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La BD réaliste en diptyques

Par Manuel Picaud

Le marché de la bande dessinée reste le plus dynamique de l’édition en France ; au 1er semestre, ses taux de progression dépassaient ceux des autres secteurs de l’édition. Il continue de s’adapter pour y proposer une large palette d’albums pouvant répondre au goût de tous les publics. Parmi les innombrables formules recherchant le succès, une tendance dans la BD réaliste s’affirme autour du diptyque, c’est-à-dire une histoire en deux tomes. Exemples et explications.
Ce format permet de boucler une même histoire en 92 voire 108 pages. L’auteur peut raconter plus facilement son histoire qu’en 46 pages. Jacques Martin s’est plié à cette dernière règle d’une histoire en un seul album pour ses séries Alix, Lefranc et Jhen alors que le développement de l’intrigue aurait nécessité parfois un traitement plus long. Moins elliptiques et plus fouillées, les intrigues en 2 tomes gardent du rythme. Chez Paquet par exemple, Think Tank, le thriller financier de Verelst aurait pu tenir en un seul album sur l’intrigue pure, mais aurait sans doute été indigeste. Le choix du diptyque permet non seulement de solutionner l’énigme, expliquer le contexte économico-financier et creuser la psychologie des personnages. Le découpage moins serré facilite aussi souvent la tâche du dessinateur. Et les auteurs terminent une histoire en moins de temps et peuvent soit enchainer avec un nouveau diptyque, soit passer à un nouveau sujet et éviter de lasser.
Il faut bien avouer que devant la multiplication des titres, les lecteurs sont de plus en plus zappeurs. Et aussi méfiants. Evidemment l’expérience de Soleil habitué à démarrer des séries sans les finir peut décourager les amateurs de nouveautés. Au point que certains rechignent désormais à commencer à acheter une série dès son démarrage. Je m’entretenais avec Pierre Boisserie sur ce sujet et il me rappelait une évidence à méditer : « lorsqu’une série s’arrête inopinément, c’est parce que les gens ne la lisent pas ! Ce qui me fait toujours rire ce sont les lecteurs qui disent qu’ils n’achètent pas le 1er tome car ils veulent voir si la série va durer. Et bien oui, si vous n’achetez pas les 1ers tomes, la série ne va pas durer. C’est sûr !! »
Cela dit, les éditeurs ont effectivement modifié leurs approches. Pour les séries, ils ont d’abord tenté le chiffre 3. L’éditeur Emmanuel Proust a ainsi lancé une collection de triptyques, comme Gabrielle B. dont le 3e tome sort dans un mois. Aujourd’hui, Glénat notamment mise davantage sur 2 tomes. Quand Didier Convard lance de nouvelles séries comme Tanâtos avec Jean-Yves Delitte, le protocole du Tueur avec Denis Falque ou encore Vinci, l’Ange brisé avec Gilles Chaillet, il choisit le format diptyque. Cela lui permet de continuer si le public réagit bien, sans le frustrer à défaut. C’est devenu une marque de fabrique même pour des séries plus longues genre saga familiale. La saga sur le cigare, Flor de Luna de Pierre Boisserie, Eric Stalner et Eric Lambert, prévue initialement en 6 tomes a été redécoupée en 3 diptyques. La série sur les Diamants des époux Bartoll et Bernard Kölle, dont le 2e tome vient de sortir aussi, est également présentée en plusieurs diptyques.
Ce n’est pas l’apanage de cet éditeur. Chez Dargaud, Pierre Boisserie a réaménagé sa série Dantès écrite avec Philippe Guillaume et dessiné par Erik Juszezak en 3 diptyques. Le projet était initialement prévu en 7 albums. Le nouveau découpage est plus équilibré et permet de boucler des cycles ; le 2e tome sort le 19 septembre. Cette notion de cycle est très présente dans la collection Grand Angle de Bamboo. Cette collection réaliste mise sur ce format diptyque en particulier pour tenter l’aventure avec de jeunes auteurs. Le dernier en date est le Dessinateur, 1er album de Jean Trolley sur un coscénario de Dimberton et Erroc. Et chez Casterman, Philippe Richelle et Pierre Wachs renouvelle le format diptyque démarré chez Glénat pour la série Secrets Bancaires dans leur nouvelle histoire Opération Vent printanier sur les douloureuses heures de l’Occupation.
Les exemples ne manquent pas donc. Il ne faut pas craindre de dire qu’il s’agit aussi de faciliter le travail de promotion et de distribution. Les éditeurs raccourcissent le délai de sortie entre les deux tomes, voire les supprime. Le 1er diptyque Haute Sécurité de Callède et Gihef est ainsi sorti en même temps. Il en sera de même pour Ava dream d’Erik Arnoux et Alain Queirex le 21 novembre. Les éditeurs peuvent mettre proportionnellement moins de moyen pour un impact plus fort. Les sorties rapprochées découragent aussi les libraires de renvoyer trop vite leurs invendus. Et ces derniers voient en la réduction des longues séries une baisse de leurs immobilisations stock et donc une amélioration de leur trésorerie.
Tout le monde est il gagnant ? si le concept était totalement sûr, tout le monde l’aurait définitivement adopté. Il répond à une demande et présente des avantages. Mais d’autres modèles sont en cours de test, une amélioration du fonctionnement des séries à auteurs multiples comme le projet Destins de Frank Giroud chez Glénat ou Empire USA de Stephen Desberg chez Dargaud. Une chose est sûre ; la bande dessinée est devenue une industrie avec tout son cahier des charges pour s’imposer.


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