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Jancis Robinson et les primeurs à Bordeaux

Par Mauss

Jancis Robinson n'est pas n'importe qui. Cette femme du vin, qui a sa colonne régulière dans le Financial Time (FT pour les intimes), est certainement une des critiques les plus lues par les amateurs anglo-saxons.

Un billet de sa part dans le FT et votre vin peut connaître un réel succès. Ils ne sont pas si nombreux que cela les journalistes capables de "bouger" ainsi un marché.

Elle n'a pas eu peur de se frotter à Parker, notamment au sujet de Pavie, un vin pour lequel elle a fait ensuite amende honorable (sur d'autres millésimes que le 2003) suite à une dégustation à l'aveugle où ce cru de Gérard et Chantal Perse est arrivé en tête, "alla grande" : comme au GJE :-)

Ses ouvrages sur le vin sont des références de lecture pour tout amateur pratiquant la langue de la Queen. Chaque amateur a ou doit avoir dans sa bibliothèque le magister The Oxford Companion to Wine.

Bref, quand cette femme parle, on l'écoute avec plus d'attention que d'autres. Elle sera d'ailleurs avec Parker un des noms qui animeront le Wine Future à Hong Kong en novembre.

Comme Michel Bettane, Bernard Burtschy et quelques autres, elle porte un regard sévère et lucide sur la vaste comédie des primeurs où des centaines de journalistes du monde entier, finalement très peu familiers avec les vins de Bordeaux, viennent parcourir l'Aquitaine de château en château pour déguster sur quelques jours des centaines de vins bien trop souvent préparés pour plaire à ces palais alors même que les vins sont à un stade de leur vie qui est le babillage. Et ces échantillons ont l'extraordiniare faculté de changer en quelques heures, comme l'a si bien démontrée la seule session du GJE que nous avions faite sur les primeurs au St James ! C'est dire l'ampleur de la tâche !

Ne soyons pas a-prioriste : comme on l'a écrit ici à plusieurs reprises, la valeur de ces semaines primeurs ne peut se mesurer qu'au travers une analyse statistique approfondie qu'un amateur comme Bertrand Le Guern peut fournir où on fera un parallèle entre les notes primeurs et les notes sur ces mêmes vins, quelques années après leur mise en bouteille. Saluons au passage Robert Parker qui n'hésite jamais à corriger une de ses notes même de 5 points s'il le faut, entre ces deux moments de la vie d'un vin. On ne donnera donc un point de vue définitif sur la valeur de ces dégustations "primeurs" que le jour où cette étude statistique sera publiée. Ce serait le rôle d'un magazine de vin de prendre cela en charge. Je sais, c'est un souhait guilleret !

En sus de cette éventuelle valorisation des notes "primeurs" où les plus grands crus ne veulent plus être dégustés à l'aveugle (on est donc dans un système deux poids deux mesures), une question qui revient de plus en plus est de réfléchir sur l'impact des notes publiées sur les prix de sortie.

En effet, quel est le constat ?

La vaste majorité des propriétaires attend la publication de la note de Parker pour entamer leurs négociations avec les acheteurs qui, eux aussi, ont sous le coude la liste des vins dont les notes "Parker" vont assurer une vente rapide, avec une marge plus ou moins conséquente. Avec l'inflation de ces dernières années, il vaut mieux avoir un minimum de 90 points si on veut attirer une quelconque attention, la note "sûre" étant maintenant plus vers 95+ qu'ailleurs. Derrière ce phénomène, créé par la clientèle américaine, il y a toujours cette idée que le vin acheté doit pouvoir être éventuellement revendu si possible avec une marge positive. Depuis qu'il est devenu ainsi une sorte d'investissement latent, on comprend donc à quel point la publication des notes influence sur les prix. C'est un fait et le nier n'a aucun sens.

Face à cette constatation, Jancis Robinson a donc écrit (ICI) à tous les critiques importants en soumettant l'idée, pour éviter cette inflation des prix, que ces journalistes de référence attendent la sortie des prix AVANT de publier leurs notes. Bien évidemment, Parker qui a grand soin de ceux qui le font vivre, ses clients américains, n'a pas donné suite à cette requête et donc son rôle majeur, sinon unique, va continuer à dominer le marché. Mais au moins, Jancis a lancé un beau pavé dans la marre, d'autant plus que son nom, comme nous l'avons dit ci-dessus, est un nom respecté par tous les intervenants.

In fine, nous savons tous que ce sera là comme partout la loi de l'offre et de la demande qui va ordonnancer les choses, mais chacun est bien conscient de ce qu'apportent ces notes sur 100. La propriété est un peu sur un beau nuage, conforté par un marché chinois amoureux quasi exclusif de Bordeaux, où le potentiel est impressionnant, et un millésime qui s'annonce comme un grand classique, parfois exceptionnel pour certains crus où il sera supérieur au déjà grand 2009.

Gageons que cette question sera remise sur le tapis l'an prochain, Jancis Robinson étant parfaitement consciente que pour cette année, il est trop tard.

Bien : il reste en conclusion à rappeler avec force que cette question ne touche qu'une bonne centaine de crus, peut-être deux cent, et que Bordeaux offre une multitude de très beaux vins moins connus qui sont d'excellents compagnons de table et qui se dégustent sans ce pincement au coeur de se souvenir du prix "costaud" payé pour ce qui reste finalement une boisson, aussi belle soit-elle, aussi porteuse de réussite ou d'histoire mettant en valeur ceux qui les mettent sur table.

Plus que jamais, portons nos regards sur ces vins qui sortiront pour le client final autour de € 30 et qui, comme on le voit systématiquement aux sessions du GJE, sont capables de se comporter très honorablement face aux stars des appellations bordelaises. Espérons ainsi que nos grands critiques sauront mettre encore mieux en valeur ces vins, comme le fait d'ailleurs Parker avec sa section "Sleepers". A nous, les amateurs, de les pousser en ce sens. Perrin le fait déjà dans son Vinifera annuel, comme Bettane dans son Guide annuel. Acheter en primeurs est de plus en plus délicat car bien des transactions récentes sur des millésimes de la décennie 2000 peuvent être faites à des prix égaux aux prix primeurs de l'époque, et parfois même un peu moins chers. 


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