est-à-dire la destruction de tout l'ordre public social par l'abrogation du Code du travail. C'est au contraire la résistance la plus totale qui est légitime, et c'est pour ça que je dis que, le nouveau pouvoir, s'il juge que c'est vraiment la nécessité pour le pays et que cela est conforme à son intérêt, alors il faut qu'il procède par la voie la plus démocratique qui est en son pouvoir, c'est-à-dire que le peuple français soit consulté par référendum pour s'il veut oui ou non de ce que cette minorité prétend lui imposer. " Déclaration de Mélenchon le soir des élections, La Tribune, 19 juin 2017 (3).

S'appropriant le niveau inédit d'abstention et le retournant à son usage en le proclamant comme étant une " grève civique ", le mot d'ordre et la revendication d'un référendum lancés par Mélenchon annoncent déjà la volonté manifeste d'accompagner au plan politique la tactique syndicale de journées d'action impuissantes. Il s'agit ainsi de détourner la mobilisation de classe contre l'État et le capitalisme sur le terrain démocratique et étatique, via le mot d'ordre de référendum, véritable piège et assurance de défaite cuisante si les ouvriers y cédaient. En passant, il convient de relever qu'il réussit à reprendre à son compte, pour en dénaturer le sens de classe, les termes de "grève" et "d'abstention". Inutile de préciser ici que seule la gauche radicale bourgeoise peut se permettre un tel détournement de langage alors que l'extrême-droite en est totalement incapable, ou du moins ne pourrait être crédible sur ce terrain. Voilà une autre raison pour laquelle, dans la période présente, le danger pour le prolétariat ne situe pas dans le soi-disant "populisme" d'extrême-droite (même si un certain nombre d'ouvriers parmi les moins conscients et les moins combatifs, mais parmi les plus racistes et chauvins, votent en partie pour lui) mais bel et bien dans la capacité de l'extrême gauche dite radicale à occuper le terrain et le langage des mobilisations ouvrières là où s'expriment les forces vives et les fractions les plus conscientes du prolétariat - celles-là même qui entraîneront les autres.

La bourgeoisie abat donc déjà ses cartes, sans attendre la rentrée, afin de baliser et cadenasser au plus vite, encore plus vite que l'adoption des ordonnances sur le code du travail, le terrain politique de l'affrontement de classe et de la probable future mobilisation ouvrière. Voilà le prolétariat et les révolutionnaires authentiques prévenus.

Adaptation et maîtrise de son système politique par la bourgeoisie française

Pour nous, les élections législatives sont donc venues confirmer et amplifier la signification politique de l'élection présidentielle. Le bouleversement de l'appareil politique de la bourgeoisie française répond aux nécessités de celle-ci face à un personnel et des partis politiques qui ne correspondaient plus aux nécessités de l'heure. C'est vrai face au prolétariat et à la nécessité de renouer avec une compétitivité et un renouveau de l'appareil productif du capital français qui passe essentiellement par une plus grande exploitation et une dévalorisation de la force de travail.

C'est aussi vrai au niveau international. En attendant les élections allemandes de septembre prochain, l'élection du plus pro-européen des candidats présidentiels ouvre de fait la possibilité d'une relance de l'alliance franco-allemande (4) visant à entraîner l'Union Européenne dans son sillage. L'élection de Macron est donc une des premières réponses politiques de la part d'une des principales classes dominantes européennes, dans la foulée des résultats des dernières élections nationales aux Pays-Bas et en Autriche, au Brexit britannique et aux déclarations hostiles anti-européennes et anti-allemandes de Trump. L'exacerbation de l'impasse économique du capitalisme et de ses contradictions aiguisent la concurrence économique et commerciale et, par conséquent, les rivalités impérialistes : une polarisation croissante entre les deux rives de l'Atlantique appelée à devenir centrale sur la scène internationale est en cours. La récente adoption par l'UE d'un Fonds européen de défense doté de 500 millions d'euros permettant " à l'Union de s'équiper des armements les plus modernes sans plus avoir à dépendre des États-Unis ou de quiconque. A moyen terme, c'est vers une industrie d'armements commune, sur le modèle d'Airbus, que les Européens marchent ainsi et les retombées de cet effort seront multiples " Bernard Guetta, radio France Inter (5), n'en est que la dernière expression pratique.

Face à ces nécessités historiques objectives, la bourgeoisie française a réussi son coup faisant preuve d'une grande maîtrise politique (ce qui n'est pas toujours son cas), et a donné ainsi un exemple pour l'ensemble des classes dominantes, tout particulièrement européennes. Voilà ce qui explique l'impact international de la venue au pouvoir de Macron. Loin des discours précédant les élections sur le danger incontrôlé du soi-disant populisme d'extrême-droite - comme si le fait qu'un pourcentage important d'ouvriers "cols bleus" vote pour une droite autoritaire était quelque chose de nouveau et d'irrationnel (6) qui illustrerait une perte de contrôle de la bourgeoisie -, la classe capitaliste (surtout des pays centraux du capitalisme) sait très bien s'appuyer sur les expressions des contradictions de son système, crise économique en particulier, pour les utiliser et les retourner contre le prolétariat tant au plan économique que politique.

Il ne s'agit pas pour autant de croire à un état-major réuni dans les palais gouvernementaux ou appartenant à un ou des "think-tank" qui régirait et dicterait sa volonté à partir d'un plan machiavélique, voire d'un complot. La théorie marxiste, c'est-à-dire la théorie révolutionnaire du prolétariat, la méthode du matérialisme historique, permet de comprendre comment les nécessités objectives dues à l'aggravation des contradictions du capitalisme contraignent chaque capital national à prendre telle ou telle décision pour survivre sur la scène impérialiste et imposer au prolétariat révolutionnaire une exploitation du travail chaque fois plus dure. Encore lui faut-il trouver aussi un personnel politique qui soit en capacité de mettre en œuvre l'adaptation des politiques et des appareils étatiques aux nouvelles situations ; c'est-à-dire aux nouvelles contradictions de tout ordre et importance qui en découlent. Comme tout processus contradictoire, le choix des équipes politiques ou des décisions peut s'avérer ne pas être le meilleur possible - on peut en discuter dans le cas du choix de Trump et de la décision du Brexit - mais c'est justement le propre des bourgeoisies les plus expérimentées et les plus puissantes de "faire avec" et de retourner les effets de faiblesse que certains choix peuvent présenter en une nouvelle force.

Face à Trump, la relance de l'Union Européen ne passe par l'affrontement avec le prolétariat en France

Pour défendre sa place comme puissance au niveau international, c'est-à-dire impérialiste, la France ne peut le faire qu'en alliance avec l'Allemagne dans le cadre de l'Union européenne - voire autour d'un "noyau dur" de celle-ci. La gravité de l'impasse économique depuis la crise de 2008 et les impératifs impérialistes qui en découlent (Trump, Brexit, etc.) l'y contraignent. Qu'elle en soit totalement consciente ou non ; que des fractions en sein en soient conscientes ou non. Les nécessités du capital dictent leur loi et s'imposent, directement ou bien plus souvent indirectement. Pour pouvoir assumer le développement d'une alliance solide et entreprenante avec l'Allemagne et l'Europe, la bourgeoisie française ne peut faire l'économie d'une confrontation et d'une "mise à niveau" des conditions d'exploitation de son prolétariat national à celui requis pour la concurrence commerciale internationale (7). Aussi détériorées sont-elles déjà par rapport au passé, la réduction drastique des conditions de vie et de travail des prolétaires français - la soi-disant " libéralisation du marché du travail " -, au niveau du prolétariat européen, allemand en particulier, est aujourd'hui un impératif non seulement pour faire face à la crise économique mais aussi pour les nécessités impérialistes : c'est-à-dire pour l'émergence d'un pôle impérialiste européen autour de l'Allemagne en capacité de rivaliser sur la scène impérialiste, en particulier au plan militaire et diplomatique. De son côté, la bourgeoisie allemande sait très bien qu'une France affaiblie diminuerait d'autant l'expression de ses intérêts impérialistes, indépendamment du fait que le capital français puisse mieux rivaliser avec elle sur le plan commercial, en limitant l'émergence et le dynamisme d'un pôle européen autour d'elle.

Voilà aussi pourquoi elle attache tant d'importance à ce que la classe dominante française accomplisse "les réformes structurelles" de son marché du travail. C'est le prolétariat européen qui paiera pour les premiers 500 millions d'euros pour le Fonds européen de défense et les centaines de millions d'autres qui suivront pour développer l'industrie d'armement prévue. Voilà pourquoi il convient que le prolétariat français paie à hauteur des autres prolétariats européens.

Aujourd'hui, crise économique et guerre impérialiste (en tant que perspective et dynamique vers la guerre impérialiste généralisée) viennent directement impacter les conditions de vie du prolétariat international dans tous les pays. La situation politique française issue des élections qui est un succès pour la bourgeoisie n'en est pas moins une illustration concrète, pratique, de la contradiction de classe historique entre capital et travail, entre bourgeoisie et prolétariat, telle qu'elle s'exprime dans la situation historique actuelle.

Trump et le Brexit n'expriment pas une crise des bourgeoisies américaine et britannique

S'il est aujourd'hui clair depuis l'élection de Macron que la bourgeoisie française ne passe pas par une crise de son système politique, il en va en apparence autrement pour les cas britannique et américain. Du moins à en croire les médias de tous pays : la bourgeoisie anglaise serait complètement perdue devant le Brexit et l'américaine ne saurait comment se débarrasser du dangereux clown Trump. Or quel que soit le degré de division de la classe dominante américaine face au choix de Trump, son langage guerrier et provoquant correspond sur le fond à la situation d'affaiblissement historique des États-Unis aux plans économique et impérialiste et qui les mènent tout droit à être le principal acteur de la marche à la guerre impérialiste généralisée.

" Certes, les personnalités et le background politique peuvent jouer un rôle dans le cadre politique stratégique d'un gouvernement. Ils peuvent prendre des décisions sur des questions de politique étrangère et économique diverses suivant les situations intérieure et extérieure, mais aussi selon les inclinaisons personnelles résultant de positionnements politiques antérieurs. Mais c'est la pression des conditions économiques de vie du capital qui dicte les choix de fond, les stratégies à suivre, les recettes les plus opportunes pour faire face à ses crises et soutenir à tout prix ses nécessités de valorisation, que ce soit sur le front intérieur (...) ou bien sur l'international (...). Il est tout aussi certain qu'on peut se tromper en interprétant les nécessités du capital et en mettant en place des politiques économiques erronées et des stratégies internationales contre-productives. Mais il n'en reste pas moins que personne, pas même un président ou un gouvernement dignes de ce nom (...) ne peut s'abstraire des lois de vie et de survie du capital. Et à bien y regarder, la différence entre le mandat d'Obama et la nouvelle administration Trump, au- delà des différences évidentes de style et de capacité de communication, n'est pas si profonde : dans les deux cas, les deux administrations se sont mises au service de l'impérialisme américain en fonction des deux phases historiques que, pour simplifier le discours, nous définissons comme "avant et après la crise des subprimes" " Guerra in Siria e riposizionamenti imperialistici, Prometeo #17, revue theorique du PCint-Battaglia Comunista, le groupe italien de la Tendance Communiste Internationaliste (8), traduit par nous.

La décision du Brexit, sur lequel la bourgeoisie britannique pourrait facilement, par un nouveau référendum par exemple, revenir comme la France et les Pays-Bas l'avaient fait après la victoire du " Non " au référendum de 2005 sur le traité de Rome, est au contraire assumée par les principaux partis politiques malgré les difficultés immédiates de tout ordre. Sur le fond, du point de vue des intérêts impérialistes historiques du capitalisme britannique, il correspond à son opposition de toujours à une puissance européenne continentale et à son alliance de toujours depuis la 1ère guerre mondiale, et encore plus depuis la 2e, à l'impérialisme nord-américain. À ce titre, le Brexit exprime l'exacerbation de la contradiction propre à la bourgeoisie britannique partagée aujourd'hui entre l'Europe continentale et les États-Unis, et maintenant le choix du " grand large ", du fait même de l'exacerbation actuelle de l'antagonisme impérialiste historique entre l'Europe et l'Amérique du Nord ré-ouvert depuis la disparition de l'URSS. Et, à son tour, processus contradictoire lui-aussi, il vient exacerber encore plus cet antagonisme entre les deux rives de l'Atlantique. En dernière analyse, c'est bien sûr l'incapacité du capitalisme à dépasser la crise de 2008 et ses conséquences, la "stagnation" qui prévaut toujours et l'endettement généralisé sans cesse croissant, expressions immédiates des contradictions économiques insurmontables du capitalisme, qui, de manière indirecte, impose sa loi et exacerbe les contradictions de classe et d'ordre impérialiste.

Loin d'être politiquement affaiblie face au prolétariat, les principales bourgeoisies mondiales se préparent toutes à affronter encore plus violemment leurs propres prolétaires afin, dans un premier temps, d'assurer leur rang économique, politique et militaire au plan international, c'est-à-dire au plan des rivalités impérialistes ; et dans un second temps d'engager un combat à mort, massif et frontal, contre le prolétariat afin de lui infliger des défaites sanglantes ce qui lui ouvrirait la porte à la guerre impérialiste généralisée. Pour ce faire, elles se dotent, plus ou moins facilement car cela remet en cause les intérêts particuliers de certaines fractions économiques et politiques, d'outils et dispositifs politiques adaptés au mieux.

Pour le prolétariat et les révolutionnaires, croire que les bourgeoisies les plus expérimentées et les plus puissantes au monde seraient en crise politique représenterait un certain danger : s'illusionner sur les potentialités du prolétariat et la facilité du combat de classe, voire l'inéluctabilité de sa victoire. L'expérience historique, en particulier en 1918-1919 en Allemagne, nous enseigne que cette illusion peut vite se transformer en tragédie et catastrophe. Le fil conducteur pour la compréhension de l'évolution des situations ne se trouve pas dans le suivi immédiat de la crise économique, dans ses hauts et ses bas, dans la récession ouverte ou la reprise par exemple, mais dans le processus guidant l'évolution du rapport de forces entre les classes qui, en dernière instance (et non pas de manière directe ou mécanique), est déterminée par la crise. Croire par exemple que l'incapacité de la bourgeoisie à sortir et à dépasser les effets de la crise de 2008 provoquerait mécaniquement une crise politique des systèmes politiques des principales bourgeoisies mondiales, en particulier avec l'émergence incontrôlée d'une extrême droite fascisante, nous semble une voie erronée et dangereuse.

Les enjeux sont clairs, du moins pour les prolétaires les plus combatifs et conscients et les révolutionnaires. Il leur revient d'assumer ces affrontements inévitables en s'y préparant dès aujourd'hui. Les premiers en se regroupant en comité de lutte ou de mobilisation, en particulier lors des luttes, pour pouvoir combattre de manière organisée et collective les sabotages syndicaux et les pièges politiques que les gauches radicales, tel Mélenchon, ne manqueront pas de leur opposer. Les seconds en cherchant à se regrouper, non pas formellement en soi, mais en assumant les débats et les confrontations politiques autour des groupes révolutionnaires en général, et communistes en particulier et en participant aux interventions de ces derniers dans les luttes ouvrières, y compris dans les luttes et le comités de lutte ou de mobilisation. Aux deux en se retrouvant dans les luttes pour pouvoir se rejoindre et unir leur efforts. Sans regroupement et organisation des différentes minorités - minorités constituant de fait une "avant-garde politique" - à la fois pour assumer les combats immédiats dans les luttes et à la fois pour assumer les combats politiques et même théoriques en vue de la préparation du parti politique de classe indispensable à la confrontation historique unie contre les États capitalistes, le prolétariat international se laissera entraîner et tromper par les Mélenchon et autres qui vont fleurir un peu partout avec le développement universel des confrontations massives entre les classes.

Telle est aussi la signification internationale du résultat des élections françaises.

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1 . " La poussée électorale puis la victoire de Macron ne peuvent pas être mises sur le compte des médias, comme s'il s'agissait d'un effet de mode, d'une sorte d'engouement passager envers un jeune premier. Au-delà des contingences et des péripéties diverses, elles s'expliquent par l'usure, la perte d'efficacité, en un mot l'incapacité croissante de la "vieille politique", comme disent les Macronistes, à répondre aux besoins généraux du capitalisme français " (Bilan des élections présidentielles : recomposition du théâtre politique bourgeois pour mieux défendre le capitalisme, Le Prolétaire #524, www.pcint.org).

2 . On peut relever en passant que la majorité parlementaire de Macron de 308 sièges sur 577, soit 53% des députés, a été élue avec 16,5% du corps électoral, c'est-à-dire sans compter les 10% estimés de " citoyens " français pouvant voter mais n'étant pas inscrits sur les listes électorales et, donc, ne faisant pas partie de ce " corps électoral ".

3 . http://www.latribune.fr/economie/legislatives-2017/melenchon-elu-pour-la-premiere-fois-a-l-assemblee-se-pose-en-chef-de-la- resistance-sociale-740648.html

4 . " Sur le Commerce comme sur la Défense, l'Union évolue. C'est aussi bien dû aux incertitudes internationales crées par Donald Trump, le Proche-Orient et Vladimir Poutine qu'à une volonté des dirigeants nationaux de combler le fossé qui s'est élargi entre les Européens et l'Europe. L'Union est, oui, sur une nouvelle ligne de départ et cela est si net que Mme Merkel vient de se dire ouverte aux idées françaises de renforcement de la zone euro avec instauration d'un ministère des Finances et d'un Budget communs permettant d'envisager ensemble des investissements structurels. Elle ne s'est pas montrée plus précise mais elle devrait l'être après les élections allemandes du mois de septembre. " (Bernard Guetta, radio France Inter, https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-21-juin-2017). Même si cet éditorialiste éminent et reconnu des médias français, ancien trotskiste de la LCR au demeurant, est depuis longtemps un des plus fervents partisans de l'Union européenne, il n'en reste pas moins que ses analyses reflètent assez fidèlement les débats et réflexions au sein de la bourgeoisie.

5 . https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-21-juin-2017

6 . Dans les années 1960 et les décennies qui les ont suivi, il y avait déjà autour de 30% d'ouvriers qui votait pour De Gaulle et la droite nationaliste et autoritaire qu'il représentait. Le vote des " cols bleus " en faveur de Marine Le Pen est de ce point de vue moins important que celui pour De Gaulle dans les années 1960... juste avant et après la grève massive de mai 1968. Aux États- Unis, " dans les élections de 1980 et 1984, Reagan avait rassemblé 61% des votes de la classe ouvrière blanche comparé aux 35% pour ses opposants démocrates, Jimmy Carter and Walter Mondale " (The Decline of the White Working Class and the Rise of a Mass Upper Middle Class, Ruy Teixeira, Brookings Working Paper, April 2008, traduit par nous, https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/04_demographics_teixeira.pdf). Rien de nouveau donc, ni de qualitativement différent, dans le vote " blue collar " pro-Trump contrairement aux campagnes médiatiques sur le sujet.

7 . " La France n'aura aucune capacité motrice si elle ne porte pas un discours clair et un regard lucide sur le monde. Mais elle ne l'aura pas non plus si elle ne renforce pas son économie et sa société. C'est pourquoi j'ai demandé au gouvernement d'enclencher les réformes fondamentales qui sont indispensables pour la France. Notre crédibilité, notre efficacité, notre force sont en jeu. Mais la force de quelques-uns ne peut pas se nourrir longtemps de la faiblesse des autres. L'Allemagne, qui s'est réformée il y a une quinzaine d'années, constate aujourd'hui que cette situation n'est pas viable. Mon souhait est donc que nous puissions construire une force commune. Ma méthode pour le couple franco-allemand est celle d'une alliance de confiance. (...) Mais l'Allemagne est lucide sur les limites d'une action qui ne soit pas pleinement européenne, notamment en matière d'intervention militaire. Elle sait que notre destin est redevenu tragique. Elle a besoin de la France pour se protéger, pour protéger l'Europe et assurer notre sécurité commune. " (Interview d'Emmanuel Macron à plusieurs journaux européens du 21 juin, nous soulignons, https://www.letemps.ch/monde/2017/06/21/emmanuel-macron-leurope-nest-un-supermarche-leurope-un- destin-commun).

8 . Nous invitons nos lecteurs à prendre connaissance de cet article, malheureusement seulement en italien à l'heure où nous écrivons, qui rejette l'idée que l'élection du clown Trump représenterait une perte de contrôle, voire une crise, de la bourgeoisie américaine, mais correspondrait plutôt à une adaptation à la situation ouverte " avant et après la crise " de 2008. Même si cet article n'utilise pas exactement les mêmes arguments que nous, en particulier il met plus d'insistance que nous sur le lien direct entre nécessité d'ordre " " économique " et décisions politiques, la méthode d'analyse utilisée rejoint la nôtre ce qui n'est pas pour nous surprendre, chacun cherchant à appliquer le matérialisme historique pour l'analyse et le suivi des situations : http://www.leftcom.org/it/articles/2017-05-30/guerra-in-siria-e-riposizionamenti-imperialistici

Jamais les anarchistes n'ont été autant décriés, divisés et récupérés. Chez les altermondialistes ou activistes, tout le monde se dit plus ou moins libertaire. Être anarchiste est une pratique, mais l'anarchisme, en tant qu'idéal, est une idéologie gauchiste, doctrine d'une élite d'illuminés qui prêchent l'unique vérité qu'eux seuls possèdent, pour convaincre, convertir en adeptes de leur révolution, spécialistes éclairés d'une vérité auto-proclamée.

Les prolétaires n'accepteront jamais d'être représentés par des élites bureaucratiques éclairées, à prétention révolutionnaire, qui impose la dictature de leur vérité sur un peuple qu'il considère ignorant. La dictature du prolétariat est une escroquerie, une arnaque dont le seul but est de récupérer le mouvement révolutionnaire au profit d'un parti censé le représenter, et d'imposer la dictature des dirigeants de ce parti sur un prolétariat berné par ses propres représentants. Le pouvoir accaparé par cette nouvelle classe de bureaucrates, servira à instaurer leur domination sur un prolétariat écrasé par l'instauration d'un capitalisme d'État. La dictature du parti est la dernière arme de la bourgeoisie pour anéantir la révolution.
Le prolétariat est la seule classe sociale qui peut abolir toutes les classes en faisant disparaître toute domination et tout esclavage par sa propre dissolution dans l'auto-organisation de l'émancipation de l'humain. Il est stupide et dangereux de croire que la libération de l'humanité pourrait se réaliser par une soumission à une dictature. Le seul but du prolétariat est sa propre destruction en tant que classe d'esclaves et d'exploités pour la délivrance et la désaliénation de tous. Chacun devient son propre pouvoir qu'il coordonne avec les autres, car toute autorité est un abus de pouvoir.

Les idéologues gauchistes néo-léninistes récupèrent les intuitions et actions des mouvances révolutionnaires en les vidant de leur substance vitale subversive pour qu'elles servent d'arguments conceptuels à la gestion du désastre et à la conservation du système Étatique qu'ils n'envisagent même pas de renverser, si ce n'est qu'avec des notions abstraites qui ont perdus tout leur sens pratique, des représentations qui n'ont plus d'actions réelles pour se concrétiser, et le tout dans un style confusionniste prétentieux.

Les anarchistes se battent contre toute autorité hiérarchique, contre toute uniformisation idéologique, contre toute croyance prédictive, tout modèle à reproduire, toute planification néo-capitaliste à suivre sous prétexte de réalisme. La liberté ça ne s'impose pas, ça se construit collectivement dans l'égalité générale !

Nous n'avons pas besoin de majorité pour agir. Cette règle simplificatrice, fondement de la pseudo-démocratie bourgeoise, est une fabrique d'opposants et d'exclus. L'action, comme l'expression, n'a pas à restreindre ses libertés de mouvement dans une uniformisation contraignante. Agir et s'exprimer devrait être multiforme pour respecter la liberté de chacun, et s'enrichir en se renforçant de la diversité dans une mouvance complexe coordonnée. Le rassemblement de nos différences qui s'en mêlent et s'entremêlent au coeur des débats et des ébats, a des capacités bien plus grandes que la somme de ses composantes séparées les unes des autres. Lorsque la richesse multiple de ces interactions franchit un certain seuil, le mouvement global produit de façon discontinue de nouveaux comportements d'ensemble tout à fait imprévisibles. Notre éclectisme est notre force vitale.

Passant du désir au plaisir de changer ensemble, le recadrage de nos points de vue, décalés dans l'invention d'un futur désirable, un devenir réalisable, change notre interprétation des situations. En modifiant ainsi les règles du jeu par débordement et détournement, ne respectant plus les codes ni les modes, nous augmentons le nombre des choix possibles, créant de nouveaux espaces de liberté. Cela nous permet d'utiliser les vertus de nos défauts, et ainsi débloquer l'accès à nos ressources en sommeil. Alors le bricolage opératoire se substitue aux croyances réductrices autoritaires, l'agitation contagieuse renverse les situations critiques.

Un anarchiste n'a aucun principe à suivre, aucune ligne de conduite à respecter, aucun mode de vie à adopter, chacun est libre et responsable de ses choix envers les autres, tout est discutable à tout moment. L'amour, le plaisir, la paraisse, le jeu sur les règles du jeu, le détournement, la ridiculisation et le discrédit du spectacle et de la pub, l'irrespect de l'autorité et des interdits... sont autant de pratiques anarchistes nécessaires à un renversement de perspective et indispensables à l'irruption insurrectionnelle d'un mouvement révolutionnaire.

Anarchiste n'est pas une étiquette, une identité, un logo ou un drapeau, mais bien une pratique vivante auto-organisatrice antiautoritaire d'une personne particulière dans ses expérimentations individuelles et collectives, qui la rend autonome, sociale et toujours ingouvernable.

Covid-19, fin de partie
Des hommes, des femmes, simples, anonymes, 2012

Santé, éducation, logement, travail : ils sélectionnent, ils confisquent, ils rentabilisent, ils concurrencent, ils privatisent, ils pillent, ils exploitent, ils cassent, ils brisent. De là, ils sélectionnent, confisquent, rentabilisent, concurrencent, privatisent, pillent, exploitent, cassent, brisent, nos propres vies. La crise pour ceux qui la subissent est une mise à mort sociale, la crise pour ceux qui la décrètent est un mode de fonctionnement financier.
S'indigner individuellement, c'est bien. Se révolter collectivement, c'est mieux.

LA CRISE ? LE CAPITALISME

Un système régit le monde, le capitalisme. Un système dont la crise est le principe de fonctionnement, le capitalisme. "Crise du chômage", "crise du logement", "crise de la consommation", "crise du plein-emploi", "crise du pétrole", "crise alimentaire", "crise humanitaire", "crise financière", "crise boursière", "crise sociale", "crise économique", "crise politique", "crise culturelle", "crise énergétique", "crise écologique", tel est le mode même du développement du capitalisme à travers l'histoire. Le capitalisme régit le monde, depuis deux siècles. Le capitalisme n'est autre que la loi du Capital. C'est-à-dire de la puissance financière, et le pouvoir de ceux qui la détiennent. Le capitalisme est un système qui divisent le monde entre ceux qui détiennent la puissance financière, et ceux qui y sont soumis.

Ils nous parlent maintenant de "crise planétaire", de son urgence, de sa menace, de son irréversibilité, de sa fatalité. Spectaculaire, foudroyante, implacable. Ce n'est pas la première, ce n'est pas la dernière. Davantage, la crise planétaire est le mode continu du capitalisme.
Le capitalisme régit le monde, divisé entre ceux qui détiennent la puissance financière et ceux qui y sont soumis. Deux langages, deux logiques de nécessités, deux classes. Le capitalisme divise le monde en deux logiques : celle du profit, de la stabilité de la puissance, de l'accroissement du pouvoir, de la maximisation de la rentabilité; et celle de la vie, de la stabilité à se nourrir et se loger, de la maximisation de l'ordre de la nature, des nécessités humaines.

Le capitalisme détruit le monde. L'économie de profit et la logique de la puissance financière saccagent écosystème et vies humaines. Le capitalisme soumet le monde aux lois du Capital, et l'assassine. Le capitalisme est un système de mort. Où il faut mourir pour lui : la nature, l'individu, des écosystèmes entiers, des peuples entiers.

Les dernières "grandes crises planétaires", périodes nommées comme telles, celles du krash boursier de 1929 et du krash pétrolier de 1973 ont rendu possible et justifié les pires dictatures et les plus monstrueuses des guerres. Cette nouvelle "grande crise planétaire" depuis le semi-krash boursier de 2008 est en train actuellement de rendre possible et de justifier les pires dictatures et les plus monstrueuses des guerres. Mais depuis deux siècles de capitalisme, de crise continue, il n'y a finalement qu'une seule dictature et une seule guerre : la dictature du profit, du pouvoir, de la puissance financière, du Capital; et la guerre entre les nécessités financières et les nécessités humaines, entre la classe des puissants et la classe de ceux qui travaillent pour eux, entre la classe qui détient le pouvoir financier et la classe de la masse populaire qui lui est soumis.

Depuis deux siècles, la seule réalité planétaire est celle d'une guerre de classe. Une guerre entre la vie et la finance, entre l'humain et le profit, entre la nature et la statistique. La situation actuelle, en 2012, pour chaque quartier, chaque ville, chaque pays, chaque continent n'est qu'un écho plus retentissant encore de la réalité sociale mondiale, de deux siècles de crise continue planétaire : un monde, deux classes, une guerre.

LEUR CRISE, NOTRE AUSTÉRITÉ

Dettes bancaires, bourses déstabilisées, déroute économique, toutes les formules officielles sont bonnes pour amener la nécessité financière d'une "restructuration générale", qui n'est autre qu'une offensive violente du capitalisme pour se régénérer. Le capitalisme ne se régénère que par la casse sociale et l'écrasement de vies humaines. Comme il l'a toujours fait.

Tout commence par des licenciements, des augmentations et créations de taxes, des coupes budgétaires, des pertes de subventions, des privatisations, des délocalisations, de manière graduelle avec l'apparence de phénomènes isolés. Puis on se rend compte de la cohérence précise et calculée de cette casse sociale qui va jusqu'au génocide social. C'est ce qui se passe actuellement en Grèce, où les offensives du Capital se sont multipliées et violemment durcies depuis 2008. La dette de grandes banques et des pertes boursières ont affamé tout un peuple qui meurt lentement de notre passivité internationale et de la répression d'Etat locale.
L'Etat a effectivement une souveraineté, qui n'est pas une souveraineté populaire mais une souveraineté policière. L'Etat a pour seule fonction de maintenir l'ordre, par tous les moyens qu'il jugera nécessaire, pour permettre les mesures d'austérité de s'implanter sans discussion contre l'ensemble de la population. Ces mesures d'austérité obéissent aux nécessités du Capital.

En cette période décisive se joue en Grèce un basculement. Un basculement irréversible et irrémédiable. Un basculement politique.
Les puissants de ce monde, et en particulier de l'Europe, la Troïka, qui ne sont pas les gouvernements ou les partis mais l'appareil d'Etat en lui-même et le pouvoir financier, prétextent la " crise " pour déployer des " mesures d'austérité " et autres " plans de rigueur " pour se " serrer la ceinture " et en sortir. La crise est un fait. C'est le mode de fonctionnement de leur système et de leur régime, le capitalisme. Un capitalisme qui n'est ni " sauvage " ni " ultra ", ni " virtuel " ni " inhumain ", ni "néo-libéral" ni "démocrate". C'est le capitalisme, c'est tout. Régime et système des puissants, de la finance et des marchés, des patrons de multinationale et des bourses. Ce monde-là n'est pas le nôtre. Ce qui nous importe à nous est de nourrir nos familles et de vivre avec décence et dignité, d'avoir des enfants et de pouvoir se loger, se vêtir, et se subvenir. Ce monde nous le permet par mérite et par chantage, par menaces et par compétition, par isolement et par sélection.

Aujourd'hui, leurs finances sont en "crise". Ce monde-là n'est pas le nôtre. Cette crise n'est pas la nôtre. C'est la crise de leur régime, de leur système, de leurs finances et de leurs multinationales. Ces riches et patrons si puissants, invisibles de notre quotidien, ont bâti leur pouvoir sur notre labeur et sur la spéculation virtuelle de leurs bourses folles à partir de notre travail. Ces riches et patrons si puissants voient leur pouvoir vaciller dans les rouages qui sont les leurs, et nous imposent à nous d'accroître notre labeur, de se plier davantage à leurs chantages et menaces. Ces riches et patrons, ces bourses et marchés, veulent sauver leur puissance sur nos vies, nos enfants, nos toits. Pour sauver leur puissance en déroute, ils nous écrasent, nous affament, nous exterminent. Et si nous ripostons avec tant soit peu de force, ils nous répriment, nous fichent, nous matraquent, nous emprisonnent.

Aujourd'hui plus que jamais, ils font des premiers exclus et des premiers écrasés de cette logique et de ce régime l'alimentation fondamentale de nos peurs. Ils fabriquent des ennemis. Ils inventent des boucs-émissaires. Ils façonnent la prétendue " cause " de cette situation. Auparavant, cela a été " le juif ", " le bolchevique ", " l'homosexuel ", " le fou ", " l'inutile ", façonnés en ennemi intérieur et extérieur, et finalement en " sous-homme ". Tout génocide est un génocide social. Toute extermination est une extermination sociale. La " crise " de 1929 a amené au nazisme, au franquisme, au fascisme. Aujourd'hui, de nouveau, plus de 80ans après la " grande crise " de 1929, voici de nouveau une dite " grande crise ". Européenne, mondiale, planétaire. Et aujourd'hui, de nouveau, plus que jamais, ils font des premiers exclus et des premiers écrasés de cette logique l'alimentation fondamentale de nos peurs. Ils fabriquent des ennemis. Ils inventent des boucs-émissaires. Ils façonnent la prétendue " cause " de cette situation. A présent, ils parlent de " l'immigré ", de " l'arabe ", de " l'islamiste ", du " chômeur fainéant ", de la " racaille de banlieue ", du " profiteur étranger ", du " terroriste ", de " l'inutile ", du " peuple grec fainéant ", du " peuple grec lâche ", façonnés en ennemi intérieur et extérieur, et progressivement en " sous-homme ". Justifiant progressivement les prochaines exterminations. Et toute extermination est sociale. Justifiant progressivement l'avènement déjà en cours de " l'Occidentisme ", de " l'Européanisme ", du fascisme.

Aujourd'hui, "c'est la crise", disent-ils. C'est l'heure à nouveau d'une période de violente régénération du capitalisme. La crise, le mode de devéloppement du capitalisme. Sur l'écrasement de nos vies.

Pour sauver leur pouvoir, les puissants doivent écraser la réalité humaine et la réalité de la vie. Pour sauver sa puissance, le capitalisme doit écraser l'humain et le vivant. Au début, c'est l'augmentation du chômage, jusqu'à être la réalité de plus de la moitié d'une population entière. C'est l'augmentation des taxes, des impôts et des factures. C'est l'augmentation des ressources d'énergie, des loyers et des denrées alimentaires. Simultanément ou par la suite, c'est la destruction de toute protection sociale. C'est les coupures budgétaires puis la fermeture stricte des hôpitaux, des écoles et des foyers d'accueil. C'est l'abolition de notre droit à la retraite, de notre droit à un toit, de notre droit à nous vêtir et nous nourrir. De notre droit à avoir des enfants et de vivre. Dans ce monde, cela relève effectivement de notre " droit ". Mais ce monde détruit ces " droits " et les transforme en " devoirs ", par la menace et le chantage, par la peur et l'isolement. " Devoir " de travailler davantage pour moins de revenus, " devoir " de payer soi-même ses médicaments si l'on en a les moyens, " devoir " de payer plus cher notre nourriture et notre loyer, " devoir " de dénoncer " l'immigré clandestin " ou le " terroriste islamiste ", " devoir " de ne pas faire grève et de la dénoncer en " prise d'otage ", " devoir " de consentir voire d'applaudir la répression menée en guerre intérieure contre les affamés s'ils osent se défendre dans la rue, " devoir " de respecter avec silence le déploiement d'hélicoptères au-dessus des familles de banlieues, " devoir " de se résigner à la diminution des professeurs et instituteurs, " devoir " se résoudre aux contrats précaires et à la baisse voire l'abolition du salaire minimum. Au final, " devoir " accepter le diktat des riches et des puissants, ce monde en "crise", cette "crise" de leur régime, de leur système, de leurs finances et de leurs multinationales. Du capitalisme.

Et si l'on refuse ce chantage, cette peur, cette menace, cette crise, ce monde, ce capitalisme ; si l'on refuse de travailler dans l'espoir strict de ne pas mourir de faim ou de froid ; si l'on refuse cette urgence et cette angoisse permanentes et écrasantes comme nouvelles règles de vie, comme équilibre de survie : celle de nos familles, de nos enfants, de nous-mêmes, alors c'est le fichage, le contrôle, la surveillance, la police, la prison, l'armée. Alors c'est le fascisme.

Aujourd'hui, voilà ce qui se passe en Grèce. En Grèce, les mères abandonnent leurs enfants parce qu'elles n'arrivent plus à les nourrir. En Grèce, les migrants sont arrêtés par milliers dans de grandes rafles de rue et emmenés dans des centres de rétention d'où ils sont renvoyés sans un sou dans des pays en guerre. En Grèce, la police se militarise et occupe toutes les grandes avenues et rues de la capitale athénienne, équipés de boucliers et de casques, parfois de fusils- mitrailleurs, à grands renforts de bus blindés et de patrouilles de motos " voltigeurs ". En Grèce, des milliers de personnes abandonnent leurs appartements ou maisons aux loyers maintenant trop élevés et vivent dans des dizaines de " campements de pauvres " autour d'Athènes. En Grèce, des enfants affamés livrés à eux-mêmes sillonnent par trois ou cinq les grandes rues hostiles de la capitale, quémandant pièces ou bouts de pain en échange d'un paquet de mouchoir ou d'une mélodie à l'accordéon. En Grèce, des dizaines de milliers de foyers ont leur électricité coupée, faute de ne pas avoir payé des factures exorbitantes. En Grèce, 52% de la population ne trouve pas de travail et est condamnée au chômage forcé, tandis que 1 270 000 travailleurs (en février 2012) qui ont pu garder leur poste ne sont tout bonnement plus rémunérés du tout depuis cinq mois. En Grèce, il n'y a plus ni médicaments dans les hôpitaux, ni livres d'étude dans les écoles ; ni personnels dans les foyers d'accueil, ni nourritures abordables dans les supermarchés. En Grèce, la police tolère et protège le marché noir d'héroïne qui isole et tue des milliers de personnes se shootant de désespoir sur les trottoirs ; des centaines de " nouveaux " chômeurs expulsés de leurs foyers occupent des places entières devenues campements de la misère.
En Grèce, les gens meurent, de faim, de froid, de drogue, de solitude, de répression, de désespoir, de misère.

Aujourd'hui, ce qui devient un dernier point d'arrivée en Grèce est le nouveau point de départ ailleurs. En Espagne. Au Portugal. En Italie. En Islande. En France. Et vont suivre la même chute infernale pour tous et chacun, étape par étape, graduellement ou en accéléré, imposée par les nécessités propres des puissants, de cette crise, de ce monde en crise, du capitalisme.

Mais aujourd'hui, en Grèce, le peuple refuse. Familles, pères, mères, frères, sœurs, parents, proches, amis, voisins, collègues, travailleurs, précaires, chômeurs, étudiants, lycéens, exploités, humiliés, tentent une nouvelle fois de résister. De se lever. De se solidariser. De s'organiser par eux-mêmes. De se confronter à la police. De faire grève. D'occuper leurs lieux de travail. D'occuper et paralyser mairies, hôtels de ville et préfectures. De tenir. De vaincre. Contre les nécessités propres des puissants, de cette crise, de ce monde en crise, du capitalisme.

Aujourd'hui, en Grèce, des hommes, des femmes, simples, anonymes, veulent défendre leur humanité et leurs vies. Aujourd'hui, en Grèce, des hommes, des femmes, se battent pour cela. Un homme, une femme, qui veut vivre aujourd'hui en Grèce, est un homme combattant, une femme combattante. Pour soi, ses proches, ses enfants.
En cette période décisive se joue en Grèce un basculement. Un basculement irréversible et irrémédiable. Un basculement politique. Des hommes, des femmes, simples, anonymes, se battent, par centaines, par milliers, par centaines de milliers. Descendent dans la rue. Affrontent la police. Occupent leurs lieux de travail. Font grève des loyers et des factures. Pillent les supermarchés. Occupent et paralysent les lieux de pouvoir. Constituent des Comités de Quartiers. Envahissent et occupent des immeubles vides. Occupent les ministères. Occupent les hôtels de ville. Occupent les mairies. Laissent les banques s'effondrer. Assiègent le Parlement. Tentent de s'auto- organiser, de se réapproprier de manière autogestionnaire leur outil de travail.

POUR SOI, SES PROCHES, SES ENFANTS

Et des personnes meurent, des jeunes meurent, des mères meurent, des chômeurs meurent, des migrants meurent, des enfants meurent. Le peuple meurt de faim, de matraques, de froid, de grenades explosives, de solitude, de lacrymogènes asphyxiants, de désespoir, de voltigeurs.
La " crise " de 1929 a amené au nazisme, au franquisme, au fascisme. Qui ont vaincu et régné sur la répression de révolutions et la mort de peuples entiers. Et un premier régime fasciste vainqueur de la mort d'une révolution et d'un peuple entier justifie la victoire et le règne de tous les régimes fascistes. Franco a vaincu et régné sur la mort de la vague révolutionnaire de 1936 en Espagne. Hitler, Pétain, Mussolini, Staline ont vaincu et régné par la victoire et le règne de Franco. Le fascisme européen a vaincu et régné sur le fascisme espagnol, qui fut le dernier à mourir.

DE LEUR CRISE À NOTRE AUSTÉRITÉ
DE NOTRE AUSTÉRITÉ À NOTRE RÉSISTANCE

Nous nous adressons à tous et chacun, de ceux qui cherchent du travail ou en ont un, de ceux qui veulent s'en sortir ou qui croient s'en être sortis, de ceux qui craquent dans les Pôle Emploi ou craquent de leurs conditions de boulot, de ceux qui n'ont pas le temps de rêver ou de ceux qui n'en peuvent plus du rêve marchandisé, de ceux qui galèrent déjà à nourrir leur famille ou de ceux qui n'osent pas avoir d'enfants en ayant déjà du mal à se nourrir eux-mêmes, de ceux pris dans la routine sans fin du travail ou de ceux pris dans la routine sans fin de la recherche de travail, de ceux à qui on reproche de vivre au-dessus de leurs moyens ou de ceux qui n'ont pas du tout de moyens ni de vie, de ceux qui n'ont pas de travail en étant sur-diplômés ou de ceux qui n'ont pas de travail sans aucun diplôme, à tous et chacun donc qui veulent s'en sortir et vivre avec le minimum de décence.

Nous nous adressons à tous et chacun, effrayés ou ignorants de ce monde qui s'embrase, sympathisants ou fuyants de ce monde qui s'effondre, assommés de mots quotidiens martelés par des gens inconnus derrière l'écran de la télé d'Etat, tels "crise", "sécurité", "stabilité", "catastrophe", "chômage", "insécurité", "urgence", "désastre", "économie", "bourses", "marchés", qui s'alternent dans l'indifférence médiatique avec "football", "stars", "people", "nouvel écran plat". A tous ceux qui n'ont pas le temps de parler avant qu'on parle à leur place. A tous ceux qui n'ont pas le temps de vivre avant qu'on les détermine à leur place. A tous ceux qui craquent et à qui on parle comme des enfants attardés.

Depuis 2008 et les nouvelles offensives, toujours plus violentes, du Capital à travers le monde, de nouveaux élans de résistance populaire se confrontent à la bourgeoisie régnante et à l'Etat répressif. La spirale des troubles et de cette guerre de classe a commencé dans le "monde arabe" avec les révolutions en Tunisie, Egypte, Lybie, Bahrein, Syrie, qui continuent encore. Pour balayer tous leurs ennemis. Elle a touché les Etats-Unis de "Occupy Wall Street" à "Occupy Oakland" et l'Europe où le massacre capitaliste des peuples a commencé en Grèce.

A mesure que la crise et la casse sociale s'aggravent, des villes s'embrasent et la révolte s'étend. En huit mois, de l'été 2011 au printemps 2012, les capitales européennes des pays les plus touchés socialement ont brûlé : Londres du 6 au 11 août 2011, Rome le 15 octobre 2011, Athènes le 12 février 2012, Barcelone et Madrid le 29 mars 2012.
La grève générale illimitée reste la première arme révolutionnaire de notre classe. C'est la seule arme qui peut faire changer la peur de camp : par le blocage de leur économie, l'expropriation des richesses et la réappropriation des outils de travail, alors c'est la bourgeoisie qui a peur et nous envoie toutes leurs polices.

UN MONDE, DEUX CLASSES, UNE GUERRE

Il n'y a pas de "vous", il n'y a pas "les autres", il n'y a pas "c'est la vie", il n'y a pas "là-bas", il n'y a pas "de toute façon", il n'y a qu'un nous. Nous. Nous qui travaillons et galèrons, nous à qui "les fins de mois" est une question quasi- existentielle, nous qui sommes des hommes, des femmes, simples, anonymes, qui voulons avant tout nous en sortir. Nous qui voulons avant tout nous nourrir, nous loger, nous vêtir, avoir des enfants sans nous sacrifier ni les sacrifier. Et nous sommes ces hommes, ces femmes, simples, anonymes, avant d'être des "clients", des "élèves", des "ménages", des "citoyens", des "consommateurs", des "actifs", des "inactifs", et nous avons des conditions de vie communes. Pour combler nos nécessités humaines, pour nous vêtir, nous loger, nous nourrir, subvenir nos enfants, nous devons travailler ou chercher du travail. Notre quotidien, nos conditions de vie sont communes : locataires pour nous loger, consommateurs pour nous nourrir et nous vêtir, salariés pour pouvoir être locataires et consommateurs. Ceux sans travail n'ont droit ni à se loger, ni à se vêtir, ni à se nourrir, ni à subvenir ces enfants.

Nous, c'est tous ceux qui se sont posés au moins une fois la question "comment s'en sortir ?". Dans chaque quartier, dans chaque ville, dans chaque pays, sur chaque continent, nous sommes la masse innombrable qui nous posons au moins une fois la question "comment s'en sortir ?".

Et dans chaque ville, dans chaque pays, sur chaque continent, il y a une poignée de personnes qui ne se sont jamais posés cette question. Une caste. Une oligarchie. Une classe séparée. Ils sont riches, l'ont toujours été et ne se posent que leur seule question possible : "comment être encore plus riche ?". Cette poignée de personnes, nous ne les croisons jamais dans notre quotidien, ils ne font pas partie de nos vies. Pourtant ce sont eux qui déterminent selon leurs nécessités propres et leur seule question toute la réalité quotidienne de nos vies. Ce sont les grands propriétaires, les PDG, les grands patrons, les multinationales, les directeurs banquiers, les chefs d'Etat, les ministres, les députés, les sénateurs, les préfets. Les puissants. Tous ceux-ci étant au service exclusif de ceux plus riches et plus puissants encore, les décideurs du monde, les décideurs du sort de la planète et de peuples entiers, et de nos vies particulières. Ces décideurs sont encore plus invisibles, n'ont ni nom ni visage, et ont créé toutes sortes d'instance en abréviation pour augmenter leur puissance et leur richesse, ces instances qui n'ont de sens réel pour nous que comme abréviation : FMI, OMC, UE, G8, S&P, BCE, CEE, ALENA, ONU, OCDE...

Il y a nous, la classe des exploités. Il y a eux, la classe des exploiteurs. Et il n'y a de rapport entre ces deux classes qu'un rapport de guerre.
Nous sommes ceux qui dès l'enfance parfois se demandent "comment s'en sortir", et ils sont ceux qui décident à notre place comment nous devons vivre et déterminent comment, à notre place, "s'en sortir". Selon leurs critères, leurs nécessités, leurs exigences : devenir plus puissant encore, devenir plus riche encore. Et à partir de là calculer, investir, écraser. Ces critères, ces nécessités, ces exigences, ne sont pas les nôtres. Les nôtres sont : se nourrir, se vêtir, se loger, subvenir nos enfants. Et à partir de là rencontrer, voyager, aimer.

Nous sommes ceux qui "sont payés", ils sont ceux qui "payent"; nous sommes ceux qui construisons, ils sont ceux qui se pavanent; nous sommes ceux qui produisons, ils sont ceux qui se goinfrent; nous sommes ceux qui travaillons, ils sont ceux qui se dorlotent; nous sommes ceux qui tenons le plateau, ils sont ceux qui se servent; nous sommes ceux qui cirons leurs chaussures, érigeons leurs palaces, gérons leurs dossiers, récurons leurs chiottes, administrons leurs rendez-vous, rédigeons leurs mémoires, médiatisons leurs débats, assurons leur sécurité, produisons leurs intérêts, suons leurs richesses, votons leurs puissances, applaudissons leurs discours, remercions leurs promesses, attendons leurs patiences, craignons leurs décisions, espérons leurs clémences, louons leurs propriétés. Nous sommes ceux qui travaillons, ils sont ceux qui décident, décrètent. Nous sommes ceux qui sommes licenciés, ils sont ceux qui le décident. Nous sommes ceux qui créons la richesse, ils sont ceux qui nous la confisquent. Nous sommes ceux qui construisons des maisons et des appartements, ils sont ceux qui les achètent. Nous sommes ceux qui payons des loyers, ils sont ceux qui décident de leur montant. Nous sommes ceux qui travaillons la terre et le pain, ils sont ceux qui les détiennent. Nous sommes ceux qui payons la nourriture, ils sont ceux qui décident des tarifs. Nous sommes ceux qui rendons possible la grande distribution, ils sont ceux qui décident des prix. Nous sommes ceux qui utilisons les transports en commun, ils sont ceux qui les rendent payants.

Nous sommes ceux qui étudions, ils sont ceux qui décident du contenu et de la valeur des études. Nous sommes ceux qui allons à l'école, ils sont ceux qui décident du contenu et de la valeur de l'éducation. Nous sommes ceux qui allons dans les hôpitaux, ils sont ceux qui décident des moyens et de la valeur de la santé. Nous leur appartenons. Nous sommes leurs esclaves-salariés. Les lois du Capital et de ceux qui le détiennent, la bourgeoisie, ont fait de nous depuis plusieurs siècles leur main d'oeuvre, un prolétariat.

Ils sont ceux qui détiennent les armes, nous sommes ceux qui les appréhendons. Ils sont ceux qui construisent les prisons, nous sommes ceux qui les remplissons. Ils sont ceux qui créent les frontières, nous sommes ceux qui les subissons. Ils sont ceux qui licencient, nous sommes ceux qui nous prenons des lacrymos pour oser l'avoir refusé. Ils sont ceux qui décrètent les guerres, nous sommes ceux qui y mourront.

Ils ont le monopôle de la violence et du jugement, nous n'avons que le droit d'être violentés et jugés. Ils nous divisent entre "violents" et "non-violents" alors que ce sont eux qui ont matraques et gaz pour nous réprimer tous. Leur violence est légale, la nôtre est légitime. Leur justice emprisonne, notre justice soude et libère. Leurs polices servent de justice, leur justice sert de paix. Si telle est leur justice, il n'y a pas de paix, mais qu'une terreur policière qui protège les riches. Si telle est leur paix, la police est partout et la justice nulle part.
Toute révolte est juste si elle ne se trompe pas d'ennemis. L'ennemi n'est pas le "pauvre", "l'arabe" ou la "banlieue" mais le riche et le puissant qui ont créé la pauvreté et le ghetto-banlieue et qui ont choisi d'y enfermer toute personne de couleur et anciens colonisés pour maintenir la division.

Avant d'être arabe, noir, blanc, nous sommes des gens qui voulons nous en sortir, soumis au même sytème qui créée de la peur entre nous pour se faire oublier. Le racisme est une arme des puissants, des riches et de l'État. Eux qui construisent les murs qui nous divisent et les impasses qui nous bloquent, les barbelés périphériques qui nous séparent et les polices qui nous sélectionnent.
La seule violence est celle de la puissance financière qui décide de nos vies. La seule violence est celle de l'Etat qui décide de notre valeur. La seule violence est celle de la police qui décide de notre "paix". Face à cela, toute notre résistance ne sera que défense et autodéfense.

Seuls l'État et le Capital anticipent notre colère, nous qui avons du mal à anticiper notre propre misère. Ils se dotent de toutes les armes possibles, qui tuent et assassinent de manière "non létale". Des lycéens perdent leurs yeux sous les balles en caoutchouc pour défendre leurs études, des "banlieusards" perdent leurs vies accusés d'être pauvres de couleur et "ex"-colonisés, des sidérurgistes perdent leur dignité par les coups de matraque pour défendre leur emploi, des personnes âgées et des enfants se font gazer pour défendre le droit à la retraite.
Guerre de classe, et nécessité fait loi. Nécessités humaines et naturelles contre nécessités économiques de profit et de puissance.

APPEL AU COMBAT, APPEL À L'INSURRECTION

La "démocratie représentative" est le nom donné par les puissants à un système où les règles du jeu et ses cartes sont détenus par les riches et les puissants. Et nous qui cherchons à nous en sortir dépendons des cartes sociales que les riches veulent bien nous distribuer. Mais ce sont toujours eux qui les distribuent.
Ce ne sont pas les cartes qu'il faut changer, mais le jeu lui-même. Parce que nos vies et celles de nos enfants ne sont pas un jeu. A nous de faire en sorte que les riches ne jouent plus avec nos vies selon leurs propres joker et leurs propres bonus. C'est eux qui décident de la case de départ et de la case d'arrivée de chacun d'entre nous, et nous sommes condamnés à respecter les parcours qu'ils nous distribuent.

Soyons notre propre case de départ et notre propre case d'arrivée à la fois, soyons notre propre parcours, éjectons les riches et les puissants du jeu. Notre monde n'est pas le leur, nos nécessités ne sont pas les leurs, nos envies et nos besoins ne sont pas les leurs. Déterminons nous-mêmes nos propres vies.
Les "élections démocratiques et représentatives" sont l'illusion à nous faire changer de couleur. Le "pic" peut devenir "carreau" ou "trèfle", les cartes restent les mêmes, et ce sont toujours les mêmes qui les détiennent. Et nous sommes leur mise, leur gain, leur enjeu.

SOYONS NOTRE PROPRE ENJEU

Leurs principales armes pour nous faire accepter leur diktat financier sont la peur et le chantage. Peur de la banlieue, peur de l'autre, peur d'être solidaire, peur de se défendre, peur de faire grève, peur d'étudier sans travail au bout, peur du chômage, peur de son patron, peur d'avoir peur. La crise créée de la peur, elle est la peur, se veut notre peur pour avancer et imposer ses mesures.
La question s'est posée en Tunisie, en Egypte, en Lybie, en Syrie, elle se pose aujourd'hui en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, commence à se poser en France et aux Etats-Unis, et finalement est la question que nous nous posons tous : jusqu'à quand ?

JUSQU'ICI, "TOUT VA BIEN", MAIS JUSQU'À QUAND ?

Pour ne plus avoir peur, il faut que la peur change de camp. A la finance d'avoir peur de notre colère, aux puissants d'avoir peur des sans-travail, aux policiers d'avoir peur de notre solidarité.
Nous avons l'impression d'être dépassé, de ne plus comprendre ce qui se passe dans nos vies, de devoir se fier et avoir confiance en ceux qui détruisent nos vies pour qu'ils la protègent, mais la seule réponse à nos angoisses et notre urgence est le rapport à notre histoire, notre propre histoire, notre histoire de classe qui est une histoire de lutte et de combat.

L'histoire n'est pas celle des chefs d'Etat ou des "grands noms", des "grands hommes", l'histoire n'est pas celle des dominants et des puissants, elle est faite et se fait toujours par les petites gens, les anonymes que nous sommes, les hommes et femmes simples que nous sommes fiers d'être. Les Tunisiens et les Egyptiens nous l'ont montré, et aujourd'hui ce sont les puissants qui ont peur "des gens", de ces gens qui font leur propre histoire, qui veulent leur propre victoire. Et ils ont peur que nous soyons l'écho, l'onde de choc en Europe des secousses tunisiennes, égyptiennes, lybiennes et syriennes.
A vous, à nous, camarades, frères, sœurs, parents, proches, amis, voisins, collègues, travailleurs, précaires, chômeurs, étudiants, lycéens, exploités, humiliés ; De France, d'Espagne, d'Italie, du Portugal, d'Allemagne, d'Europe et au-delà ; ceci est un appel. Un appel de solidarité internationale. Entre les peuples. Entre les hommes, les femmes, simples, anonymes. Ceci est un appel au combat. Avec et pour le peuple grec assassiné. Avec et pour tous les peuples.

Un appel à descendre dans la rue, occuper les lieux de travail, faire grève des loyers et des factures, occuper et paralyser les lieux de pouvoir, constituer des Comités de Quartiers, envahir et occuper les immeubles vides, occuper les ministères, les hôtels de ville, les mairies, laisser les banques s'effondrer, assiéger le Parlement. Par dizaines, par centaines, par milliers, par centaines de milliers. Pour soi, ses proches, ses enfants. Les nôtres, ceux de chacun, ceux de tous.
Pour tous les hommes, toutes les femmes, simples, anonymes, et contre leurs patrons, leurs polices, leurs menaces, leurs chantages, leurs puissances, nos seules armes sont la solidarité, la détermination, l'auto-organisation par et pour nous-mêmes. Nous sommes notre propre nécessité, notre propre ambition, notre propre pouvoir.

ALORS, ALORS SEULEMENT, CE SONT EUX QUI AURONT PEUR

De l'indignation à la révolte, de la révolte à l'émeute, de l'émeute à la grève sauvage émeutière, de la grève sauvage émeutière à l'insurrection.
Désormais nous avons compris, et nous n'avons plus peur : nous sommes notre propre solution, notre propre ambition, notre propre pouvoir. Nous ne comptons que sur notre propre force, sur notre propre capacité à organiser nous-mêmes nos vies, sur notre propre solidarité.

L'insurrection ne sera ni "civique" ni "citoyenne", elle est confrontation de classe. Nous sommes non-violents avec ceux qui sont non-violents avec nous, mais nous revendiquons l'autodéfense par tous les moyens nécessaires contre toute violence à notre encontre. Cette violence est permanente, quotidienne, omniprésente, c'est la violence capitaliste. Se confronter à la police ou bloquer une entreprise relève de l'autodéfense contre la violence de licenciements de masse ou de hausse des factures. Bloquons leur économie et que la peur change de camp, comme lors du blocage des raffineries à l'automne 2010. Réapproprions-nous nos outils de travail quand ils veulent les fermer, créons des Assemblées de Quartiers et développons la démocratie directe, la seule à laquelle nous aspirons. Pour reprendre nos vies en main, ici, maintenant, nous-mêmes. Là où nous vivons et travaillons. Exproprions les richesses qu'ils nous ont volé, créons des Comités d'Autodéfense de Précaires et Chômeurs. N'attendons pas d'être pris dans l'urgence comme le sont les peuples grecs et espagnols aujourd'hui. Le désastre, nous y sommes déjà et il ne fera que s'aggraver, et arriver. Alors que capitalisme, crise et désastre sont déjà là. Cette impression commune que le ras-le-bol, la révolte, l'explosion, vont arriver. Alors que ras-le-bol, révolte et explosion sont déjà là.

S'indigner ou prendre acte. Prenons acte.
Tout de nous, rien d'eux.

https://juralib.noblogs.org/2012/05/16/insurgeons-nous/

I - Misère des élections présidentielles

" L'administration pénitentiaire du camp de travail national change régulièrement, puisque nous pouvons depuis un certain temps et occasionnellement élire une partie (seulement) de nos administrateurs pénitenciers. Ils proposent chacun une gestion un peu différente de notre prison : certains proposent d'expulser des prisonniers " étrangers " au profit des prisonniers " nationaux ", d'autres qu'il y ait davantage de " sécurité ", d'aucuns une libéralisation des échanges de prisonniers, de marchandises et de capitaux entre camps de travail nationaux, et même certains de rendre notre prison nationale " plus juste ", " plus humaine " et/ou plus écologique ! Et ce, même si leur pratique est relativement identique (austérité, répression, réformes) puisqu'il s'agit de gérer une même prison en fonction des mêmes objectifs : faire en sorte qu'il n'y ait pas de révoltes des prisonniers, aux moyens d'une dose variable de répression et de misère matériellement augmentée (médias, " loisirs ", consommation), faire en sorte qu'il n'y ait pas trop de déficit du budget pénitencier - et donc, si nécessaire, dépenser moins au service des prisonniers-, et surtout faire en sorte qu'il y ait une croissance et une profitabilité maximum du camp de travail national - au détriment des prisonniers évidemment. " (Comité érotique révolutionnaire, Libérons-nous du travail. En partant du Printemps 2016, Paris, 2017).

On peut l'affirmer sans aucun doute : rarement une campagne présidentielle n'aura été menée avec autant de cynisme et de démagogie, de mépris et de mensonge, avec des candidats se présentant unanimement " anti-système " alors qu'ils en sont des défenseurs patentés. Combien votent, à cette élection présidentielle comme à chaque élection, pour tenter d'éviter qu'un pire encore pire n'arrive ? L'indécision, fait significatif, ne porte plus seulement sur le choix d'un candidat parmi d'autres mais également sur le fait même de choisir l'un d'entre eux, et l'abstention reste une candidate sûre pour une moitié des votant potentiels. Il apparaît en effet comme de plus en plus évident que tous et toutes sont portés par une commune vision du monde. Des libéraux de gauche, du centre et de droite à leurs adversaires keynésiens-étatistes de gauche " radicale " comme d'extrême-droite, on partage l'amour du travail, de la croissance économique et du capital national. Il faut dire qu'en vertu de leur aspiration commune au gouvernement du capitalisme national, ils ne peuvent qu'y adhérer, unanimes dans leur répression des mouvements sociaux, en se disputant seulement sur certaines modalités de gestion du camp de travail national.

On cherche malgré tout à nous vendre un candidat comme marchandise performante, dans un mauvais spectacle déprimant de vacuité se répétant à chaque campagne présidentielle. La politique, ainsi, a aussi ses marchandises, ses consommateurs et ses publicités - et ses producteurs, puisqu'il faut travailler, produire des marchandises et de l'argent pour financer cette misérable politique qui est en même temps une politique de la misère. Pourtant, aucun changement réellement positif ne peut venir des urnes : c'était déjà vrai aux époques antérieures du capitalisme, c'est encore plus vrai dans une situation de crise profonde du capitalisme où le gouvernement n'a qu'une faible marge de manœuvre et ne peut utiliser celle-ci qu'au profit du pire, c'est-à-dire du durcissement sécuritaire, identitaire, budgétaire, impérialiste, raciste, classiste, sexiste, ne constituant pas des obstacles à une poursuite du capitalisme. Le gouvernement n'a d'autre choix pour continuer de se financer que de soutenir l'économie, et donc ses ravages écologiques comme sociaux. Le vote individuel n'a pratiquement aucune signification et ne changera rien - ou si peu de chose qu'il ne faut rien en espérer, sinon peut-être un moindre pire dans l'immédiat.

Quelles options se proposent à nous à chaque élection, et notamment celle-ci ? Un libéralisme social-démocrate dégoulinant de renoncements, de mensonges et de sang. Des prophètes de l'apocalypse du capitalisme libéral-sécuritaire du centre et de droite. Un étatisme-keynésien proposant une version 21e siècle des deux premières années du gouvernement Mitterrand (relance étatiste du capitalisme national, laquelle avait lamentablement échouée, et permis au néo-libéralisme de se présenter comme sauveur), assortie d'un " anti-impérialisme " pro-Poutine et pro-Bachar et d'un attachement indécent aux frontières. Un étatisme-keynésien (auparavant libéral) d'extrême-droite avec son " État stratège ", c'est-à-dire en faveur du capital national, du patriarcat franchouillard et des forces de répression aux pratiques vichystes, avec un discours subliminal de haine des musulmans et des étrangers. Sans compter des candidats conspirationnistes, confusionnistes, étatico-nationalistes, des restes en décomposition de l'extrême-gauche marxiste-léniniste, et quelques autres perles...

Enfin, dans un climat de dénonciation des élus corrompus, nombre sont ceux espérant encore un " candidat intègre ". La corruption des gestionnaires de l'État capitaliste est pourtant structurelle : comment des individus privés poursuivant leur intérêt capitaliste, une fois élus, pourraient-ils se transmuer pour devenir d'intègres élus n'ayant que le bien commun pour objectif ? Il y a là une contradiction insoluble. Toute autre contestation de cette corruption n'est qu'un fantasme moraliste et une pure " indignation ". Mais cette contestation vaine nous révèle quelque chose. La politique réellement existante produit idéologiquement son double permettant de la justifier in fine, la politique " pure ", " vraie " et " bonne ", même si celle-ci ne peut tendanciellement exister - et ne serait de toute façon guère souhaitable.

Un retour non-exhaustif sur l'histoire du réformisme anti-libéral de gauche - celui d'extrême-droite ayant montré en Allemagne en 1933-45 ce qu'il faisait au pouvoir une fois élu avec un programme " anticapitaliste " - devrait suffire à achever de nous convaincre que non, vraiment, il n'y a rien à chercher de ce côté-là :
En 1918-19, la social-démocratie allemande au pouvoir écrase avec l'aide de l'extrême-droite et de l'armée une révolution populaire (République des conseils de Bavière, insurrection spartakiste de Berlin, conseils ouvriers dans l'ensemble du pays), tandis qu'en Italie, sa consœur du Parti Socialiste Italien contient l'explosion du prolétariat et ses grèves monumentales, et prépare donc indirectement l'avènement du fascisme en 1922 ;
En 1936, le Front Populaire de Léon Blum, notamment composé des staliniens du PCF souhaitant une alliance avec l'URSS et son " capitalisme d'État " (Lénine), des socialistes abandonnant définitivement l'idée de révolution au profit d'une gestion réformiste de l'État bourgeois et des radicaux défenseurs d'un compromis avec Hitler comme avec Mussolini, fait tout pour mettre fin à une grève générale inédite dans l'histoire de France et au fort potentiel insurrectionnel, offrant en pâture deux semaines de congé payés et la semaine de 40 heures, mesures contre-révolutionnaires finalement abandonnées deux ans plus tard, et aboutissant au désarmement du prolétariat français face aux évènements de 1939-1940 ;
Les bureaucrates du grand syndicat anarcho-syndicaliste espagnol CNT, en 1936-1939, sabordent leur propre programme de révolution sociale et de communisme libertaire au nom de l'alliance " anti-fasciste " avec Staline et une République bourgeoise ultra-répressive, mettent leurs militants au travail dans des usines capitalistes " autogérées " ou au front dans une armée classique au lieu d'entamer une guerre sociale de guérilla contre l'ordre répugnant du travail, livrent leurs militants révoltés en Mai 1937 à une terrible répression stalinino-républicaine, abandonnent leurs camarades des communes d'Aragon aux colonnes staliniennes en Août 1937, et rentrent dans un gouvernement stalino-socialiste au mépris de leurs principes libertaires ;
De 1971 jusqu'au coup d'État de Pinochet du 11 septembre 1973, Allende, socialiste élu grâce au vote massif du prolétariat chilien, désarme celui-ci, incite au calme plutôt qu'à une révolution préventive, ne prend aucune mesure contre l'armée, créant ainsi un contexte favorable au coup d'État ;
De 1968 jusqu'en 1977, un mouvement de grèves, de révolte et de refus du travail balaye l'Italie, pendant qu'un Parti Communiste Italien aux aguets dénonce cette révolte, sabote ces grèves, incite à une négociation salariale sous l'égide de syndicats réformistes, négocie avec une bourgeoisie italienne aux aguets un " compromis historique " qui n'aboutira pas, et accepte l'envoi des chars pour reconquérir Bologne insurgée en mars 1977 ;
En 1981, l'élection de François Mitterrand met définitivement fin aux années 68, avec une mystification électoraliste annonçant un changement radical, et finalement un programme de relance keynésienne aboutissant deux ans plus tard (du fait de leur échec) au tournant néo-libéral de 1983, annonçant ainsi 15 ans d'apathie du mouvement social ;
Le " socialisme du 21e siècle " d'Amérique latine, enfin, n'a guère donné de meilleurs résultats : en-dehors de mesures électoralistes d'aide aux plus pauvres et de quelques réformettes, ce sont des capitalismes nationaux avec un État fort, dépendants des hydrocarbures et des ressources minières, alliés aux Russes et autres " anti-impérialistes ", avec à leur tête une bureaucratie corrompue, une armée forte et une nouvelle bourgeoisie, et réprimant au nom du " peuple " tout mouvement social indépendant du pouvoir.

Bref, si certains veulent voter pour un moindre mal, qu'ils votent sans aucune illusion et se préparent à une lutte sociale sans merci contre leur propre candidat.

II - La politique comme l'autre face du capitalisme

" La démocratie même est l'autre face du capital, non son contraire " (Anselm Jappe, Les aventures de la marchandise, Paris, 2003)

Les sociétés pré-capitalistes bien sûr satisfaisaient leurs besoins sociaux et avaient des formes d'organisation du collectif, pourtant elles ne connaissaient ni " économie " ni " politique " au sens actuel. Il n'y a pas de " politique " en-dehors de l'organisation du quotidien au sein des sociétés précapitalistes. Les sociétés gréco-romaines étaient " politiques ", au sens antique de structuration sociale autour d'une polis (cité), mais étaient complètement " politiques ", sans qu'il s'agisse d'un système séparé comme aujourd'hui. Les autres sociétés étaient étrangères à cette catégorie de " politique " puisqu'elles n'étaient pas fondées autour d'une polis (cité) et ne connaissaient pas de séparation entre " politique ", " économie " et " religion ", catégories spécifiquement modernes.

L'apparition d'une " sphère économique " distincte et dominante est intimement liée à l'émergence du système capitaliste et de ses structures élémentaires. S'il est vrai que l'on peut trouver des ancêtres de ces différentes structures à divers moments de l'histoire, la cristallisation de celles-ci au sein d'une " sphère économique " séparée est propre à l'économie de marché totalitaire dans laquelle nous vivons. Il n'y a que lorsqu'émerge un Marché unifié, totalisant, de concurrence sans entraves et de vente contrainte généralisée de l'activité humaine, qu'advient l'économie comme sphère constitutive du capitalisme avec ses structures élémentaires de travail, de marchandise, d'argent, de valeur et de capital.
Et sans cette sphère de l'économie, pas de politique, puisque celle-ci est en complète dépendance financière vis-à-vis d'elle. Réciproquement, pas d'économie sans politique, puisque celle-ci est un garant nécessaire de l'économie, de ses contrats et de ses propriétés, un agent nécessaire de fluidification, de gestion et de protection de l'économie avec ses infrastructures nationales, ses politiques macro-économiques, son armée, sa police et ses tribunaux. Ainsi, ce n'est que lorsqu'émerge parallèlement au Marché l'État unifié, bureaucratique, totalisant, que la " politique " fait son entrée fracassante dans l'histoire. La " politique " comme sphère centrale du capitalisme naît en initiant une guerre européenne de 28 ans causant des millions de morts, en massacrant des milliers de sans-culottes radicaux - dont certains aspiraient à une société de communes - et de gens ordinaires, en établissant un droit bourgeois, patriarcal, raciste, et en lançant une industrialisation broyeuse de vies. Et celle-ci n'est pas née de rien, mais de son ancêtre, la monarchie, et de siècles d'extorsion fiscale, de guerres, de répression des mouvements sociaux et de montée en puissance de l'administration, quatre phénomènes au fondement même de l'État moderne, c'est-à-dire de ses impôts, de son armée, de sa police et de sa justice, et enfin de sa bureaucratie.

III. État de crise, État d'exception

" L'espace "juridiquement vide" de l'état d'exception [...] tend désormais à coïncider partout avec l'ordre normal " (Giorgio Agamben, Homo sacer, Paris, Seuil, 2016)

On aurait presque envie, à côté des conservateurs et autres défenseurs de l'ordre établi, de crier au principe de réalité tant les vaines illusions des restes de la social-démocratie de voir resurgir un État social semblent relever de l'aveuglement. Réalité historique autant que systémique, il n'y a rien à espérer, rien à attendre d'une situation dont il serait grand temps de prendre acte. On assiste depuis quelques dizaines d'années à un recentrement de l'État sur ses fonctions de gouvernement de crise de l'économie en crise, laquelle crise de l'économie et du travail s'est approfondie depuis 2008 au point de menacer jusqu'aux classes moyennes des centres capitalistes. Geste s'accompagnant inévitablement d'un renforcement de sa fonction de répression militaro-policière, dévoilant de nouveau par-là même son vrai visage, celui de ses origines, qu'il avait masqué au cours des dites " Trente Glorieuses " et auquel s'accroche désespérément l'altercapitalisme ambiant. Il n'y a plus de croissance, donc plus de droits sociaux, peut-il proclamer tranquillement. Le mensonge n'est pas celui, superficiel, qu'il n'y a plus d'argent, mais celui, fondamental, qu'il faut s'en remettre au dieu économie une fois de plus - et être offerts en sacrifice. Dans une situation économique de crise, on voit l'État se délester progressivement de ses fonctions " sociales " pour se recentrer sur l'essentiel : relancer l'économie, et gérer ses conséquences socialement désastreuses au travers d'une gestion répressive des masses précarisées ou devenues inutiles d'un point de vue économique. L'État-Providence se démasque en État de punition divine des infidèles de l'économie.

Si la dynamique du capitalisme conduit intrinsèquement à une éviction progressive du travail du procès capitaliste de production, le phénomène a pris une nouvelle ampleur ces dernières décennies. Depuis 40 ans de " troisième révolution industrielle ", avec l'introduction de l'informatique, de l'automatisation et de la robotique au sein du processus productif, cette substitution structurelle et tendancielle du travail par des machines-robots a pris une nouvelle dimension. La possibilité d'une substitution complète de certains pans du travail par des machines-robots (caisses automatiques, robots-ouvriers, chaînes de montage entièrement automatisées...) provoque l'explosion du chômage technologique au sein des centres capitalistes, et une stagnation des faibles salaires aux périphéries. La crise économique qui en résulte touche des masses toujours plus grandes d'individus, jusqu'aux métropoles occidentales désormais entourées de zones de concentration des individus exclus du travail, surexploités et/ou particulièrement précarisés.

Précisons-le, il ne s'agit pas de revendiquer, on ne saurait comment d'ailleurs, plus de droit et moins d'exception. L'État capitaliste est obligé d'être en partie " de droit " puisqu'il n'y a pas de capitalisme sans droit, sans garantie du respect des contrats, des dettes, des propriétés et des propriétaires. Mais en même temps, et au nom même de cette garantie de l'ordre capitaliste, l'État s'extrait du cadre légal qu'il a de toute façon lui-même créé. L'État d'exception ordinaire est donc un simple défenseur du droit capitaliste, c'est-à-dire de l'État de droit. Il ne faudrait donc pas opposer ces deux formes de l'État : il s'agit d'une seule et même structure se dédoublant de manière complémentaire, de deux faces d'une même pièce, d'un continuum au service de l'ordre capitaliste. L'État de droit en réalité justifie l'État d'exception ordinaire comme son garant nécessaire, de même qu'il justifie l'état d'exception extraordinaire comme son garant en dernier ressort- comme son cas limite.

Pour en finir avec l'État de crise, l'État d'exclusion, l'État d'urgence, il faut en finir avec l'État d'exception ordinaire comme avec l'État de droit, donc en finir avec l'État, sa politique et son monde capitaliste.

" Créer est une joie intense, travailler est une souffrance intense. Le travail est l'ennemi de la vie. Quand l'homme deviendra conscient de la vie, il ne travaillera plus jamais. Nous voulons créer comme des hommes libres, pas travailler comme des esclaves ; pour cela nous allons détruire le système de l'esclavage. "
H. Schuurman, Le travail est un crime, 1924.

Il paraît que tout le monde aime la liberté. Trouver une personne qui se prononcera clairement contre la liberté, qui dira " je ne veux pas de liberté, ni pour moi, ni pour les autres " n'arrive pratiquement jamais. Pourtant, la plupart des gens considèrent aussi le travail comme une valeur fondamentale, à inculquer aux jeunes, un devoir et un droit à préserver.

Quand il fait son apparition dans l'ancien français, ce terme, travailler, a d'abord signifié " faire souffrir " physiquement ou moralement, puis " molester " ou " battre " quelqu'un. Son terme cousin, travail, a lui pendant longtemps exprimé les idées de tourment, de peine et de fatigue. Et la racine de ces deux mots vient d'un terme latin qui désignait à la fois un appareil pour ferrer les bœufs et un instrument de torture à trois pieux auquel étaient attachés les esclaves qu'on torturait.

Aujourd'hui, après des siècles de développement, le capitalisme est parvenu à marquer au fer rouge dans les crânes humain l'absolue nécessité de travailler. Travailler pour exister, exister pour travailler.

Il faut dire que dans les faits, le travail reste la condition principale de notre intégration à la société, et de notre survie, car il procure de l'argent. Le travail est arrivé à être le moyen par lequel nous nous rapportons aux autres, ce à quoi l'école nous forme pour entrer dans le monde adulte, il est notre carte de visite dans la société, ce qui nous manque quand on en a pas et une source de tourment quand on en a. Il est notre droit de nous loger, de nous nourrir, de nous vêtir, il est notre droit de vivre. Le travail n'est pas un besoin humain, il n'est pas une façon de vivre, il n'est qu'une obligation, celle de se vendre pour vivre. Pas de travail, pas d'argent ; pas d'argent... pas grand chose.

Et alors même que le capitalisme, qui a besoin de cette frénésie du travail pour exister, produit des ravages de plus en plus visibles à tous les niveaux de nos existences, dans des régions toujours plus étendues et pour une durée toujours plus longue, le travail demeure un horizon indépassable pour la conception de notre existence. Nous sommes tellement empêtrés dans cette religion du travail (qui est, comme toute religion, une organisation du mensonge) que nous ne réalisons pas que nous passons notre vie dans un gigantesque camp de travail. Que même quand nous y échappons pour un moment nous passons notre temps à faire travailler les autres, par la consommation de biens et de services. Nous aimons nous voir comme des personnes indépendantes et libres qui vaquent à leurs occupations, quand nous sommes en réalité des travailleurs forcés de rejoindre leur poste. Comment expliquer que quand nous entendons un patron, un entrepreneur, un politicien ou un syndicaliste (tous apôtres du Travail) charger le travail de valeur positive et fustiger ces " paresseux qui refusent de travailler ", n'éclate pas en nous une irréfrénable envie de leur foutre un pain dans la gueule ; si ce n'est que nous nous sommes habitués au mensonge, et qu'immoler son existence sur l'autel du travail nous paraît naturel. Pourtant, tout le monde aime la liberté, on vous dit.

Travailler, donc. Se vendre comme une marchandise, vendre son temps, son énergie, sa créativité, un certain nombre de ses facultés à un patron pour empocher quelques sous qui fileront bien vite dans la poche d'un propriétaire ou d'une poignée de marchands.

Éplucher les annonces, passer des coups de fils à des connaissances, essayer d'être tout comme on devrait être à un entretien d'embauche, pointer devant un conseiller payé pour nous remonter les bretelles et nous faire comprendre qu'on a bien de la chance de recevoir quelques oboles de l'État à la fin du mois alors que l'on ne produit rien, que l'on n'est pas rentable économiquement, que donc on ne vaut rien : on appelle ça être chômeur à la recherche de travail, mais ça reste un travail, le salaire en moins.

Faire quelques escroqueries, de menus larcins, du recyclage, de l'économie parallèle en tout genre : on appelle ça se débrouiller, survivre comme on peut, et quand bien même tout ça n'est pas très légal, rapidement cela devient aussi un travail, le risque de la prison en plus.

Tout le monde aime la liberté, pas de doute, mais on n'a pas vraiment d'autres choix que ces trois là. On peut refuser de travailler (contrairement aux esclaves), mais comme toute possibilité d'existence en-dehors de l'économie a été éliminée, pour survivre on doit travailler. L'esclavage libre, en voilà une merveilleuse invention.

A quelques exceptions près donc, travailler est une horrible chose qui débouche sur une immense accumulation de souffrance. Souffrance de se vendre quotidiennement comme une marchandise pour produire d'autres marchandises (quand on a un travail) ou de revenir chez soi comme une marchandise qui n'a pas trouvé d'acheteur, et se voir quotidiennement méprisé pour ne pas être " utile à la société ", être un " parasite ", ne pas être " rentable " (quand on cherche un travail). Souffrance de devoir obéir à l'impératif aliénant et avilissant, de produire des marchandises quelconques de manière rentable (et donc médiocre) ou d'accomplir des activités insignifiantes, absurdes, répétitives, délétères, à n'importe quel coût physique, psychologique et écologique. Souffrance de devoir exécuter cet impératif dans des conditions éprouvantes physiquement et nerveusement, source de stress, de dépressions, de déformations physiques, d'accidents du travail, de suicides. Souffrance de devoir obéir à des chefs, à des clients, à des " collègues ". Souffrance d'être réduit à être une machine au service d'autres machines, un instrument, un simple tas d'os et de muscles, un domestique ou un serviteur. Souffrance d'être en proie à une concurrence permanente et cruelle, de devoir se contenir ou se forcer par peur d'être viré. Souffrance de devoir travailler plus, alors qu'il est évident que travailler plus c'est vivre moins. Même les rares qui apprécient leur travail, qui y trouvent encore un sens et pas qu'une source de souffrance avouent qu'ils l'accompliraient avec davantage de plaisir, et selon d'autres modalités, s'ils n'étaient pas soumis aux contraintes économiques.

Il n'y a pas d'heure pour déclarer la guerre au travail.

Que les plus raisonnables se rassurent : une fois débarrassés de l'exploitation et de la marchandisation de tout et de tous, nous saurons réinventer nos activités pour satisfaire nos besoins (des plus " élémentaires " comme se vêtir, se nourrir, se loger... jusqu'aux plus raffinés comme apprendre, découvrir, s'épanouir, se rencontrer, se faire plaisir, etc), nos désirs, nos caprices aussi, pour obtenir ce qui est utile mais aussi agréable, ce qui est nécessaire mais aussi superficiel. Nous voulons redonner son sens à l'activité humaine, à l'effort (collectif comme individuel) et à la créativité. Tisser des relations dans l'entraide, la solidarité et l'auto-détermination plutôt que dans la concurrence et la soumission. Et nous mettrons du cœur à l'ouvrage. Mais pour cela nous avons besoin de nous débarrasser du travail, du capitalisme et de l'État.

Que voyons-nous derrière les très nombreux coups portés aux agences Pôle Emploi, cette fusion entre le système coercitif de l'État et celui du travail, qui ont été à de très nombreuses reprises attaqués pendant le mouvement contre la Loi Travail du printemps 2016 et après, et aux agences d'intérim (comme l'incendie de l'entrée d'une agence Adecco fin novembre à Pantin), ainsi que derrière les différents sabotages sur les lieux de travail ou les vengeances sur la hiérarchie (par exemple l'incendie en octobre de la voiture d'un patron par un de ses employés qu'il venait de virer) ? Ne serait-ce pas l'expression d'une colère d'être trop souvent obligés de se plier aux labeurs, à ses contraintes, à son chantage et à sa hiérarchie pour survivre ? Ou l'expression d'un refus de la prétention du capitalisme à faire du travail l'unique voie possible à nos existences ?

Quoiqu'il en soit, ces actes sont une bonne chose, qu'ils se généralisent et prennent différentes formes serait mieux encore. Ceux qui pensent le contraire ne doivent vraiment pas beaucoup aimer la liberté.
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https://parissoustension.noblogs.org/tout-le-monde-aime-la-liberte-mais-le-travail-est-une-horrible-chose/

https://parissoustension.noblogs.org/files/2017/01/PST-8.pdf

Le monde, ou rien. Voilà quelques semaines que nous sommes plongés dans l'ébullition de la lutte, ses coups de folies et son euphorie. Qu'importe qu'elle triomphe de cette loi. Elle n'est qu'un déclencheur, qu'une occasion, rien de plus. Le statu quo est tout aussi immonde. Ce qui se passe un peu partout est plutôt une manifestation d'une rage diffuse, d'une colère montante, d'un dégoût qui se généralise vis-à-vis de ce monde et ses avocats qui nous martèlent sans cesse, que non, vraiment, il n'y a pas d'alternative.
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Lois sécuritaires, renforcement du pouvoir (et de l'armement) de la police, arrestations arbitraires et matraquage aveugle, la vieille logique du gouvernement par la peur est reprise avec un certain brio par ce gouvernement " socialiste ". Et les médias jouent parfaitement leur rôle, faisant planer une menace diffuse, pluridirectionnelle et omniprésente, implantant jour après jour la peur dans chaque conscience, avec une abnégation remarquable.
L'État s'appuie en effet sur un arsenal législatif dit " antiterroriste " toujours plus important, toujours plus total, censé nous " protéger " de la " menace djihadiste ". Mais qui peut se faire des illusions sur l'efficacité de mesures judiciaires sur un individu déterminé à mourir pour mener son action à terme ? En tout cas ceux qui nous gouvernent ne s'en font pas. L'antiterrorisme est un voile. La constitutionnalisation de mesures d'exception comme l'État d'urgence ou le renforcement des pouvoirs de la police a un but tout autre. Il s'agit bien, en réalité, de contenir, de contrôler, de maîtriser ceux qui refusent cet état de fait et font de ce refus un principe d'action en vue de faire émerger un autre monde. Ce sont bien ceux qui ont choisi de lutter contre le travail et contre l'État, contre le capitalisme et la pauvreté des existences qu'il génère qui sont in fine visés par ces dispositifs.
Si nous ne sommes pas organisés, si nos volontés ne se rejoignent pas toujours, ou pas au même moment, ce qui les terrifie est que la convergence se fasse soudainement, à la suite d'un évènement quelconque. Non pas la convergence des luttes comme on peut l'entendre dans les cortèges syndicaux qui n'est qu'un simple agrégat de composantes disparates et conservatrices et qui est vouée à s'effondrer avec le mouvement, mais la convergence des désirs. Du désir de vivre un monde que l'on construira, que nous construisons déjà. Que dans ces moments de lutte se tissent des liens, naissent des amours, émergent des projets communs, se créent des communautés de résistance. Que ces désirs diffus, éparpillés, divers, se rencontrent au gré d'une assemblée étudiante un peu laborieuse, d'une occupation, d'une garde-à-vue ou d'un repas partagé et que ce désir d'être ensemble, d'imaginer ensemble, de faire ensemble devienne de plus en plus pressant. Voilà ce qu'ils craignent.
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Nous qui désirons sans fin, nous voulons vivre pleinement, nous voulons vivre érotiquement. Nous sommes Eros, parce qu'il est comme nous pulsion de vie en même temps qu'amour, parce qu'il est comme nous révolte contre un monde de mort.
Nous voulons être amour, vivre l'amour, faire l'amour. Nous voulons jouir d'être la vie : fêter, imaginer, créer, rêver, voir, faire, être ensemble, vivre ensemble.
La vie est un flux, celui de se sentir soi-même, de sentir l'Autre et de sentir notre monde, s'éprouvant, s'épanouissant, s'accomplissant dans cette sensualité. Ce monde actuel, lui, pétrifie ce flux sous forme de marchandise-travail, il nous en dépossède au profit de choses mortes (marchandises, argent, capital) et d'une vie fausse, il réprime ce flux avec l'État, il manipule médiatiquement celui-ci, il est une réification, une aliénation, une mortification, une répression, une manipulation, une négation de la vie.
Nous n'en voulons plus, de ce monde, de son travail, de ses relations, de ses destructions, de sa misère existentielle. La vie aujourd'hui n'est rien dans ce monde de mort, demain elle sera tout - et ce monde, mort.
Nous voulons construire autre chose qu'une cage. Nous voulons faire autre chose que travailler. Nous voulons vivre autre chose que cette survie, cette sous-vie. Nous voulons habiter autre chose que ce taudis. Nous voulons aimer autrement que dans l'industrie pornographique. Nous voulons nous imaginer autrement qu'au travers de l'idéologie. Nous voulons être ensemble plutôt qu'être en guerre. Nous voulons créer autre chose que cette destruction. Nous voulons rêver d'autre chose que de ce cauchemar. Nous voulons échanger autre chose que de l'argent et des marchandises. Nous voulons faire croître autre chose que l'économie. Nous voulons faire société autrement qu'au travers du capitalisme. Nous voulons autre chose que ce monde, c'est-à-dire que de ce monde, d'aucune chose, nous voulons.
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L'économie c'est la guerre, la guerre de tous contre tous. Dès tout petit, on nous pousse à suivre nos propres intérêts, dans le cadre posé par la société de marché, on nous fait croire que l'égoïsme est une catégorie ontologique, que la " nature humaine " est ainsi et que pour ne pas perdre il faut donc gagner. Dominer, écraser, maximiser, voilà les maîtres mots de l'entrepreneur de soi, de l'individu d'aujourd'hui qui veut survivre dans cette jungle concurrentielle. À travers le capitalisme, véritable société de l'économie, nos subjectivités se formatent dans un devenir-marchandise de la vie. Le capitalisme façonne des subjectivités à son image et selon sa logique : prédatrices, impitoyables, séparées-isolées l'une de l'autre, égoïstes, machiniques, calculatrices. Même si notre subjectivité vivante résiste tendanciellement à ce formatage, il n'en reste pas moins que notre subjectivité est un champ de bataille - et son résultat - entre une rationalité capitaliste et notre pulsion de vie. Pour que celle-ci triomphe, et elle est une condition préalable à une société vivante-émancipée, sachons que c'est uniquement dans une révolte de la vie qu'une telle subjectivité peut advenir. Les révoltes de la vie ont transformé, transforment, transformeront nos subjectivités, avant même que dans une société nouvelle, de nouvelles vies émergent de nouvelles subjectivités.
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Notre vie ne tolère d'autre limite que celle de sa perpétuation comme Jouir personnel et collectif, c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir de limite au Jouir de nos vies que celle où notre pulsion de vie se transforme en pulsion de mort, et où notre Jouir se renverse en Souffrir. La vie n'est pas une débauche, une barbarie, une folie ; c'est au contraire un équilibre entre une vie sur-réprimée, donc mortifiée, et une vie déchaînée, donc (auto) destructrice. La société dans laquelle nous vivons, au contraire, est une barbarie au sens où elle nous sur-réprime d'un côté tandis qu'elle nous pousse de l'autre à un déchaînement destructeur de soi et des Autres. Or notre société est justement une immense accumulation de surrépressions, souvent présentées de manière mensongère comme " naturelles " (travail), voire comme des " libérations " (guerre sportive, pornographie, Spectacle médiatique). La révolte de la vie, sans mortification ni pulsion de mort, est donc une révolte de l'énergie érotique, de la pulsion de vie, trop longtemps sur-réprimée, contre cette sur-répression, et sans devenir pulsion de mort.

NE TRAVAILLEZ JAMAIS

L'aggravation continuelle de la crise structurelle du capitalisme (en plus de sa financiarisation et sa gestion en faveur des actionnaires et du patronat), entraîne depuis plus de 40 ans une intensification et une précarisation continue du travail, avec d'un côté une masse croissante de chômeurs brisés par une société du travail sans travail, et de l'autre une organisation néocapitaliste du travail continuellement restructurée, exerçant une pression énorme sur ses salariés (jusqu'au harcèlement), organisant une guerre de tous contre tous au sein même de l'entreprise, et démultipliant ainsi isolement, haines, humiliations, stress, déformations physiques, accidents de travail, licenciements brutaux, dépression, burn-out, suicides. Le travail est d'ores et déjà une souffrance intolérable - mais ne l'est-il pas structurellement ? Nous souffrons de devoir quotidiennement nous vendre comme marchandise pour survivre, ou d'être dépréciés de ne pas être un esclave " rentable " du capitalisme. Nous souffrons de devoir obéir à des impératifs absurdes, avilissants, destructeurs. Nous souffrons de devoir exécuter ces impératifs dans des conditions éprouvantes, voire dangereuses. Nous souffrons de cette activité indifférenciée, absurde, destructrice. Nous souffrons d'être réduits à des robots, des machines, des esclaves. Nous souffrons d'être humiliés faute d'être des esclaves suffisamment " performants ". Nous souffrons de rentrer vidés, de ne pas pouvoir vivre. Nous souffrons d'être en guerre de tous contre tous avec nos semblables, d'être objet d'une haine envieuse ou d'envier haineusement quelqu'un d'autre. Nous souffrons d'être menacés d'élimination économique chaque seconde. Nous souffrons d'être dans une précarité permanente. Nous souffrons d'être traités de " capital humain ", de " mauvaise graisse ", de " facteur humain ", de " bras cassés ", d'" assistés ", de " fainéants ". Nous souffrons d'être des soldats d'une guerre économique permanente, sacrifiés sur l'autel de la compétitivité, de la productivité et de la croissance, bref du capitalisme. Nous souffrons de souffrir seul, de devoir nous cacher notre souffrance, de nous mentir, de ne pas pouvoir parler de notre souffrance, de devoir cacher celle-ci aux autres. Nous souffrons qu'on nous mente, et qu'on se propose d'approfondir encore notre souffrance et notre servitude avec cette nouvelle réforme du travail. Nous souffrons de travailler, il n'y a pas de " souffrance au travail ", travailler au sein du capitalisme c'est souffrir, il n'y a pas " le travail et ses souffrances ", le travail, c'est souffrance. Cette loi n'est donc qu'un ultime approfondissement du travail comme souffrance et comme servitude.
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Ne travaillez jamais signifie : ne vendez jamais votre vie, votre temps, votre activité, votre faire, comme marchandise, comme marchandise produisant d'autres marchandises et de l'argent, comme marchandise produisant un monde de mort.
Le travail est en effet, de par son essence même, l'activité non-libre, inhumaine, asociale. Le travail, c'est une dépossession de sa vie au profit d'une fonction machinique de production de marchandises et de valeur, c'est une vente de soi, de son existence, de son temps de vie, de son activité, de son faire, comme marchandise. C'est un esclavage libre, libre au sens où on l'on peut refuser de travailler contrairement aux esclaves, mais comme on a été dépossédé de toute possibilité d'existence en-dehors du Marché, pour survivre, on doit travailler. Comme des esclaves, nous avons une compensation, eux en nature, nous en argent. Comme des esclaves, on nous envoie des forces de répression lorsqu'on se révolte. Qu'on vende des heures d'activité ou notre production soi-disant autonome, qu'on soit salarié.e ou ubérisé.e, nous sommes réduits à des marchandises productrices de marchandises (qu'importe quelles marchandises, qu'importe comment, tant qu'elles rapportent). Notre labeur n'est pas une réponse qualitative à nos besoins particuliers (y compris collectifs), mais une production machinique de marchandises et d'argent, ou (auparavant) une acquisition machinique de savoirs formatés que l'on soit lycéen.ne ou étudiant.e. Avec ou sans proxénète, nous sommes tous des prostitué.e.s, nous vendons notre cerveau, nos muscles, notre sexe, qu'importe. Nous sommes des robots (travailleurs, en tchèque), des individus réduits à des machines productrices. Nous sommes soumis au capitalisme, ce Moloch insatiable, ce train aveugle écrasant tout sur son passage. La pulsion de vie doit se défaire du travail, du capitalisme et de l'État, c'est d'une abolition et non d'une réforme qu'il s'agit.
Nous n'avons pas peur de cette société de travail sans travail, c'est cette société de travail sans travail qui a peur de nous.
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Nous n'avons de toute façon pas d'autre choix que d'en finir avec le capitalisme et son travail, en raison même de la dynamique du capitalisme en crise. Chaque entreprise doit, en raison d'une saturation tendancielle des marchés et d'une compétition généralisée pour vendre ses marchandises, réduire ses coûts, donc substituer du " travail vivant " (des travailleurs) par des machines-robots. Cette élimination de " travail vivant " fait qu'il y a, par conséquent, une baisse tendancielle de la demande (hors-crédit) puisque ceux qui ne travaillent plus ont moins de revenus (comme ceux qui restent d'ailleurs). Depuis 40 ans de troisième révolution industrielle, avec l'introduction de l'informatique, de l'automatisation et de la robotique dans le processus productif, cette substitution structurelle et tendancielle du " travail vivant " (des travailleurs) par des machines-robots a pris une nouvelle dimension. La possibilité d'une substitution complète de certains pans du " travail vivant " par des machines-robots (caisses automatiques, robots-ouvriers, chaînes de montage entièrement automatisées...) provoque ainsi l'explosion du chômage technologique. Et ce chômage technologique, alimentant une baisse de demande solvable, donc une baisse tendancielle de la consommation, entraîne une saturation d'autant plus rapide des marchés, des crises de surproduction toujours plus fréquentes donc de nouvelles substitutions de " travail vivant " par des machines/robots, entraînant une nouvelle baisse de demande solvable, une nouvelle phase de crise, etc., et cela ad nauseam. La dynamique du capitalisme conduit donc à une éviction progressive du " travail vivant " du procès capitaliste : 10-15% de chômage aujourd'hui, plus de 47% en 2030 selon certaines projections. Et cette augmentation structurelle du " chômage technologique " s'effectue en parallèle, comme on le voit depuis plus de 50 ans, d'une intensification et d'une précarisation du " travail vivant " restant. Le devenir structurel du capitalisme, c'est donc une multiplication des phases de crise, une augmentation progressive du chômage technologique et une intensification-précarisation du travail restant, jusqu'au chômage quasi-total, l'esclavage des derniers travailleurs et l'effondrement du capitalisme.
L'économie ne veut plus de nous, nous ne voulons plus d'elle. L'économie veut se débarrasser de nous, débarrassons-nous d'elle !

LA VIE LIBÉRÉE

Le mouvement actuel d'opposition au projet de loi-travail a réveillé nos vies et nos rêves au nom d'un mauvais rêve de certains, il faut maintenant qu'elle s'attaque au cauchemar réalisé du travail et de sa crise. Il ne s'agit plus de lutter défensivement contre une loi en attendant qu'une prochaine phase de crise nous l'impose au nom du " réalisme économique ", il faut combattre offensivement cette réalité économique de crise et en crise. Il ne faut plus mendier l'ajournement de l'inévitable au sein du capitalisme en crise, mais abolir celui-ci aujourd'hui. Le réformisme " progressiste " est mort, il n'y a plus qu'un sous-réformisme de cogestion de crise, seule une optique résolument révolutionnaire est désormais réaliste.
Nous savons toutes et tous que nos " mouvements sont faits pour mourir ", et ce n'est pas grave. Si c'est en général un projet de loi rétrograde ou un évènement particulier comme une immolation ou une " bavure " policière qui vont servir de déclencheur à un mouvement de protestation et créer des communautés d'acteurs près à se battre contre un objet commun, le mouvement dépasse toujours son objet et c'est ce dépassement qu'il nous faut chercher.
Nous nous intéressons peu à la massification, les pétitions sont signées puis oubliées, les cortèges défilent et rentrent chez eux, les vitrines sont brisées puis réparées, les murs tagués puis nettoyés. Si la manifestation peut faire infléchir, si les grèves peuvent faire peur, si les émeutes peuvent être salutaires il nous faut nous saisir de ces moments particuliers que sont les situations insurrectionnelles pour nous rencontrer, nous constituer en communautés, en communautés de lutte, en communautés d'ami.e.s. Il nous faut créer. Il nous faut nous créer.
Un mouvement ouvre une brèche, crée une coupure temporelle, une rupture dans le déroulement linéaire de nos vies. Ces moments de " pause " nous conduisent à reconsidérer nos vies, à les saisir telles qu'elles sont et à les imaginer telles qu'on voudrait qu'elles soient. Ces brèches sont souvent l'occasion de rencontres, de densification des liens, de création de relations qui dépassent le seul intérêt stratégique. C'est sur la durabilité et la qualité de ces relations qu'il nous faut nous appuyer maintenant pour qu'émergent des communes, partout, tout le temps. Plus que des simples communautés de lutte ou de résistance qui, par définition n'existent que le temps de la lutte, bâtissons de véritables foyers d'insoumission, des points de fixation des colères et des désirs. Saisissons-nous d'appartements, de friches, de bocages, saisissons-nous d'entrepôts, d'universités, de châteaux, transformons des sols bétonnés en jardins d'approvisionnement des luttes. Etablissons-nous sur les territoires et habitons-les et vivons-y le monde que l'on veut vivre.
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Omnia sunt communia. Nous formerons ensemble des communes, comme celle de Paris de 1871, d'Aragon de 1936 et de Notre-Dame-des-Landes, des communes associées entre elles, des communes où nous ferons ensemble ce que nous voulons et personnellement ce que nous voulons, des communes où il y aura de commun ce qui aura été décidé comme tel et ce qu'il y aura de personnel aura été décidé comme tel, des communes où nous pourrons faire autre chose de nos vies que nous vendre comme marchandise, produire des marchandises et consommer des marchandises. Les habitant.e.s des communes plutôt communisantes feront ensemble ce qu'ils auront librement choisi de faire - en accord avec les possibilités du monde-de-la-vie - et partagerons en fonction des besoins de leurs membres leurs activités comme leurs produits (avec, en cas d'abondance insuffisante, une auto-régulation collective). Les communes plutôt personnalisantes seront peuplées de personnes faisant séparément ce qu'ils ont envie-besoin de faire, et partageront après coup sous forme d'une chaîne de dons libres. Désormais, dans l'une comme dans l'autre, nul.le ne sera obligé de vendre son cerveau, ses muscles ou son sexe. Les communes formeront entre elles une chaîne de dons, permettant une satisfaction de l'ensemble de leurs besoins tout en entretenant des relations d'amitié.
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La vie s'épanouira dans une vita contemplativa, mais aussi dans une vita activa, où, au lieu de s'asservir au travail et au capitalisme, nous cultiverons des légumes et des fruits, nous construirons des maisons, tracerons des chemins, écrirons des histoires et des chansons, nous ferons ce qu'il nous plaira en même temps que ce qu'il nous faudra dans l'optique d'une poursuite de notre vie s'épanouissant, et non ce qu'une demande abstraite de marchandises exige. De nouvelles subjectivités émergeront de ces nouvelles vies, épanouies dans une diversité non-finie du faire.
Il n'y aura plus de gens seulement artistes au détriment de l'épanouissement artistique des autres et de leur propre épanouissement dans d'autres domaines, mais des gens qui, entre autres choses, feront de l'art. Nous ne voulons pas simplement rendre l'art commun à tous mais intégrer l'art à notre faire, à nos vies. Il n'y aura plus de sphère séparée du travail, mais une vie mêlant vita activa et vita contemplativa. Le temps sera celui de notre vie et de ses activités, non celui des montres et du travail. Il n'y aura pas de comptabilité, de mesure, de pointage, de productivité, de rendement, d'évaluation individuelle des performances.
Nous ré-apprendrons des savoirs-faire dont nous avons été dépossédés (et ce, à chaque génération, avec l'école comme enseignement de l'ignorance), nous saurons tout faire nous-mêmes (collectivement), après des siècles de prolétarisation réduisant l'activité productive à un nombre limités de gestes répétés ad nauseam.
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Les communes formeront leurs propres institutions, lesquelles seront instituées selon notre volonté collective et désinstituées lorsqu'elles ne nous conviendront plus. Les habitants des communes décideront collectivement, en assemblée, ce qu'il faut faire s'agissant des affaires de tous. Et s'il y a des décisions qu'il faut prendre au niveau d'une fédération (plus ou moins grande) de communes, c'est du bas que devra venir toute décision finale. Les communes aboliront donc immédiatement l'État, ce frère jumeau du capitalisme, cette structure de domination bureaucratico-militaro-policière, ce système d'extorsion. Il ne s'agit pas de réhabiliter la politique comme sphère séparée du reste de la société, puisque l'auto-organisation et l'auto-détermination sont le contraire même de l'État et de la politique. Il s'agit plutôt de redonner au politique sa temporalité originaire, celle de la quotidienneté.
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Il est évident que nos communes devront être au-delà des genres et des races constituées capitalistiquement. Les communes seront, ainsi, sans masculinité viriliste, celle du sujet capitaliste, insensible, impitoyable, suprémaciste, et sans féminité soumise, subordonnée, dissociée. Elles seront, de même, sans sujet colonial, raciste, dominateur, exploiteur, et sans sujet indigène, racisé, dominé, exploité. Les communes abolissent d'une seule traite prolétaires et capitalistes, sujet masculins et sujets féminins, (post) coloniaux et indigènes, loin de se contenter de l'affirmation du pôle dominé, lequel fut constitué au moment de l'émergence du capitalisme comme système d'exploitation, patriarcal et colonial.
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Le monde, oui, mais pas ce monde de mort. Au niveau des infrastructures, nous détournerons ce qui est détournable pour en faire ce que nous aurons décidé d'en faire, nous détruirons ce qui n'est pas détournable (gigantesques usines, systèmes aéroportuaires et autres infrastructures de mort) dans une logique non-capitaliste (puisqu'une infrastructure résulte d'une logique matérielle découlant elle-même d'une logique sociale - et lorsque cette logique sociale est capitaliste, il en résulte une logique matérielle et donc une infrastructure intrinsèquement capitaliste). Au niveau des techniques, nous détournerons des techniques détournables, nous détruirons des techniques indétournables (bombes nucléaires, centrales nucléaires, etc.), nous re-découvrirons des techniques et des savoirs-faire, nous développerons des techniques et des savoirs-faire développés aux marges du capitalisme (permaculture), nous inventerons des techniques nouvelles découlant d'une forme de vie et de société nouvelles. Nous établirons un équilibre entre de gigantesques villes invivables, bétonnées et polluées, et des déserts ruraux, en transformant celles-ci en communes urbaines de taille humaine sans rupture avec une campagne environnante, et celles-là en communes rurales de centaines ou de milliers d'habitants. Il en résultera un univers matériel de techniques et d'infrastructures conviviales, autonomisantes, non-destructrices, et de communes de taille humaine. On ne s'en remettra donc pas à des méga-usines automatisées, où ce qu'on avait voulu abolir (travail, hiérarchie, spécialisation des activités, pollutions) se reconstituera.
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Il est temps d'en finir avec le travail, avec l'économie, avec l'État, avant qu'ils en finissent avec nous. Ce sera notre monde, ou rien. Ce ne sera pas ce monde de mort, mais la mort de ce monde. Crevons cette société morbide, moderne, capitaliste, colonialiste-raciste, patriarcale, étatiste, hétéronome, hiérarchique, totalitaire. Créons une société vivante, nouvelle, non-marchande, égalitaire, libertaire, autonome, horizontale, plurielle. Créons une vie de désir, cette vie que nous désirons, que nous décidons. Créons des espaces-temps d'intersubjectivité, d'auto-organisation, d'insoumission.

Soyons résolus à ne pas mourir, et nous voilà vivre. L'histoire ne se fera pas sans nous, une fois encore. Ce sera notre histoire, cette fois.

http://inventin.lautre.net/livres.html#comiterotique

Cette société nous offre seulement une lutte pour la survie de base dans laquelle nous ne sommes rien sauf une force de travail et des consommateurs. Bien sûr, tout cela est enveloppé dans de belles paroles magnifiant les valeurs de l'honnête citoyen et les besoins du pays et de l'économie, dans des modes et de fades manières de vivre que les médias, les politiciens, les scientifiques, les célébrités nous débitent jour après jour. Les vêtements de marque, les nouveaux téléphones mobiles et les écrans plasma, les voitures en leasing et les prêts hypothécaires, les sorties du samedi soir, les émissions de télé et les idylles familiales dans les centres commerciaux seront-ils des produits de substitution suffisant pour une vie vraiment humaine ? Est-ce tout ce que nous désirons vraiment et ce dont nous avons vraiment besoin ?

PAS POUR NOUS !

Nous n'avons aucune grandiose propriété et compagnie qui nous feraient vivre, et par conséquent nous devons aller travailler. Nous vendons notre temps et notre énergie, notre force de travail, à la classe des bourgeois qui possèdent les moyens de production. Nous échangeons notre force de travail contre un salaire qui nous permet d'acheter ce dont nous avons besoin pour survivre et qui a été produit ailleurs par des travailleurs comme nous. Quel que soit ce que nous gagnons, dès que nous avons dépensé notre salaire, nous devons à nouveau nous précipiter au travail. C'est notre travail qui fait fonctionner toute la société et l'économie : les usines, les supermarchés, les bureaux, les hôpitaux, les chantiers... Nous sommes la classe des prolétaires et dès lors nous nous rebellons !

CONTRE LE TRAVAIL SALARIÉ

Le travail nous aliène parce que le temps pendant lequel nous travaillons ne nous appartient pas, ce n'est pas une partie complète de nous - par-dessus tout, c'est un moyen pour obtenir de l'argent. Nous vendons notre force de travail comme une marchandise à des patrons individuels et aussi à la bourgeoisie toute entière, et dès lors ce sont eux qui la contrôlent, qui la possèdent et qui en profitent vraiment. Nous devons juste travailler aussi longtemps et aussi vite qu'il nous est demandé. Donc, nous luttons contre le travail salarié qui est la base de notre exploitation et de l'ensemble du système capitaliste.

CONTRE L'USINE DES LOISIRS

Nous ne travaillons pas pour satisfaire directement nos besoins, ni les besoins de l'ensemble de l'humanité. Les besoins vitaux sont satisfaits par la médiation des salaires - de l'argent, parce que nous sommes aussi aliénés du produit de notre labeur qui appartient à la bourgeoisie. Toute la société nous est étrangère : les relations sur lesquelles elle est basée, ses structures, ses institutions, ses richesses et même ses connaissances. Par conséquent, la dictature du Capital règne aussi en dehors du travail. Les loisirs que nous cherchons en font partie. C'est le Capital, et pas nous, qui détermine comment manger, faire l'amour, se loger, voyager, s'amuser... Par conséquent, nous luttons contre la totalité des rapports sociaux capitalistes qui nous piègent dans une usine géante où nous sommes comme des vaches à lait à chaque moment de nos vies.

CONTRE LE CAPITALISME

Notre travail est une marchandise comme aucune autre : c'est la seule qui est capable de créer une nouvelle valeur, plus grande que la sienne. Les patrons nous exploitent tous, puisqu'ils nous paient seulement pour notre force de travail et tout le surplus que nous avons produit, c'est leur plus-value, leur profit. Le profit est réinvesti dans des moyens de production, dans la production de nouveaux capitaux qui tous sont la propriété contrôlée, possédée et vendue par les bourgeois. Le Capital, c'est notre travail mort personnifié dans des choses. C'est notre temps et notre énergie, que nous avons tués au travail, non pour satisfaire les besoins humains mais pour produire des marchandises. Le seul but du mode de production capitaliste est d'accomplir le profit et de multiplier le Capital. Les besoins humains sont totalement secondaires et ils ne sont " satisfaits " à travers la production que dans la mesure où, et de la façon dont, ils servent l'expansion du Capital. C'est la raison pour laquelle, même les régimes " socialistes " (l'URSS et ses satellites) étaient capitalistes et le capitalisme existe encore aujourd'hui en Corée du Nord, en Chine ou à Cuba. Là où il y a du travail salarié, il y a inévitablement aussi le Capital et il ne peut en être autrement juste parce qu'il y a aussi un costume idéologique " marxiste ", une réorganisation de la bourgeoisie à travers un parti politique et un État et ses efforts (sans aucune chance durable de réussir) pour donner une autre forme aux lois capitalistes du marché, de la compétition et de la valeur.

CONTRE LA DÉMOCRATIE, L'ÉTAT ET LA POLITIQUE BOURGEOISE

La démocratie est l'essence même de la société capitaliste et pas seulement une de ses formes poli-tiques. Les citoyens atomisés, qui parviennent à une unité artificielle à travers une sphère séparée de politique nationale, sont une caractéristique commune des États parlementaires, staliniens, fascistes ou même islamistes. Ce sont là des organisations de la bourgeoisie en tant que classe, qui se développent à partir des rapports sociaux de la société de classe. C'est pourquoi la lutte révolutionnaire du prolétariat est antidémocratique et antiétatique et n'a rien en commun avec la politique bourgeoise, les partis politiques (qu'ils soient de gauche ou de droite, parlementaires ou extraparlementaires, légaux ou interdits), les élections et les coups d'État politiques.

CONTRE LES SYNDICATS ET LE GAUCHISME

Cela fait longtemps que les syndicats de classe (par opposition aux syndicats " jaunes " directement fondés par la bourgeoisie) ont cessé d'être des organisations de la classe ouvrière. Ils sont devenus une partie de l'État capitaliste, une institution pour la vente organisée de la force de travail et pour maintenir la paix sociale. Comme tels, ils doivent être détruits et non pas réformés. Les faiblesses et les défaites de notre classe ont engendré (et continuent d'engendrer) beaucoup de courants du gauchisme qui joue le rôle de la social-démocratie historique. Au moment des révolutions, ils ont toujours été le dernier recours et bastion du Capital parce qu'ils ne luttent pas pour la destruction du capitalisme, mais pour sa réforme radicale. Par conséquent, les prolétaires luttent contre toutes les formes du gauchisme : le stalinisme, le trotskisme, le maoïsme, de nombreux types d'anarchisme, les mouvements altermondialistes et anti-impérialistes...
(...)

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Si nous, inventeurs d'incroyances, partageons cette analyse, nous rejetons leurs solutions autoritaires préfabriquées et dépassées, relatives à la centralisation, au Parti et à la dictature. Nous combattons pour une libre auto-organisation égalitaire.

Pour bien comprendre le syndrome d'hypnose capitaliste il est utile de bien comprendre sa sœur jumelle qui errait entre les lignes de front de la Première Guerre mondiale et qu'on désignait comme "hypnose des batailles".

La norme c'est la guerre. La promesse c'est la victoire. Le moyen c'est la chair humaine. Pourtant, avec un soupçon de conscience, peut-on se réjouir de la guerre ? Comment ne pas imaginer que l'ennemi, lui aussi, vit de la promesse dans la victoire. Or la guerre est toujours triste et la victoire jamais acquise, et dans toutes les hypothèses, jamais pour les deux protagonistes à la fois. Le travail culturel est donc passé par là pour nettoyer le chemin vers la guerre. Voici les liens qui apparaissent entre le champ de bataille boueux et un capitalisme tout aussi crasseux.

La norme c'est la guerre économique, la promesse c'est la victoire, le moyen c'est nous. Et nous partons tous les matins pour faire la guerre économique, au début dès la sortie de l'école, diplôme en poche, par wagons entiers pour défourailler sur le marché de l'emploi et prendre position au travers d'une entreprise et mener la bataille des parts de marché la fleur au fusil. "Nous sommes une équipe", a dit le chef de service, "à l'attaque", disait le sergent.
Pourquoi partir si joyeusement à la guerre capitaliste ? Parce qu'elle est la norme et la culture commune. Il n'existe simplement pas d'autre réalité dans la tête de chacun. Les politiques, les médias, la culture, c'est la guerre économique, tout fait norme pour le groupe et pour le peuple. Cette norme possède un cœur battant qui est une promesse, la promesse d'un avenir radieux pour chacun, à condition qu'il se donne corps et âme à la norme et à la bataille.
Promesse d'une belle maison, d'une voiture possiblement neuve, d'écrans nombreux et souvent renouvelés pour suivre et être suivi, pour assimiler et être assimilé par la norme au plus près et au plus vite. Promesse d'avoir toujours à manger, promesse d'un avenir encore meilleur pour nos enfants. Et peu importe si la promesse est bidon en réalité, elle est une croyance quasi religieuse, un dogme, une norme.
La maison, la voiture et tout le reste ne sont bien souvent pas à nous, mais à la banque qui nous vend notre existence à crédit (souvent pour le double de son prix avec de la monnaie produite pour l'occasion) pendant que l'entreprise nous vend l'espoir d'avoir la possibilité de nous endetter grâce à elle et à la "sécurité de l'emploi" qu'elle nous procure. Comme le soldat est l'outil et le moyen de la violence déchainée, nous sommes l'outil et le moyen du capitalisme déchainé. Sans nous, ni la bataille ni le capitalisme n'existeraient.
L'hypnose des batailles c'est le soldat au milieu du chaos qui prend conscience en même temps qu'il perd conscience de ce qu'il vit, de ce qu'il produit et de cette insupportable réalité d'être au centre de cela. Par un acte inconscient, le soldat refuse de participer au chaos tout en acceptant d'en rester là, quitte à mourir, car même s'il meurt ça sera sans lui. Le soldat qui vit l'hypnose des batailles n'est plus là par l'esprit, il a abandonné son corps sur le champ de bataille pour vivre sa réalité intime, dernier refuge face au désastre et à l'épouvante.
L'hypnose capitaliste est moins visuelle, moins spectaculaire dans le sens ou l'épouvantable désastre n'est pas rassemblé sur un même champ que nous pourrions saisir d'un seul regard. Non, les champs de batailles capitalistes sont si multiples et disparates qu'il est impossible de les saisir tous ensemble du regard. De plus ces champs de batailles capitalistes ne sont pas souvent orientés directement vers la destruction des hommes, ce travail est bien souvent indirect et dirigé contre la nature et s'en prend à la vie.
Si nous pouvions voir dans leur ensemble les scènes de destructions directes et indirectes orchestrées par le capitalisme nous serions probablement saisis d'effroi si profondément que cela provoquerait en nous un effondrement moral et psychologique quasi immédiat tant ce déchainement terrifiant serait insoutenable.

Revenons à la guerre économique. Cela signifie aussi que l'hypnose capitaliste ne peut survenir qu'au cœur de la guerre économique lorsque nous sommes touchés directement sans écran, sans pouvoir fuir, sans pouvoir changer de "chaîne". Nous sommes alors enchaînés à la réalité de cette bataille économique où nous comprenons que tout ce à quoi nous avons cru nous est maintenant infernal, insupportable, car nous perdons tout nos repères, nos espoirs, nos croyances devant la réalité nue. Voilà, vous êtes viré, anéanti et devrez subir ce chaos car votre heure est venue, et vous resterez planté là au cœur du champ de bataille économique, une bataille qui ne vous concerne déjà plus du tout, tant vous êtes sonné par la déflagration qui vous atteint.
Sur le champ de bataille économique, c'est la stupeur, la perte de repères, le vide intérieur, ce moment où tout ce à quoi nous croyons ne tient plus une seconde devant l'hécatombe et le désastre, et vos amis qui tombent aussi. Prenons un bataillon décimé, au sein du capitalisme, nous l'appellerions une "entreprise qui licencie".
Prenons une usine centenaire, où les ouvriers viennent travailler de pères en fils et de mères en filles depuis des générations sous la promesse de jours meilleurs, d'un logis, du boire et du manger, et finalement à notre époque, une promesse d'écrans multipliés de toutes les tailles. Soudain l'entreprise ferme sans faire faillite car elle délocalise sa production vers un pays qu'on disait concurrent... Pays ennemi ? Pays ami ? Qui est l'ennemi ? Où sont les promesses ? Qui payera les crédits ? Où sont passé les jours meilleurs qui justifiaient mon sacrifice quotidien au travail 8 heures par jour ? Et mes enfants ? Et les écrans qui m'absorbent et me montrent que je ne fais plus partie de la norme dorénavant ? Et la consommation réduite aux ersatz et à la contemplation frustrée des publicités faute d'argent suffisant ?
Sans travail qui suis-je ? Sans argent qui suis-je ? Qui suis-je hors de la norme ? Et le cancer contracté au travail à respirer des effluves toxiques, qui est responsable maintenant ? Et ma femme, et mon mari qui se détourne au moment difficile de la vie sans travail ? Les distances à parcourir en voiture quand l'essence coûte trop cher ?
La vie et l'espoir sont absents au milieu du chaos de la guerre économique et ni la promesse et ni la croyance en demain ne tiennent la route lorsque le piège capitaliste se referme sur celui qui n'en fait plus partie. Absent à soi-même au milieu du champ de bataille économique, le chaos comme seule référence existentielle.
L'hypnose capitaliste c'est le moment de prise de conscience, puis de la perte de conscience devant le désastre de ce à quoi nous avons participé. Ce désastre ne nous apparaît malheureusement que lorsque nous sommes touchés directement, ce moment où nous sommes exclus de la norme du travail et de la consommation. Ce moment où sans argent et devant le désastre, la promesse ne tient plus et l'avenir est balayé.
Ce moment où tout part en miette, emportant souvent la famille et le couple, peut provoquer l'hypnose capitaliste, poussant celui qui en est touché à se retirer en lui-même pour abandonner son corps sur le champ de bataille, la drogue, l'alcoolisme, la folie, les écrans, le suicide, l'addiction venant combler la névrose de se retrouver au cœur de ce que personne ne veut contempler, un champ de bataille dont nous sommes le moyen et l'outil de destruction, finalement orientés vers nous-mêmes à la fin de l'histoire.

La Terre ne pourra supporter encore bien longtemps la guerre que nous lui faisons et qui prend maintenant un tour tragique. Les déséquilibres réels dans la biosphère, dans l'eau et dans l'air, ne sont pas des spectacles de divertissement pour nos écrans et nos consciences consuméristes. Il est question de notre cadre de vie, le cadre réel de nos existences au moment où nous quittons les écrans des yeux pour vivre pour de vrai. Sur le champ de bataille les soldats sont liés à des croyances que d'autres ont forgées, ces autres humains qui dirigent existent pour forcer la marche et faire obéir jusqu'au néant, jusqu'à la limite du supportable, jusqu'à l'hypnose des batailles.
La bataille contre la nature est d'un autre ordre, car c'est la nature en dernier recours qui forme les ordres, et ses ordres sont les mêmes depuis toujours, ceux qui permettent à la vie de demeurer et de se répandre depuis la nuit des temps. Qui peut discuter devant la vague de 10 mètres de haut ? Pas même une centrale nucléaire ? Qui peut parlementer avec des vents de 200km/h ? À quoi sert de voter si la couche atmosphérique est trop fine pour nous protéger du soleil durablement, nous promettant un cancer de la peau mondial, ou des rayonnements que nos organes internes ne pourraient supporter ? Quel aveuglement absurde.
Les soldats qui subissent l'hypnose des batailles et ceux qui continuent à se battre sans comprendre, peuvent-ils négocier avec un ouragan qui leur tomberait dessus ? Les seules réalités et obsessions humaines n'auront bientôt plus cours sur cette Terre. Tout n'est pas spectacle et la réalité de la vie existe en-dehors de la culture hypnotique des hommes. Peut-être faudrait-il entendre le message de la vie avant la dernière bataille qui s'annonce et qui la verra gagner dans le moment le plus épouvantable de l'humanité dans sa chair, mais libérée qu'elle sera dans son esprit des obsessions qui la font se détruire et détruire le monde vivant.
Après des milliers d'années d'évolution, l'humanité s'apprête à quitter l'histoire en une petite centaine d'années à peine. Le ridicule existe, nous vivons en son cœur et c'est le capitalisme technologique qui en écrit le dictionnaire abominable et créatif.

Enfin et pour finir, je voudrais évoquer le fantasme ultime de ceux qui ont depuis toujours la responsabilité des batailles à travers l'histoire, et de leurs conséquences. Ceux qui sont à la source du capitalisme guerrier contemporain et qui sont aujourd'hui bien informés sur la fin de l'histoire. Car ce sont eux qui fondent la culture commune puisqu'ils ont tous les moyens techniques et médiatiques pour forger les nouvelles valeurs mimétiques, la nouvelle inconscience collective, le nouvel aveuglement qui leur est profitable. Seulement cette élite est mortelle et respire la même eau, le même air et vit sur la même terre qu'elle s'évertue à détruire pour augmenter son pouvoir, son contrôle sur le niveau d'aliénation collectif.
Ces personnes surpuissantes et immensément riches forment le symbole monstrueux et hypertrophié du capitalisme. Elles sont les inventrices de la croyance dogmatique dans la science et la technique pour un soi-disant avenir radieux qui forme des montagnes de déchets ingérables. Nous savons maintenant ce qu'il en est de l'avenir qui se prépare.
Projetons le nouveau champ de bataille et que voyons-nous ? Des robots, mais pour se battre contre qui ? Contre d'autres robots ? Pour finir immanquablement à nouveau dans la boucherie commune faute de robot. Pourtant la question à résoudre depuis la nuit des temps reste inchangée : pourquoi donc s'entretuer ? Car la destruction de la planète ou de l'humanité reste profitable. Faut-il en rire tant c'est amoral et cynique ?
La bataille économique prend la même tournure, et sur le champ de bataille sont entrés les robots. Les usines robotisées rivalisent pour gagner en vitesse, en productivité, mais pour quoi faire s'il n'y a plus de clients ? Les clients étant ceux-là même qui travaillaient pour gagner de quoi consommer comme Ford l'avait bien compris.
La question que nous devrions donc tous nous poser est : pourquoi et pour qui travaillons nous ? Le microcosme élitiste mondial a-t-il encore besoin de travailleurs finalement ? Probablement que non, les robots suffiront. Enfin, puisque rien n'arrête la destruction par la technique de notre planète et de notre humanité tout le monde sera en danger assez rapidement maintenant pour simplement se maintenir en vie ou manger à sa faim.
Voici donc que l'élite capitaliste sort son dernier joker, et pas des moindres, résultat de la fusion entre l'humain et la technologie, voici donc le transhumain.
Une incroyable fuite en avant, actant la fin de l'humanité prête à son autodestruction, pendant qu'une poignée d'humains bricolent la génétique et la technique pour respirer l'irrespirable, pour boire l'imbuvable et manger l'immangeable qu'ils produisent à l'échelle planétaire. À défaut de supporter la vie plus longtemps, les transhumains inventent la non-vie de demain sur une planète humainement invivable mais transhumainement supportable.
J'aimerais dire à cette élite qui depuis toujours a perdu l'entendement et qui possède maintenant les moyens du délire parfait à l'échelle du monde que leur hypothèse ne fonctionnera pas pour les mêmes raisons que la guerre contre la nature ne fonctionne pas. Les transhumains sont à l'image des OGM, un délire dangereux.

L'erreur humaine est toujours la même depuis la nuit des temps lorsque l'homme veut se faire Dieu en concentrant les pouvoirs, l'argent, la technologie. Autant dire tous les attributs de la guerre. La chronologie historique répète inlassablement le même cycle délirant, seule l'échelle de grandeur vient à s'accroitre inexorablement avec des conséquences de plus en plus difficiles à calculer, pour arriver à notre époque actuelle, c'est à dire un délire entropique d'échelle planétaire qui nous condamne rapidement à la conscience et à l'action fondamentale en faveur de la vie.
Car à l'échelle contemporaine l'hypnose des batailles, ou l'hypnose capitaliste, ne sont même plus de mise tant l'enjeu nous dépasse tous. Car l'heure est venue de former une nouvelle culture collective débarrassée de la guerre, de la technique et du pouvoir autoritaire pour entrer en phase avec la vie pendant que celle-ci nous appelle encore à elle et avant qu'elle nous repousse définitivement et fasse taire notre délire mégalomaniaque planétaire et transhumaniste, au travers de chocs ingérables et impossibles à contrecarrer.
Mes lectures me démontrent malheureusement qu'à travers le temps, de grands penseurs ont vu venir l'époque actuelle bien avant l'heure, présentant le tableau, mettant en garde, avertissant mille fois à la lumière de leurs intelligences visionnaires. Et je suis au regret de vous dire que ces hommes n'ont éclairé de leur vivant que ceux qui ont pris leur place pour poursuivre l'alerte. Depuis plus de cent ans maintenant l'alerte retentit de plus en plus fort, mais rien n'y fait. La trajectoire de nos sociétés collectives délirantes reste invariablement inchangée. Aussi je ne me fais aucune illusion sur la portée de ce texte qui synthétise et développe cette notion nouvelle d'"hypnose capitaliste". Ce que j'écris viendra au mieux égayer quelques temps le spectacle permanent alimenté sur les écrans. Ce texte n'est que l'écho de temps plus anciens qui ne parvient pas à l'oreille du monde.
Et pourtant il est question d'un champ de bataille bien réel sur lequel nous sommes tous, de gré ou de force, volontairement ou à notre corps défendant. L'enjeu collectif est d'une telle dimension que je peux comprendre qu'on puisse se sentir désemparé dans la prise de conscience de notre trajectoire actuelle.

Quoi faire ? À défaut d'une œuvre politique collective, d'une nouvelle culture inspirée et reliée à la vie qui viendrait en lieu et place du capitalisme, il nous reste la possibilité de ne plus participer personnellement à la méga-machine industrielle et technologique. Politiquement, on voit que les élections se font souvent avec moins de 40% de votants, sans compter ceux qui ne sont même pas inscrits sur les listes électorales. La désertion a déjà commencé politiquement sans que cela change la réalité puisque qu'il n'y a pas d'alternative culturellement autre que le capitalisme. Nous avons donc le choix entre capitalisme rouge, vert, bleu ciel ou encore bleu foncé... Qui oserait politiquement parler d'arrêter la méga-machine industrielle pour développer un nouvel art de vivre ensemble dans la simplicité ? Le train est lancé et c'est un TGV, à chacun d'imaginer un monde sans croissance avec plus d'équité. Courage.
Refusons de consommer, refusons d'acheter, refusons l'usage de la monnaie bancaire au service du capital et de l'industrie, refusons au maximum les produits industriels et technologiques, entamons l'atterrissage vers une vie simplifiée, locale, reliés les uns aux autres par le choix et non par la norme. Ne remplaçons plus, réparons, faisons de peu. Revenons à la vie réelle. Consommons peu et peu d'énergie. Développons le zéro déchet comme trajectoire et comme indicateur de respect de la vie. Cultivons nous, apprenons des grands penseurs humanistes et reliés à la vie, produisons la nouvelle culture commune vivante, indépendante du capital, reliée les uns aux autres et au vivant.
Relions nous pour le meilleur puisque le pire nous le connaissons déjà, pour peu qu'on ouvre les yeux sur le champ de bataille économique tel qu'il est, façonné par l'idéal capitaliste et son élite internationale profiteuse, amorale et finalement inhumaine.
À défaut de refaire le monde, abandonnons-le pour nous retrouver autour d'un feu, les yeux dans les yeux et l'âme au cœur de la vie.

Non content d'avoir servi de base arrière à ce que la presse internationale qualifie de " menace terroriste ", et tout particulièrement aux commandos qui ont semé la mort à Paris le vendredi 13 novembre 2015, où 130 citoyens, " repus " et " satisfaits " de leur petite vie ordinaire d'esclaves soumis et dociles au service du capital, ont participé bien involontairement à une grande " sauterie " djihadiste...
Non content d'avoir militariser l'ensemble de la société à la suite de cet acte de guerre contre l'Etat national français, dont les armées d'assassins et de mercenaires participent à semer la mort et la désolation aux quatre coins de la planète (Syrie, Iraq, Afghanistan, Libye, Mali, Centrafrique, etc.) au nom de la liberté, de la démocratie, de la justice, des droits de l'homme (bourgeois) et du citoyen, mais en fait plus précisément et véridiquement dans l'intérêt immédiat et historique du profit capitaliste et de la dictature de la valeur...
Non content d'avoir imposé aux prolétaires, comme à tous les " idiots utiles " de France et de Navarre et d'ailleurs (en d'autres termes aux " reproducteurs de la paix sociale "), le rassemblement citoyen derrière la défense de " nos valeurs " ou du " vivre ensemble " (dont la signification exacte et véritable est la cohabitation " harmonieuse " entre d'un côté les propriétaires des moyens de production, et de l'autre les dépossédés et les damnés de la terre)...
Non content d'embrigader les exploités dans la défense de la démocratie dans toute sa " splendeur " et sa " plénitude " et son horreur meurtrière, démocratie qui n'est jamais rien d'autre que la négation idéologique et pratique, en acte, de l'antagonisme de classe et donc l'affirmation toujours plus terroriste de la dictature capitaliste...
Non content d'avoir mobilisé des foules d'esclaves salariés derrière le petit drapeau (torchon) national, en appelant ainsi à l'unité et à l'union sacrée en soutien à la nation et à " la patrie en danger " face au " danger islamiste ", " danger " ainsi étiqueté aujourd'hui, alors que demain, le même scénario justifiera la lutte à outrance contre le " danger communiste " ou contre " l'anarchie ", contre l'insurrection armée prolétarienne, contre la subversion totale qui bouleversera jusqu'à ses fondements l'entièreté de cette société d'exploitation et d'aliénation, de guerres et de morts, de sacrifices et de misère...
Non content d'avoir participé au développement de la dite " campagne antiterroriste " qui est censée obtenir le soutien inconditionnel et galvanisé " du peuple ", c'est-à-dire des citoyens atomisés, apeurés, effrayés, tétanisés, terrorisés, moins par les attentats en soi que par la propagande " sécuritaire " qui se manifeste et se matérialise par la présence de patrouilles de centaines de flics et de militaires surarmés dans les rues et les quartiers, par le survol en permanence de la ville par des hélicoptères, par le défilé incessant de véhicules de police sirènes hurlantes, créant ainsi un climat social et sociétal toujours plus anxiogène...
Non content tout cela et bien d'autres choses encore, l'Etat national belge, son gouvernement, sa bourgeoisie, ses appareils centraux de répression, de propagande, de contrôle social, etc. n'ont certainement pas accueilli sans un soupçon de satisfaction, ou à tout le moins sans un certain soulagement, les attentats meurtriers qui ont frappé Bruxelles le 22 mars 2016, comme d'une certaine façon une réplique " nécessaire " et " inévitable " aux attentats de Paris. Il faut dire qu'en termes de politiques internationales meurtrières et assassines, la Belgique et son armée n'est historiquement pas plus en reste que la France ou d'autres puissances européennes...
Finalement, les attentats de Bruxelles ont sonné comme une justification de tout l'arsenal militaro-policier déployé depuis plusieurs mois en Belgique pour faire rentrer dans les rangs serrés de la paix sociale, non pas les djihadistes et leur " menace terroriste ", qui à leur façon et à un certain niveau d'abstraction participent de la société du spectacle permanent et de l'ordre bourgeois, mais bien le " commun des mortels " de la population, c'est-à-dire les prolétaires toujours susceptibles à un moment donné de mettre en avant leurs propres intérêts de classe dans un climat d'attaques permanentes contre leurs conditions de travail et d'existence...
Les 32 morts et plus de 300 blessés de Bruxelles, pour la plupart des " vacanciers " au départ de l'aéroport national à destination de plages somptueuses censées les éloigner pour un temps des contradictions et des tumultes de la présente société, ainsi que des travailleurs qui circulaient en métro au niveau d'une station située à deux pas du quartier général des divers dispositifs politiques transnationaux tels que la Commission européenne et son parlement, bref toutes ces victimes font participer pour une fois la population locale à la quotidienneté de ce que vivent journellement nos frères et sœurs de classe sous d'autres latitudes, et cela habituellement dans l'indifférence généralisé des populations européennes " repues " et " satisfaites ". Et pendant quelques heures, nous nous sommes sentis plus proches, Paris et Bruxelles sont devenus Damas, Alep, Bagdad, Kaboul, Kunduz ou Aden, écrasés par la quotidienneté des bombes, de la terreur, de l'angoisse, des larmes, du sang, des morts, ad nauseam...
Aujourd'hui en effet, ce ne sont plus simplement les " gens d'armes " de l'Etat, ses mercenaires ou ses dirigeants qui sont visés ou susceptibles de l'être mais bien et aussi ses " gens ordinaires ", ses " citoyens lambda " (comme disent les medias), qui se croient à l'abri des contradictions meurtrières qui ensanglantent ce monde sans pitié pour l'espèce humaine. Aujourd'hui, il n'est plus question de se " faire une terrasse " ou d'aller tranquillement au concert (comme les bourgeois étaient encore les seuls à le faire au début du siècle dernier) et s'imaginer un seul instant échapper aux horreurs qui se passent tous les jours aux quatre coins de cette planète : guerres, bombardements, famines, malnutrition, maladies, tortures, pollution, destruction de l'écosystème, etc. Comme disait l'autre : " On fait soit partie du problème soit de sa solution, entre les deux il n'y a rien ! " Ou pour être plus dialectiques, disons que si nous sommes à la fois le problème et la solution, le passage de l'un à l'autre s'effectue par la négation violente et active de l'état des choses actuel, et donc par l'émergence consciente et volontaire de l'état des choses futur...
A contrario de ce qui s'est passé à New York et Washington en 2001, à Londres en 2005, à Paris (deux fois !) en 2015 ou à Bruxelles en 2016, où les prolétaires soumis à outrance à l'idéologie " citoyenniste " ont marché au pas selon le tempo donné par leur propre bourgeoisie, la façon dont d'importants secteurs du prolétariat en Espagne ont réagi après les attentats de Madrid le 11 mars 2004 doit interpeller notre classe en plein désarroi programmatique. Rappelons-nous les faits : après que des bombes aient explosées dans des trains de banlieue au petit matin faisant 200 morts, tous des travailleurs se rendant au chagrin, des milliers de prolétaires sont descendus dans les rues en affichant leur mépris pour " les terroristes " mais aussi et surtout en dénonçant la politique de leur propre gouvernement et l'implication de leur propre armée dans la guerre en Irak. " Ce sont vos guerres, ce sont nos morts ! ", telle fut la consigne principale de ce mouvement qui retourna sa haine " des terroristes " vers sa propre bourgeoisie... avec pour conséquence pour le gouvernement espagnol de devoir retirer ses troupes d'Irak afin de désamorcer la contestation au niveau local.
De tout cela, nous pouvons et devons conclure et mettre en avant que la seule façon dont les prolétaires peuvent s'en sortir vivants de toute " cette haine ", de toute " cette folie ", c'est surtout de ne pas collaborer avec sa propre bourgeoisie, son propre gouvernement, ses propres mesures répressives antiterroristes.
Ce ne sont pas les militaires surarmés patrouillant dans les rues qui nous protégeront en aucune manière " des terroristes ". Nous ne pouvons et ne devons compter que sur nous-mêmes et nos propres capacités à renverser ce monde et ses contradictions internes (ô combien meurtrières !), à le révolutionner de fond en comble...

Guerre de Classe 04/2016

https://www.autistici.org/tridnivalka/guerre-de-classe-042016-paris-13-novembre-2015-bruxelles-22-mars-2016-comme-une-journee-ordinaire-en-syrie-en-irak-au-yemen-ou-en-afghanistan/
http://www.autistici.org/tridnivalka/wp-content/uploads/guerre_de_classe_04-2016-fr.pdf

Depuis 2011, un certain nombre d'éleveuses de brebis et d'éleveurs de chèvres désobéissent à la directive euro­péenne qui les oblige à poser des puces électroniques à l'oreille de leurs bêtes. Ils refusent de gérer leur troupeau par ordinateur et de se conformer aux nécessités de la production industrielle, comme la traçabilité. Ils s'organisent entre collègues, voisins, amis, pour répondre collectivement aux contrôles qu'exerce l'administration sur leur travail, et faire face aux sanctions financières qui leur sont infligées en conséquence.

De 2011 à 2013, des assistantes sociales ont boycotté le rendu annuel de statistiques, qui sert autant à évaluer leur travail qu'à collecter plus de données confidentielles sur les " usagers ". Elles dénoncent l'inutilité de l'informatique dans la relation d'aide avec les personnes rencontrées. Par le management, l'administration fait entrer l'obligation de résultats dans ce métier. Elles refusent qu'à chaque situation singulière doivent répondre des actions standard en un temps limité.
Dans les années 2000, des directeurs d'école et des parents d'élèves se sont opposés à la collecte de données personnelles sur tous les enfants scolarisés via le logiciel Base-élèves. Fin 2015, des personnels de l'éducation nationale ont dénoncé publiquement l'informatisation de l'école, par l'Appel de Beauchastel. Ils refusent de résumer leur enseignement à une pédagogie assistée par ordinateur, destinée à occuper la jeunesse en attente d'entrer sur le marché du travail.

L'informatique et la gestion détruisent nos métiers et dégradent les relations sociales. Nous critiquons l'emprise grandissante des logiques gestionnaires. Qu'elles se présentent comme innovation technique, organisation scientifique du travail ou management, ces formes de pouvoir attaquent notre dignité et nous opposent les uns aux autres. Nous voyons disparaître les marges de liberté qui nous permettent d'échapper aux impératifs de la rentabilité. D'après le discours dominant, il s'agit là d'un progrès. Mais pour les humains que nous sommes encore, loin de mettre un terme aux travaux pénibles, ce processus est le progrès de notre dépossession.

Que nous fait l'informatique ? Elle vise à optimiser le temps productif et prétend nous simplifier la vie, mais en réalité, elle prend du temps et de l'attention au travail vivant en démultipliant les tâches administratives. Elle nous oblige à saisir des données. Elle produit ensuite des statistiques et des algorithmes pour découper, standardiser et contrôler le travail. C'est du taylorisme assisté par ordinateur. Le savoir-faire est confisqué, le métier devient l'application machinale de protocoles déposés dans des logiciels par des experts. Ce qui n'est pas nommable ou quantifiable disparaît : il y a de moins en moins de place pour la sensibilité, la singularité, le contact direct, pourtant essentiels à l'enseignement, le soin l'agriculture, l'artisanat... Par la mesure constante des performances, nous finissons enfermés dans l'alternative infernale : subir la pression ou se faire éjecter. Bien souvent, ce sera les deux. Pendant que les usines ferment, même les activités qui en sont les plus éloignées sont gagnées par l'absurdité et la violence du modèle industriel.

Au-delà du travail, c'est toute notre vie intime et commune qui est affectée : elle perd ce qu'elle a d'incalculable. Dans l'administration, les services publics, les transports, en tant qu'étrangers, élèves, patients, clients, nous sommes réduits à des flux, identifiés, surveillés, numérisés. Les machines deviennent nos seuls interlocuteurs. Les dispositifs électroniques intégrés à toutes choses masquent les rapports de pouvoir sous une apparence d'objectivité. L'enthousiasme pour les écrans façonne un monde où tout s'aplatit, s'accélère et se disperse. La saturation d'informations entrave la pensée et les moyens de communication nous coupent la parole. Mettre en valeur les savoir-faire autonomes et le temps de leur élaboration est devenu une lutte quotidienne. La préténdue dématérialisation consacre en fait la surexploitation des ressources : composants métalliques et plastiques des ordinateurs, data centers en surchauffe, câblages géants... Le tout est fabriqué par les forçats du monde industriel et échoue dans les décharges qui se multiplient au Sud de la planète.

Certains tentent de préserver du sens dans l'exercice d'un métier qu'ils reconnaissent de moins en moins. D'autres ne veulent plus lutter sur le terrain de leur activité professionnelle, démissionnent et s'engagent sur des chemins de traverse. Le chômage peut alors être un moyen de réfléchir et d'agir hors de la production et du travail salarié. Nous mettons en mots ces conflits et ces parcours pour sortir de l'isolement et de l'impuissance dans lesquelles les gestionnaires veulent nous enfermer. Partant de l'analyse de ce que nous vivons, nous construisons une parole politique commune et nous imaginons de nouvelles formes de lutte et d'autres manières de travailler.

Nous mettons au centre de notre démarche un problème qui n'est jamais porté collectivement, celui du rôle et du contenu du travail. Il nous importe par exemple de pouvoir juger du caractère inutile, voire nuisible, de certains métiers et de la misère humaine qu'ils induisent. Nous constatons que les syndicats ont renoncé à le faire. Ils se bornent le plus souvent à une défense corporatiste de l'emploi, à lutter pour défendre des statuts et des conditions de travail, sans remettre en cause le sens des productions et des activités pour lesquelles les travailleurs sont payés. Ils se font ainsi les cogérants de l'organisation sociale à l'origine des maux qu'ils combattent.
Dans le cadre de la lutte contre le puçage électronique des animaux d'élevage, des fermes sanctionnées de plusieurs milliers d'euros ont bénéficié de la solidarité de centaines de personnes. Ces dernières ont aussi bien organisé des concerts de soutien ou des débats, envoyé de l'argent aux éleveurs, écrit des lettres de protestation aux administrations et occupé celles-ci, accueilli en nombre les contrôleurs sur les fermes. Les refuseurs du puçage sont ainsi en mesure jusqu'ici de tenir leur position.
Nous voulons continuer à nous soutenir dans nos luttes en affirmant des choix communs et en coordonnant nos actions publiques : désobéir de manière concertée, faire face collectivement aux sanctions, mettre en œuvre un soutien matériel et humain entre les métiers et les régions.
Au-delà, nous voulons retrouver de l'autonomie, redéfinir nos besoins, nous réapproprier des savoir-faire. Bref : décider de la forme et du sens de nos activités et de notre vie.

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Non seulement ceux qui nous critiquent, mais aussi des lecteurs et de proches camarades ont été surpris que nous insistions une fois de plus sur le léninisme, le bolchevisme, le stalinisme... considérant que tout cela est terminé, dépassé, que tout cela a été rendu caduque par la "chute du mur" et qu'il n'en reste tout au plus que des réminiscences anachroniques. Cette appréciation se base sur ce que les politiciens disent d'eux-mêmes ou, ce qui revient au même, sur les régimes politiques ou partis formels qui se déclarent léninistes ou marxistes-léninistes, plutôt que sur la réalité de la domination capitaliste et sur l'apport qu'a représenté pour cette dernière la contre-révolution léninisto-stalinienne en tant que "science de la manœuvre politique, tactique et stratégique" qui justifie tout et son contraire.

Le léninisme ne se limite pas aux régimes marxistes-léninistes qui, il n'est pas inutile de le rappeler, et jusqu'à une époque très récente, s'étendirent à plus de la moitié de l'humanité. Lénine a été l'auteur le plus lu de tous les temps. Le marxisme-léninisme est une méthode essentielle et globale qui permet de dominer le prolétariat, c'est, comme disait Trotsky, une véritable "science de la manœuvre" qui permet de liquider l'action directe révolutionnaire au nom d'intérêts dits supérieurs. Si, au sens le plus large, toutes les forces et partis dont l'objectif est de contrôler les prolétaires constituent le parti historique de la social-démocratie (oui, du vieux parti bourgeois pour neutraliser les prolétaires), le triomphe de la contre-révolution léniniste a fait de cette science la forme la plus développée de domination des prolétaires, la méthode la plus perfectionnée pour imposer au prolétariat la mobilisation productive et nationale impérialiste, au nom du futur socialisme.

Le léninisme est utilisé non seulement par les staliniens, les trotskystes, les zinoviévistes, les gramsciens... qui, il est vrai, sont de moins en moins présents, mais également, de façon consciente ou non, par les nationalistes, les socialistes, les libertaires, les libéraux, les populistes, la gauche et la droite. Pas besoin de lire Lénine pour trouver cette dualité caractéristique poussée à sa plus pure expression au nom, non pas du parti mais du socialisme, du progrès, de la nation, de la démocratie, de l'égalité.... Pas besoin non plus d'être membre d'un parti pour défendre cette conception ; aujourd'hui, elle refleurit dans les ONG, les syndicats, les structures d'aide sociale et médicale que l'Etat instaure comme tactique contre-insurrectionnelle dans les quartiers pauvres (dans les "favelas", les banlieues, les "suburbs", les bidonvilles...) dans le pseudo socialisme latino-américain, parmi les piqueteros argentins ou au sein du mouvement des travailleurs sans terre du Brésil...

On nous dira que ce dualisme est essentiel à toutes les formes de domination capitaliste et que ces dernières ne sont pas le fruit du léninisme, ni de la social-démocratie. C'est bien vrai, parce que la démocratie elle-même, pour dissoudre la classe dans l'individu citoyen, a besoin de lui et, en ce sens, tout parti intéressé au développement et au progrès du capital doit l'utiliser. Néanmoins, en tant que prolétaires exploités en lutte contre le capital et ses États, ce sont les formes précises dans lesquelles cette domination se structure qui nous intéressent au premier plan, et plus particulièrement les formes de domination destinées aux prolétaires conçues pour canaliser ceux qui se battent contre cette société. Ce qui nous intéresse par- dessus tout c'est donc le rôle des partis bourgeois pour le prolétariat, c'est-à-dire la social-démocratie et son perfectionnement marxiste-léniniste. En approfondissant la question, nous constatons qu'il ne s'agit pas d'une forme de domination quelconque mais que nous sommes face à la forme la plus perfectionnée qui soit, au-delà de la terminologie utilisée.

Ainsi "le moindre mal" est une variante de toute l'histoire de l'oppression et de la domination de classe. La classe dominante essaye toujours d'utiliser et de canaliser ses propres exploités contre d'autres secteurs en disant qu'ils sont pires, elle prône toujours le changement afin que tout reste pareil. La social-démocratie a toujours utilisé cet expédient contre l'autonomie du prolétariat et l'action directe. Mais le mérite de son application ciblée contre la force révolutionnaire du prolétariat mondial insurgé des années 1917 /1919 et pour sa canalisation vers le frontisme revient au léninisme au pouvoir (1918-1923) et à la propagande marxiste-léniniste qui s'ensuivit. Le raffinement suprême dans la liquidation de la force révolutionnaire est précisément sa transformation historique et son embrigadement dans le front unique, puis le front populaire, le front national et, pour finir, sa soumission à la guerre impérialiste et son massacre généralisé.

Depuis lors, pour assurer sa domination, la dictature du capital, la démocratie, crée toujours l'épouvantail du fascisme afin de s'assurer une légitimité antifasciste et liquider toute expression autonome sur base d'un front (qui comme tout front populaire inclut le terrorisme d'État). Les physionomies ou appellations peuvent varier mais toutes les formes de domination et liquidation du prolétariat autonome utilisent les bases de la social-démocratie et leur perfectionnement effectué par Lénine et ses différentes et nombreuses variantes.

LE TERRORISME D'ÉTAT CONTRE LE PROLÉTARIAT

Dès le départ, la contre-révolution a dissimulé le fait que la terreur " rouge " appliquée sous Lénine n'était pas principalement dirigée contre la bourgeoisie mais contre le prolétariat. Ceci est la conséquence logique du programme de développement du capitalisme appliqué dès le début par Lénine et les siens : la défense des intérêts élémentaires du prolétariat s'oppose toujours à la politique capitaliste. C'est pourquoi, bien qu'on réprime également certains secteurs de la bourgeoisie et autres partis capitalistes, de plus en plus de forces bourgeoises seront cooptées ou neutralisées et le terrorisme d'État s'appliquera massivement contre le prolétariat rural et urbain.

Dès la création de la Tcheka en décembre 1917, l'ennemi est désigné : " le sabotage et la contre-révolution " ; visant au premier chef tous ceux qui s'opposent à la politique nationaliste des Bolcheviks et sabotent le développement de l'organisation capitaliste et taylorienne de la production. La traduction exacte du terme Tcheka est : " commission extraordinaire panrusse pour lutter contre la contre-révolution, le sabotage et la spéculation ".

Plus la politique nationaliste et impérialiste se réaffirme, et plus s'élargit la cooptation au sein de l'appareil d'État d'anciens fonctionnaires et militaires tsaristes et d'anciens bourgeois pour gérer le capital, plus la répression contre le prolétariat s'accroît. Si les premières victimes du terrorisme d'État, particulièrement parmi le prolétariat agricole, se produisent en pleine guerre civile (entre la terreur blanche et la terreur rouge) et si l'on peut prétexter ou alléguer une grande confusion dans le conflit entre deux projets capitalistes, c'est ensuite dans le secteur économique que se concentre le terrorisme d'État, dans la répression contre toute tentative prolétarienne de vivre moins mal. Sont accusés de spéculation, de sabotage et de contre-révolution tous ceux qui échangent de la nourriture, qui résistent aux réquisitions, qui obtiennent un morceau de viande, tous ceux qui font grève à l'usine, qui résistent au recrutement forcé dans l'armée et, de manière générale, tous ceux qui prônent la lutte contre les mesures d'intensification de l'exploitation que le léninisme imposent contre les intérêts prolétariens. Mais ce sont ceux qui appellent ouvertement à la résistance contre la politique clairement bourgeoise des Bolcheviks, et particulièrement ceux qui, comme ils l'ont toujours fait, continuent d'agir de manière organisée contre l'État, qui sont réprimés de la façon la plus sélective et la plus violente. Les partis et groupes les plus réprimés par le tsarisme sont les premiers à être réprimés par les Bolcheviks qui, il ne faut pas l'oublier, peuvent compter sur la collaboration de nombreux anciens officiers tsaristes, sur des militaires expérimentés. Dans de nombreux cas, les militants révolutionnaires sont enfermés dans les mêmes prisons et les mêmes cachots que ceux où ils étaient jetés à l'époque du Tsar.
Dès la création de la Tcheka en décembre 1917, sous la direction de Dzerjinski (ex-S.R. de gauche), la répression devient terrible, tant qualitativement que quantitativement: la torture se généralise dès le départ ainsi que la politique de disparitions et de liquidation physique des personnes. Contrairement au mythe, c'est sous Lénine que l'Union Soviétique a connu la période de répression ouverte la plus massive de son histoire, par le nombre de morts directs.

Différentes sources coïncident pour affirmer que, durant ce qu'on considère officiellement comme l'époque de la Terreur, c'est-à-dire une période de 18 mois s'étendant de septembre 1918 à janvier 1920, il y eut un million et demi de morts. La déclaration du Comité Central de l'Exécutif des Soviets du 2 septembre 1918 légitimant ce qu'il nommait la " terreur de masse " et qui dans la pratique fut la terreur contre les masses, avait été approuvée au départ pour lutter contre les opposants à la paix de Brest-Litovsk, particulièrement contre la rébellion ouverte des Socialistes- révolutionnaires de gauche. Elle se poursuivait contre tous ceux -taxés d'" agent de la bourgeoisie "- qui appelaient à continuer la révolution (en prônant la " révolution permanente " ou la " troisième révolution "), comme les Bolcheviks insurrectionnalistes l'avaient fait jusqu'en octobre 1917, en opposition à la majorité des Bolcheviks (opposée à l'insurrection, à la révolution socialiste et soutenant le gouvernement provisoire).

Les Bolcheviks déclaraient que la révolution était terminée, qu'il fallait maintenant travailler et collaborer à la reconstruction avec les différentes forces du capital et de l'État mondial. Un peu plus d'un mois plus tard, Lénine s'en justifiait dans la Pravda : " Lorsque les gens nous reprochent notre cruauté, nous nous demandons comment ils peuvent oublier les principes les plus élémentaires du marxisme " (publié le 26 octobre 1918). Si pour justifier l'injustifiable, Lénine se prend pour le plus grand interprète de Marx sur terre, il est logique que Djerzinsky, le premier chef de la Tcheka, déclare que " la contrainte prolétarienne sous n'importe quelle forme, en commençant par la peine capitale, constitue une méthode pour créer l'homme communiste ".

Un an et demi plus tard, lorsque l'État décide de supprimer la peine de mort (interdiction officielle, surtout de façade et de toute façon maintenue pour les cours martiales : on a ainsi déporté vers les zones de front les condamnés à exécuter), il le fait afin de pouvoir utiliser toute la force de travail disponible et la mettre au service du développement économique. On consolide ainsi l'idéologie léniniste de l'indispensable développement du capitalisme comme étape vers le socialisme, on applique le " génial " slogan de Lénine qui dit que le socialisme c'est " le pouvoir des soviets et l'électrification de la campagne ". L'application stricte du travail forcé est nécessaire à la réalisation des tâches démocratiques bourgeoises dans un pays en ruines. Par l'idéologie et la terreur d'État, on imposera au prolétariat l'effort productif maximum.

Les camps de travail forcés commenceront à fonctionner dès 1918, année où plusieurs camps sont créés. Le 8 août 1918, Trotsky rédige et signe, en tant que commissaire du peuple à l'armée et à la marine, un ordre du tribunal révolutionnaire de guerre dont voici un extrait : "Le camarde Kamenchikov, que j'ai nommé commandant de la garde chargé de protéger la ligne de chemin de fer Moscou-Kasan, a donné l'ordre de créer des camps de concentration à Murom, Arsamas et Swiachsk. Dans ces camps ont été internés tous les agitateurs troubles, les officiers contre-révolutionnaires, les saboteurs, les spéculateurs, les parasites, à l'exception de ceux qui ont été fusillés séance tenante sur les lieux de leur crime, ou qui ont été condamnés à d'autres peines par le tribunal révolutionnaire." En 1920, huit camps de concentration supplémentaires seront ouverts. En 1922, la direction de la police politique en contrôlera cinquante-six. Au même moment, la condamnation aux "travaux forcés", défendue par Lénine et Trotsky, continuera à se généraliser jusqu'à se transformer en condamnation spécifiquement destinée à "ceux qui ne veulent pas travailler et [aux] saboteurs", c'est-à-dire la résistance prolétarienne. Avec ou sans peine de mort officielle, et en plus des exécutions officieuses ou relevant de la loi martiale, les condamnés crèvent du régime d'incarcération dans les camps, du climat extrême des régions délibérément choisies à cet effet, de la privation de nourriture, des tortures contre la moindre désobéissance et évidemment du travail forcé... "L'obligation, et par conséquent la coercition, est la condition indispensable du réfrènement de l'anarchie bourgeoise..."

Sans les formes de coercition gouvernementale qui constituent le fondement de la militarisation du travail, le remplacement de l'économie capitaliste par l'économie socialiste ne serait qu'un mot creux... Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d'exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l'État socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail... mais afin d'ordonner la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l'éduquer... en un mot, d'incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan unique." (Trotsky - Terrorisme et communisme, 1920) A la mort de Lénine, les prisons que les prolétaires avaient vidées en 1917 renferment dans leurs immondes entrailles 87.800 prisonniers politiques, dont déjà un grand nombre de militants ayant participé à l'insurrection d'octobre, y compris des militants de la gauche communiste du parti bolchevique lui-même.

L'appareil politique, la terreur de l'État et les camps de travail deviennent ainsi la clé de la contre "révolution russe" et du développement du capitalisme (que Lénine et Radek appelleront "socialisme en un seul pays", expression officialisée au 6° Congrès en 1928, théorisée par Boukharine et perpétuée par Staline). Lors du second anniversaire de 1917, la Pravda écrit fièrement : " 'tout le pouvoir aux soviets' s'est transformé en 'tout le pouvoir aux Tchekas' ".

LES PREMIERS PAS DU TERRORISME D'ÉTAT

La première action de la Tcheka sera d'écraser une grève d'employés et de fonctionnaires à Petrograd. La première grande rafle aura lieu dans la nuit du 11 au 12 avril 1918 contre des organisations qui se définissent anarchistes, et surprendra par une dureté inusitée. Lors de cette rafle, plus de 1.000 flics de la Tcheka prendront d'assaut 20 maisons d'anarchistes de Moscou, emprisonneront 520 personnes, dont 25, accusées d'être des "bandits", seront assassinées. Cette appellation sera par la suite couramment utilisée contre les militants qui continuent à lutter contre le capitalisme et l'État. Le nombre de tchékistes passera de 120 en décembre 1917 à 30.000 un an plus tard.

Si les droits des travailleurs sont remis en cause, le mouvement de contestation sociale qui vient dénoncer cette remise en cause se voit confronté à un problème d'ordre théorique et stratégique.
Qu'est-ce à dire ? Des lois comme la loi El Khomri sont d'abord riches d'enseignement. Le système qui met en avant les finalités que sont la " croissance ", la " productivité ", la "compétitivité ", s'il assure qu'une légalité permettant son fonctionnement n'exclut pas la négation des intérêts vitaux de la classe laborieuse (qui rend possible pourtant la création de la valeur, au sens strict), fait à cet instant un aveu explicite. D'une certaine manière, et de façon paradoxale, ce système s'auto-dénonce. De façon impudique, il proclame que ce qui est pour lui " vertueux " correspond, dans les faits, à une occultation des vécus qualitatifs concrets de ceux qui font " fonctionner " la machine, c'est-à-dire correspond à ce qui est scandaleux en soi.
Cet aveu est une aubaine : la classe qui détient le capital, et l'État qui défend ses intérêts, nous donnent le bâton pour qu'on les batte. Un cynisme aussi clair nous indique définitivement que le système n'a absolument rien de " sain " (fait que le mythe des " Trente glorieuses " tendait à nous faire oublier). Une démonstration aussi radicale d'un mépris institutionnalisé est un appel à l'insurrection.

Quel est le sens d'une " provocation " ? Celui qui provoque s'attend à une réaction proportionnée à l'ampleur de la provocation. La loi El Khomri sera une ultime provocation, qui appelle une réponse à la mesure du scandale. Dans ce contexte, on ne saurait la réduire à une énième réforme dont il s'agirait simplement d'exiger la " refonte ", ou même " l'abolition ". Il y a là plutôt un saut qualitatif qui se joue. Le système de la valeur accumulée montre son vrai visage, et il faudrait savoir saisir cette occasion.

L'inconscient des agents d'entretien du système républicain est un vaste champ de ruines que nous pourrions explorer. Ici, des idéaux de jeunesse abandonnés, des renoncements, des abdications. A l'endroit où ils se trouvent, règne en maître une " double pensée " (Orwell) en laquelle il s'agit de formuler, sur un mode phatique, des prescriptions technocratiques désincarnées dont on a pleinement oublié la signification proprement " humaine ". Leur connexion sociale se résume à l'analyse quantitative de " courbes " ou de " graphiques ", de " sondages " ou de " statistiques ", qui n'a plus rien de tangible. Une parole émerge alors, au sein de ce marasme pathétique : la " vertu " de ce système, nous disent-ils, correspond à la nécessité de piétiner ceux qui permettent son fonctionnement. Et soudainement, ils nous délivrent, indirectement mais certainement, une amère vérité, que nous avions préféré ne plus voir : le système en question, pas une seule seconde, n'a pour finalité la prise en compte et la reconnaissance positive de ses membres laborieux.

Les deux options, bien sûr, ne s'excluent pas mutuellement. D'abord, dans un contexte qui n'est pas encore révolutionnaire, il faut bien sûr défendre les droits des travailleurs s'ils sont menacés, dans la mesure où, tant que le capitalisme n'a pas été détruit, il faut pourtant bien vivre, et ce dans les meilleures conditions possibles. Mais il devrait être possible aussi, et même nécessaire il me semble, de tenir ensemble les deux finalités : dans le temps où nous défendons les droits des salariés, dans le temps où nous tentons de réduire les inégalités au niveau de la distribution des marchandises et de la valeur, dans le temps où nous souhaitons éviter que la politique politicienne produise des dégâts irrémédiables, nous pourrions préparer l'avènement d'une société en laquelle seraient abolis le travail, la propriété privée des moyens de production, la marchandise, la valeur, et l'État. La focalisation présente sur la loi El Khomri (qui n'est pas qu'un prétexte, mais plutôt un détonateur) ne se priverait pas d'un horizon révolutionnaire, et d'un projet post-capitaliste.

Autre enseignement : le travail ne vaut pas en tant qu'il produit des valeurs d'usage concrètes, susceptibles d'avoir une utilité sociale concrète et vertueuse, mais il ne vaut qu'en tant qu'il permet une " croissance " quantitativement et abstraitement appréhendée. Avec la loi El Khomri, c'est l'idée de " travail en général ", de travail " tout court " qui émerge : peu importe votre activité, la manière dont vous vous reconnaissez en elle, et la manière dont elle sert le bien commun ; ce qui importe, c'est d'abord le fait qu'elle soit activité salariée productrice de valeur abstraite. Car la " croissance " qui inquiète tant les Politiques n'est elle-même qu'un enjeu désincarné, par-delà tout projet raisonnable ou authentiquement humain.

La loi El Khomri nous dévoile l'être de l'État républicain en régime capitalise. Sachons retenir cette leçon. Quelle est cette leçon ? L'État n'est plus que le gestionnaire du capitalisme. Ses finalités (productivité, compétitivité) peuvent toutes être ramenées à la notion de profit (profit qui concerne une infime minorité de la population). La manière dont il définit sa gestion du tout social renvoie à une façon de privilégier systématiquement un ensemble d'intérêts privés négateurs du bien-être commun. La " double pensée " qu'il porte consiste à faire passer certains enjeux vagues et mal définis (croissance) pour des questions concernant quelque " intérêt général " abstrait et immédiatement séduisant. Mais tout universel abstrait, pourtant, recouvre un particulier concret à tendance totalitaire se faisant passer fallacieusement pour le tout là où il n'est qu'une partie non représentative de ce tout. Avec des lois comme la loi El Khomri, l'État républicain nous fait un aveu : pour lui, la liberté n'est jamais que la liberté d'entreprendre (ou de consommer) ; mais cette liberté est le contraire de la liberté politique au sens strict, qui est une liberté positive en actes et en paroles ; pour lui, l'égalité est une égalité quantitative qui concerne la sphère de la circulation des biens ; mais cette égalité repose sur le principe inégalitaire par excellence (l'exploitation). Prendre acte de cet aveu, c'est prendre acte d'un fait important : l'État qui affirme lui-même la nécessité de défendre les principes démocratiques est en train d'affirmer lui-même qu'il revendique sa propre abolition, dans la mesure où il défend le contraire de la démocratie. Telle est la conséquence de la " double pensée " en milieu démocratique : les " représentants " au pouvoir exigent eux-mêmes, certes inconsciemment, qu'on les renverse, et que l'on fasse cesser leur mascarade. S'ils étaient conséquents, et s'ils comprenaient réellement ce que signifie leur défense de la " démocratie ", ils voudraient eux-mêmes ne plus gouverner, et reconnaîtraient la légitimité de tout mouvement de désobéissance civile. Sur ce point donc, écoutons-les, et soyons conformes à leur souhait inconscient : abattons leur système, puisqu'ils paraissent tant le désirer (quoiqu'ils ne le sachent pas eux-mêmes...).

Il serait absurde de vouloir sauver ce qu'on appelle " l'économie réelle " en s'attaquant à la loi El Khomri. Car ce qu'on appelle idéologiquement " économie réelle " en milieu capitaliste est en réalité le règne de l'abstraction, la négation de toute qualité et de tout projet conscient. L'" économie réelle ", c'est le mouvement tautologique et autoréférentiel AMA' (Argent-Marchandise-Davantage d'argent). Le capitaliste achète des facteurs de production (AM), puis voit sa valeur de départ augmenter (A') dans la mesure où le travailleur a effectué un surtravail. Dans ce procès, c'est l'argent en tant qu'abstraction quantitative qui est au départ et à l'arrivée du mouvement. Ne compte que l'abstraction en tant qu'abstraction. Le fait que les produits du travail aient une certaine utilité sociale (ou inutilité) ne compte absolument pas ; le fait que le travailleur se " reconnaisse " dans son travail, ou dans sa fonction sociale, ne compte absolument pas, car il n'est jamais qu'un agent de la valeur, une partie aliquote d'un tout numériquement défini. La croissance, donc, que promeut l'État gestionnaire du capitalisme, cette croissance qui concerne quelque " économie réelle " confusément appréhendée, n'est en réalité que la négation d'une dimension concrète et consciente (soit réelle) dans les sphères de la production et de la circulation. Si le mouvement qui s'oppose à la loi El Khomri ne remet pas en cause ces règles du jeu (l'argent pour l'argent, en l'absence de tout contrôle conscient des sphères économique et sociale), s'il ne s'agit que de rendre " plus vertueux " le système du salariat, ou de la valorisation des biens, nous n'aurons pas su nous situer à la hauteur du scandale et de l'aveu (auto-dénonciation) dont il est ici question.

Certains " penseurs officiels " du mouvement parisien ne sont pas à la hauteur du scandale. Lordon, en se focalisant trop souvent sur la dénonciation du système " pernicieux " de la finance, indique qu'il se satisferait très bien d'ajustements cosmétiques (donner plus de pouvoir à l'État, régulation des flux financiers, etc.). Mais la finance n'est jamais que la manifestation, en superficie, des folies provoquées par ladite " économie réelle " (AMA'). Déplorer les " ravages " de la finance sur un mode indigné est stérile et inefficace (et cela peut même donner lieu à un antisémitisme rance). La finance ne produit des ravages que parce que " l'économie réelle" est en elle-même folle et absurde (elle est un monde qui marche sur la tête, un système qui inverse la fin et les moyens). La finance ne produit ce qu'elle produit que parce qu'elle est dépendante d'une sphère productive en elle-même folle et absurde : système du travail abstrait, de la valeur, et de la marchandise. Donc si l'on déplore la folie financière (chose stratégiquement dangereuse), on est en train de dénoncer les catégories du travail, de la valeur, de l'argent, de la marchandise. Mais alors, autant s'en prendre immédiatement à la racine du problème, et commencer par déconstruire ces catégories naturalisées par les économistes " bourgeois " (chose que Lordon, toujours inconséquent, ne fait pas sérieusement).

Un mouvement de lutte radicale ne doit pas s'approprier les catégories établies par le système qu'elle combat pour simplement viser leur " purification ". Elle doit créer de nouveaux points de vue. Car c'est au sein de la logique de ces catégories que se situe le point critique : par exemple, la logique de la valeur comme fin en soi, inséparable de la catégorie du travail comme abstraction, produit une totale absence de contrôle de la part des gestionnaires de la production ; ceci est en soi une pourriture du système, et ce n'est pas en " modifiant " de l'intérieur de telles catégories que l'on pourra sortir du marasme que nous déplorons (ceci pose, par exemple, de façon très précise, un problème écologique de premier ordre : l'automouvement de la valeur, qui rend impossible toute limitation consciente de la production, nous engage vers une fuite en avant désastreuse écologiquement parlant). Les communistes " traditionnels ", en s'engageant dans le mouvement, voudraient aujourd'hui faire passer leur petit message : il s'agirait de revendiquer une distribution plus " égalitaire " des catégories capitalistes (valeur, marchandise, argent, travail). Autant dire qu'il s'agirait d'embourgeoiser les prolétaires (mais alors, ils ne seront plus jamais susceptibles de lutter par la suite). En nous réappropriant de la sorte les catégories capitalistes, nous ferions vivre l'esprit capitaliste d'une façon dangereuse, soit cet esprit par lequel aucun contrôle humain dans la sphère économique n'est possible. Trop de " communistes " aujourd'hui font vivre l'esprit du capitalisme (Mélenchon, NPA, Friot, etc.). Etre à la hauteur du scandale et de l'aveu que constitue la loi El Khomri, ce serait donc critiquer radicalement les catégories de base du capitalisme, plutôt que de revendiquer leur " purification ", dans la mesure où leur caractère fondamentalement destructeur et inconscient aurait été dévoilé.

Bernard Friot, de son côté, propose précisément un système de la valorisation et du salariat qui serait " purifié ". Il ne remet pas en cause le système de la valeur ou du salariat, mais tend au contraire à les magnifier. Par ailleurs, en maintenant une logique étatiste, dans son utopie niaise et irréalisable, il oublie que la logique de l'État, historiquement, est celle des Etats-nations. Il n'y a pas d'étatisation sans nationalisme. Et, par ailleurs, il n'y a pas de nationalisme en dehors du cadre du libre-échange. Les Etats-nations se sont constitués dans le cadre d'une économie de marché qui tendait à se mondialiser, dans laquelle les Etats, partenaires ou concurrents, devaient souscrire aux injonctions associées à l'accumulation de la valeur. Il est proprement impossible, dans cette mesure, de proposer une remise en cause des règles du jeu capitaliste dans un cadre étatique, c'est-à-dire dans un cadre nationaliste. C'est bien là l'écueil de tout " communisme réformiste ", s'il est possible d'employer ce terme : en dernière instance, les règles du jeu productiviste sont admises, et l'on se contente de modifier superficiellement un système qui dès lors verra ses aberrations et ses folies, souterrainement, se consolider. Par ailleurs, Bernard Friot, en réhabilitant parfois une méritocratie inégalitaire rance (les plus diplômés seront les mieux rémunérés, dans le cadre de son concept de " salaire à vie "), ne retient pas même les leçons de Bourdieu, si bien que, même sur le terrain de l'égalitarisme, il ne tient pas vraiment la route. Ce ne peuvent être de tels individus, trop bien installés dans une institution qui ne voit pas en eux un bien grand danger, qui pourraient porter un discours alternatif à la mesure des enjeux soulevés par le mouvement de lutte sociale contre la loi El Khomri.

Je n'ai fait ici que parler en mon nom. Et, si je dis " nous ", c'est que j'ai cru, en dialoguant avec certains camarades, qu'il pouvait y avoir des préoccupations communes. J'assume néanmoins mes propos en première personne, et considère que ce " nous " est plus une communauté que je souhaite qu'une réalité figée et définitive.
Personnellement, j'aimerais me situer à la hauteur du scandale et de l'aveu que dévoile la loi El Khomri. Cela signifie pour moi : m'insérer dans la lutte en revendiquant l'abolition du travail, de la valeur, de la marchandise, de l'argent, et de l'État, pour préparer une société où l'auto-organisation et la démocratie directe régneraient.

L'Euro, le Tour de France, on a été servi... mais quand on croit que c'est fini, c'est reparti, et c'est maintenant au tour des Jeux olympiques de prendre le relais. Du 10 juin au 10 juillet, durant 30 jours, l'Euro 2016, championnat d'Europe UEFA de football, a pris tout l'espace médiatique et occupé le centre d'une dizaine de villes en France. Les supporters, pourtant minoritaires, ont envahi le cœur de la cité en s'octroyant tous les droits, s'accaparant toute l'attention, envahissant tout l'espace. Et pendant ce temps la contestation n'était plus admissible par les pouvoirs en place, les manifestations ont été chassées du centre-ville, réprimées et parfois interdites.
Pour les matchs internationaux, tout semble autorisé aux insupportables supporters à condition qu'ils se conforment aux vociférations et gesticulations qui sont propres à leur rôle. Cette ivresse passagère refonde et renforce une identité nationale en décrépitude. Toute la lourdeur des conflits de la société est ainsi détournée et focalisée sur le concurrent qu'il faut battre et éliminer, l'adversaire étranger qu'il s'agit d'écraser.

À ce niveau de compétition, le sport n'est plus un amusement d'enfant, mais un business intransigeant. Il s'agit toujours d'une épreuve difficile où la concurrence est féroce et dont le seul but est de gagner sur les autres, la victoire à tout prix. L'équipe gagnante est une entreprise qui fait des affaires, la compétition est son marché, les matchs des opportunités et l'adversaire une menace. Sa stratégie est d'éliminer la menace.
De partout le sport est présenté comme une évidence, une activité naturelle positive. "Le sport est l'impensé autant que l'incritiqué des temps contemporains"(Robert Redecker, Le sport contre les peuples, 2002). Ce qui nous conditionne n'est jamais perçu comme tel. Notre aliénation ne nous est pas perceptible.

Le sport a toujours été l'activité préférée développée par les dictatures et les fascistes, " au point de devenir un élément constitutif indispensable de ces régimes " (Jacques Ellul). L'institution sportive est un appareil efficace qui répand massivement une idéologie réactionnaire, " le paradigme de l'idéologie fasciste" (Michel Caillat). On y retrouve la hiérarchisation, la sélection de l'élite, l'obsession de la pureté, la mobilisation de masse, l'omniprésence de la propagande, la glorification de la jeunesse, le culte des forts et de la virilité, l'exaltation de l'effort, l'apologie de la souffrance, la diabolisation de la fainéantise, l'idolâtrie du surhomme, l'exacerbation des passions chauvines, nationalistes et racistes.

Le sport n'est pas un jeu, mais une activité physique fortement réglementée basée sur l'effort, le renoncement au plaisir, le travail, le rendement, la compétition, le record, le dopage et l'absolue nécessité de la victoire. Le corps du sportif mercenaire est chosifié, transformé en chair à record, en marchandise compétitive, encaserné et drogué. Cette compétitivité sportive fonctionne à l'image du système marchand. "Le sport reflète le fondement des rapports de production capitalistes ainsi que leurs principes structurels de fonctionnement. À travers lui, l'idéologie dominante est perpétuellement et sournoisement distillée à haute dose : individualisme, apologie de la compétition, du rendement et du dépassement de soi, mythe du surhomme et de la croissance ininterrompue des performances" (Michel Caillat, Le sport n'est pas un jeu neutre et innocent, 2008). À l'image du sport, le moteur même de la survie sociale d'aujourd'hui est construit sur la guerre des uns contre les autres, seul contre tous. La loi de la compétition est le dogme de cette société. La compétition est une nuisance sociale où l'autre devient un obstacle à supprimer, l'ennemi à vaincre, où il s'agit de gagner en fabriquant des perdants.
"L'idée selon laquelle, dans chaque secteur, dans chaque discipline, il faut qu'il y ait un premier, un deuxième et un troisième est une aberration. La compétition, c'est la volonté d'être meilleur qu'autrui, de le dépasser. Quitte à tout faire pour le détruire. Dans le domaine du sport, la compétition engendre le dopage, les pots-de-vin. Elle transforme des êtres humains en une nouvelle espèce, intermédiaire entre les humains et les monstres"(Albert Jacquard, Je suis absolument contre la compétition, L'Express-l'Expansion le 12/09/2013).

On a besoin des autres pour se construire. C'est la différence de l'autre qui enrichit mon évolution dans la société en la rendant plus complexe. Ce sont les autres qui me font exister. "Je suis les liens que je tisse" (Albert Jacquard, Éloge de la différence, 1981).
Quand on est en compétition on ne tisse plus de liens on les détruit. Toute compétition est un suicide social, une entreprise de déconstruction où les gagnants sont les plus conformistes et les plus antisociaux, car ils détruisent ce qui nous relie les uns aux autres.

Le sport est l'opium du peuple, il n'exprime que la soumission à l'ordre établi. "Rouleau compresseur de la modernité décadente, le sport lamine tout sur son passage et devient le seul projet d'une société sans projet" (Marc Perelman, Le sport barbare, 2008).
L'entreprise football, par son conditionnement massif, ses slogans répétitifs, son affairisme publicitaire, sa fureur nationaliste, est une servitude volontaire qui envahit tout l'espace public dans "une vaste opération de chloroformisation des consciences"(Quel Sport ? n° 30/31). L'unanimisme tapageur de cet empire affairiste et mafieux n'autorise que des comportements de supporters chauvins, spectateurs exaltés, abrutis et asservis. Cette entreprise de diversion et d'enfumage permet de dissimuler la dégradation des conditions de notre survie, et une misère sociale effrénée.
"Derrière le matraquage footballistique de l'espace public se profilent toujours la guerre en crampons, les haines identitaires et les nationalismes xénophobes. Et derrière les gains, transferts et avantages mirobolants des stars des pelouses, promues "exemples pour la jeunesse", se cachent les salaires de misère, le chômage, l'exclusion, la précarité et l'aliénation culture de larges fractions de la population invitée à applaudir les nouveaux mercenaires des stades comme naguère les foules romaines étaient conviées par les tyrans aux combats de gladiateurs. Le football-spectacle n'est donc pas simplement un "jeu collectif", mais une politique d'encadrement pulsionnel des foules, un moyen de contrôle social qui permet la résorption de l'individu dans la masse anonyme, c'est-à-dire le conformisme des automates"(Jean-Marie Brohm et Marc Perelman, Le football, une peste émotionnelle, 2006).

L'exploitation du travail, sa marchandisation est une aliénation de l'activité humaine. Le temps du non-travail, c'est-à-dire celui des loisirs et de la culture de masse est le domaine de la crétinisation volontaire, de l'automutilation librement consentie. Le sport est le pilier de cette culture qui n'en est pas une et n'est en fait que l'expression de son absence, affirmation ostentatoire de sa soumission à une conformité normalisée.
"La saturation de l'espace public par le spectacle sportif atteint aujourd'hui des proportions démesurées. (...) Le spectacle sportif apparaît comme une propagande ininterrompue pour la brutalité, l'abrutissement, la vulgarité, la régression intellectuelle et pour finir l'infantilisation des foules solitaires"(Jean-Marie Brohm, Le spectacle sportif, une aliénation de masse, Mediapart 2013).

Clos sur lui-même, le stade, centre et ciment de la communauté, agrégateur de solitudes, est un espace de concentration où chacun est tout le monde. C'est une masse en fusion, l'unité sonore d'un monde sourd à lui-même, l'assourdissement devenu réalité. "L'institution sportive est organiquement, incorporée au système de production capitaliste dans lequel elle s'épanouit. La diffusion et l'emprise planétaire du sport, l'olympisation du monde vont accompagner l'expansion impérialiste du système capitalisme" (Jean Marie Brohm, Le sport, l'opium du peuple, 1996).
Le sport c'est la mort des feignasses, l'apologie de l'effort et du sacrifice, l'adoration du travail dans le respect des règles et la servitude à l'ordre en place. Le sport n'est plus que spectacle, publicité suprême du corps marchandise, image de l'adhésion totale à la marchandisation de la vie.

La réédition de l'ouvrage classique de Constantin Sinelnikoff, paru aux éditions François Maspero en 1970, illustre à sa manière l'étrange destin de Wilhelm Reich. Longtemps censuré ou ignoré par les milieux universitaires, les psychanalystes et les intellectuels conformistes, le nom du théoricien de la politique sexuelle révolutionnaire (Sexpol) fit en France une apparition fulgurante en Mai 68 en tant que figure emblématique de la " révolution sexuelle " (1). À vrai dire, il n'était pas complètement un inconnu au milieu des années 1960. Aussi bien en Allemagne où les étudiants anti-autoritaires avaient largement diffusé ses textes de combat, qu'en France même, puisque divers militants d'extrême-gauche avaient traduit l'essentiel de son oeuvre dans des éditions plus ou moins pirates (2) et popularisé les principaux thèmes de sa pensée (3).

Mais c'est surtout l'explosion libertaire de Mai 68 qui redonna à la critique reichienne de la répression sexuelle (4) une actualité pratique au sein de la jeunesse lycéenne et étudiante et dans divers mouvements contestataires qui entendaient politiser la vie quotidienne et, fait plus étonnant peut-être, au sein des différentes associations de psychanalyse. Celles-ci assistèrent en effet avec stupeur et irritation au retour du refoulé : la réhabilitation fracassante d'une personnalité importante du mouvement psychanalytique dans les années 1920, avant sa rupture avec Freud dix ans plus tard et son exclusion de l'Association psychanalytique internationale en 1934.

Les gardiens du dogme freudien se mobilisèrent alors, comme trente ans auparavant, en un véritable front unique pour stigmatiser une fois encore la " dissidence reichienne ", son " éclectisme théorique ", sa " politisation outrancière ", son " utopie communiste ", son " biologisme ", sa " négation de l'inconscient et de la sexualité infantile ", sa " confusion entre refoulement et répression ", son " prosélytisme orgastique " et, pour finir, évidemment sa " psychose délirante de persécution ". Tandis que les psychanalystes orthodoxes psychiatrisaient la personnalité de Reich (5), en utilisant le procédé classique de psychologisation du politique pour mieux dépolitiser le psychologique, les " marxistes " officiels, staliniens ou mao-staliniens, vouaient le théoricien du freudo-marxisme aux gémonies. L'histoire des années 1930 se répétait ici aussi. Les intellectuels liés au Parti communiste français, mais aussi la meute des lacaniens mondains fascinés par le " père-sévère " Mao, récitaient en choeur le catéchisme inventé par Georges Politzer qui avait soutenu en 1933 que le freudo-marxisme n'était " qu'un masque grossier pour l'attaque contre-révolutionnaire contre le marxisme " (6).

La cohorte des chiens de garde du stalinisme français sonnait ainsi l'hallali théorique contre Reich dans des amalgames dignes des belles heures du jdanovisme. Réduisant son oeuvre à la " mystique cosmique de l'orgone ", trois idéologues de service expliquaient ainsi la ligne orthodoxe : " Il faut lire Reich dans sa totalité pour comprendre à quel point il est d'un bout à l'autre cohérent avec son délire : délire qu'il faut entendre non pas comme une folie néfaste, mais comme la fabrication d'une idéologie individuelle, totalement singulière, et ne pouvant être entendue qu'à force de compromissions (...). Placer Reich dans la foulée de l'anarchisme individualiste est entièrement justifié : c'est son vrai domaine, tout à fait spécifique, mais sans commune mesure ni avec le marxisme ni avec la psychanalyse " (7). Certaines pythonisses du " marxisme-léninisme ", se réclamant de Mao et de Lacan, balayaient d'un revers de main " les déviations syncrétiques du "marxo-freudisme", voué par définition à un lamentable échec " (8), ou déclaraient avec superbe que le " freudo-marxisme n'existe pas et n'a jamais existé. Ce terme de dénigrement de la part des marxistes et des idéologues bourgeois vise en fait à rendre impossible l'articulation entre matérialisme historique et dialectique, et pratique et théorie de l'inconscient freudien " (9). Une autre gardienne du temple regrettait enfin le " néo-reichisme exalté qui semble se propager sur le marché de la psycho-sociologie depuis Mai 68 " (10).

Les uns et les autres avaient surtout bien compris que les thèses critiques de Reich s'appliquaient parfaitement, malgré certains excès ou simplifications, aux organisations politiques du mouvement ouvrier et surtout aux États dits " socialistes ". Les organisations marxistes-léninistes sectaires et puritaines, mais aussi l'URSS, la RDA, Cuba, la Chine, et autres États prétendument " ouvriers " entraient de toute évidence dans le champ de la critique. Les thèses cardinales de la Psychologie de masse du fascisme, de la Révolution sexuelle, de la Fonction de l'orgasme trouvaient en effet dans la répression sexuelle, l'absolutisme bureaucratique, l'autoritarisme culturel, l'absence de démocratie, la misère psychologique de masse, la paranoïa xénophobe de ces organisations et régimes une vivante illustration contemporaine. Reich devenait donc - comme Herbert Marcuse - un dangereux gauchiste qu'il fallait disqualifier à tout prix, y compris par la calomnie (11).

Par un effet de symétrie paradoxale, les défenseurs inconditionnels de Reich tombèrent également au cours des années 1970 et au-delà dans le même travers de travestissement politique ou de dépolitisation de son oeuvre. Refoulant largement son combat pour la politisation de la question sexuelle (Sexpol), méconnaissant très souvent ses analyses pertinentes du fascisme et de la réaction religieuse, ignorant aussi que Reich s'était efforcé d'articuler la puissance contestataire, dialectique, du marxisme et de la psychanalyse et de l'appliquer à l'analyse des processus sociaux (12), scotomisant de plus en plus sa critique des institutions bourgeoises dominantes - État, famille, école, église, armée, partis, etc.-, de nombreux " reichiens " convertis à la bioénergie, à l'écologie personnelle et aux " communautés de vie ", édulcorèrent le contenu politique subversif de son travail pour en faire une sorte d'art de vivre et de jouir, un "souci de soi" hédoniste. Le mot d'ordre situationniste - " vivre sans temps mort et jouir sans entraves " - était ainsi vidé de sa substance révolutionnaire au profit d'une psychologie existentielle, d'une biothérapie, d'une végétothérapie, d'une orgasmothérapie, voire d'un mysticisme cosmique orgonomique (" énergie d'orgone cosmique ") - que certains baptiseront de manière assez lyrique " cosmocoït " (13). Centrés sur l'épanouissement de soi, la résolution pacifique des conflits, l'hygiène de vie, fréquemment aussi sur une quête spirituelle, ces néo-reichiens eurent tendance à privilégier l'éducation des enfants, le retour à la nature, la psychothérapie et la conversion des individus au détriment de la transformation radicale des rapports sociaux.

Celle réédition est donc précieuse pour comprendre l'ensemble de ces débats qui sont sans doute datés, mais sûrement pas dépassés, et concernent directement les questions de notre temps. Bien qu'il n'aborde que la période européenne de l'oeuvre de Reich - celle qui concerne la politique et l'économie sexuelles, la fonction sociale de la libido génitale, l'analyse caractérielle, le freudo-marxisme, la critique de la répression sexuelle, l'analyse de la psychologie de masse du fascisme et des mouvements mystico-religieux réactionnaires -, ce livre est aujourd'hui la meilleure introduction à la lecture de textes décisifs pour celles et ceux qui n'entendent pas simplement contempler le monde mais le transformer.

De toute évidence cependant, Reich ne saurait être réduit à ces seuls aspects sociologiques, anthropologiques ou politico-sexuels et ses textes ultérieurs consacrés à la biopathie du cancer, l'énergie d'orgone, la biophysique, les phénomènes énergétiques du cosmos (14), méritent aussi attention, même s'ils se situent dans une perspective différente que l'on pourrait qualifier de métaphysique pan-énergétique ou bio-cosmique. C'est d'ailleurs en prenant prétexte des spéculations vitalistes souvent confuses de Reich, de ses hasardeuses expériences orgonomiques aux États-Unis, mais aussi de ses idées de persécution et de " complot communiste " contre son oeuvre et sa personne (15) que de nombreux intellectuels, psychanalystes, psychiatres ou psychologues ont voulu disqualifier l'oeuvre tout entière de Reich.

Il reste pourtant que ses grandes intuitions freudo-marxistes possèdent aujourd'hui encore une réelle valeur heuristique, pour peu qu'on veuille les contextualiser correctement et confronter leurs formulations à l'évolution rapide et massive des moeurs depuis Mai 68. Les phénomènes fascistes classiques se sont complexifiés avec les intégrismes, l'islamisme radical, les idéologies nationalistes, les mouvements populistes. Le modèle de la famille patriarcale s'est affaibli avec le développement des familles recomposées ou monoparentales et maintenant des couples homosexuels. Les phénomènes autoritaires de contrôle des masses se sont insidieusement diversifiés avec l'industrie abrutissante du divertissement, le tourisme et l'opium du sport-spectacle. La libéralisation des moeurs et l'émancipation des femmes ont également ébranlé de nombreux interdits sexuels, la marchandisation généralisée de la sexualité et l'omniprésence des discours sur le sexe ont même fini par banaliser une forme de consommation sexuelle.

Peut-on encore dans ces conditions parler de peste émotionnelle, de répression ou de misère sexuelle ? Sans aucun doute si l'on actualise deux thèses centrales de Reich : le rôle de l'encadrement répressif des pulsions sexuelles, particulièrement de la libido génitale, dans le renforcement et la reproduction des institutions de domination, qu'elles soient politiques ou civiles ; le rôle subversif de la revendication du plaisir sexuel. Sur la plus grande partie de la planète, la sexualité reste soumise à l'oppression religieuse et familiale et n'est que rarement admise comme source individuelle autonome de plaisir. Dans les pays du monde capitaliste avancé, la libéralisation du sexe n'est effective que pour la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie urbaine, tandis que l'immense majorité des travailleurs des villes et des campagnes, particulièrement les femmes, continuent de subir les tabous de la morale traditionnelle. On doit alors constater, comme l'a souligné Adorno, que " la libération sexuelle n'est qu'apparente dans la société actuelle. (...) Le sexe, suscité et réprimé, orienté et exploité sous les formes innombrables de l'industrie matérielle et culturelle, est absorbé, institutionnalisé, administré par la société - pour mieux le manipuler " (16). Et cette instrumentalisation du sexe est toujours concomitante des diverses exploitations, oppressions et aliénations du moment, qu'elles soient économiques, politico-idéologiques, religieuses ou culturelles.

Le message de Reich reste donc aujourd'hui encore d'une brûlante actualité : une société qui prive de liberté l'immense majorité de la population ne saurait admettre une réelle liberté sexuelle. Lutter pour le droit au plaisir sexuel revient par conséquent à lutter pour l'émancipation sociale.

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(1) Wilhelm Reich, la Révolution sexuelle. Pour une autonomie caractérielle de l'homme, Paris, Plon, 1968 (traduction de Constantin Sinelnikoff).

(2) Voir par exemple W. Reich, la Lutte sexuelle des jeunes, Paris, 1966, sans mention d'éditeur ni de traducteur. Celle brochure avait été en fait publiée en édition pirate à Paris par EDI et traduite avec une introduction de J.-M. Brohm. Elle fut rééditée en 1972 dans la Petite collection Maspero, n° 100, sous une version corrigée, avant d'être interdite... Voir la Bibliographie, page 293.

(3) Outre Constantin Sinelnikoff, à qui l'on doit plusieurs traductions de Reich, et Daniel Guérin, on mentionnera ici Boris Fraenkel qui fit connaître Reich, mais aussi Marcuse au sein des mouvements d'extrème-gauche en France (il fut par exemple l'un des traducteurs de Eros et civilisation. Contribution à Freud, Minuit, 1963). Deux numéros de la revue Partisans, éditée par Maspero, firent date sous la direction de Fraenkel : le n° 32/33 (" Sexualité et répression I "), octobre 1966, avec en particulier son article " Pour Wilhelm Reich ", et le n° 66/67 (" Sexualité et répression II "), juillet-octobre 1972.

(4) Mai 68 a aussi été préparé en milieu étudiant par la critique de la répression sexuelle. Voir par exemple la brochure éditée par les situationnistes à Strasbourg en 1966 : De la misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel, et de quelques moyens pour y remédier, qui cite élogieusement Reich, " cet excellent éducateur de la jeunesse ". Plusieurs fois rééditée, notamment par Champ libre en 1976, cette brochure a été à nouveau publiée par la revue Prétentaine, n° 4 (" Les situs expliqués aux enfants "), mai 1995.

(5) Voir par exemple Béla Grunberger et Janine Chasseguet-Smirgel, Freud ou Reich. Psychanalyse et illusion, Tchou, 1976, p. 95 : " Wilhelm Reich voulut, lui, faire des enfants des révolutionnaires et même faire la révolution par les enfants ". On voit le niveau de la polémique...

(6) Georges Politzer, " Psychanalyse et marxisme. Un faux contre-révolutionnaire, le "freudo-marxisme" ", in Écrits II. Les fondements de la psychologie, Éditions sociales, 1973, p. 280.

(7) Catherine B.-Clément, Pierre Bruno, Lucien Sève, Pour une critique marxiste de la théorie psychanalytique, Éditions sociales, 1973, pp. 105-106.

(8) Marie-Claire Boons, " La Lutte des classes dans le champ psychanalytique ", in Psychanalyse et politique (sous la direction d'Armando Verdiglione), Seuil, 1974, p. 130. Voir aussi sa contribution dans Marxisme-léninisme et psychanalyse, Maspero, 1975, qui est une sorte d'abrégé maoïste sur " l'incompatibilité organique entre marxisme et psychanalyse ".

(9) Philippe Sollers, " À propos de la dialectique ", in Psychanalyse et politique, op. cit., p. 29.

(10) Elisabeth Roudinesco, Pour une politique de la psychanalyse, Maspero, 1977, p. 123. En 1973 déjà, dans Un discours au réel. Théorie de l'inconscient et politique de la psychanalyse, Mame, 1973, Roudinesco avait mené une longue polémique contre Reich et la Sexpol. Entre-temps, promue historienne officielle de la psychanalyse, elle est devenue plus prudente et plus nuancée dans ses jugements. Voir l'article Wilhelm Reich, qualifié de " plus grand dissident de la deuxième génération freudienne ", in E. Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, 1977, p. 888.

(11) Certaines organisations trotskystes comme le PCI ou Lutte ouvrière eurent également - et ont encore - des réactions similaires de dénigrement, en assimilant Reich et Marcuse à la petite bourgeoisie "décadente" ou au " sexualo-sectarisme ". Sur ces questions, voir Jean-Michel Palmier, Sur Marcuse, UGE, 1968 ; Wilhelm Reich, UGE, 1969.

(12) Voir notamment : Psychologie de masse du fascisme, Payot, 1974 ; l'Irruption de la morale sexuelle. Étude des origines du caractère compulsif de la morale sexuelle, Payot, 1974 ; les Hommes dans l'État, Payot, 1978.

(13) On trouvera une illustration de ces tendances dans la revue Sexpol, n° 18/19 (" Wilhelm Reich. Vingt ans après "), décembre 1977.

(14) la Superposition cosmique, Payot, 1973 ; L'Éther, Dieu et le Diable, Paris, Payot, 1973 ; la Biopathie du cancer, Payot, 1975.

(15) Voir Ilse Ollendorff Reich, Wilhelm Reich, Belfond, 1970 ; Luigi De Marchi, Wilhelm Reich. Biographie d'une idée, Fayard, 1973.

(16) Theodor W. Adorno, " Tabous sexuels et droit, aujourd'hui ", in Modèles critiques. Interventions-répliques, Payot, 1984, p. 79.

UNE FABRIQUE DE PERDANTS
Albert Jacquard, Interview, 2004

Les mécanismes médiatiques de nos sociétés nous contraignent à penser en permanence au sport en mettant tous les moyens en œuvre pour nous empêcher de le penser. Y penser sans le penser - ce mot d'ordre s'insinue dans tous les recoins de nos vies [...]. Chacun pense aux sports et aux sportifs dans l'oubli de la pensée, exactement comme si nous étions vidangés de toute conscience. Le sport est l'impensé autant que l'incritiqué des temps contemporains.

"Le sport est devenu l'opium des classes moyennes, la morphine des classes populaires. Mais si Marx jugeait que la religion était l'opium du peuple, du moins notait-il qu'elle exprimait aussi une " protestation contre la détresse ". Le sport n'exprime aucune protestation, seulement la soumission à l'ordre établi."

Le sport tire toujours sa grande et sa principale force d'une adhésion planétaire, une adhésion de tous ; le sport mobilise d'immenses masses coagulées dans les stades ou solidifiées devant les écrans de télévision (au foyer ou sur les places des grandes villes), des masses qui se déversent ensuite et se vaporisent dans les rues des villes pour fêter la victoire, leur victoire. Par le biais de ses structures locale, nationale, internationale, le sport s'est élevé à la hauteur d'un pouvoir mondial au sens d'une autorité qui tend à couvrir, surplomber et pénétrer toutes les activités d'une société en proie au plus grand désarroi. Le sport s'est constitué comme le fer de lance d'une armée en ordre de bataille vis-à-vis de laquelle, curieusement, ceux qu'il méduse sont écrasés par lui. Rouleau compresseur de la modernité décadente, le sport lamine tout sur son passage et devient le seul projet d'une société sans projet.

La Nation ce n'est plus un peuple mais une équipe; ce n'est plus un territoire mais le stade; ce n'est plus une langue mais les beuglements des supporters. De grandes poussées de nationalisme aiguës ont désormais lieu lors des compétitions sportives. L'engouement pour le sport, les foules compactes d'adhésion, les mobilisations de masse orientées - et sans précédent dans leur ampleur - auxquelles il donne lieu dans les rues des villes ou devant les écrans de télévision indiquent le niveau de régression atteint dans le pays des Lumières. Le déchaînement des supporters, chauffés à blanc, participe de la violence généralisée dont le sport est le garant. S'exhibent partout culte de la force, mépris des faibles, chauvinisme, racisme, xénophobie, antisémitisme, violences dans et hors les stades et brutalités sur tout les terrains. Le sport est la " nouvelle " école de la violence et du racisme puisque, d'abord, le seul but est de battre l'adversaire : l'" autre "; alors, malheur aux vaincus et malheur lorsque l'autre, par exemple dans le football, n'est pas tout à fait de la même couleur de peau. Et, surtout, le sport ne permet pas de contenir la violence ou de la canaliser, comme le croient certains intellectuels bien naïfs mais, tout au contraire, il la crée, la génère, l'entretient et la diffuse partout : le principal lieu de violence dans la société est aujourd'hui le stade et ses abords, espaces d'incubation sonore et visuelle de la masse, lieux de décharge d'une violence primitive.
Le sport légitime l'ordre établi, quel qu'il soit.

La contagion de la peste football qui se répand dans tous les milieux - y compris dans ceux qui avaient été épargnés jusque-là par les slogans débilitants de la "culture foot" et de ses produits dérivés (magazines, anthologies illustrées des champions, gadgets de supporters, etc) - est aujourd'hui un inquiétant indice de la régression culturelle généralisée. Dans le climat du populisme ambiant, avec son idéologie anti-intellectuelle et sa haine de la pensée, il n'est pas anodin que la conquête des âmes par l'opium football soit promue par certains passionnés des passions sportives comme une véritable cause nationale.

Aux thuriféraires de la "religion atletique" et du "culte de la performance", voici opposée la têtue réalité des faits. Censurées, occultées, refoulées, ces réalités, loin d'être de simples "déviations", "dénaturations" ou "dérives" comme le répètent à l'envi les idéologues sportifs, constituent au contraire la substance même du football-spectacle. Derrière le matraquage footballistique de l'espace public se profilent toujours la guerre en crampons, les haines identitaires et les nationalismes xénophobes. Et derrière les gains, transferts et avantages mirobolants des stars des pelouses, promues "exemples pour la jeunesse", se cachent les salaires de misère, le chômage, l'exclusion, la précarité et l'aliénation culture de larges fractions de la population invitées à applaudir les nouveaux mercenaires des stades comme naguère les foules romaines étaient conviées par les tyrans aux combats de gladiateurs. Le football-spectacle n'est donc pas simplement un "jeu collectif", mais une politique d'encadrement pulsionnel des foules, un moyen de contrôle social qui permet la résorption de l'individu dans la masse anonyme, c'est-à-dire le conformisme des automates.

Jamais dans le monde spectacle n'a produit un tel engouement, virant parfois à la furie, jamais sport n'a brassé autant d'argent ni suscité de telles constructions monumentales, Colisées des temps modernes destinés à accueillir le dieu Football. Le stade, " temple de la trêve " offre surtout à l'individu assujetti l'occasion de développer des comportements pathologiques qui peuvent aboutir au déchaînement physique le plus insoutenable. Loin de tout consensus, Marc Perelman analyse ici le spectacle du sport comme moyen de contrôle d'une population soumise et écrasée par un puissant et rigoureux ordre technique et organisationnel.

De même que Marx a dénoncé sans cesse les effets du machinisme capitaliste sur l'ouvrier, il nous faut aussi critiquer les effets sur l'individu de la pratique sportive telle qu'elle tend à s'établir de manière dominante : la compétition. Le sportif est enchainé à son activité, le sport l'aliène, le rive à ses mécanismes.
...le travailleur voit ses gestes rationalisés, ils deviennent une concrétisation, une cristallisation de l'espace, c'est-à-dire qu'ils sont canalisés dans l'espace, qu'ils sont codifiés. Cette rationalisation mécanique se retrouve dans le sport, qui est la rationalisation la plus extrême du geste naturel.

Si la sphère du travail exploité est le domaine de la répression pure, le domaine des loisirs, de la culture de masse est le règne de l'auto répression " librement consentie ".

La violence est pratiquée par de féroces hordes d'amoureux du football, des masses compactes de brutes déchaînées, souvent ivres, et très efficaces dans le dialogue par projectiles interposés avec les pouvoirs publics mais pour qui le football est une part décisive de leur vie, et le stade une famille, une maison. Les différentes expressions de cette violence - dopage, racisme, xénophobie, homophobie, chauvinisme - ressortissent d'une "violence interne", consubstantielle à la seule "logique compétitive" à laquelle le football est associé par toutes ses fibres. Et cette logique tient en des mots simples : affrontement, combat, heurt, collision entre joueurs d'équipes résolues à en découdre, triche.

Il faut maintenant penser le football tel qu'il est, et non pas tel qu'on l'imagine ou le fantasme. Ainsi, ce n'est pas la violence qui "gangrène" le football ; ce n'est pas non plus une minorité d'ultras qui contamine, mine de rien, de braves gens calmes et pacifiques ; et ce ne sont pas la mondialisation, la médiatisation ou encore la marchandisation qui le corrompent et souillent. La véritable gangrène qui infecte la vie de nos sociétés a pour nom le football ; et le stade est intrinsèquement le lieu où mijotent les futures explosions de violence parce que les lourdes rancœurs politiques et sociales amassées s'associent intimement au football, sont orientées par lui s'exprimant dans des chaudrons tout équipés à les recevoir, à les capter et à les amplifier jusqu'à les faire déborder dans la ville les transformant en colonnes guerrières.

La violence des supporteurs n'est pas que l'expression d'une détresse sociale ; elle est au cœur du projet du football qui est l'expression de cette détresse sociale ; les mouvements inquiétants d'exaltation et d'identification, de fureur nationaliste n'empoisonnent pas le football, le vrai poison a pour nom le football, le stade en sert de récipient, la ville en devient son territoire.

La saturation de l'espace public par le spectacle sportif atteint aujourd'hui des proportions démesurées. Contenu idéologique dominant, souvent exclusif même, des grands médias, des commentaires politiques, des ragots journalistiques, des conversations quotidiennes (y compris chez les intellectuels dits de gauche), le spectacle sportif apparaît comme une propagande ininterrompue pour la brutalité, l'abrutissement, la vulgarité, la régression intellectuelle et pour finir l'infantilisation des " foules solitaires " pour paraphraser l'ouvrage classique de David Riesman.

Dans une période de crise économique majeure où le chômage atteint des records en Europe la première mystification que favorise le sport-spectacle capitaliste est celle qui amène les classes populaires frappées par la paupérisation et la précarisation à s'identifier à des mercenaires multimillionnaires. En faisant rêver des millions de personnes sur les voitures de sport des " génies " du dribble et de la " passe décisive ", sur leurs salaires mirobolants, leurs tatouages, leurs looks, leurs coiffures branchées, leurs frasques nocturnes tarifées, la misérable storytelling footballistique contribue de manière massive à la lobotomisation qui gagne toute la société du spectacle. L'entreprise de déréalisation, d'évasion, de diversion des " merveilleuses histoires du football " ne peut avoir que des effets de dépolitisation, de détournement idéologique, de paupérisation culturelle au profit de l'ordre établi. La " passion " des sports où se déchaînent les " vibrations " de meutes [4] hystériques (olas, chants guerriers, bras et doigts d'honneur [5], trépignements furieux, hurlements vengeurs, appels au lynch, etc.) entraîne non seulement la régression émotionnelle et la fascination pour des spectacles futiles et dérisoires, sinon sanglants et dégradants, mais aussi la polarisation hostile des " commandos sportifs " (PSG contre OM...). Le sport qui est de nos jours la principale marchandise de l'industrie de l'amusement est donc une véritable économie politique de la crétinisation des masses." On a gagné " hurlent les cerveaux reptiliens en brandissant banderoles ultras, calicots débiles et canettes de bière. La " culture foot " de la délinquance en somme...

L'autre mystification, encore plus scandaleuse, est celle qui laisse croire que le sport est un facteur de " citoyenneté ", de " rapprochement ", de concorde civile. Or, les affrontements sportifs, surtout en football, dopés par les enjeux financiers extravagants et exacerbés par les rivalités nationales ou régionales, débouchent de plus en plus fréquemment sur de graves actes de violences sur les terrains (injures racistes, agressions délibérées, blessures) et sur des débordements criminels dans les gradins et autour des stades. Il suffit de suivre attentivement la chronique des incidents, échauffourées, bagarres, provocations, émeutes liés au football pour comprendre qu'il


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