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Quelques leçons de 2011 (trop long)

Par Mauss

Au seuil d'une année 2012 qui ne s'annonce pas folichonne, quels sont les points majeurs qui ont marqué, dans le monde du vin, l'an 2011 ?

Bordeaux

Comme il se doit, en France comme à l'étranger, Bordeaux reste la région la plus discutée. Cela commence par le moment des primeurs en mars où la planète "vin" fait son passage annuel dans des châteaux qui veulent recevoir chez eux, directement, la crème de la crème de la critique. Les choses sont faites à un certain niveau de perfection, l'UGCB - créateur de l'événement - propose toujours des dégustations comparatives à l'aveugle ou non, (merci et bravo). Bordeaux n'est point trop fâché de voir accourir vers de nombreux domaines cette lourde concentration de critiques internationaux. On goûte avec une certaine discrétion cette renommée croissante.

Il n'empêche : de plus en plus de voix s'élèvent pour souligner les insuffisances ou les problèmes croissants de ces deux semaines "primeurs". On commencera par évoquer le nombre exponentiel de propriétés qui ne veulent plus soumettre leurs échantillons aux dégustations comparatives à l'aveugle, ce qui était quand même le principe de base à la création de l'événement. Avec l'effet pervers d'obliger la critique à passer de plus en plus de temps à aller d'une propriété à l'autre.Cela devient pesant et propice à accidents qu'il vaudrait mieux éviter.

On continuera par la question rémanente des échantillons "travaillés", surtout quand on est dans un millésime tardif impliquant des évolutions à peine initiées. Comment juger du potentiel d'un vin dans de telles conditions ?Bref, il y a là quand même une belle mascarade largement confirmée par bien des producteurs qui en connaissent toutes les ficelles.

Les critiques anglo-saxons tiennent encore le haut du pavé lors de cette manifestation et on peut dire qu'on a une bonne douzaine de journalistes dont les avis sont importants pour les propriétaires. Les autres sont reçus ± poliment dans un esprit ouvert de bonnes relations publiques, sans plus.

Pourtant, malgré tous ces efforts, on assiste à deux phénomènes relativement négatifs.

a : l'augmentation des prix d'une trentaine de crus de référence, qui font l'essentiel du buzz autour de Bordeaux, a créé, particulièrement aux USA, un lourd sentiment de frustration à un moment où les ressources personnelles dévolues aux achats de vins se réduisent comme peau de chagrin. On veut punir Bordeaux alors même que la région n'a les yeux de Chimène que pour l'Asie, considérée comme un nouvel eldorado à conquérir. L'américain se sent trahi. Il n'aime pas cela.

b : cette vanité de ne parler que des quelques noms mythiques, des crus classés qui reçoivent avec tapis rouge, n'arrange en rien la promotion de bien des noms qui méritent largement mieux qu'une énumération en fin de page de journaux. On en arrive à une situation absurde où d'excellents crus, vendus à des prix particulièrement compétitifs, passent trop vite pour une masse d'amateurs, comme des vins de seconde zone, loin des qualités des références, alors même que plus d'une dégustation, aveugle ou non, essaient de mettre en valeur ces propriétés qui font un très beau travail. Oui, il y a d'excellents RQP à Bordeaux; oui, il y a chaque année des dizaines de vins méritant un repos décennal dans votre cave; oui il y a une vie en-dehors de crus dont les prix sont à 3 chiffres.

Autres remarques sur Bordeaux :

On ne sait trop si c'est une évolution due au changement climatique ou aux vendanges de plus en plus mûres, mais il devient patent que les différences entre rive gauche et rive droite relèvent plus de la théorie que de la pratique. Finalement, rares sont les critiques capables de différencier à coup sûr les dominantes merlot des dominantes cabernet. Mais bon, est-ce un point essentiel ? 

Le système bordelais, basé sur un négoce qui se charge de la vente universelle des vins, malgré tous les problèmes qu'il rencontre, reste de loin le plus adapté aux gros volumes mis sur le marché, d'autant plus que les châteaux n'ont guère les moyens financiers ou en hommes pour créer de toutes pièces un réseau de vente… qu'ils compensent - quand même - par des manifestations internationales particulièrement prisées, comme celles de l'UGCB.

Bref : Bordeaux reste un nom majeur de la planète "vin", mais devra, dans les années qui viennent, calmer ses ardeurs de profit, retrouver l'enthousiasme des amateurs et rééquilibrer ses marchés tant il est vrai que ne plus rien vendre chez soi n'est pas forcément une bonne chose.

Les autres régions

L'éternel pendule du goût continue lentement son chemin de droite à gauche. On est en train de quitter gentiment les excès des vins bodybuildés, confiturés, riches à l'excès, ultra-boisés pour retrouver des vins plus équilibrés où la finesse reprend ses droits, comme l'élégance équilibrée et le fruité discret. On a vite compris que dans cette évolution, les meilleurs bourgognes ont une carte à jouer, ce qu'ils font et véritablement "alla grande". Jamais l'intérêt des amateurs pour cette trop petite région n'a été aussi grand. Jamais non plus nous n'avons autant de jeunes producteurs qui ont la passion de bien faire en suivant l'exemple des références que sont des noms mythiques comme la DRC, Rousseau, Roumier, Clos de Tart, Leroy, Mugnier. Les Mortet, Taupenot-Merme, Burgaud et tant d'autres iront loin et très vite, cela va devenir difficile d'être sur les listes d'allocations annuelles, le système toujours d'actualité dans cette belle région. 

La cote d'amour atteint des sommets et s'il semble évident à tout un chacun ayant des vieux Lafite en cave qu'il vaut mieux les vendre pour acheter d'autres Poyferré plus jeunes, ce serait une proposition incongrue pour un amateur de lui proposer de vendre ses musigny ou ses chambertins contre je ne sais quoi. Les bourgognes, on les boit. Point.

La Loire reste la région la plus sous-évaluée alors même qu'elle propose, dans le vaste registre du vin, d'excellents blancs secs, doux, des rouges aux fruits nets et des effervescents trop loin des radars actuels. C'est même assez étonnant  de constater à quel point les amateurs parisiens, si proches de cette région de châteaux, ne viennent pas systématiquement charger le coffre de leurs voitures comme le font les suisses, les allemands, les belges pour l'Alsace ou la Bourgogne ou même la Champagne.

Le Beaujolais sort doucement des années de misère polluées par le système des "primeurs" qui a été bien trop loin dans le "travail" technique du vin. Grâce aux derniers millésimes de toute beauté, cette région retrouve une cote d'amour grâce à une vingtaine de noms qu'on cite avec respect. Relire ici les superbes articles de Nicolas Herbin qu'on trouvera sur ce blog.

Le Rhône, puissamment aidé internationalement par l'amour que lui voue Parker nage sur un petit nuage et il est vrai qu'il y a là des domaines méritant le plus grand respect. La syrah y excelle, Rayas reste un sommet, mais pour autant l'amateur éclectique n'oubliera pas l'Helvétie qui a plus d'un joyau caché avec ce cépage si délicat.

Au Languedoc-Roussillon, les choses semblent évoluer dans deux sens : d'un côté de vastes vignobles qu'on arrache alors même qu'il y a des terroirs méritant largement d'être sauvegardés et de l'autre des noms comme la Grange des Pères qui se sont largement imposés dans le gotha mondial des plus grands vins. Un peu comme à Bordeaux, d'inconscients passionnés, comma la famille Modat, sont en train de se faire connaître plus que favorablement. On assiste aussi à un réel intérêt des amateurs à suivre cette évolution, avec un Bizeul qui a réussi, au delà de ses rêves les plus fous, de couvrir son appel de capitaux en un temps record. Voilà un système de financement qui a de l'avenir et le proche futur va certainement nous le prouver.

Autres pays

L'Italie connaît des difficultés en Toscane alors que le Piémont, source des nobles barolos et barbarescos, est moins touché par la crise actuelle. Tout autant que l'Espagne, voilà un pays qui sait trouver des fonds européens pour ses promotions internationales et dont les capacités d'adaptation aux marchés neufs sont évidentes, malgré une image étant loin d'atteindre celle de Bordeaux.

L'Espagne souffre momentanément de la crise "Miller-Campo" qui a mis sur la place publique ce besoin intense de communication, quelqu'en soit le coût, alors même qu'il y a des beautés originales à prix doux mais pas toujours faciles à trouver. Là encore, l'amateur doit chercher.

J'aime l'Allemagne et l'Autriche, deux pays où on ne se la fait pas, modestes en tout, avec des producteurs d'une classe impressionnante. Certes, ils ont toujours bénéficier d'un fort marché local qui ne les poussait pas à l'export. Mais les voilà qui commencent à bouger et à proposer des crus d'exception, à des prix superbement concurrentiels. Bref, en blanc : c'est là-bas que doivent se porter vos regards.

Les anciens pays de l'est sont en train de pointer du nez, discrètement, la Hongrie en tête. Il va falloir suivre ce qui s'y fait comme les développements du Comte Stefan von Neipperg, propriétaire de Canon La Gaffelière à St Emilion.

Bon, on aurait plein d'autres choses à dire, cela viendra en continuum.

Les grandes tendances de la communauté "vin"

Le Grand Tasting de Bettane-Desseauve (B+D) a montré à quel point de nouvelles générations s'intéressent au vin. Dans une société où tout est mis en oeuvre pour dégrader et réduire à sa petite dimension alcoolique cette noble boisson qui a façonné - à son niveau - la culture européenne et a participé à son histoire, voilà une nouvelle positive !

Et le salon de la porte de Versailles où les amateurs pouvaient acheter, a eu lui aussi un succès foudroyant. 

A Hong-Kong, à Shanghaï, à Singapore, les événements "vins" se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. Pratiquement chaque semaine, on assiste à une vente aux enchères, à des salons à thème, à des soirées gastro-vineuses, à des dégustations initiées par des producteurs dynamiques ayant compris que c'est en s'associant qu'on peut mieux réussir à pénétrer ces nouveaux marchés qui vont vite devenir connaisseurs et donc exigeants.

La communauté "internet" sera encore le théâtre de passions exacerbées où l'excès comme la mauvaise foi auront une place trop importante, comme l'ont montré amplement les réactions à la dernière session du GJE. On aura du mal à rester sereinement sur le seul terrain de la critique "produit" et de laisser de côté de basses vengeances inutiles et inintéressantes pour le lecteur. Mais bon, c'est vrai que je suis un peu rapide à sortir le bazooka là où de simples fléchettes suffiraient.

Si le forum de Parker est en chute libre depuis qu'il est devenu payant (on n'y trouve pratiquement plus que des thuriféraires en adoration pour le maître), le forum LPV a pris une certaine maturité avec des administrateurs plus rapidement soucieux d'écarter les discussions dangereuses, les attaques à la personne et à veiller à ce que l'éthique qu'ils ont gravée soit respectée. On n'oubliera pas que les coûts d'un tel site, de loin le plus lu dans l'Europe du vin, sont à leur charge et ce n'est pas négligeable.

La force de ces sites impétueux où les nouvelles vont vite, va obliger la critique officielle, telle la RVF, à faire beaucoup plus attention à son contenu et à sa réactivité par rapport aux événements. Le papier restera encore longtemps un acteur privilégié de la communication.

Et les blogs du vin foisonnent dans toutes les directions, certains ayant des succès foudroyants en termes de lecteurs comme Miss Glouglou. Chapeau à ces auteurs qui reçoivent des milliers de visites quotidiennes alors qu'ici - belle école de modestie - , je suis heureux comme un nabab avec ma moyenne de 300 lecteurs journaliers. Quand bien même ma plus grande fierté est la qualité des intervenants, on aimerait qu'il y en ait plus. C'était déjà notre souhait au bout de la première année de ce blog : comme quoi, il y a toujours du teuf !

Les grands sujets de discussions probables pour 2012

On reviendra certainement sur l'oeuf et la poule, je veux dire l'homme et le terroir. Tout a été dit et tout reste à dire. Chaque paroisse aura son bréviaire et sa liste d'exemples qu'elle voudrait définitive. Ce ne sera jamais le cas, on s'en doute.

Le bio continuera à faire parler de lui, avec peut-être plus de sérénité,  tant il est vrai qu'on a de plus en plus de producteurs qui l'appliquent… sans le dire, sans en faire un argument commercial. Là aussi, un sujet à suivre.

Les règles que devront appliquer au grand jour les journalistes, c'est à dire une éthique professionnelle, feront encore les beaux jours de la blogosphère, chez Lalau, Smith et autres Budd comme sur LPV , BonVivant ou ici. En effet, les derniers remous (avec Parker en vortex) ont pris une dimension considérable aux USA comme on peut le lire sur le blog de Mike Steinberger ou sur le forum Wineberserkers. Il va falloir vite dire quelles sont les lignes jaunes à ne pas franchir et surtout s'y tenir.

Là où un Michel Bettane nous répète que ce ne devrait être qu'une question d'intelligence et de force individuelles, où le critique, (d'instinct si j'ose dire) saurait cloisonner les amitiés et les jugements exprimés, bien d'autres journalistes/critiques/écrivains ont des flexibilités parfois dangereuses et réduisant considérablement la valeur de leurs écrits.

Le vin comme placement financier, voilà aussi un sujet d'actualité pour 2012 ! Si on peut trouver des graphiques montrant l'impressionnante montée des valeurs-phares comme Lafite ou la DRC, on en trouve d'autres qui prouvent qu'on a atteint des sommets et que la tendance vers le haut se calme ou même diminue.

Si le vin doit rester fondamentalement une boisson à partager convivialement entre amis, les marchés peuvent s'accommoder d'un certain % qui va dans l'investissement où on aimera toujours une marchandise dont l'offre diminue et la demande augmente, ce qui est le cas pour chaque grand millésime. Disons qu'à plus de 30 %, on a plus de risque d'arriver à un retournement douloureux de ce marché spéculatif.

On discutera aussi du système de notation sur 100 ou sur 20 qui est un peu face au mur, suite aux inflations constatées ici et là avec des 100/100 octroyés à des vins même pas sortis de l'enfance. Il n'est guère facile de changer les choses : on a essayé ici au GJE de le faire : bernique ! Vouloir réduire à de simples niveaux (3) de plaisirs et d'émotions la notation d'un vin, semble une tâche insurmontable pour bien des critiques. Mais bon, on continuera notre combat, bien doux en l'occurence !

Voilà donc un peu les nouvelles pour 2012. Pour un Bordeaux qui va devoir retrouver une cote d'amour disparue, une Bourgogne qui va devoir gérer une demande exponentielle, beaucoup de domaines qui vont devoir trouver à coût modeste de nouveaux modes efficaces de communication, une critique qui va devoir être plus transparente, et un internet qui restera un ring où ça boxera ferme, la France risque d'avoir encore pour 5 ans un Président qui ne boit pas, des lobbies qui vouent le vin aux gémonies. Bref, on continuera à discuter ferme de tout cela !

Toute bonne année 2012 à tous, y compris aux haineux, vindicatifs et malfaisants :-)

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