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Dune

Par Kinopitheque12

Denis Villeneuve, 2020 (États-Unis)

Dune

Plus de cinquante ans après sa parution initiale, en 1965, Dune reste à ce jour le plus grand succès de la science-fiction moderne à travers le monde. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, le cycle de Frank Herbert est pourtant une œuvre dont le succès reste à ce jour purement littéraire. Malgré deux adaptations vidéoludiques plutôt réussies (mais plus très jeunes), une tentative de long métrage avortée (signée Jodorowski), le Dune réalisé en 1982 par David Lynch (qui fut un cuisant échec au box office) et une mini-série pleine de bonnes intentions mais un peu cheap, c'est plus ou moins le néant. Alors que n'en finit plus de séduire depuis quarante ans de nouveaux publics, d'être décliné à toutes les sauces et d'inonder le marché de produits dérivés, Dune reste dans l'ombre de l'univers de Georges Lucas, dont il est pourtant l'une des inspirations évidentes. L'année 2020 était donc censée marquer le retour de Dune sur le devant de la scène, d'autant plus qu'en France cela coïncidait également avec le cinquantenaire de la traduction du premier roman, assurée à l'époque par l'excellent Michel Demuth. De quoi mettre en joie n'importe quel directeur de campagne marketing. Le report du film d'une année a donc non seulement contrarié les fans de Frank Herbert, mais également le petit monde du cinéma, déstabilisé par la stratégie commerciale de la Warner. Au plus fort de l'épidémie de Covid, on crut même que le film sortirait directement en Vod. Cette question de la viabilité commerciale du projet de Denis Villeneuve n'est d'ailleurs pas totalement évacuée, puisque planent encore quelques incertitudes sur le second film, toujours pas financé et donc même pas entré en phase de préproduction.

Dune

Alors que le film est désormais sur les écrans, toutes ces considérations commerciales paraissent désormais bien éloignées et la tentation est grande, évidemment, de le comparer à l'œuvre originelle, tout autant qu'à l'adaptation de David Lynch. Levons d'ailleurs toute ambiguïté, nous ne faisons pas partie de ceux qui portent aux gémonies le film de Lynch. Sans pour autant le trouver réussi on peut lui accorder quelques qualités, au premier rang desquelles un véritable parti-pris esthétique (à la fois kitsch et rétro-futuriste), un casting excellent et une volonté de rendre l'univers de Dune compréhensible... mais hélas au prix de raccourcis narratifs discutables et d'un traitement des grands thèmes de l'œuvre effectué à la truelle (oui, ça fait beaucoup quand même). Il n'empêche que le film de Lynch a un certain charme et une véritable signature visuelle. Au point d'imprégner durablement le spectateur. Si jamais durant les premières minutes du film de Denis Villeneuve, les personnages de Lynch se superposent à ceux de cette nouvelle adaptation, pas de panique, cela ne dure pas tant le réalisateur canadien a pris soin d'établir de nouveaux canons esthétiques. La direction artistique est très certainement la plus grande réussite de cette superproduction. Mais une interrogation demeure : un blockbuster peut-il être un film d'auteur ? La question est épineuse car Villeneuve a quelques contraintes qu'il paraît difficile de négliger. La plus évidente lui est imposée par l'œuvre de Frank Herbert et par ses hordes de fans invisibles, qui depuis plus de trente ans attendent un nouveau film qui respecterait à la fois la matière du livre, et toute la complexité qui l'accompagne, tout en restant lisible et spectaculaire. Derrière ce questionnement, c'est la notion même d'adaptation qui émerge. Dans quelle mesure faut-il respecter l'œuvre originelle pour donner naissance à, non pas une simple transposition du roman en images, mais à une véritable œuvre, dotée d'une identité propre.

Dune

Lawrence d'Arrakis ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître tant le premier réflexe est de le mesurer à l'aune de l'adaptation de David Lynch, le film de Denis Villeneuve avait sans doute davantage à craindre la comparaison avec le Lawrence d'Arabie de David Lean (1962). Ce dernier fait figure pour les cinéphiles de mètre-étalon dès lors qu'il s'agit de filmer le désert. Photographié de main de maître, le film magnifie à l'extrême les grandes étendues de sable, les dunes éclairées par un soleil rasant et rehaussées par le bleu intense de ciels limpides. Le désert de David Lean a quelque chose d'éminemment exotique et flirte allègrement avec un orientalisme tout droit hérité du XIXe siècle. Villeneuve avait sans doute parfaitement conscience de ce risque et ses choix artistiques, pris en concertation avec son directeur de la photographie (Greig Fraser), sont parfaitement logiques au regard de ce que Frank Herbert évoquait dans son roman. L'auteur décrivait ainsi une planète dure et inhospitalière, battue par des vents d'une violence inouïe et écrasée par une chaleur insupportable. Dune est un désert hostile où l'eau constitue la plus précieuse des richesses, au point que les Fremen, ces rudes hommes du désert, récupèrent l'eau de leurs morts. Villeneuve illustre à merveille l'hostilité d'Arrakis par une lumière naturelle très crue et très vive, ici pas de bleu azuréen, mais au contraire des ciels intensément blancs, littéralement brûlés par l'intensité lumineuse d'un soleil impitoyable, le vent souffle et charrie du sable et de la poussière saturée d'épice. Ce choix de décors naturels sans lumière artificielle (dans les Émirats Arabes Unis et dans le Wadi Rum en Jordanie) confère une certaine authenticité aux scènes qui illustrent ce désert infernal, le spectateur est ainsi imprégné de l'ambiance de Dune et pourrait presque sentir le sable l'assaillir de toute part. Oubliez la nuit américaine, ici les scènes de nuit sont tournées avec un minimum d'artifices, presque sous-exposées, ce qui leur donne un véritable cachet et rompt quelque peu avec la débauche d'effets spéciaux numériques outranciers, très souvent rehaussés par un étalonnage numérique discutable.

L'innovation dans la continuité

L'autre grand défi de Villeneuve, c'était bien évidemment de donner une identité visuelle propre à son film et de se démarquer des codes définis par depuis plus de trente ans. Si l'on excepte les choix de Lynch, Villeneuve avait assez peu d'indices disponibles car l'imagerie liée à Dune est assez limitée, en dehors de quelques illustrations assez éparses (couvertures de romans pour l'essentiel) ; l'influence la plus notable est probablement celle de John schoenherr à qui l'on doit quelques très belles vues d'artiste publiées dans Analog dans les années soixante ( Dune fut publié initialement de manière épisodique), mais les plus anciens noteront également quelques subtiles références à Chris Foss. En matière de design, l'équipe du film a défini de nouveaux codes esthétiques mêlant à la fois des lignes épurées, tendues, à un aspect massif et fonctionnel qui paraît bien loin des fioritures de Star Wars. Les vaisseaux sont imposants, défiant les lois de la gravité pour imposer leur puissance et l'architecture d'Arrakeen (la principale cité de Dune) est à l'avenant. Cette brutalité, que l'on retrouve partout dans l'univers de Dune, est illustrée à l'écran par des costumes très martiaux, que ce soit dans les tenues des Atréides et des Harkonnens ou bien encore dans les distilles des Fremens (cette combinaison qui assure la survie en plein désert). On regrettera néanmoins que ces derniers paraissent moins fonctionnels qu'esthétiques, alors qu'il s'agit là d'un élément important du monde d'Arrakis. L'équipe de Lynch s'était montrée bien plus inspirée sur ce plan-là, avec des distilles qui semblaient plus rustiques et pratiques.

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Un film qui privilégie la lisibilité

Toutes ces considérations techniques et artistiques, aussi importantes soient-elles, participent bien évidemment à l'immersion du spectateur, mais c'est néanmoins ailleurs que Villeneuve était attendu. L'univers de Dune, que l'on a souvent qualifié d'impossible à adapter, est en effet d'une complexité et d'une richesse assez peu communes et il paraissait presque impossible de le condenser sur un seul film. C'est d'ailleurs le choix de Villeneuve que de couper ce premier volet à peu près au milieu du roman. En l'état, le long métrage du réalisateur canadien, malgré ses 2h35, fait figure de film d'exposition. Une introduction plutôt en douceur au monde de Frank Herbert qui tente de satisfaire les fans purs et durs, tout en restant lisible et compréhensible pour le spectateur lambda. La posture, qui confine au numéro d'équilibriste, n'a rien d'une évidence et finalement Villeneuve s'en tire plutôt bien en optant pour une construction narrative prudente, très proche de celle du roman. Évidemment, il y a fatalement de nombreuses ellipses et certaines scènes clés, mais sans doute trop peu cinématographiques, n'ont pas été portées à l'écran. C'est évidemment frustrant car l'histoire, si elle reste fidèle à l'intrigue d'origine, perd là une profondeur thématique. Les plus avertis remarqueront que les scènes se déroulant sur Giedi Prime, la planète des Harkonnen, sont réduites à la portion congrue ou bien encore que la cour impériale est à peine évoquée (l'empereur n'apparaissant même pas à l'écran). Ces manques concernent également des personnages secondaires, comme le très populaire Feyd Rautha, ou la princesse Irulan, qui conservent néanmoins toutes leurs chances d'apparaître dans le second volet. Au regard des contraintes qui sont celles du cinéma, Denis Villeneuve a privilégié des choix narratifs qui paraissent tout à fait justifiés et logiques, mais si son film gagne en lisibilité, il ne se suffit pas à lui-même. Un second volet paraît indispensable, évidemment pour clore l'intrigue principale, mais aussi et surtout pour que le réalisateur puisse poursuivre son travail d'adaptation, intégrer davantage de l'immense et complexe univers de Frank Herbert et donner un rôle plus important aux forces qui œuvrent dans l'ombre (Le Bene Gesserit évidemment, la guilde...), quitte à prendre des risques et à innover par rapport à ce premier jet quand même très (trop) fidèle à la trame originelle.

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Et c'est bien là le cœur du problème, Villeneuve doit-il impérativement être fidèle au roman de Frank Herbert (en calquant son récit trait pour trait), ou bien doit-il en capturer l'essence et la philosophie, quitte à prendre davantage de risques en matière de construction narrative. Le défi est de taille car en plus d'être un roman d'aventure épique et un récit initiatique, Dune est aussi et surtout une vaste réflexion politique sur le pouvoir, sur l'écologie et sur l'influence de l'homme sur son environnement, c'est un roman qui accorde un rôle prépondérant aux femmes tout en se gardant d'être ouvertement féministe et c'est une œuvre qui se montre bien moins mystique qu'on voudrait bien le faire croire, interrogeant sans cesse le rôle des religions comme instruments de manipulation et de contrôle des masses. Sur ces aspects, Denis Villeneuve démontre dans de nombreux détails, qu'il connaît parfaitement cette dimension de Dune et ses nombreux clins d'œils aux fans devraient rassurer quant à sa capacité à prendre un peu de hauteur.

A propos des récentes parutions sur Dune, voir " La ruée vers Dune " sur bloggerinfabula (fév. 2021).


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