Ce motif, qui apparaît dans plusieurs des grands manuscrits que nous venons de parcourir, mérite une étude transversale : car il est révélateur des contraintes multiples que les enlumineurs affrontaient :
- satisfaire leur clientèle avec un motif apprécié et demandé ;
- lui trouver une justification ;
- faire du neuf.
C’est pourquoi on le retrouve reproduit pratiquement à l’identique, mais à chaque fois dans des contextes différents.
Article précédent : 5.5 Un cas particulier : les bordures alphabétiques
Iconographie des Mois d’Avril et Mai
Avant d’border le motif complexe de la promenade en barque, une rapide rétrospective s’impose. Sauf indication contraire, les exemples et explications sont tirées du livre de Webster [1].
A l’époque carolingienne
Les rarissimes représentations qui nous restent mélangent, selon les mois, des figures se livrant à une activité bien définie, et d’autres qui semblent plus allégoriques.
Avril, Mai et Juin
Cycle des Mois de Salzburg, vers 818 Wien, Osterreichische Nationalbibliothek; Codex 387, fol. 90
Avril est illustré par un oiseleur, tenant un filet dans sa main gauche (SCOOP !)..
Mai est en revanche une figure plus allégorique, qui va reparaître souvent : celle du « cueilleur » brandissant des fleurs ou des branches. Ici il est représenté comme un noble (d’après son manteau), l’objet dans la main gauche n’a pas été identifié (vigne, guirlande ?)
Avril, fol 8r Mai, fol 10v
Martyrologium de Wandalbert de Prum Biblioteca Vaticana Cod. Reg. Lat. 438
Dans ce second et dernier témoignage carolingien, les deux cueilleurs sont précédés par deux distiques des Ephémérides de Bède Le Vénérable :
Consacrons Avril, que le Printemps sacre de sa fleur rouge,
A ceux que sa joie pousse à la fête.
Mai, premier mois de l’été, se chauffant sous le soleil,
Nous apportons nos voeux aux jours qu’ils rallonge.
Purpureo quem flore sibi Ver sancit Aprilem
Dicemus, quibus attollat sua gaudia festis
Hinc Maium æstivo primum sub sole calentem,
Quae longisque ferat promemus vota diebus
Les textes inscrits au dessus des personnages font quant à eux référence au signes astrologiques, par deux citations d’Ausone (Eglogues XVI) :
Tu vois derrière toi, Bélier de Phrysus, les calendes d’Avril.
Mai s’émerveille des cornes du taureau d’Agenor
Respicis Apriles, Aries Phryxee, Kalendas
Maius Agenorei miratur cornua Tauri
L’enlumineur n’a donc pas cherché (à part pour les deux animaux zodiacaux) à illustrer les textes, mais a repris deux fois le schéma allégorique du cueilleur, avec l’idée d’une végétation croissante : la tige verte dans la main gauche d’ d’Avril fleurit dans la main droite de Mai, dont la main gauche semble se transformer en végétal et dont la tête s’orne d’une couronne de feuilles.
On retrouve la même notion d’une supériorité hiérarchique de Mai sur Avril, peut être portée par l’homophonie Maius/Majus (Mai / plus grand).
A Byzance
Figures extraites du calendrier d’un Evangéliaire byzantin, Biblioteca Marciana, GR Z 50 [2].
Dans les quelques représentations byzantines, l’iconographie est très répétitive : Avril est toujours représenté par un berger portant un agneau (référence au signe du Bélier ?) et Mai est assez souvent représenté par la figure du cueilleur, peut être importée d’Italie [2].
A l’époque romane
Mars, Avril, Mai
Vers 1120, portique de San Zeno, Vérone
Mars a ici la figure typiquement italienne d’un homme à la tête rayonnante, soufflant dans deux cornes (eéférence au Bélier)
Pour Avril, nous retrouvons le cueilleur, une grande fleur à main droite et une tige à main gauche.
Mai est le mois où, depuis Pépin le Bref et le développement de la cavalerie, le fourrage redevenu abondant permet de reprendre la guerre : il est donc représenté par un chevalier avec sa lance, figure équestre qui sied bien au caractère noble de ce mois.
Avril, fol 4v Mai, fol 5r
1125-50, BL Lansdowne MS 383
Tandis qu’Avril simplifie le cueilleur en un homme portant une branche, Mai spécialise le cavalier dans la figure du fauconnier, qui va rester stable durant tout le Moyen-Age. Les signes eux-aussi se stabilisent (décalés d’un par rapport aux signes antiques) : le Taureau pour Avril et les Gémeaux pour Mai.
Avril. Mai
Hunterian Psalter, vers 1170, MS 229 Glasgow University
Mai est le classique noble à cheval, quittant le château précédé par son faucon. Le climat chevaleresque est renforcé par l’équipement militaire des Gémeaux.
Avril est ici très original, et a été mal interprété. Puisque tous les manuscrits anglais de la même époque utilisent la figure du cueilleur, je pense qu’il en va de même ici, mais sous une forme ennoblie :
Le « sceptre » que le premier personnage tient dans sa main est en fait une branche, qu’il a cueillie parmi celles du fond. Le second personnage est une élégante, portant une robe à traîne et à très longs manchons : le gauche est passé derrière son cou et le droit pend, saisi par les deux mains qui se frôlent : le comble de l’érotisme pour l’époque !
Ainsi apparaît pour la première fois, selon moi, la scène du couple se promenant à la campagne.
Avril, fol 3v Mai, fol 4r
Graduel, Séquentiaire et Sacramentaire, 1225-50, provenant de Weingarten, Morgan Library MS M.711
Le cueilleur du mois de Mai utilise la même convention trifoliée pour représenter dans la main droite une branche, dans la main gauche une fleur.
Avril est illustré par la taille de la vigne, habituellement associée au mois de Mars : les conditions climatiques allemandes retardent les travaux d’un mois.
Avril, fol 2v Mai, fol 3r
Psautier, 1255-56, Bruges, Morgan Library MS M.106
Cet artiste a réussi à symétriser et à rendre superposables les silhouettes du cueilleur et du fauconnier, par deux moyens graphiques opposés : abstraction d’un côté avec les deux rinceaux où l’on peine à reconnaître des branches, réalisme de l’autre avec le chaperon enlevé, le faucon, et l’index qui montre la cible.
Avril, p 4, 1399-1407, Missel Sherborne , BL Add MS 74236
Ce très riche manuscrit, qui privilégie les travaux des champs, représente Avril par un semeur.
Mai, p 5
Pour Mai, le fauconnier répond, par son vêtement biparti bleu et rose, à la symétrie et aux couleurs des Gémeaux, ici représentés par deux Dames.
Au début du XVème siècle
Avril, fol 2v Mai, fol 3r
Livre d’Heures, 1420-25, Paris, Morgan Library MS M.1004
Pour renouveler ces représentations consacrées, cet artiste s’est amusé à créer graphiquement une sorte de continuité entre les figures et les signes : comme si le cueilleur amenait sa branche au Taureau, et comme si les Gémeaux batifolaient dans le dos du fauconnier.
Des innovations luxueuses
Bien loin de ces productions standards, les manuscrits commandés par la très haute société font exploser l’iconographie des Mois, qui ne gardent plus qu’un rapport lointain avec leurs origines. Ainsi, Dans les Très Riches Heures du Duc de Berry, trois Mois sont illustrés par des promenades aristocratiques à la campagne :
- la chasse au faucon est décalée à Août,
- la cueillette, des fleurs et des rameaux est développée dans Avril et Mai.
Avril Mai
Très Riches Heures du Duc de Berry, 1412-16, Musée Condé, Chantilly [3]
En Avril, le thème de la cueillette des fleurs est associé à l’échange des anneaux de fiançailles : la dame, qui a déjà passé le sien à la main gauche, tend l’autre à son partenaire (noter le long manchon rouge de sa compagne, très semblable à celui de la dame du Hunterian Psalter).
En Mai, le thème de la cueillette des rameaux est astucieusement associé à un sujet qui permet d’illustrer les deux autres thèmes du Mois, la Noblesse et la Chevauchée : à savoir la cavalcade du Premier Mai . Précédés de musiciens, des jeunes gens ont parcouru la campagne pour se faire des colliers ou des couronnes de rameaux : on appelait « chapeau vert » ces couronnes de verdure, et « vert gay » la couleur des robes qu’étrennent trois des cavalières.
Dans sa Ballade du Premier jour du Mois de May, Charles d’Orléans emploie « mai » dans le sens de « branche » (en général un rameau de hêtre) :
« Allons au bois le mai cueillir
Pour la coutume maintenir ! »
La coutume est attestée en France dès le début du XIIIème siècle :
« A la tombée de la nuit, les habitants de la ville se rendirent au bois faire leur cueillette… Au matin, quand le jour fut bien clair et que tout fut orné de fleurs, de glaïeuls et de rameaux verts et feuillus, ils apportèrent leur arbre de mai, le montèrent aux étages puis l’exposèrent aux fenêtres, embellissant ainsi tous les balcons. »
Jean Renard, « Guillaume de Dôle », édition J.Lecoy, Paris, 1932, vers 1164 et ss.
Avril, fol 4r Mai, fol 5r
Livre d’Heures à l’usage de Paris, Master of the Munich Golden Legend, 1440-50, BL Egerton MS 2019
L’état d’esprit courtois de l’aristocratie se diffuse progressivement à un plus large public. Ce manuscrit français reprend :
- pour le mois d’Avril la cueillette de fleurs ;
- pour le mois de Mai le thème de la promenade à cheval, en rajoutant une cavalière au fauconnier traditionnel.
Cette idée toute simple, en harmonie le signe des Gémeaux (représentés depuis longtemps par un couple mixte), n’était venu auparavant à l’esprit de personne.
Avril, fol. 2v Mai, fol 3r
Livre d’Heures à l’usage de Paris, vers 1470, Morgan Library MS M.73
L’association visuelle entre la scène et le signe devient ici encore plus flagrante.
Avril, fol 2v Mai, fol 3r
Bréviaire à l’usage de Paris, 1495-98, Morgan Library MS M.934
Exit maintenant le fauconnier et le cheval, au profit d’un couple d’amoureux dont les Gémeaux rendent les arrière-pensées transparentes.
Avril, fol 2v Mai, fol 3r
Maître des Triomphes de Pétrarque, 1500-05 , Petites Heures d’Anne de Bretagne, BNF NAL 3027 Gallica
Dans un format particulièrement étroit, le Maître des Triomphes de Pétrarque réussit à inscrire trois personnages :
- la fille qui cueille les fleurs, celle qui les collecte dans son tablier et celle qui en fait des couronnes ;
- le seigneur et sa dame à cheval, le valet à pied.
Avril et Mai, fol 2v et 3r.
Jean Poyer, vers 1500, Heures de Henry VIII, Tours, Morgan Library MS H.8
Au tournant du siècle, Jean Poyer reviendra, dans ce bifolium, à la cueillette comparée des fleurs et des rameaux.
Avril et Mai dans les Flandres
Avril, Master of the Dreden Prayer Boook, vers 1470, Dresden, SLUB, Mscr. Dresd. A.311 fol 4v Avril, Huth Hours, Bruges ou Gand, vers 1480, BL Add MS 38126 fol 4v
Dans les Flandres, le motif du couple à la campagne est moins aristocratique : pour illustrer Avril, pas de cavalcade, mais une balade à pieds pour cueillir des rameaux, accompagné d’un chien ou d’un page
Avril L’ange Gardien
Vers 1490, Livre d’Heures à l’usage de Rome, Belgique, Morgan MS S.7 fol. 4r
Le thème de la promenade à la campagne prend ici une couleur locale affirmée, avec l’ajout du trajet en barque pour quitter la ville par les canaux.
Un autre sujet, celui de la promenade en barque, est traité de manière disjointe : l’artiste l’a casé à la page de l‘Ange Gardien, sans aucune justification. Cette nouvelle scène, très appréciée, avait fait son apparition une dizaine d’années auparavant…
La promenade en barques
Heures de Marguerite d’Orléans 1430 ca BNF Latin 1156B Gallica
Il existe un antécédent au motif de la barque chargée de branchages, dans un manuscrit très original que j’ai détaillé par ailleurs (voir 3 Les jardins oniriques du Maître de Marguerite d’Orléans ). Il n’y a probablement aucun lien, à cinquante ans de distance, entre la miniature française, réalisée en Bretagne par un artiste isolé, et le motif flamand à la mode à fin du siècle.
L’invention du motif : le « Master of the Old Prayer Book of Maximilian » (Sanders Beining ?)
Les Heures Hastings, vers 1480
Ce manuscrit a pour particularité de comporter quatre « bifoliums » similaires : à gauche une scène religieuse, à droite la grande nouveauté d’une bordure historiée montrant une scène contemporaine. Dans les quatre cas, le rapport entre l’image et la bordure est soit inexistant, soit très distant.
St Erasme, fol 53v Fol 54r
Master of the Old Prayer Book of Maximilian London Hastings Hours, vers 1480, BL Add MS 54782
Cette bordure est à ma connaissance la plus ancienne apparition de notre motif : une barque maniée à la godille, portant un couple jouant de la musique, une carafe et une branche qu’on a été cueillir.
S’agissant d’un manuscrit réalisé dans les Flandres mais destiné à l’exportation, il est possible que la scène décrive non pas une coutume populaire flamande, mais un divertissement aristocratique anglais.
Le seul lien très indirect que je vois avec le tragique martyre de Saint Erasme, est qu’il était le patron des bateliers.
Présentation du Christ au Temple, fol 125v Barque royale, fol 126r
Master of the Old Prayer Book of Maximilian, London Hastings Hours, vers 1480, BL Add MS 54782
Cette seconde scène nautique est ici typiquement anglaise : l’embarcation, conduite par huit pénitents en capuche, porte à sa proue deux étendards aux armes royales et une grande bannière avec le mot « HONY« , le début de la devise de l’ordre de la Jarretière dont lord Hasting était membre. L’interprétation de la scène (barque de Hastings ou barque royale) est d’autant plus complexe que plusieurs indices laissent penser que le manuscrit était primitivement destiné au prince de Galles Edward V [4].
Le lien avec la Présentation du Christ est totalement opaque.
Les Heures de Louis Quarré, vers 1490
Prière au Saint Sacrement, fol 30r
Master of the Old Prayer Book of Maximilian, Heures de Louis Quarré, après 1488, Bodleian Library MS. Douce 311
Une dizaine d’années plus tard, le même atelier rassemble les deux embarcations dans une seule image (en supprimant les références anglaises et en retournant la barque avec les rameurs, qui se dirige désormais vers la gauche). La bordure décore les prières pour le Jeudi de la Fête-Dieu, soixante jours après Pâques (soit entre le 21 mai et le 24 juin.). L’atelier a rajouté en haut une autre de ses créations introduite dans les Heures Hastings (voir 5.2 Quelques types de bordures) : la chute de la manne dans le désert. Elle préfigure l’Eucharistie, à laquelle une des oraisons fait explicitement référence :
Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui.
Qui manducat carnem meam,et bibit sanguinem meum, in me manet, et ego in eo.
Il est probable que le motif de la barque a été recyclé ici à cause d’un petit détail : le lecteur astucieux pouvait trouver, dans la carafe de vin opportunément placée à l’avant de la seconde barque, exactement à l’aplomb de la manne, une justification spirituelle à la présence de la plaisante scène.
Le Bréviaire d’Eléonore de Viseu, vers 1500
Dix ans plus, le même atelier recycle à nouveau le motif, cette fois pour sa signification calendaire.
Mois de Mai, fol 4r
Master of the “Older” Prayerbook of Maximilian I, Bréviaire d’Eléonore de Viseu, Bruges, vers 1500, Morgan Library, MS M.52
Dans ce manuscrit somptueux, tous les mois sont illustrés, à l’ancienne, par des scènes de la vie paysanne (Avril par la sortie des troupeaux). Seul le mois de Mai fait exception, avec la scène de la balade en barque.
Les deux médaillons illustrent les deux fêtes religieuses marquées en rouge :
- la Saint Philippe et Jacques le 1er mai,
- l’Invention de la Vraie Croix le 3 mai.
On remarquera que le fauconnier a été conservé en Mai, mais de manière marginale : le motif principal est désormais la balade en barque.
Reconnaissance de la Vraie Croix, fol. 398v
Master of the “Older” Prayerbook of Maximilian I, Bréviaire d’Eléonore de Viseu, Bruges, vers 1500, Morgan Library, MS M.52
La scène centrale montre comment, en se bouchant le nez, on a pu authentifier la relique de la Vraie Croix parce qu’elle avait le pouvoir de ressusciter un cadavre. En rupture à la fois spatiale et temporelle, la marge montre l’habituelle promenade avec les deux barques qui se croisent.
Ainsi l’enlumineur reprend, dans la partie Sanctorale du Bréviaire, les mêmes motifs que pour le mois de Mai dans la partie Calendrier, mais en inversant les rôles : la scène religieuse passe du médaillon latéral au cadre central, tandis que la scène profane devient marginale.
Comme l’a montré Margaret Goehring, il ne faut pas lui chercher une justification spirituelle en liaison avec la scène principale : elle fonctionne simplement comme un commentaire mnémotechnique, rappelant que la Fête de l’Invention de la Croix tombe le 3 Mai.
L’emblème reconnu du Printemps
A partir de 1500, l’association entre la promenade en barque et le Printemps devient très courante.
fol 5r Fol 5v
Mai, Master of the Add 15677, vers 1500, Fitzwilliam museum, Cambridge MS 1058-1975
Cet illustrateur associe au mois de Mai deux épisodes musicaux distincts, sur deux pages opposées :
- l’aubade et l’offrande d’un arbre en pot à une dame,
- le retour en ville d’une joyeuse compagnie, dans une barque décorée de branchages.
Si le retour des rameaux était vraiment l’illustration d’une coutume du Premier Mai, on peut se demander pourquoi l’illustrateur l’a associé à la seconde moitié du mois.
Mois de Mai, fol. 3r
Livre d’Heures (Bruges ou Gand), vers 1500, Walters Manuscript W.441
Cette autre manuscrit fusionne les deux moments en une seule image : l’embarcation fait une halte pour donner un des rameaux à une dame restée en ville. Le classique fauconnier est décalé au mois de Juin, et tous les autres mois du manuscrit (sauf Janvier, où on reste au chaud à la maison) sont illustrés par les habituels travaux des champs.
Les Heures Da Costa, vers 1515
Mois d’Avril, fol 6v
Simon Beining, vers 1515, Heures Da Costa (Bruges), Morgan Library MS M.399
Dans ce manuscrit de prestige, Simon Beining case cette fois la balade en barque au mois d’Avril (le mois de Mai étant illustré par la tonte des moutons).
Ce décalage jette un sérieux doute sur le caractère réel de la sortie en barques du Premier Mai : dans les villes de Flandres, c’était le jour de la Fête des arbalétriers ou des archers (feeste van meye ou du papegay) : ainsi la scène semble bien plus le résultat de la coagulation d’une série d’habitudes graphiques, que la description d’une coutume réellement pratiquée.
Saint Marc, fol 119 v
Comme dans le Bréviaire d’Eléonore de Viseu, la scène de canotage est dupliquée en marge d’une image religieuse, cette fois celle de Saint Marc, dans la partie Evangélistes.
La justification principale est ici encore calendaire : la Saint Marc tombe le 24 avril. On peut également imaginer une allusion à la ville de Saint Marc, Venise, dont chacun sait qu’elle est la Bruges du Sud.
Saint Jean à Patmos avec des bateliers transportant une colonne, fol 111v Saint Marc, fol 119 v
Mais la justification la plus intéressante est purement graphique, interne au manuscrit : c’est une barque arrivant depuis la gauche qui ouvre la section des Quatre Evangélistes, c’est une barque sortant vers la droite qui la ferme.
Les Heures Spinola, 1510-20
Mai, fol 003v
Heures Spinola, Master of James IV of Scotland (atelier), 1510-20, Getty Ms. Ludwig IX 18
La page de Mai des Heures Spinola reprend exactement la même composition que celle d’Avril dans les Heures Da Costa : mêmes médaillons religieux et même scène profane : le fauconnier traversant le pont sous lequel la barque vient de passer.
Nous avons vu (voir 5.4 Quelques chefs d’oeuvre des bordures) que ce manuscrit comporte plusieurs bifoliums associant une scène du Nouveau Testament et une scène de l’Ancien. Dans le Speculum Humanae Salvationis, (chapitre 16) la Récolte de la Manne est normalement jumelée avec la Cène : l’illustrateur donne un coup de neuf à cette vieille idée en l’associant cette fois à la procession du Saint Sacrement, le jeudi de la Fête-Dieu (même idée que dans les Heures de Louis Quarré).
Procession du Saint Sacrement Récolte de la Manne par les Hébreux
Heures Spinola, Master of James IV of Scotland, 1510-20, Getty Ms. Ludwig IX 18
Le procédé du cadre interne force l’oeil à trouver des analogies entre les deux images.
Les voyez-vous ?
- dans la marge, analogie entre les deux autorités : l’évêque à la porte de sa cathédrale et le roi à la porte de la ville
- au centre, analogie entre les deux substances divines : l’hostie sous le baldaquin, les grêlons de manne sous le nuage.