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Jazz et Erotisme, l'exultation corps et âme + photographie de Ron Carter

Publié le 10 février 2010 par Jazz29171
(for non french speakers .. please use Google Translate http://translate.google.com/# )
Pour une fois un de mes posts ne comportera juste une photographie et sa légende.
En effet, j'ai eu le plaisir de prêter une photo prise à Ron Carter le 26 janvier 2010 au Victoria Hall de Genève à un blogueur français : Guillaume Lagrée.
Il m'a demandé récemment une photographie pouvant accompagner judicieusement un article intitulé "Jazz et Erotisme, l'exultation corps et âmes".
J'ai pensé que la photographie ci-dessous de Ron Carter amoureusement apposé à sa contrebasse collerait bien à son très intéressant article.
Vous trouverez l'article sous la photographie et le lien sur le site de Guillaume Lagree en signature.
Je vous recommande de  suivre son blog bien sûr ! J'y suis abonné avec un plaisir non dissimulé ;-)
Jazz et Erotisme, l'exultation corps et âme + photographie de Ron Carter
JAZZ ET EROTISME, L'EXULTATION CORPS ET AMES

- Pour les mineurs de moins de 15 ans, cet article est à lire, après contrôle parental quoi qu'il soit bien moins dangereux pour leur développement que les flots de violence déversés par la télévision et les jeux vidéos. -
«  Tant qu’il aura une jolie fille pour m’écouter jouer du piano, je continuerai » Duke Ellington.
Lier le Jazz et l’Erotisme relève du pléonasme. Comme le Tango, le Jazz est né dans les maisons closes pour occuper les clients dans l’attente de la disponibilité des demoiselles. Le Tango est né à Buenos Aires. Le Jazz à la Nouvelle Orléans. Les morceaux duraient assez longtemps pour permettre aux filles de s’effeuiller (en anglais, to strip tease). Mais pas trop longtemps pour que le client ne perde pas patience. Le format de 3mn des morceaux ne vient donc pas seulement des nécessités de l’enregistrement sur cire des disques en 78 tours.
En 1917, les Etat Unis d’Amérique entrèrent dans la Première guerre mondiale. Les Boys embarquèrent à la Nouvelle Orléans pour le Havre. Pour éviter qu’ils ne partent atteints de maladies vénériennes (la siphyllis ou french disease en anglais), les maisons closes furent fermées tant à la Nouvelle Orléans au départ qu’au Havre à l’arrivée. Pour le Havre, les dégâts ne furent qu’économiques. Pour la Nouvelle Orléans, ils furent aussi culturels. Du jour au lendemain, des musiciens furent privés de leur emploi, surtout les pianistes. Il restait certes les bateaux à aubes sur le Mississipi mais cela ne suffisait pas. Alors les musiciens partirent vers le Nord, Chicago et New York. Pour l’ambiance des bordels de la Nouvelle Orléans, elle est résumée dans un vieux Blues chanté par les Animals, groupe anglais des 60’s «  The house of the rising sun » et adapté en français pour Johny Halliday dans une version expurgée « Les portes du pénitencier ».
Pour être pianiste à la Nouvelle Orléans avant 1917, il fallait être un dur à cuire. Le plus dur, le plus flamboyant de tous, avait mis sur sa carte de visite « Inventeur du Jazz ». C’était M. Ferdinand Joseph La Mothe dit « Jelly Roll Morton ». Le Jelly Roll était son gâteau préféré. Je laisse les lecteurs naïfs et les lectrices innocentes deviner de quel mets il s’agit. Avec son groupe les Red Hot Peppers, dont le nom inspira un groupe de gays californiens, ce Créole de la Nouvelle Orléans jouait une musique entièrement écrite qui dégage toujours une sensualité et une rage de vivre hors concours plus de 80 ans après. Charles Mingus lui dédia une composition dans son album «  Ah Hum » (1959). Le producteur Alan Lomax, qui découvrir Billie Holiday et Bob Dylan, eut la bonne idée d’enregistrer pendant des heures, pour la Librairie du Congrès, en 1940, Jelly Roll Morton jouant et racontant La Nouvelle Orléans. La pièce de théâtre « Novecento » d’Alessandro Barrico fait aussi de larges allusions à ce Géant du piano, bien oublié aujourd’hui.
A Chicago pour Count Basie, à New York pour Duke Ellington, dans les années 20-30 du XX° siècle, il fallait faire danser les filles. Jazz comme Rock’n roll est un euphémisme pour désigner le rapprochement des corps par la danse d’abord, par le sexe ensuite. Evidemment, la censure jouait. Si les titres ne sont pas aussi sexuellement explicites dans le Jazz que dans le Blues (Little Red Rooster pour les hommes, Sugar in my bowl pour les femmes), la musique l’est. L’orchestre de Count Basie jouait un morceau que les musiciens appelaient entre eux « Blue Balls ». Le jour où l’orchestre joua ce morceau pour la première fois à la radio, il fallut bien trouver un titre présentable. Il était 13h à l’horloge du studio. Ce fut « One o’clock Jump ». Quant au Duc d’Ellington, il arborait sur la joue la trace d’un coup de rasoir donné par une femme jalouse. Le Duke n’était fidèle qu’à la musique. D’où le titre de son autobiographie « Music is my mistress ». « La musique de Duke Ellington est si érotique qu’elle en devient mystique, si mystique qu’elle en redevient érotique » (Boris Vian). Sans aller jusqu’à dévoiler les turpitudes de ma vie personnelle, je puis toutefois raconter l’histoire suivante. Il fut un temps, lointain maintenant, où je faisais de la radio, une émission de Jazz évidemment. J’avais fait découvrir la musique de Duke Ellington à une amie. Elle adorait. Un soir, en son honneur, je fis une émission entièrement consacrée au Duke et à ses hommes. Après l’émission, elle m’avoua qu’au bout de 15mn, elle ne m’écoutait plus. Elle faisait l’amour avec son homme. C’est l’effet que fait l’orchestre de Duke Ellington, le vrai, celui dirigé par le Duke en personne. Avec le concert du Duke à l’Alhambra en 1958 par exemple. Vous m’en direz des nouvelles après l’avoir essayé.
Le Jazz n’est pas resté une musique de danse. Il y a gagné en subtilité, en raffinement, en richesse harmonique. Il y a perdu en sensualité, en érotisme. « Dans le bebop, ils sont sur cinq sur scène. Le souffleur, le pianiste, le contrebassiste, le batteur et un 5e homme au radar pour repérer le rythme dès qu’il passe dans l’air » disait un DJ des années 1940. L’attaque est basse et, pire, elle est fausse. Il suffit d’écouter le Big Band atomique de Dizzy Gillespie (1946-1948) pour comprendre le sens de la phrase de Michel Leiris, «  Le rythme afro cubain est comme la joie de l’homme qui a découvert le feu ». Quant à l’érotisme, écoutez les congas chanter sous les mains de Chano Pozo, regardez Dizzy diriger son orchestre avec les hanches, le bassin, les fesses (il y a des films là dessus).
En réaction à la chaleur, l’agressivité du be bop, naquit le Cool Jazz, un Jazz de Blancs, le plus souvent venus de la Côte Ouest des Etats Unis, de Los Angeles plus précisément. Une musique cool voire cold, sans aspérités, pure, innocente. Alors Chet Baker vint. Une gueule d’ange, une voix d’ange, un jeu d’ange (il était trompettiste) mais un esprit de démon doué pour l’autodestruction. Chet Baker dégageait tant d’innocence qu’il en faisait tomber les filles par terre. Il fut aussi une des premières icônes de la communauté gay de San Francisco. Avant Elvis Presley, James Dean et Marlon Brando, il fut le premier sex symbol en blue jeans et tshirt blanc. Ecoutez ses enregistrements pour Capitol Records (Los Angeles) entre 1953 et 1956. Si ça ne vous fait pas craquer…
Face au Cool Jazz, les musiciens noirs de la Côte Est inventent le hard bop, le jazz funky. Ils creusent le groove. Le groove c’est le sillon, celui du champ, celui du disque et celui du vagin. Quand Madonna chante « Get into the groove. U’ve got to prove Ur love to me », il faut que le gars assure ! Le Colosse du Saxophone, Sonny Rollins, en fournit un exemple magistral avec son «  Blue Seven » . Je recommande surtout son album en duo avec son Maître, Coleman Hawkins, « Sonny meets Hawk » (1963). Une amie à qui j’ai offert cet album m’a dit ensuite que cette musique avait enrichi la sexualité de son couple. A vous de le vérifier par les données de l’expérience.
Le Free Jazz se coupant de toute référence au rythme, à la mélodie et à l’harmonie est une musique éthérée, antiérotique par essence. Avec le Jazz Rock qui apparaît à la fin des années 60, la sensualité revient en flèche notamment avec « Bitches Brew » (1969, année érotique) de Miles Davis, une musique de fusion dans tous les sens du terme.
Pour conclure cette improvisation sur Jazz et Erotisme, je reviendrai à Stan Getz, dit «  The Sound ». Certains le jugent froid. Je les plains. Pour moi, c’est l’âme slave. Ce n’est pas pour rien qu’il fut surnommé « Le Sacha Heifetz du saxophone ténor ». Un son de violon sorti d’un saxophone. Cette musique est d’un érotisme si élégant et subtil que certains esprits grossiers peuvent ne pas s’en apercevoir. Et pourtant, qu’il joue «  Song for Martine » avec Eddy Louiss au Ronnie Scott à Londres en 1971 (album « Dinasty ») ou « Que reste t-il de nos amours ? » de Charles Trénet avec Kenny Barron au Café Montmartre à Copenhague en 1991 (album « People Time »), Stan Getz, c’est le triomphe de la beauté sur la laideur, de la grâce sur la pesanteur, de la vie sur la mort, bref de l’érotisme.
Pour se reposer de toute cette sensualité tout en y restant, qu’écouter dans cet instant fragile qui suit l’amour et précède le sommeil ? « Inner Traces. A Kenny Wheeler Song book » du chanteur français Thierry Péala.
Comme le chantait Lady Day, que nos vies soient toujours « fine and mellow ».
Guillaume Lagrée (
http://lejarsjasejazz.over-blog.com/)




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