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Emma ou « Comment on fait les bébés » épisode 2

Publié le 26 août 2010 par Mamandouceur

Emma ou « Comment on fait les bébés » épisode 2

Emma ou « Comment on fait les bébés » épisode 2
Scène 1

15 novembre 2007 : le test.

Avec une copine :

-J’ai un peu mal dans les seins ces derniers temps, je sais pas ce que j’ai… j’ai un peu de retard aussi… mais bon, j’ai l’habitude, un coup de fatigue…

-T’es enceinte ?

-o_O ah ça, ça ne risque pas d’arriver !!!

-Fais un test !

-Pour quoi faire ? Je vais pas dépenser 10 € pour acheter un test qui va me dire ce que je sais depuis toujours, à savoir que je ne suis pas enceinte parce que JE NE PEUX PAS AVOIR D’ENFANT !

-Quand même, fais le ce fichu test, la pharmacie est en bas de chez toi, je viens avec toi si tu veux…

J’ai cédé, au bout de 3 heures, j’ai capitulé et je suis allée acheter ce test, inutile à mon sens. C’est vrai que la pharmacie est en bas de chez moi mais n’empêche, ça me gonfle de dépenser 10 € pour ça…

Et en l’achetant, dans ma tête, quand même, je me dis « pourvu que ce soit négatif »… en ne voyant pas, de toutes façons, comment il pourrait en être autrement.

Plus que 10 minutes avant l’heure de l’école. J’ai le temps de faire pipi sur le plastique. Ca tombe bien, j’ai envie.

A peine mouillé, le plastique s’emballe et le résultat apparaît avant même la barre témoin. J’avais même pas encore fini de faire pipi que c’était déjà violet foncé ! Je termine, je vais jeter un œil à la notice pour voir quelles étaient la barre témoin et la barre résultat parce que c’est juste pas possible… et là, je me rassois aussi sec, ma tête tourne, je ne sais plus où je suis… c’est plus que positif. IMPOSSIBLE !

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C’est inconcevable, c’est grotesque, mon dieu, je vais tomber dans les pommes ! Je reste assise là comme une courge, et l’heure de l’école est là, il faut que je me lève, que je fasse la route, que je m’occupe des garçons ce midi mais je ne m’en sens pas capable tant je suis sous le choc de la nouvelle. C’est une catastrophe ! Je ne veux pas de 3ème enfant, le père ne veux pas d’enfant non plus. Et comment je vais lui dire ça moi ? JE SUIS STERILE ! JE LUI AI DIT IL Y A 3 MOIS QUE J’ETAIS STERILE ! Pas de risque que je disais !

Je suis incrédule, ça ne peut être qu’un faux positif. Je prends les pages jaunes, je cherche frénétiquement le numéro du labo et j’appelle pour prendre RDV pour une prise de sang dans l’après midi… en attendant, il va falloir que je me bouge et que je fasse comme si tout était normal alors que ma tête bouillonne, mes jambes et mes mains tremblent, mon cœur bat à toute vitesse… je regrette presque d’avoir fait ce test… maintenant il va me falloir affronter une réalité que je redoute plus que tout… l’annonce au père. Et je le sens plus que mal. Comment je vais bien pouvoir lui dire ça ?

Les sentiments contradictoires se bousculent en moi… j’oscille entre la joie folle d’être enceinte, ce que j’ai attendu et souhaité si fort tellement d’années, et la peur, peur de la réaction du père, peur d’élever seule un autre enfant, de ne pas pouvoir faire face… peur de devoir prendre une décision qui serait encore plus catastrophique que d’avoir un autre enfant : celle de l’avortement. Tout ça tourne dans ma tête à la vitesse de l’éclair et je ne peux poser mes idées pour réfléchir. Tout ce que je sais, c’est que je mets sans doute les pieds dans une histoire qui ne sera pas simple à gérer et que j’y suis jusqu’au cou.

Scène 2

Allo Papa ? Ici bébé

-Allo… bonjour, c’est moi… ça va ?

-Oui ça va et toi ?

-Heu… t’es chez toi là ?

-Nan je suis au beaujolais nouveau !

-o_O (tête d’étonnement, il ne boit pas d’alcool)

-Pourquoi ?

-Heu… j’aurais préféré que tu sois chez toi, j’ai un truc à te dire, c’est un peu… délicat…

-ben vas y, dis

-C’est pas facile à dire… heu… je suis enceinte

-…

-t’es là ?

-Oui oui je suis là… heu… c’est une bonne nouvelle, pour toi, maintenant tu sais que tu peux avoir des enfants… mais tu ne vas pas le garder ?

-Ben… je sais pas… j’envisage pas trop de me faire avorter…

-Mais tu pourras en avoir d’autres maintenant que tu sais que tu peux, avec quelqu’un que tu aimeras et qui t’aimera, moi je ne peux pas avoir d’enfant, c’est impossible, je ne veux pas…

-…

-Je ne pourrais pas vivre en sachant que j’ai un enfant quelque part et je ne peux pas assumer un enfant. C’est une responsabilité que je n’ai jamais voulue et que je ne voudrais jamais. Je ne peux pas avoir un enfant, ce n’est vraiment pas possible, tu ne peux pas le garder.

-Je suis désolée, je ne m’attendais vraiment pas à ça moi non plus, je ne comprends pas comment ça a pu arriver, je suis chamboulée. Je comprends que tu n’en veuilles pas mais j’ai besoin de temps pour penser à tout ça. De toutes façons, si je le garde, je ne te demanderai jamais rien.

Voilà, l’annonce est faite, je ne relate pas toute la discussion, ni toutes celles qui ont suivi les jours suivants, mais juste l’essentiel… ce qui reflète le plus nos états d’esprits à l’annonce de cette bouleversante nouvelle. Finalement je m’attendais à pire, à des hurlements peut-être, de la colère, voire des insultes… je suis soulagée, même si j’aurais préféré ne pas avoir à le dire par téléphone mais plutôt en face, la distance ne me donnait pas vraiment le choix et je ne voulais pas non plus reculer l’échéance de cette annonce. Sitôt su, sitôt dit en quelques sortes.

J’oscille toujours entre la joie et la catastrophe, l’incrédulité ne me quitte pas vraiment… mais comment est-ce possible ?

Je sens que je vais me faire moquer quand je dirai que je ne sais pas comment c’est arrivé.

La prise de sang confirme la grossesse. Le taux de Béta HCG est de 22 000. Je cherche sur le net à combien de temps de grossesse ça correspond et je vois que c’est soit environ 5 semaines, soit 16 ! En regardant sur le calendrier et en essayant de rassembler mes idées et mes souvenirs, les deux peuvent correspondre… ça ferait soit mi octobre, soit début août… à ce stade d’incertitude, seule une échographie peut dater avec précision la grossesse. Au fond de moi je crois que j’espère que ça datera du mois d’août, comme ça je serais hors délai pour un avortement et la question ne se poserait même pas, même si papa me dit qu’il va me faire kidnapper pour m’emmener me faire avorter en Roumanie, ou qu’il me met le pression en me disant qu’aux Pays Bas ils pratiquent des avortement légaux jusqu’à 22 semaines et qu’il m’emmènera là-bas. C’est qu’il en a fait des recherches au sujet de l’avortement sur le net, Google a dû être en surcharge pendant des heures ! Et moi, pendant ce temps, c’est le bordel dans ma tête !

Je redoute de devoir prendre cette décision. Je sais que je serais davantage capable de faire face à un autre enfant, même seule, mais que je serais complètement détruite si je devais me faire avorter « pour faire plaisir » au père. Comment vivre avec l’idée qu’on a supprimé une vie ? Une petite vie innocente, une petite vie partie de soi… qu’on porte en soi… Mais comment prendre la responsabilité de faire naître un enfant qui n’aura pas de père ? Un enfant qui sera blessé et sans doute marqué à vie par cette désertion et par l’idée que même la personne qui l’a conçu pour moitié ne veut pas de lui… Et en même temps, comment, en toute conscience, imposer un enfant à quelqu’un qui n’en veut pas, qui n’en a jamais voulu et l’a toujours dit. Même s’il décide de ne rien assumer, il saura de toutes façons qu’il a un enfant quelque part, ce sera toujours, tous les jours, dans un coin de sa tête, et ça va chambouler sa vie. Alors pourquoi ma décision primerait-elle sur la sienne ? Comment prendre la responsabilité de bouleverser autant de vies ?

Mais avorter… il n’y pense pas… et si jamais c’était une fille ?

De toutes façons je ne prendrai aucune décision avant l’écho de datation.

Scène 3

Souriez pour la photo !

Rendez-vous est pris chez mon gynécologue le 26 novembre. Ce médecin, il me suit depuis 1997. C’est lui qui m’a suivie pour les fécondations in vitro, puis qui a découvert que j’avais de l’endométriose et qui m’a traitée pour ça pendant des années. C’est lui qui m’a opérée des dizaines de fois pour me retirer des kystes aux ovaires, des adhérences, des lésions d’endo sur l’utérus et partout dans l’abdomen. Il connaît bien mon dossier et j’ai toute confiance en lui. Alors même si maintenant il est un peu plus loin de chez moi, je n’envisage absolument pas de me faire suivre par quelqu’un d’autre dans un autre hôpital.

-Bonjour, ça fait un moment qu’on ne s’est pas vu, 2 ans et demi ! Ca va bien ? Vous venez pour une petite visite de contrôle ?

-Heu… je suis enceinte

-o_O fou rire

-Oui… qui l’eut cru ?

-Ah ben ça alors !!

-J’ai divorcé, j’ai rencontré quelqu’un et voilà le résultat. On ne s’est pas protégé parce que « c’était pas la peine, aucun risque » !

-Et vous vous voyez depuis quand ?

-Depuis août

-Ah ben il n’est pas stérile votre ami ! Vous avez bien fait de changer d’homme !!!

-Oui, j’aurais sans doute dû le faire bien plus tôt !!! Il ne veut pas de cet enfant. La situation est un peu compliquée, nous ne sommes pas un vrai « couple », on ne vit pas ensemble et si je garde bébé, je vais me retrouver toute seule avec 3 enfants…

-Vous, vous avez le caractère nécessaire pour faire face, même seule ! Et puis il dit ça maintenant mais vous verrez quand le bébé sera là, il changera.

Et hop, on passe dans la salle d’écho, celle du centre de Procréation Médicalement Assistée, celle-là même où j’ai fait toutes les échos pendant les procédures de FIV. C’est même dans cette salle que l’on m’a implanté 10 ans plus tôt les deux seuls embryons que j’ai eu en 4 ans de traitement… quelle revanche de revenir en ces lieux, qui ne m’avaient jamais apporté que mauvaises nouvelles et désespoir (désolée madame, les embryons n’ont pas tenu, désolé madame, le traitement de stimulation a échoué, ce ne sont pas des follicules que vous avez, ce sont des kystes, il va falloir vous opérer et arrêter le traitement… encore…).

Aujourd’hui j’y viens pour voir quelque chose que j’ai attendu pendant 12 ans, depuis ce jour de mars 1996 où j’ai fait ma fausse couche. 12 longues années à regarder des ventres ronds sans que jamais ça puisse être le mien. 12 années que les adoptions ont apaisées, mais qui restent quand même, pour la plupart d’entre elles, des années de douleur et de larmes, des années de maladie aussi et de souffrance physique. Je ne sais pas encore si je dois me réjouir ou pleurer, vue la situation…

Voilà mon utérus sur l’écran, puis voilà un petit haricot qui a un petit cœur qui bat, et hop, une photo… dès cet instant je sais que je ne pourrai pas accéder au désir du papa… un petit cœur qui bat et c’est mon gros cœur qui bat déjà pour le petit haricot. La taille de l’embryon révèle que je suis enceinte depuis mi octobre. Ça colle avec mon « calendrier ». Je suis sûre que c’est une fille, Emma… j’ai ce prénom qui m’est tombé de je ne sais où dans la tête depuis mi octobre et je n’arrive pas à me l’enlever de la pensée… Je suis sûre que c’est Emma qui est là et qui pousse dans mon ventre. J’en ai les larmes aux yeux de voir ce petit battement sur cet écran, de voir cette petite forme qui, bientôt, deviendra un petit être avec des petits bras, des petites jambes, une petite tête et un petit ventre… et toujours ce petit cœur qui battra, et toujours mon gros cœur qui battra très fort pour elle.

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Ma prochaine mission, et je n’ai pas d’autre choix que de l’accepter, sera d’annoncer le lendemain au père que je vais garder bébé, que je ne peux vraiment pas faire autrement… il y a un petit cœur qui bat bon sang, ce n’est pas rien. Quelles que soient les conséquences de ma décision, je les assumerai entièrement.

A suivre…


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