Magazine Cuisine

Histoires d’Elle(s)…

Par Linh

Histoires d’Elle(s)…

De son passé au Vietnam, il reste aujourd’hui quelques photos, des souvenirs enfouis mais surtout, une cuisine subtile et équilibrée qui garde vivante la mémoire d’un pays qu’elle qualifie volontiers de paradis perdu. Si le silence a toujours servi de rempart contre les résurgences non annoncées de souvenirs enfouis, son rapport à la cuisine a toujours dévoilé un attachement fort à son pays d’origine et une nostalgie invaincue. 40 ans de vie française et pas une concession n’a été faite sur sa façon de cuisiner, de partager un repas, de choisir ses ingrédients, de fêter les rituels de son pays en saveurs. Elle parle peu et nourrit sans relâche. Elle m’a donné la vie et ça c’est une belle histoire.

Elle est partie avec ses souvenirs. Son dernier paysage ressemblait à la vue depuis sa chambre, au « Couvent des Oiseaux », disait-elle. Chaque dimanche, elle cuisinait pour nous, les enfants, les mêmes plats savoureusement simples, tellement simples qu’on ne pouvait même pas imaginer qu’il en existe une recette. Tellement habituels qu’on n’imaginait pas que cela pouvait s’arrêter. Tellement pleins d’Elle qu’on n’imaginait pas les plagier. Les murs de sa maison portaient les odeurs de sa douce cuisine. La porte franchie, nous nous jetions dans ses bras, puis sur ses casseroles, pour en soulever le couvercle et s’assurer que nous étions bien attendus, avec nos plats d’enfants. Puis bien évidemment elle est partie. Avec ses souvenirs et ses saveurs. Depuis 10 ans, je cherche son goût, j’envoie mère et tantes à la recherche de la recette qui la fera revenir. Bien évidemment elle ne reviendra pas, mais elle m’a passé le feu et ça c’est une belle histoire.

Son cou émerge gracile de son buste menu et son port de tête altier contraste avec le regard qu’elle protège de ses longs cils, contraste avec sa voix basse bien que légèrement rauque. Ses mains sont incessamment affairées, sans l’ombre d’une précipitation. Ses mots sont pleins : de sagesse, de savoir, de vie, de trésors, de souvenirs. Ses intentions généreuses : transmettre, donner, expliquer, accompagner, insuffler. Aussi face à moi sur notre Terre, et face à ma recherche de savoir, et de savoir-faire à transmettre, elle est pleinement présente. Prendre la suite n’est pas « une petite histoire » comme elle dit. C’est important, même si on pense pouvoir aisément vivre sans. Elle m’a passé le flambeau, et ça c’est une belle histoire.

Leurs petits doigts agiles pilent, découpent, versent, émincent, mélangent, caressent, essaient. Leurs sens encore nouveaux, hument, touchent, goûtent, regardent, jugent et décident. Ils apprennent, ils reproduisent, ils écoutent, ils questionnent, puis agissent à leur manière. Mais déjà ils savent que la cuisine n’est pas « une petite histoire » et d’ailleurs, lorsqu’ils cuisinent, c’est leur affaire. Ils connaissent le nom de tous les plats qu’ils dégustent, savent ce qu’ils contiennent, rêvent d’aller les découvrir en V.O. , ont déjà l’usage des herbes et des condiments pour ajuster les plats à leur goût. Ils cuisinent peu mais commentent beaucoup, ne savent pas vraiment encore faire mais savent déjà comment faire…ils parlent de moi en disant qu’ « Elle » leur fait aimer le Vietnam à travers sa cuisine, et ça c’est mon histoire.


Filed under: Cuisine vietnamienne, Famille, Mère, Mémoire, Transmission

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Linh 475 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte