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Soyez sympas, rembobinez

Par Kinopitheque12

Michel Gondry, 2008 (États-Unis)

Soyez sympas, rembobinez

A Passaic, New Jersey, dans la périphérie new-yorkaise, Danny Glover alias Monsieur Fletcher tient une antique boutique de location de VHS, aussi improbable dans le monde du DVD triomphant que la très artisanale fantaisie du frenchy Michel Gondry sur une planète Hollywood ultra formatée. Monsieur Fletcher doit partir et laisse son magasin (moins propre encore que celui des Clerks de Kevin Smith, 1994) à son employé Mike (Mos Def) parasité par Jerry (Jack Black). Ce dernier, qui va se rendre magnétique après avoir été foudroyé lors d'une hilarante scène de sabotage, efface involontairement toutes les cassettes du vidéoclub. Pour éviter de perdre sa place, Mike a alors l'idée de faire, avec son complice et les moyens du bords (à savoir une caméra, deux bouts de cartons, de l'alu et trois guirlandes), les remakes des films du catalogue de la boutique. Les films, en dépit de leur indigence, obtiennent un franc succès auprès d'une clientèle diversifiée et c'est du vieux magasin (qui porte le nom de " Be kind rewind ", titre original du film) que naît une inventivité salvatrice pour toute la population de la ville.

S. O. S. fantômes (Ivan Reitman, 1984) est le premier métrage refait par les deux zigues pour une fidèle cliente (Mia Farrow). Jack Black (souvent efficace dans la surenchère et dans les personnages atypiques : Rock academy de Richard Linklater, 2004, le pseudo-Orson Welles dans King-Kong de Peter Jackson, 2005) est complètement déjanté mais totalement investi dans l'entreprise (il reste dans l'ambiance du " tournage " ou dans la peau de ses personnages une fois les plagiats de fortune bouclés). Robocop (Verhoeven, 1988), Miss Daisy et son chauffeur (Beresford, 1989), Carrie (de Palma, 1976) ou même le Seigneur des Anneaux (Jackson, 2001) sont bricolés à la sauce des deux garçons qui se sont improvisés réalisateurs. Par ailleurs, les films cités, la plupart des années 1980, quelques-uns datés par leurs effets spéciaux, font certainement partie de l'identité cinématographique de Gondry.

Mike et Jerry s'amusent réellement, et les spectateurs avec, dans ce qui aurait pu être une corvée dont le but premier est de sauver le vidéoclub. La fabrication de ces remakes demande petit à petit la participation d'autres acteurs qui sont enrôlés parmi les habitants du quartier (enfants y compris). La biographie filmée du jazzman Fats Waller, censé avoir vécu à Passaic, sollicite même toute la communauté (si Gondry choisit un musicien de jazz, peut-être est-ce parce cette musique est aussi réputée pour l'improvisation, discipline dans laquelle les protagonistes de Soyez sympas deviennent maîtres). En outre, le film commence dans un vidéoclub, le dernier anneau de la chaîne cinématographique : le cinéma est réduit à un commerce dont les visiteurs ne sont que des consommateurs. Michel Gondry reprend la chaîne et remonte à ces premiers éléments : chacun devient alors créateur (Mike et Jerry sont tour à tour acteurs, réalisateur, producteur, scénariste, responsable de casting ou monteur) et le film s'achève par une chaleureuse projection offerte à toute la ville.

Soyez sympa rembobinez parodie le cinéma hollywoodien et en fait un véritable terrain de jeux et d'expérimentations. Avec malice, Gondry confronte le petit artisanat de cinéphiles à toute l'industrie du cinéma populaire américain. A l'opposé de ce que ce cinéma de stars donne à voir de ses propres coulisses, Gondry invoque le collectif et valorise une solidarité qui sans apporter de solution immédiate n'en est pas moins réjouissante. A travers la question noire (le symbole que revêt Fats Waller, la relation entre Mike et Jerry, leur querelle sur Miss Daisy), se trouve aussi quelque chose de l'identité américaine. Le film creuse alors à sa façon la question des origines et de la mémoire commune, à l'échelle du vieux quartier du vidéoclub de Passaic et au-delà. Soyez sympa rembobinez, enfin, se moque de la société de consommation et ses films suédés sont une ode au recyclage. Le film de Gondry est un petit bijou, une comédie loufoque aux idées claires, un chef-d'œuvre entièrement bricolé, mais un chef-d'œuvre quand même.


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