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Les faussaires

Par Alaindependant

bonifaceintellectuels fausaires

Le dernier livre de Pascal Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) Les Intellectuels faussaires », s'est déjà vendu à plus de 50 000 exemplaires. Il se place en numéro deux des ventes à la Fnac et dans le top 10 de L'Express. Pas rien pour un essai qui a essuyé quatorze refus d'éditeurs. Mais qu'y a-t-il dans cet essai à tendance pamphlétaire qui gêne autant le Tout-Paris ?
En presse écrite, les critiques se comptent sur les doigts d'une main. On dénombre péniblement trois articles, l'un dans Télérama, l'autre dans le Canard enchaîné et enfin un papier dans la rubrique "Le livre du jour" du Monde.
Aucun article dans les hebdos, idem pour Libération et Le Figaro. Les rares critiques ne sont pas dithyrambiques. L'expression « veine pamphlétaire » dans l'article du Monde considérant que cet exercice de style en « constitue la principale limite ».
Rappelons ce qu'est un pamphlet : un texte court et virulent qui remet en cause l'ordre établi. C'est précisément l'idée ouvertement affichée par cet essai. L'essence du discours pamphlétaire tient d'ailleurs du fait que son auteur a l'impression de détenir à lui seul la vérité.
Ici, Pascal Boniface s'érige effectivement au rang d'intellectuel honnête, seul sur sa barque, naviguant au gré du bon vouloir des médias.


BHL, « seigneur et maître des faussaires »
L'idée n'est pas nouvelle : le pamphlet s'attaque traditionnellement au pouvoir en place. C'est la fameuse maxime : « Les politiques, tous des pourris. » Il suffit de remplacer le terme « politiques » par « intellectuels » et l'on obtient le principe de base de ce livre.
Selon le politologue, les intellectuels les plus en vogue dans les médias sont aussi les plus corrompus et les plus démagos. Ils enfument leur public avec habileté, portés par une connivence journalistique qui leur permet de continuer librement leur tour de passe-passe sans se faire prendre.
Boniface classe les plus grands intellectuels faussaires du XXIe siècle, qu'il appelle aussi « beaux parleurs ». Par ordre d'importance :
* Alexandre Adler,
* Caroline Fourest,
* Mohamed Sifaoui,
* Thérèse Delpech,
* Frédéric Encel,
* François Heisbourg,
* Philippe Val,
* BHL, qu'il qualifie de « seigneur et maître des faussaires ».
Condamnation de l'islam au nom de la laïcité
Ils sont tous, écrit-il, des exemples criants de cette manipulation de l'élite intellectuelle française qui a « pignon sur écran ». Leurs dérives déontologiques ne semblent pas les inquiéter outre mesure, car ils portent un message commun qui en arrange plus d'un : celui des chevaliers de la laïcité (et par conséquent de la condamnation de l'islam en France) et de la défense du plus faible (Israël).
Serge Halimi, écrivain et journaliste, avait déjà écrit dans « Les Nouveaux Chiens de garde » les liens douteux entre journalistes et hommes politiques. Et de révéler à la lumière du jour l'existence « d'un petit groupe de journalistes omniprésents » et « d'intervenant permanents » qui dictent l'opinion.
Tout comme Halimi, dont le livre fut largement déligitimé par la presse, Pascal Boniface est attaqué par ceux qu'il qualifie de « faussaires ».
On pourra rétorquer que ceci participe de la liberté d'expression. Personne n'est forcé de croire leurs bonnes paroles et chacun se doit de porter un regard critique sur le monde qui nous entoure.
Soit, mais laisse-t-on un espace médiatique pour une parole qui s'écarterait de la « mainstream » ? D'ailleurs, quel est ce « mainstream » que le directeur de l'Iris s'emploie à dénoncer ?


Peut-on être intellectuel et médiatique ?
Le mérite de cet essai est de soulever une question majeure tirée d'une observation méticuleuse des intellectuels français : est-il possible d'être à la fois intellectuel et de jouer le jeu des médias ?
En d'autres termes, les médias auraient le même effet que le pouvoir sur les politiques : une fois qu'on y a goûté, on ne peut plus s'en passer, et on est prêt à tout pour en avoir encore un peu plus, quitte à manipuler la vérité afin de rentrer dans un consensus politico-moral.
Comme le souligne Boniface qui note l'apparition intempestive de ces néoclercs dans les médias, « le temps réservé à se montrer n'empiète-t-il pas sur celui passé à réfléchir ? ».
Connaissant très bien le monde du petit écran pour en faire partie, souvent invité aux émissions politiques qui traitent du conflit israélo-palestinien, ou de la politique américaine au Moyen-Orient, il propose de décrire les mécanismes de cet exercice périlleux de l'intérieur.
Selon lui, au vu et au su des téléspectateurs, lecteurs, auditeurs et internautes, ces intellectuels qui se veulent irréprochables déforment la réalité avec doigté pour servir leurs intérêts propres. En définitive, ils se comportent comme les Etats-nations qui cherchent dans toute interaction avec un autre Etat leurs avantages premiers.
Le « fascislamisme » au cœur de leurs préoccupations
Boniface dénonce l'apparition médiatique d'un terme aux associations qu'il juge frauduleuses et qui est largement pratiquée par ces intellectuels, BHL en tête : l'amalgame entre islam et fascisme.
Il existerait donc dans le paysage intellectuel français un « ennemi commun ». C'est l'islam radical, par opposition à un islam « modéré ».
Ainsi BHL écrit dans « La Pureté dangereuse » que « l'islamisme n'est que la troisième modalité d'un dispositif dont le communisme et le nazisme avaient été les précédentes versions ».
« Des produits intellectuellement frelatés et toxiques »
Encore une fois explique Boniface, il s'agit de servir ses intérêts personnels qui, depuis le 11 Septembre, sont la justification de la guerre préventive, rebaptisée « guerre juste » par nos chers intellectuels, afin d'annuler le principe de non-ingérence, comme ce fut le cas lors de la guerre en Irak de 2003, ou plus récemment l'intervention de l'ONU en Libye.
Comment ne pas adhérer à ce genre de messages moraux qui prônent l'aide à la libération des peuples sous le joug de dictateurs sanguinaires ? Toutes personnes allant à l'encontre de tels principes humanistes seraient aussitôt brulées sur la place publique.
En d'autres termes, souligne Pascal Boniface :
« Au lieu de permettre au citoyen de réfléchir à des phénomènes complexes, on simplifie à l'extrême, on fournit à l'opinion publique des produits intellectuellement frelatés et toxiques et on fabrique des leurres idéologiques. »

Hela Khamarou


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