Matt Reeves, 2022 (États-Unis)
Il ne faudrait pas se méprendre sur le sens à donner à cette couleur. Si Matt Reeves met en scène Batman le Rouge ce n'est pas pour servir un propos politique. C'est davantage pour se distinguer de ces prédécesseurs, donner une identité visuelle inédite au personnage et éviter que son histoire ne sombre au milieu d'une série de plus de dix films, perdue dans les eaux noires des plus faibles adaptations. Mais de ces dernières, Reeves s'en tient éloigné.
Solide par ses fondations, The Batman opte pour un scénario et un genre auxquels les super-héros se sont depuis vingt ans rarement frottés. Il s'appuie sur une enquête criminelle assez complexe (avec meurtres, coins malfamés et suspects...) qu'un Sphinx vient nourrir d'énigmes parfois mortelles (Paul Dano). The Batman emprunte aussi au film noir son justicier névrosé, bien sûr, mais aussi sa femme fatale (Catwoman) et plus que jamais sa ville déliquescente. Le titre de Nirvana, Something in the way, et la bande originale de Giacchino qui en découle, s'accordent d'ailleurs particulièrement bien à ce décor. De plus, cette trame de film noir rappelle le Batman de Burton (1989), le personnage lui-même, incarné par Robert Pattinson, et d'autres éléments de décor (les intérieurs de la propriété Wayne) forçant même sur la touche gothique chère au réalisateur de Burbank. Toutefois, Reeves n'enferme pas son récit dans une Gotham irréelle, comme chez Burton une cité graphique inspirée de la mégapole industrielle de Lang ( Metropolis, 1925). Depuis Nolan, Gotham prend place dans le monde réel, non plus Chicago (, 2008) mais New York, une métropole où partout l'argent circule et, la crise aggravant la crise, où les bas-fonds sont devenus gouffres au creux desquels la vermine pullule. Le rouge avec lequel le film tapisse ses plans n'est pas politique, mais il n'est pas davantage social. Le film ne s'attarde par exemple pas sur les populations sans ressources comme le faisait - dans une certaine mesure - Joker (Phillips, 2019). Il y a bien une ou deux pauvres victimes, mais ces gens n'intéressent pas particulièrement le récit.
D'un point de vue formel, marquent encore des plans superbes. Une évocation de Nighthawks laisse quelque chose du film noir à nouveau (on trouvait déjà le genre associé à ce fameux tableau dans Dark City de Proyas en 1999) ; l'espace urbain reflète un instant la peinture de Hopper et ouvre sur l'espace mental de Nashton qui, dans cette seule scène, avant de se laisser arrêter par la police, se trouve dans un vague à l'âme assez troublant. Une autre série de plans laisse admiratif, lorsque dans les ténèbres d'un couloir, Batman défait une à une et dans les éclats de lumière des armes à feu les silhouettes qui l'assaillent. Plus loin, avec une vue en surplomb qui rappelle une case de BD, le super-héros guide un groupe de personnes, une fusée de détresse rouge à la main... De façon générale, le travail de Greig Fraser sur la lumière (ainsi, tout le feu d'un soleil levant avec Selina), ou plus souvent l'obscurité, ses nuances et les contrastes qu'elle expose mérite d'être mentionné.
L'enquête que mène Bruce Wayne révèle la gangrène qui a rongé toute la ville. Les politiciens, les magistrats, les policiers se donnent rendez-vous dans un club tenu par la pègre, Falcone et le Pingouin à sa tête (John Turturro et Colin Farrell que l'on n'attendait pas là). Là, tous s'adonnent au vice : nihil novi sub sole. De toute façon, dans pareil endroit, c'est plutôt nihil sole. La ville est à ce point corrompue qu'elle questionne même l'intégrité de la puissante famille Wayne. Pourtant, celle-ci est hors de cause et l'on regrette que le scénario de Matt Reeves et Peter Craig n'ait pas poussé plus avant sur cette piste : déjà pétris de contradictions, le super-héros aurait pu se trouver tourmenté par la compromission du père et une corruption atteignant jusqu'aux fondations de l'empire Wayne ; le super-héros luttant en définitive contre un fléau qui ne l'aurait pas épargné, un serpent qui se serait mordu la queue. De même, pour tenter à nouveau de faire dire quelque chose au film, on remarque de nombreux motifs qui concernent l'œil et le regard : une drogue qui s'injecte dans les yeux, les points de vue de Batman et de Riddler mis en parallèle dans deux plans avec jumelles (dont un pour introduire le film), les regards de Batman et de Selina (Zoë Kravitz) confondus grâce à des lentilles avec nano caméra... Cependant, à l'instar du Dark knight rises de Nolan (2012), toutes les ficelles ne sont pas bonnes à tirer et ne conduisent qu'à un propos confus.
D'une durée de trois heures sans être épique (exception faite d'une course-poursuite en Batmobile). Ancré dans la noirceur de notre époque sans être politique. Super-héros meurtris, loin du mythe, grotesque sans être ridicule. On dirait une énigme. The Batman n'est donc pas davantage qu'un bon film, l'ouverture saisissante d'une très probable trilogie en cours. C'est tout de même assez pour oublier la Justice League de Snyder (maladroit en 2017, interminable dans sa Director's cut). C'est assez pour l'apprécier davantage que bien des super-héros Marvel ou DC. Où Reeves et Pattinson conduisent la Rata Alada <?> Pour l'instant, mystère. Alors, attendons la suite.